Texte intégral
J.-L. Hees : Etes-vous d'accord pour qu'on essaye de parler un petit peu d'idées. Apparemment, les Français sont un peu fatigués des petites phrases ou des choses comme cela, en tout cas, c'est ce qu'on nous dit. On nous dit que les Français n'ont pas de passion pour la politique. Vous n'êtes probablement pas d'accord avec cela.
- "Je pense que les Français adorent la politique, c'est même le peuple du monde qui l'aime le plus. Je crois que nous avons un devoir vis-à-vis des Français : c'est de débattre effectivement de nos projets, des idées pour la société pour transformer le monde et essayer d'assurer à nos enfants et à nos petits enfants une planète qui soit vivable. Et on ne peut pas se permettre de le faire en quelques semaines. C'est la raison pour laquelle j'ai toujours plaidé pour une entrée, la plus rapide possible, de tous les candidats dans l'arène, même si le débat politique n'est pas un combat, mais c'est une explication. Nous ne sommes pas là pour séduire mais pour convaincre et convaincre sur les idées. Nous voyons bien comment, aujourd'hui, nous sommes entrés dans une société du zapping, de la consommation, de la vitesse. Quand j'étais journaliste jusqu'en 1992, il ne fallait pas faire dans un journal télévisé un sujet de plus d'une minute trente. Aujourd'hui, on voudrait consommer la politique comme on consomme l'information. Cela ne peut pas fonctionner. La démocratie a horreur de la vitesse, horreur de la précipitation. Il faut prendre le temps. Prendre le temps d'expliquer, de faire comprendre et aussi d'écouter les autres. Je pense qu'à l'occasion d'une campagne comme celle-ci, qui est un grand débat - c'est le seul qu'on a une fois tous les cinq ans, maintenant - il faut que nous profitions de cette espace pour convaincre que nous pouvons être utiles à notre pays. C'est cela ma préoccupation."
J.-L. Hees : On va prendre des précautions avec le temps, mais le temps existe tout de même, surtout le matin à la radio. On va d'abord faire un petit tour du paysage politique, si vous le souhaitez. Vous devez être ravi : depuis lundi, il y a un candidat en plus dans la campagne, et puis on en attend un autre. Cela modifie-t-il quelque chose pour les autres, pour la campagne et pour vous-même ?
- "Pour ce qui me concerne, cela ne change rien. Je suis le candidat des Verts pour essayer de faire comprendre aux Français qu'après avoir posé des bonnes questions sur la crise écologique, sur la crise économique et sociale - je pense à la malbouffe, je pense au poulet à la dioxine, à la catastrophe du tunnel sous le Mont-Blanc, à l'Erika ; je ne venais pas ici faire la litanie des catastrophes qui nous sont tombés sur la tête depuis dix ans -, nous avons des réponses. Nous n'avons pas la prétention d'être les seuls à détenir les bonnes réponses. Nous nous méfions de toutes les formes de totalitarisme et d'hégémonie. Mais nous pensons qu'aujourd'hui, le monde ne peut plus tourner rond si on n'y introduit pas la question du développement durable et si on n'y introduit pas un certain nombre des problématiques dont nous sommes porteurs."
S. Paoli : Vous dites au fond que ce qui est important pour un homme - ou une femme politique, car nous accueillons aussi des femmes ici - c'est de s'engager dans le débat. C'est donc la prise de risques. Comment se fait-il que les hommes politiques prennent aussi peu de risques aujourd'hui ? Et d'ailleurs, qu'en est-il au passage de la vérité des hommes en politique ?
- "La question que vous posez est au coeur de l'action politique. Quand par exemple, R. Badinter, en 1981, prend la responsabilité avec le Gouvernement de supprimer la peine de mort, il prend un risque devant la société qui semblait ne pas y être prête. La noblesse de la politique, ce n'est pas forcément de changer le visage d'une ville, ce n'est pas forcément de flatter l'opinion dans le sens du poil, par exemple de bricoler une loi sur la présomption d'innocence parce que des policiers sont descendus dans la rue, alors qu'on n'a même pas donné le temps - encore lui ! - à cette loi de montrer son efficacité. Donc, oui il faut prendre des risques. Il faut prendre le risque par exemple, pendant ce débat, de sortir de ce qui, aujourd'hui, envahit les médias et les débats politiques, c'est-à-dire la question de la sécurité. Je ne nie absolument pas le fait. Je suis maire et je suis payé pour savoir que les problèmes de violence sur les personnes et de violence sur les biens, le sentiment de l'impunité face à ces auteurs de délits, c'est quelque chose qui perturbe beaucoup les Français. Mais la noblesse de la politique, c'est de leur dire qu'il n'y a pas que cela. Regardez ce qui est en train de se passer dans le monde : c'est l'insécurité par rapport à ce que nous mangeons, c'est l'insécurité par rapport à des OGM que l'on cultive en plain-champ, c'est l'insécurité par rapport au travail, c'est l'insécurité par rapport à la santé - 15 % de nos enfants, des grandes personnes, des adultes en sont victimes, et ça a augmenté de 15 % à Paris et en région Ile-de-France. Il faut quand même se poser la question de savoir pourquoi."
