Déclaration de M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville, sur la remise du rapport sur la veille éducative, Paris le 27 novembre 2001.

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Circonstance : Remise du rapport "Veille éducative et prévention de la violence" à Paris le 27 novembre 2001

Texte intégral

Madame la déléguée,
messieurs les députés,
mesdames et messieurs,
Je vous remercie de la qualité de vos travaux et de la forte implication que vous avez manifestée. Je suis très attaché à la mise en uvre de ce programme d'action et je vous demande d'y être particulièrement attentifs.
Une circulaire sera prochainement diffusée aux préfets et j'écrirai personnellement aux maires des villes en contrat de ville pour les informer des mesures que nous avons prises, afin de commencer le vite possible à les mettre en place.
Je souhaite également qu'une personne missionnée spécialement à cet effet puisse travailler à vos côtés pour coordonner les travaux.
Au moment où le thème de la sécurité et de la violence reviennent en force dans le débat public, il apparaît nécessaire de renouveler aussi les approches en termes de prévention et d'éducation.
Chacun sa façon de faire de la politique. On peut faire aveu d'impuissance, et monsieur le maire d'Asnières en a fait la démonstration ces derniers jours. On peut avouer qu'on ne sait pas comment s'y prendre pour encadrer la jeunesse dans sa commune. On peut éparpiller les enfants pour se débarrasser du problème. On peut jouer les loups garous pour faire semblant de faire peur. Mais on peut aussi regarder la réalité en face, refuser la stratégie du remède ou de l'après-coup et prendre des mesures éducatives très efficaces qui projettent les jeunes vers l'espoir plutôt que de viser à les enfermer.
Car nous pourrons retourner la question de la violence dans tous les sens, nous serons toujours ramenés au point de départ, c'est-à-dire à l'éducation de nos enfants et à notre obligation de resserrer les rangs des adultes sur cet enjeu.
La veille éducative, dont vous venez de nous exposer les principes, s'appuie sur la vérité des faits, la complexité de l'analyse et la simplicité de la réponse.
Pour la vérité des faits, vous en avez dit l'essentiel. 58 000 élèves quittent encore le système éducatif sans qualification. Nous n'avons cessé de faire diminuer ce nombre et nous n'avons pas à avoir honte des résultats obtenus. Mais chacun peut comprendre que 58 000 enfants par an, c'est un nombre tout à fait insupportable, pour eux, comme pour l'éducation dans un pays moderne comme la France.
De très nombreux dispositifs existent qui ont fait leur preuve. Mais au bout du bout, il manque un maillon de la chaîne, car il reste encore des enfants perdus, décrochés de la vie sociale et nous devons absolument nous en occuper.
Ces enfants nécessitent qu'on s'occupe d'eux de façon différente, en fonction de leurs difficultés particulières. Ils vivent dans les quartiers populaires et leur échec pèse lourd sur leur vie et surdétermine négativement leur avenir. Il pèse lourd aussi sur l'image de la ville, fortement marquée par la symbolique tragique du ghetto. Il pèse lourd enfin sur la sécurité de tous.
Les raisons de cet échec, de cette relégation éducative, sont nombreuses. Elles ont donné lieu à une littérature impressionnante. Chacun a sa part de responsabilité qu'il ne s'agit pas de se renvoyer pour s'en dédouaner.
Le rapport "Souffrances et violences à l'adolescence", que Marie Choquet m'a remis en début d'année, a marqué avec beaucoup de force la honte, l'humiliation, et le sentiment d'injustice vécus par les enfants en échec.
Ils s'en sentent coupables. Ils éprouvent soit une sorte de rage rancunière, soit développent une dépression silencieuse que nous ne savons même pas identifer, car la dépression chez l'enfant est souvent masquée et difficile à reconnaître. Ce sont des souffrances qui dégénèrent parfois en conduites déviantes ou violentes, que nous essayons ensuite d'endiguer au prix de coûteux efforts.
L'étude des parcours de ces jeunes montre que c'est parfois après une longue galère de plusieurs années, qu'épuisés ils parviennent enfin à retrouver un cap, non sans séquelles évidemment.
