Point de presse conjoint de MM. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, et Igor Ivanov, ministre russe des affaires étrangères, sur les questions de sécurité et les questions diplomatiques et stratégiques mondiales, concernant la lutte contre le terrorisme, les conflits du Proche-Orient et de Tchetchénie, les relations entre l'Otan et la Russie, entre l'Union européenne et la Russie, Paris le 15 février 2002.

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Circonstance : Visite en France de M. Igor Ivanov, ministre des Affaires étrangères russe : réunion de travail à Paris le 15 février 2002

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
J'ai été très heureux d'accueillir aujourd'hui à Paris mon collègue et ami Igor Ivanov, le ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie.
Nous nous rencontrons très régulièrement, souvent dans des réunions internationales mais aussi à Paris ou à Moscou. Nous faisons le point des questions bilatérales, des questions intéressant le continent européen, des questions internationales.
Nous avons beaucoup parlé de toutes ces questions aujourd'hui. Nous avons abordé la situation dans le monde après le 11 septembre. Nous avons parlé des questions stratégiques, d'une part en relation avec les négociations américano-russes, mais aussi d'une façon plus générale. Nous avons parlé de l'Afghanistan, du Proche et du Moyen-Orient, de l'Europe. Nous avons échangé nos vues sur la situation des relations entre l'OTAN et la Russie, l'Union européenne et la Russie. Nous avons parlé de quelques questions bilatérales.
Vous remarquerez l'intensité de notre entretien.
Nous pouvons faire cela dans des temps relativement courts puisque nous nous voyons souvent. Nous connaissons nos positions et nous nous concentrons sur les points précis où il faut prendre des décisions, ou sur des problèmes précis sur lesquels il y a eu des évolutions.
Je remercie d'ailleurs Igor Ivanov d'être venu spécialement de Moscou aujourd'hui. Il repart ce soir et participe par la suite à des consultations qui ont lieu entre les Canadiens et les Russes sur une série de grands sujets qui recoupent nos sujets de conversation.
Lors de leur dernière rencontre, les présidents Chirac et Poutine avaient adopté le principe de consultations sur les questions de sécurité. Ils avaient, par ailleurs, redit leur souhait, le président Poutine avait beaucoup insisté là-dessus, de voir s'intensifier encore cette consultation politique régulière entre nos deux pays.
Nous avons donc confirmé ce principe de consultations sur les questions de sécurité et de concertation sur les questions diplomatiques et stratégiques mondiales. Ceci se traduira en pratique par des rencontres, encore plus régulières, d'un comité que nous présiderons tous deux, qui abordera toutes ces questions diplomatico-stratégiques. Une fois par an, cette réunion aura lieu avec les deux ministres des Affaires étrangères et les deux ministres de la Défense pour traiter des sujets d'intérêts communs qui sont très nombreux. Ceci, c'est sur le plan de la méthode.
Concernant le Proche-Orient, nous avons fait une déclaration conjointe. Nous avons redit notre analyse de la situation, nos préoccupations et les idées que nous avons qui sont très proches, que nous avons synthétisées dans cette déclaration sur ce qu'il faudrait faire pour sortir du piège, du cercle vicieux dans lequel nous nous trouvons actuellement au Proche-Orient.
Sur tous les autres points, cet échange est comme d'habitude extrêmement utile parce que nous avons à travailler ensemble sur beaucoup de plans. A propos des Balkans, nous avons toujours des nuances sur ce sujet mais ces nuances sont intéressantes. Elles nous font réfléchir de part et d'autre et, je pense, améliorent nos politiques respectives.
Vous connaissez bien tout cela, l'ampleur des domaines de la coopération franco-russe et vous mesurez sans peine l'intérêt de ces échanges.
Je souhaiterai en profiter pour dire qu'à l'occasion du déjeuner, j'ai remercié l'ambassadeur Afanassievsky qui va bientôt quitter ses fonctions puisqu'il est nommé dans un autre grand poste européen. Je l'ai remercié pour tout ce qu'il a apporté à la relation franco-russe, grâce à son extraordinaire connaissance de notre pays et de notre langue. J'ai dit tout l'esprit d'amitié avec lequel nous accueillerons le nouvel ambassadeur qui viendra au mois de mars, M. Avdeev.
Voilà un résumé rapide de nos conversations, de notre tête-à-tête et du déjeuner de travail qui a suivi.
Sur la question de l'Iraq, nos positions sont assez proches. A ce stade, je voudrais dire que la meilleure façon de régler le problème, ce serait que l'Iraq accepte enfin, ce que ce pays aurait dû faire depuis des années d'ailleurs, la pleine application de toutes les résolutions du Conseil de sécurité et en pratique, qu'il accepte que les inspecteurs des Nations unies puissent revenir travailler librement et sans entrave. C'est la solution qui serait la meilleure, à tous points de vue.
Q - Monsieur Védrine, peut-on espérer que les problèmes de Mme Zakharova soient un jour résolus pour que la mère et sa fille puissent vivre ensemble ?
Nous suivons ce problème avec une grande attention mais nous devons respecter l'indépendance des juges. Nous veillons à ce que les garanties de procédures dont bénéficie Mme Zakharova soient respectées. Les nombreux recours qu'elle a intentés montrent qu'elle a pu utiliser toutes les voies qui s'offrent à elle, ce qui a permis que la situation soit examinée par trois juges des enfants successifs et trois fois en appel.
Tout le monde fait preuve de la plus grande vigilance pour préserver l'intérêt de cet enfant qui présentait un état psychique assez grave lors de son placement. Tous les experts s'accordent à reconnaître que cet état s'est amélioré.