J.-L. Hees : Mais la petite dame qui se fait agresser dans le métro, elle a ces problèmes-là. En plus d'un autre problème, dont il faudra bien aussi apporter un début de réponse...
- "Il faut apporter des réponses à ce problème-là, mais je ne pense pas que l'on doive rendre le débat politique otage des questions de la sécurité envisagées sous l'angle sécuritaire. Est-ce que c'est courageux que de répondre aux Français et de dire que lorsqu'une famille a des enfants qui sont délinquants, il faut leur supprimer les allocations familiales ? Cela veut dire quoi ? Cela veut dire qu'on va les enfoncer un petit peu plus dans la situation d'exclusion dans laquelle elles se trouvent, dans la situation de fragilité dans laquelle elles sont plongées ou est-ce qu'on peut faire d'autres propositions qui contribuent à créer un peu plus de lien et un peu plus de protection ?"
S. Paoli : En attendant, que faites-vous ? Tenez ! Le métro parisien, ce matin. Pardon d'être parisien, mais il semblerait que ce soit surtout là que cela se passe : il y aurait une augmentation de plus de 25 % de la criminalité.
- "Il n'y a pas que dans le métro."
S. Paoli : Oui, mais vous faites quoi ?
- "Ce que je fais ?"
S. Paoli : Oui.
- "Je travaille sur la réparation d'abord, et j'essaye de faire en sorte - d'ailleurs, la RATP est un des seuls organismes publics dans lequel la réparation fonctionne à peu près bien, même s'il y a des chiffres qui sont impressionnants. Mais si l'on regarde les chiffres par exemple du RER, on aurait encore plus peur. La question est faire réparer à ceux qui commettent des délits, avec des travaux d'intérêt général ; c'est la substitution, pour parler comme un pédant, aux peines de prison qui de toute façon font qu'on est encore plus délinquant quand on en sort que lorsqu'on y est entré - j'ai vu ce que c'étaient que les prisons avec la commission d'enquête parlementaire à laquelle j'ai participé. C'est aussi la réparation pour les victimes. Qu'elles n'aient pas le sentiment de l'impunité, et lorsqu'elles vont au commissariat de police de Bègles, après 19 heures, qu'on ne leur dise pas : "écoutez, vous pouvez toujours porter plainte, de toute façon, on ne poursuivra pas". Et c'est tout un travail d'éducation. Il est là le coeur du problème. C'est le fait pour un certain nombre de gens dans ce pays, il y a des quartiers dans lesquels il y a 50 % de chômage. C'est très largement au-dessus de la moyenne nationale. Donc, quand on sait que dans ce pays, il y a un éducateur pour cent policiers, on peut se poser des questions et se dire que la police, qui est assez nombreuse dans notre pays - on fait partie des trois premiers pays européens pour le nombre de policiers par habitant, ce n'est pas le nombre, c'est la répartition des effectifs - eh bien, il faut que la police aille là où elle doit être et non pas simplement à garder des personnalités ou des immeubles à Paris."
J.-L. Hees : On va avoir le temps de revenir sur les idées et le programme du candidat Mamère, mais j'aimerais qu'on revienne sur le paysage de la campagne électorale.
P. Le Marc : Quelle est votre évaluation du rapport de force entre les deux principaux candidats ? Est-ce que vous pensez que les "affaires" constitueront la donnée centrale du choix des Français, autrement dit l'éthique politique, ou au contraire la montée du chômage, l'insécurité et finalement le tassement de la croissance ? Qu'est-ce qui va compter dans ce rapport de force ? Comment vous l'évaluez actuellement ?
- "Je pense que c'est l'ensemble qui va compter."
