Communiqué du ministère des relations extérieures, en date du 17 juillet 1985, sur les assises européennes de la technologie (projet Eurêka).

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Assises européennes de la technologie à Paris le 17 juillet 1985.

Texte intégral

Au moment où les Etats-Unis et le Japon ont pris sur elles une longueur d'avance dans certains secteurs de pointe dont la maîtrise est essentielle pour l'avenir, les nations européennes se trouvent placées devant l'alternative suivante : ou bien préparer ensemble la mutation industrielle qui se profile, avec les meilleures chances de réussite, comme le montrent les précédents d'Ariane, d'Airbus, d'Esprit ou de JET, ou bien agir en ordre dispersé et subir la loi du déclin. Le projet Eurêka vise à donner à l'Europe les moyens de relever ce "défi technologique".
- Le 17 avril dernier, après s'être étroitement concertée avec la République fédérale, la France a soumis à ses partenaires européens une liste de secteurs se prétant à des coopérations en matière de recherche et développement et a suggéré une méthode, souple et pratique, pour aller de l'avant.
- Afin de commenter ces propositions et d'engager le dialogue, une délégation, conduite le plus souvent par l'ambassadeur Arnaud, s'est rendue successivement dans douze capitales européennes.
- Interrogée sur les liens entre Eurêka et l'initiative de Défense Stratégique, la délégation française a indiqué que le projet français n'était en aucune manière une "contre-IDS". Eurêka s'inscrivait dans la lignée d'initiatives telles que la création du groupe "technologie, croissance, emploi" à l'issue du sommet de Versailles, le memorandum français de l'automne 1983 sur "l'Europe industrielle" ou encore la réunion des ministres de la recherche présidée par M. Curien sous l'égide du Conseil de l'Europe. Il s'agissait d'un projet civil susceptible d'avoir des retombées militaires, alors que la finalité de l'IDS était militaire, même si celle-ci s'analysait également en un vaste programme de subventions aux industries de pointe. La France ne cherchait pas à obtenir des autres pays européens qu'ils modifient leur attitude face au programme américain. Mais il était clair que les mêmes moyens, les mêmes chercheurs ne pouvaient être utilisés simultanément à deux tâches différentes.
- Un large accord s'est dégagé d'autre part concernant la façon dont Eurêka devrait se situer par rapport à la Communauté européenne. Il fallait que celle-ci soit directement associée à Eurêka. Eurêka ne devait pas être une politique commune de plus. On déterminerait, cas par cas, les formules et les procédures qui assureraient le mieux la souplesse et l'efficacité de la gestion des programmes.
- En matière de financement, enfin, on devait pouvoir faire largement appel aux ressources disponibles : redéploiement de fonds publics, appel au marché financier, contribution des entreprises. Le problème de l'Europe était d'ailleurs moins celui de l'effort global en faveur de la recherche et développement - supérieur à celui du Japon et environ les deux tiers de celui des Etats-Unis - que de l'élimination des doubles emplois entre les différents programmes nationaux et d'une manière générale, la meilleure articulation entre les progrès de la science et de la technologie d'une part, le marché d'autre part.
Parallèlement, les experts ont échangé leurs points de vue sur le contenu scientifique et technique d'Eurêka : réunion franco-allemande à Bonn le 21 mai, franco-britannique à Paris le 12 juin, présentation d'Eurêka à la Communauté scientifique italienne le 30 mai. De son côté M. Curien a multiplié les contacts avec ses homologues européens ces deux derniers mois. Enfin, deux "forums stratégiques", réunissant les industriels et les experts des administrations se sont tenus, l'un, franco-allemand, à Munich (13 et 14 juin), l'autre, franco-italien, à Rome (25 juin). Ces échanges ont permis de préciser le champ des coopérations possibles et mis en évidence, d'autre part, l'intérêt de la notion de "programme finalisé". Cette expression recouvre en effet les projets concus pour mobiliser les entreprises et les centres de recherche européens autour d'objectifs précis et ambitieux, afin de déboucher sur des applications commerciales et renforcer ainsi la compétitivité industrielle de l'Europe. Tel est bien, d'ailleurs, l'apport conceptuel d'Eurêka par rapport à un programme comme Esprit, qui porte lui sur de la recherche précompétitive et se situe donc plus "en amont" par rapport au marché.
- Jointe à la perception profonde, par tous, de l'importance de l'enjeu technologique, cet effort de persuasion et ces rencontres ont porté leurs fruits.
- Par des déclarations très chaleureuses, les principaux dirigeants européens ont d'abord tour à tour manifesté leur pleine adhésion à notre initiative. Puis c'est le Conseil européen de Milan qui a officiellement apporté son soutien à Eurêka tout en mandatant la France pour convoquer, en liaison avec la Présidence - le Luxembourg depuis le 1er juillet - et la Commission, un comité ad hoc pour tenir les assises de la technologie européenne.
- Au plan industriel, plusieurs accords sont intervenus ces dernières semaines entre des grandes entreprises européennes, démontrant que celles-ci sont très désireuses de s'engager sur la voie que leur ouvre Eurêka : Matra-Norsk Data (ordinateur vectoriel compact), GEC-Philips-Siemens-Thomson (composants stratégiques), Bull-Siemens (grand calculateur numérique européen), Aérospatiale-MBB (très hautes performances dans le domaine de l'aérodynamique), Matra-MBB (CAO pour industrie spatiale et transmission laser entre le sol et une plate-forme spatiale), Matra-SGS (unité automatique d'assemblage de circuits intégrés).
- Le 17 juillet se tiennent à Paris les assises de la technologie européenne, auxquelles participent deux représentants (le plus souvent les ministres des affaires étrangères et de la recherche) des Gouvernements des 12 Etats membres de la Communauté élargie et de l'Autriche, la Finlande, la Norvège, la Suède et la Suisse, ainsi que deux hauts représentants de la Commission.
- Afin de mieux préparer cette réunion, la France a adressé aux participants, d'une part un livre blanc intitulé : "La renaissance technologique de l'Europe" décrivant un ensemble cohérent de programmes finalisés, d'autre part une lettre signée par Messieurs Dumas et Curien indiquant et commentant les points qui pourraient être inscrits à l'ordre du jour.
- Ceux-ci sont au nombre de trois : critères de choix des projets s'inscrivant dans le cadre d'Eurêka, moyens permettant d'inciter les industriels à coopérer entre eux et de soutenir leurs projets communs, suites à donner à la réunion. La France est convaincue que les échanges de vues qui se développeront sur ces bases marqueront un progrès décisif de l'Europe de la technologie et que des décisions seront prises qui répondront à l'attente légitime de la communauté scientifique et industrielle, et au-delà de l'ensemble des citoyens européens.