Interview de M. Noël Mamère, candidat des Verts à l'élection présidentielle, à La Chaîne info le 12 décembre 2001, sur la situation en Afghanistan, la lutte internationale contre le terrorisme, la gestion des risques industriels après l'accident de l'usine AZF de Toulouse et sur les relations entre le PS et Les Verts.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser Vous n'êtes pas un admirateur fervent des Etats-Unis, mais quand vous voyez que trois mois après les attentats, ils sont sur le point d'éliminer Ben Laden, vous leur tirez votre chapeau ?
- "On peut dire qu'ils vont sans doute remporter une victoire militaire. Qu'ils liquident Ben Laden, personne ne s'en plaindra, mais on aurait préféré qu'ils le prennent vivant - on ne sait toujours pas s'il est en Afghanistan ou pas -, ne serait-ce que pour qu'il soit jugé comme le criminel contre l'humanité qu'il est. Sauf que les Etats-Unis n'ont toujours pas ratifié la convention qui fixe la Cour pénale internationale. Au-delà de ce qui se passe militairement aujourd'hui, le vrai problème qui est posé, c'est celui de toute l'Asie centrale. On ne peut pas se contenter d'une conférence afghano-afghane, comme elle a eu lieu à Bonn - c'est bien que l'Europe ait été impliquée dans cette affaire, je salue d'ailleurs le travail extraordinaire fait par J. Fischer, le ministre Vert des Affaires étrangères allemand. Aujourd'hui, je pense qu'il faut une conférence régionale qui implique tous les pays limitrophes. Cela concerne d'ailleurs aussi l'Afghanistan, puisque les tribus, les ethnies ne sont pas simplement afghanes, elles sont aussi turkmènes, ouzbeks, pakistanaises. Il faut que les Etats-Unis, et surtout les Nations unies, prennent mandat pour organiser cette conférence régionale. Et puis, il y a un autre problème aujourd'hui : celui des Afghans qui, depuis 25 ans, sont victimes de la guerre, mais aussi d'une sécheresse terrible, qui sont victimes des nouveaux bombardements des Américains, qui sont dans des camps de réfugiés, qui meurent tous les jours. Il y a des millions de tonnes d'aide humanitaire qui n'arrivent pas..."
Qui ne peut pas arriver, qui est bloquée...
- "Elle pourrait arriver si les militaires américains font leur travail, ils doivent pouvoir ouvrir la route - ils l'ont fait pour la résistance, pourquoi ne le font-ils pas pour les vivres, alors qu'il y a aujourd'hui des gens qui crèvent de faim ? Il y a un deuxième souci, qui est celui du terrorisme international, qui ne sera pas résolu par l'Afghanistan."
Les Américains le disent...
- "Oui, mais que font-ils alors en matière de police internationale ? Que font-ils pour lutter contre le blanchiment de l'argent ? Que font-ils pour essayer d'aider tous les pays qui ont besoin de démocratisation et de développement, pour éviter que d'autres Ben Laden ne naissent ?"
Vous ne leur trouvez aucune excuse ?
- "Ce n'est pas le problème. Tout le monde doit dénoncer avec une grande force ce qui s'est passé à Washington et à New York, mais si les Etats-Unis veulent mettre un point final au terrorisme international, avec l'aide de toutes les nations, ils doivent le faire sous l'égide de l'ONU et ne pas se contenter d'une opération militaire concentrée sur l'Afghanistan."
Revenons en France, notamment à Toulouse, où vous lancerez votre campagne, le 17 janvier prochain, parce c'est un lieu symbolique pour vous... Hier, il y a eu un débat parmi d'autres sur le devenir de Toulouse et notamment de l'usine AZF. Le Premier ministre doit rendre sa décision la semaine prochaine. Y. Cochet dit qu'il n'est pas question de rouvrir l'usine ; le Premier ministre est plus nuancé : il dit que, pour l'instant, on peut envisager un déménagement des habitants qui vivent aux alentours. Avez-vous arrêté votre position à ce propos ?
- "D'abord, on ne peut résoudre le problème des risques industriels avec un déplacement de population. Quand Y. Cochet dit qu'il ne faut pas rouvrir AZF, je crois qu'il a raison, et ce, pour une raison très simple : AZF fait partie des grandes catastrophes industrielles de notre pays, c'est un symbole et on gouverne aussi avec des symboles pour rassurer la population et montrer que l'on est attaché à la sécurité. Je crois donc qu'il faut qu'AZF reste fermée. Cela dit, on ne peut pas déplacer tous les sites industriels."