P. Le Marc : Réponse à la normande.
- "Non, ce n'est pas une réponse à la normande. Vous parlez d'affaires et d'éthique politique. Moi, ce qui m'intéresse, c'est l'éthique démocratique, l'éthique politique. En effet, lorsqu'on prétend diriger le pays, être le représentant du peuple au plus haut niveau, le premier citoyen de ce pays, on doit être absolument, je ne dirais pas "propre", parce que nous ne sommes pas des chevaliers blancs, mais on doit être insoupçonnable. On doit donc être les premiers garants de l'éthique, parce que nous servons de modèles. Il ne faut pas s'étonner qu'il y ait des jeunes qui, aujourd'hui, de doute façon, se disent : "Pourquoi ne pas continuer puisque au plus haut sommet de l'Etat, c'est l'impunité qui règne?". Donc, il faut retourner à une éthique démocratique."
P. Le Marc : Ce sera un axe fondamental de votre campagne ?
- "Ce n'est pas pour rien que j'ai été le premier, à l'Assemblée nationale à dénoncer un certain nombre de choses. On me l'a reproché. Moi, je n'ai rien contre la personne du candidat président ..."
J.-L. Hees : Justement, on se le demande, N. Mamère...
- "... Je pense que c'est la fonction. Je suis aujourd'hui candidat à la présidence de la République. Donc, je crois à la vertu et à l'efficacité de cette fonction. Je ne suis pas là pour contribuer à la dévaloriser mais, au contraire, pour faire en sorte qu'elle retrouve sa valeur."
J.-L. Hees : Cela devient compliqué parfois et j'aimerais que vous me répondiez très sincèrement sur ce sujet. Tout le monde a noté la pugnacité, pour dire le moins, de vos attaques contre le président de la République. Parfois on se demande - cela a pu choquer d'ailleurs certains qui sont très attachés à la fonction présidentielle - si c'est un problème de personnes, est-ce que N. Mamère a un problème avec J. Chirac ou bien est-ce qu'il est en train aussi d'effondrer un petit peu, de grignoter un petit peu la fonction qui est incarnée par un homme ?
- "Non, pas du tout. D'abord, je n'ai jamais rencontré monsieur Chirac dans ma vie. Ce n'est pas ma première préoccupation. C'est la fonction qui m'intéresse. Je pense qu'il n'est pas normal que dans une grande démocratie - regardons ce qui se passe autour de nous dans l'Union européenne : quelqu'un dont le nom est cité dans plusieurs affaires, qui montrent qu'il est d'ailleurs le candidat d'un système qui s'appelle le RPR, qui est quand même un système plus que sclérosé, pour ne pas dire pourri, à travers les affaires des HLM d'Ile-de-France, des lycées d'Ile-de-France, des emplois fictifs, comment voulez-vous que les Français, alors qu'on a fait une loi sur le financement des partis politiques, croient à l'intégrité et à la sincérité de leurs hommes politiques, quand on est dans une situation où de toute façon la justice n'a pas pu faire son travail. C'est cela qui me choque. C'est tout. Donc, je demande simplement, comme l'ont dit d'autres avec moi - Montebourg et d'autres - que la justice ne soit pas empêchée par elle-même, et qu'elle ne soit pas empêchée par les principes d'une vieille monarchie républicaine. Ecoutez, franchement, je vais vous dire : j'appartiens à une génération qui en a un peu ras le bol de cette vieille République. Je crois que cette République est essoufflée. On le voit à plein de titres. Pourquoi parle-t-on de "classe politique" ? Parce qu'on a le sentiment qu'il y a deux mondes différents : un monde à part, celui des politiques et des technocrates, et d'un certain nombre de lobbies, qui font leurs petites affaires ensemble - ou leurs grandes affaires - qui pratiquent la politique hors-sol, qui s'éloignent de plus en plus de la société et, pendant ce temps, il y a la rue, le tumulte, il y a les exigences des citoyens qui ont envie de se mêler de ce qui les regarde, qui ont envie d'être associés un peu plus à des décisions qu'on prend à leur place, qui ont envie donc de participer et auxquels on confisque cette participation. Je vous donne un exemple. Tout à l'heure, dans le journal, vous avez parlé des risques industriels à propos d'AZF et sur la loi qu'est en train de préparer Y. Cochet. Hier soir, il y a eu une réunion à Toulouse où le préfet a dit, devant un certain nombre de gens - le maire de Toulouse, les associations comme "Plus jamais ça, ni ici, ni ailleurs", les Sans-fenêtre - que de toute façon, il n'y aurait pas besoin d'enquête publique pour ouvrir une partie de la SNPE, la poudrerie qui se trouve à côté d'AZF. Dans quel monde vit-on ? Il vient d'y avoir une catastrophe terrible qui a provoqué ce que l'on sait à Toulouse, avec des gens qui sont dans le plus grand besoin et qui attendent toujours d'ailleurs des indemnisations de la société TotalFinaElf, qui, par parenthèses, vient en 2001 de faire un bénéfice de 7,2 milliards d'euros, c'est-à-dire l'équivalent du produit intérieur brut de l'Afrique de l'Ouest et de l'Afrique centrale, et on vient nous dire maintenant : on va peut-être rouvrir un site dangereux sans même une enquête publique !"
