Interview de M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur, à France 2 le 20 février 2002, sur le bilan de la politique de sécurité du gouvernement et la critique du progamme de sécurité présenté par J. Chirac.

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Texte intégral

R. Sicard J. Chirac a jeté un beau pavé dans la mare hier, en dévoilant son programme pour la sécurité. La sécurité est le domaine dans lequel la gauche au pouvoir a le plus eu de difficultés. Vous êtes-vous senti visé par les propos de J. Chirac ?
- "La sécurité - ou l'insécurité - est un des sujets les plus difficiles dans nos sociétés modernes. La sécurité n'est pas une valeur de gauche ni une valeur de droite. C'est une valeur républicaine et, dans ce domaine, les Français n'attendent pas qu'on se fasse la leçon les uns et les autres, notamment quand il s'agit de personnes qui ont eu de grandes responsabilités, plusieurs fois ministre, notamment ministre de l'Intérieur s'agissant de monsieur Chirac - c'est vrai qu'il ne l'a été que deux mois et demi, il n'a donc pas dû bien faire le tour du sujet -, Premier ministre deux fois, président de la République depuis sept ans. Rappelez-vous qu'entre mai 1995 et 1997, il a été président de la République et monsieur Debré était ministre de l'Intérieur. On a vu le résultat. Donc, il faut éviter cela. Les Français n'attendent pas des polémiques inutiles sur ces sujets. Il faut être irréprochable dans ce domaine comme dans d'autres, car la lutte contre l'insécurité, la lutte contre l'impunité, le nécessitent. De ce point de vue, les propos étaient sans doute à mon avis injustes et pas adaptés à la situation. Il y en a eu d'autres au mois de juillet 2001. Mais en revanche, sur des propositions, on ne peut pas découvrir ces sujets à quelques semaines et quelques mois des élections. Il faut aussi avoir un bilan. De ce point de vue, je veux dire avec une certaine fierté que ce Gouvernement, même s'il n'a pas réussi en tout, a mis des moyens considérables pour lutter contre l'insécurité : des moyens de police, des moyens de justice, des effectifs supplémentaires, la police de proximité, les contrats locaux de sécurité, les opérations cyber-répressives. Et d'ailleurs, les policiers le sentent bien."
Tout cela est vrai, mais les chiffres de la délinquance pour 2001 étaient des chiffres qui étaient mauvais. J. Chirac, de ce point de vue, n'a pas tort de s'en préoccuper.
- "Non, il n'a pas tort, sauf qu'ils étaient très mauvais en 1994, sauf qu'en 1995-1996, pourquoi J. Chirac, A. Juppé et J.-L. Debré ont fait baisser les crédits de la police nationale ? Nous avons trouvé en 1997 une situation qui n'était vraiment pas bonne. Et d'ailleurs, J.-P. Chevènement, puis moi-même, avons dû redresser le budget du ministère de l'Intérieur, des effectifs qui diminuaient. Ceci étant, c'est vrai que la lutte contre l'insécurité passe par une mobilisation générale de la société. Personne ne peut s'exonérer de sa responsabilité. Il faut que la police soit en première ligne, il faut que la justice soit avec la police, pour que la chaîne pénale soit efficace. Mais il y a tout le champ de la chaîne éducative, de la manière d'élever les enfants, savoir comment on va restaurer effectivement un pacte républicain dans lequel il n'y ait plus ces délinquants et cette montée de la violence inacceptable. Et je ne suis absolument pas pour qu'il y ait de l'impunité. Absolument pas. Simplement, il faut être crédible pour lutter contre l'impunité..."
Vous parlez d'impunité. A. Madelin, hier, disait que lorsqu'on parle d'impunité zéro, il faut être exemplaire, faisant allusion aux affaires dans lesquelles le nom de J. Chirac a été cité. Qu'est-ce que vous pensez de ce propos ?
- "C'est monsieur Madelin qui les a prononcés. Il connaît bien : il a été proche, il a même été ministre de monsieur Chirac. Donc, venant de monsieur Madelin, on comprend bien ce qu'il a voulu dire. Tout le monde le comprend. Moi, je suis ministre de la République. Je ne vais pas en dire beaucoup plus sur ce sujet."
Mais qu'est-ce que vous en pensez ?
- "C'est vrai que la lutte contre l'insécurité et l'impunité demandent une forme d'exemplarité. Vous savez, il y a la valeur de l'exemple. L'exemple vient d'en haut et donc il faut effectivement, sur ces sujets, avoir de la crédibilité, de la persévérance, de la constance aussi dans la réflexion, et je crois qu'il faut véritablement être irréprochable."
Ne craignez-vous pas que cette campagne électorale qui s'annonce ne soit pas une campagne qui se joue "affaires" contre "affaires" ? Tous les jours, dans les journaux, on voit des affaires sortir, dans un camp comme dans l'autre ?