Et il n'y a pas qu'AZF...
- "Il n'y a pas qu'AZF. Cela veut donc dire qu'il faut appliquer de manière beaucoup plus stricte les directives Seveso. Et d'autres problèmes ont été évoqués par le Premier ministre, hier, mais ils n'ont pas été résolus. Par exemple, quand le Premier ministre dit : "J'entends certains - il pense aux Verts en particulier - qui disent qu'il faut séparer les fonctions chez les inspecteurs de l'environnement et de l'industrie, entre ce qui est l'industrie et ce qui est environnement", il dit qu'il n'est pas d'accord avec cela, mais il a tort. Il faut que ceux qui sont chargés de veiller à la sécurité puissent le faire en toute indépendance et que l'on ne mélange pas le contrôleur et le contrôlé. Il faut aussi associer les salariés à la question de la sécurité. Parce qu'assurer la sécurité des salariés et des équipements industriels, c'est aussi assurer la sécurité des riverains. On ne peut pas séparer les deux."
Sauf que les salariés d'AZF disaient que tout était en ordre.
- "Oui, mais les salariés d'AZF, comme cela a été très bien démontré, pour beaucoup d'entre eux, parmi les 31 victimes, il y avait, je crois, 23 personnes qui étaient des sous-traitants, ce qui pose le problème de la sous-traitance et de la qualification des personnels dans les sites industriels. Les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail doivent avoir en amont un rôle beaucoup plus grand, et on ne doit pas pouvoir se permettre de virer impunément des membres de CHSCT qui disent la vérité sur la situation."
Il y a des hésitations chez les Verts, des atermoiements, des divisions...
- "Il y a sans doute encore des divisions, parce que notre parti a été fragilisé par la période extrêmement difficile qu'il a traversée à partir du mois de juin jusqu'en octobre, date de ma désignation - dans les conditions que l'on sait. On ne se remet pas de difficultés, d'un été pourri, d'un automne qui l'était tout autant, comme cela, du jour au lendemain."
C'est ainsi que vous interprétez les votes des dernières assemblées générales décentralisées ?
- "Oui. Ce sont des votes sans enjeu. Les Verts ont contribué, avec ce vote, à faire leur deuil d'une certaine culture, pour entrer dans une autre. Le congrès extraordinaire aura lieu en janvier ; je souhaite vivement que nous arrivions à trouver un accord avec le PS, dans de bonnes conditions, c'est-à-dire pas aux conditions imposées par le PS, mais dans une véritable négociation avec nous. C'est difficile aujourd'hui de dire comment cela peut se passer..."
Il y a deux accords : l'accord programmatique et l'accord législatif, et là, cela doit se résoudre avant la fin de la semaine.
- "On ne peut pas imaginer qu'il n'y ait pas un groupe Verts à l'Assemblée nationale, de ce point de vue, les choses sont claires. Il faut donc que les socialistes fassent un effort. Qu'ils le veuillent ou non, nous sommes des partenaires incontournables. Cela ne peut donc pas se résumer à une rhétorique d'épicier sur le nombre de circonscriptions. Cela doit s'accompagner, sur le programme, d'un certain nombre d'engagements qui ne sont toujours pas là."
Dans la campagne future, quel rôle allez-vous tenir ?
- "Mon rôle de candidat des Verts à l'élection présidentielle..."
Certes...
- "C'est-à-dire, essayer de démontrer que les Verts peuvent être utiles à leur pays et à des meilleures conditions de vie, utiles à renforcer la sécurité dans tous les domaines, pas simplement dans celui de la vie quotidienne, mais par exemple, dans ce que nous mangeons, dans la lutte contre la pollution de l'air, dans la question des transports, dans la lutte contre les risques industriels. Si les Verts arrivent à faire un score honorable - ce que je souhaite et ce à quoi je vais m'employer - le 21 avril, alors, on pourra dire que nous aurons rempli notre mission et que nous pourrons désormais être des partenaires à part entière d'une gauche qui sortira du productivisme."
Vous ne dites pas, comme J.-P. Chevènement, que vous serez au deuxième tour ?
- "Il faut avoir un peu d'humilité dans la vie tout court, et en particulier dans la vie politique. Que les Verts fassent un bon score au premier tour, qu'ils permettent à la gauche de l'emporter, mais une gauche qui ne soit pas celle d'hier, mais plutôt celle de demain, ce sera déjà pas si mal. Ne grillons pas les étapes."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 12 décembre 2001)