Q - J'ai bien compris que la France et la Russie ne sont pas d'accord avec l'action unilatérale américaine. Est-il envisageable que les deux pays coopèrent au sein du Conseil de sécurité pour empêcher une action américaine contre certains pays ?
R - Je considère que nous n'en sommes pas là. Un certain nombre de spéculations de presse ont été faites aux Etats-Unis, certaines autorités américaines expliquent qu'aucune option n'est fermée. Mais encore une fois, pour le moment, la meilleure solution pour l'Iraq est d'appliquer et de respecter sans entraves les exigences des Nations unies. C'est encore le plus simple et nous ne sommes donc pas encore dans la situation que vous avez à l'esprit.
Q - Un ministre du gouvernement français a récemment dénoncé une exaction de troupes russes en Tchétchénie. Avez-vous relayé cette préoccupation auprès de M. Ivanov et de manière générale, vous êtes-vous entretenus de la question tchétchène ?
R - Nous nous sommes évidemment entretenus de la question tchétchène, nous le faisons d'ailleurs chaque fois. Igor Ivanov a toujours accepté ce dialogue. J'ai toujours fait valoir notre souhait que soit trouvée une véritable solution politique, qui est la seule façon d'aboutir à une solution durable en Tchétchénie, par rapport aux guerres qui s'y sont déroulées, par rapport aux souffrances des populations civiles, par rapport à la question du terrorisme, tout cet ensemble de problèmes que nous connaissons et auxquels il faudrait trouver une solution réelle.
J'ai réexprimé nos préoccupations, nos soucis, nos suggestions et nos espérances à ce sujet.
Q - Continueriez-vous à soutenir l'alliance anti-terroriste si les Etats-Unis passent à l'acte et frappent l'Iraq ?
R - Je crois qu'il faut distinguer les deux choses. D'une part, il y a les problèmes que peut poser le régime iraquien, notamment dans cette région. Les Américains eux-mêmes ne présentent d'ailleurs pas cela comme étant un problème de terrorisme à proprement parler. C'est une chose dont nous avons parlé tout à l'heure, nous verrons comment cette question devra être traitée.
D'autre part, concernant la lutte contre le terrorisme, la France ne s'est pas engagée dans cette lutte parce que les Etats-Unis le lui ont demandé. Nous ne nous sommes pas uniquement engagés par solidarité avec le peuple américain, après avoir ressenti sincèrement cette solidarité après le 11 septembre. Nous avons nos propres raisons de lutter contre le terrorisme. Même si les Etats-Unis avaient, sur tel ou tel point, une politique que nous ne pourrions pas approuver, nous serions toujours engagés dans la lutte contre le terrorisme. Nous n'allons pas arrêter de coopérer avec les autorités espagnoles dans la lutte contre le terrorisme basque. Nous ne cesserons pas de dire au Proche-Orient qu'il faut à la fois éradiquer le terrorisme et réveiller d'urgence une négociation pour une solution politique. Ce sont des raisonnements justifiés en soi, quoi qu'il se passe globalement.
Il faut donc bien distinguer les deux choses. Bien sûr, si tous les pays qui se sont engagés dans cette coalition contre le terrorisme pouvaient continuer à se trouver d'accord sur la façon de traiter les grands problèmes du monde, ce serait encore mieux. J'ai dit à plusieurs reprises, à l'ONU et ailleurs, qu'il fallait compléter la coalition contre le terrorisme par une coalition pour un monde équitable, car il y a beaucoup d'autres problèmes à régler dans le monde qui ne se ramènent pas tous à la question du terrorisme. Si cette cohésion réussit à être maintenue au niveau des grands pays du monde, c'est encore mieux. Si ce n'est pas le cas, nous verrons.
Je crois qu'il y a plusieurs choses qui se complètent très harmonieusement. Premièrement, il y a la bonne formule à trouver pour des consultations, une relation plus étroite entre les membres de l'OTAN et la Russie. Nous le souhaitons, cela nous paraît logique, dans l'intérêt de l'OTAN, de ses membres actuels et futurs et d'autre part de la Russie. C'est d'ailleurs souhaité par la Russie. Des propositions ont été faites, elles sont en cours d'examen. Certains y sont plus ou moins favorables et nous le sommes.
Deuxièmement, et je devrais le mettre en premier d'ailleurs car à mes yeux, c'est encore plus important, il y a l'évolution de la relation Union européenne-Russie dans d'autres domaines. Ils sont de plus en plus larges car les compétences de l'Union européenne s'élargissent que ce soit à travers la Commission ou le Conseil, etc... C'est très important, cela doit structurer nos relations dans le long terme. C'est même un élément stratégique sur notre continent. Dans ce contexte, nous avons pensé qu'il y avait la place pour un renforcement des consultations entre la France et la Russie. Cela ne se substitue pas à ce qu'il faut faire entre l'OTAN et la Russie, l'Union européenne et la Russie, mais cela a un très grand intérêt en soi. On le voit bien lors de nos échanges : nous pourrions faire encore plus souvent ces consultations, nous aurions toujours autant de choses utiles à bâtir en commun et à analyser ensemble. Tout cela se complète donc et il y aura cette dimension de consultations et de conseils franco-russes appelés à durer en tant que tel.
Q - Slobodan Milosevic accuse l'OTAN, il passe à l'offensive. Comment analysez-vous sa défense ?
R - Concernant le procès de Milosevic, il est très important qu'il ait lieu, qu'il ait pu avoir lieu. Mais je n'ai pas l'intention d'en commenter chaque épisode.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 février 2002)