Mais, mesdames et messieurs, c'est une des injustices les plus criantes de notre société que cette éducation à deux vitesses qui frappe de plein fouet des milliers de jeunes des quartiers populaires. De fait, certains vivent une scolarité de plus en plus longue, tandis que d'autres l'interrompent parfois avant même l'âge de 16 ans.
Ce sont ces derniers qui tiennent les murs des cités, confrontés à l'attrait des bandes, à l'angoisse d'un futur improbable et à la violence.
On dit familièrement que les jeunes "tiennent les murs" des cités, moi je dis que c'est la ville qui doit soutenir les jeunes.
A cela nous devons trouver la réponse la plus humaine, la plus concrète, la plus simple possible.
J'ai choisi le mot "veille" parce qu'il condense à lui seul ces trois principes.
Entre surveillance et bienveillance, il répond aux deux besoins fondamentaux de l'enfant : l'autorité et l'amour. Il exprime cette "tension douce" qui, au quotidien, lorsqu'elle est toujours maintenue, prévient mieux que tout souffrances, accidents ou passages à l'acte.
Pour être très concret, tous ceux qui sont décrocheurs ou décrochés manquent cruellement aussi de trois choses indispensables pour "grandir droit" :
Ils ont besoin d'un lieu d'accueil. Le simple bon sens veut que la rue ne soit pas un lieu éducatif. Les enfants méritent mieux que des stations prolongées dans les halls d'immeubles.
Ils ont besoin d'un emploi du temps qui structure leur quotidien, pour de se lever le matin, pour avoir des choses à faire.
Ils ont enfin besoin d'un projet.
Vos propositions sont simples et claires comme je vous l'avais demandé.
La réponse aux problèmes des enfants des quartiers doit être organisée au niveau des quartiers avec les gens des quartiers, qui connaissent les enfants, qui connaissent la ville, qui savent quels sont les besoins.
La variété d'acteurs susceptibles d'être impliqués dans la démarche de veille éducative ne doit pas se traduire pour le jeune par une difficulté supplémentaire à identifier un interlocuteur avec lequel il pourra entretenir un rapport privilégié. Bien au contraire, la mise en place de la veille éducative doit être l'occasion de développer le parrainage des jeunes en difficulté par des adultes de la ville, qu'ils soient professionnels, bénévoles ou encore recrutés dans le cadre du programme "adultes relais". C'est aussi l'occasion de renforcer au niveau local les actions de soutien à la parentalité.
Les maires portent cette responsabilité. Je suis bien placé pour le savoir. Je sais qui sont les jeunes dans ma ville qui ont besoin d'aide. Je sais aussi qu'il faut organiser les choses à ce niveau et que les cellules de veille éducative donneront les moyens de le faire.
On voit bien qu'il faudra sans doute pour cela inventer des lieux nouveaux, des lieux ni école, ni centre de soins, ni maison de jeunes, ni mission locale mais tout cela à la fois, des lieux où on sache écouter, soigner, apprendre la confiance en soi et dans l'avenir. Nous allons aider les projets avec l'aide du conseil national de l'innovation pour la réussite scolaire de l'éducation nationale.
Mesdames et messieurs, dans la plupart des cas et heureusement, les enfants qui éprouvent des difficultés scolaires sont suivis, et après la période de turbulence adolescente, retrouvent un parcours de réussite. Dans certaines familles plus aisées, c'est même l'occasion de voyage, de stage valorisant ou bien les parents payent assez cher des instituts privés, ce qui va donner le temps nécessaire pour gérer la crise. Le jeune sort alors par le haut de sa difficulté à s'intégrer à un cursus ordinaire.
Deux poids, deux mesures. Dans les quartiers populaires l'échec est en quelque sorte interdit. Il provoque une inflation de difficultés impossibles à endiguer. Les solutions semblent inimaginables et les conséquences sont celles que j'évoquais tout à l'heure : souffrances et violences.
La veille éducative n'a d'autre ambition que de donner la même chance à tous et de rétablir ainsi l'égalité.
(Source http://ww.ville.gouv.fr, le 30 novembre 2001)