- "Ce serait très dommageable. D'abord, je crois que les choses ne sont pas comparables, de vous à moi, et il ne faut pas que les Français aient l'attention détournée par rapport aux vrais enjeux : c'est l'élection d'un président de la République qui, pendant cinq ans, va être une sorte de guide pour l'attitude de la France dans le monde. Dans cette mondialisation, on a besoin de quelqu'un qui tienne le cap, de savoir dans quelle Europe la France s'engage, dans quelle construction européenne - je suis profondément européen - notamment sur les sujets de sécurité, sur les sujets "JAI" [Justice et Affaires intérieures, ndlr], comme on dit, puisque je participe à toutes les réunions de ministres sur ces sujets. On sait bien que les réponses sont essentiellement européennes. L'insécurité n'est pas un mal français, ce n'est pas une exception française. Quand je parle avec D. Blunkett le Britannique, ou avec Schily l'Allemand, ou Oreja l'Espagnol, ce sont les mêmes problèmes rencontrés partout. Alors, je crois que l'enjeu est là : élire un président de la République. C'est vrai que le président de la République doit être aussi, je dirais, le gardien à la fois des institutions et de la sécurité des Françaises et des Français. Et de ce point de vue, les propositions qui seront faites par notre candidat, leur avantage est qu'elles sont dans la continuité et dans l'intensification de ce que nous avons fait pendant cinq ans. Monsieur Chirac, vous avez vu ses propositions ? On en attendait des tas de choses. J'aurais sûrement été contre. Quand monsieur Chirac et ses amis voulaient, voilà quelques semaines, démanteler la police nationale pour placer les policiers sous l'autorité des maires, j'aurais été contre. Il y a encore monsieur Bayrou qui continue..."
Vous auriez été contre, et tous vos amis disent qu'il propose ce que vous avez déjà fait ?
- "Mais c'est ce que j'allais vous dire."
Mais comment pouvez-vous être contre ?
- "Attendez, je ne me suis pas prononcé sur les idées du président de la République, puisque ce ne sont pas les siennes. J'ai l'impression que ne connaissant pas bien le sujet, il a lu sur l'épaule du voisin, en l'occurrence, l'épaule du Gouvernement qui agit. Il propose des conseils de sécurité de proximité. Mais nous avons les contrats locaux de sécurité autour des maires. Donc c'est fait, c'est en route et cela marche. La police de proximité, elle marche. Eux ne l'avaient pas faite, et ils ne proposent pas, semble-t-il, de revenir en arrière, c'est bien. Le Conseil de sécurité intérieure, il est en place ! Simplement, il est placé auprès du Premier ministre, et cela, je pense que c'est important qu'il n'y ait pas de policiers tiraillés. Je suis personnellement très réservé sur l'idée d'avoir un conseil de sécurité intérieure auprès du président de la République. Bien sûr, le ministre de l'Intérieur doit être le ministre de la sécurité intérieure et je pense que rassembler les forces de police et de gendarmerie - tout le monde en a parlé depuis longtemps, notamment moi - améliorera l'opérationnalité et ce sera au service de la sécurité."
Vous avez peut-être eu des idées, mais vous n'avez pas eu les résultats ?
- "Vous verrez d'ailleurs très prochainement qu'en matière de police de proximité, il y a d'excellents résultats, et de toute façon, si on n'avait pas fait ce qu'on a fait, embaucher les policiers supplémentaires, mettre des moyens supplémentaires, je ne sais pas quelle serait la situation. Ceci étant, la réponse ne peut pas être que policière. Quand il y a des mineurs de moins de 13 ans qui sont en cause, on est là face à un problème de société, d'éducation : société de la règle, de la discipline dans la vie. Je pense que cela, c'est quelque chose qu'il faut effectivement mettre en avant."
Vous parliez tout à l'heure de votre candidat. Pour l'instant, il n'est pas déclaré. J. Chirac, lui, s'est déclaré. Est-ce que ce n'est pas un petit peu ridicule d'avoir un candidat que tout le monde connaît et qui n'annonce pas sa candidature. Quand est-ce qu'il va le faire ?
- "Je crois que L. Jospin - puisqu'il s'agit de lui - est, lui, respectueux du Parlement. La fin de la législature, c'est dans quelques jours. Je crois qu'il a pendant cinq ans montré le respect qu'il avait pour le Parlement. Il y sera encore cet après-midi et je pense qu'il a raison d'attendre la fin d'un cycle, c'est-à-dire la fin de la législature, pour se déclarer et rentrer en campagne. Les Français ne lui reprochent pas - on voit d'ailleurs à travers les sondages d'opinion - de ne pas être rentré prématurément en campagne. Pourquoi se précipiter ? Il ne faut pas faire preuve d'agitation. C'est peut-être un peu ce qu'on reproche aussi au candidat Chirac. Il n'a pas l'habitude. Cela le démangeait. Il s'ennuyait peut-être à l'Elysée. Mais c'est une manière de nous rappeler qu'il était président sortant pendant sept ans, et sept ans c'est long."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le20 février 2002)