J.-L. Hees : Comment se fait-il que ce grand courant de désir participatif se traduise, par exemple en ce qui vous concerne - on parle de sondage - par 7 % des intentions de vote ? Pourquoi ce n'est pas un énorme ras de marée qu'on sent tirer dans cette campagne, alors qu'il y a des tas de candidats qui sont issus du siècle dernier, si je puis dire, puisqu'on est en 2002, et ils représentent aussi une énorme masse ? Où est le mouvement ?
- "C'est comme un grand navire. Avant qu'il ne s'arrête et qu'il change de cap, il faut qu'il soit sur son aire. Donc, il lui faut beaucoup de temps avant de changer de cap. C'est ce qu'on appelle le décalage entre le temps politique et le temps de la société. Déjà, je devrais me féliciter, mais je crois que la campagne n'est pas terminée et qu'elle ne fait que commencer : en 1995, D. Voynet, malgré une belle campagne, n'a pas réussi à dépasser les 3,95 %. Je suis au début de la campagne et je suis déjà au double des chiffres réalisés par D. Voynet. Ce qui veut dire qu'entre 1995 et 2002, il s'est passé des choses. Nous avons participé au Gouvernement, nous avons participé à la majorité. Notre parole a été entendue. Elle a été et elle est aujourd'hui dans la société. Maintenant, il faut qu'on franchisse ce pas décisif qui va nous conduire, dans le rapport de force, à ne plus être simplement un parti d'appoint pour le Parti socialiste, mais un partenaire à part entière."
Deuxième partie de l'interview : 8h15 - 8h30
S. Paoli : Nous vous avons vu un peu tiquer tout à l'heure, pendant le journal de P. Roger, quand A. Lipietz disait : "Il fait une campagne surtout médiatique, Mamère !"
J.-L. Hees : On a l'impression qu'il y a toujours des états d'âme chez les Verts, même quand il ne faut pas...
- "Les blessures sont encore ouvertes sans doute. Il faut s'attacher à ce que la synthèse culturelle des Verts puisse se faire dans de bonnes conditions si l'on veut répondre positivement à la question que vous m'avez posée tout à l'heure, en vous demandant pourquoi, puisque les idées que nous défendons sont dans la société, nous ne faisons pas plus dans les sondages. Je crois que cela dépend d'abord des Verts. Alors oui, je suis, dans l'immédiat, comme tous les candidats et j'occupe l'espace politique ; et je crois que je dois le faire et que c'est de mon devoir. Je vais aussi sur le terrain : j'étais ce week-end au tunnel sous le Mont-Blanc, où j'ai réclamé, dans le cadre de ce que nous voulons, c'est-à-dire une démocratie plus responsable et plus civique, où le citoyen soit associé aux décisions, la saisine de la Commission nationale du débat public, pour ne pas se cantonner à l'opposition entre les Chamoniards et la Maurienne. Je vous donne un chiffre, parce qu'il faut que les Français sachent que nous transportons 85 % de nos marchandises avec des camions, que non seulement cela détruit l'environnement mais que cela pose des problèmes de santé. En 1966, quand le tunnel du Mont-Blanc a ouvert, il y avait 44.000 camions par an ; trente ans plus tard, il y en a 800.000. Est-ce que l'on va continuer comme cela ? La réponse, c'est non, il ne peut pas y avoir de réponse franco-française, ni franco-italienne : il faut des réponses européennes. Voilà pourquoi je situe aussi ma campagne dans le cadre d'une France qui s'intégrera et qui doit se préparer à cette intégration européenne qui est si nécessaire - par exemple pour harmoniser la fiscalité, pour lutter contre les paradis fiscaux, pour trouver une harmonisation par le haut des conditions sociales des travailleurs de ce Vieux continent."
P. Le Marc : Visiblement, les Verts et vous-même souffrez d'un manque d'attractivité dans cette campagne. La preuve, c'est que vous n'avez pas encore recueilli les 500 signatures. Est-ce que ce manque d'attractivité ne vient pas, bien sûr, on a parlé peut-être de l'immaturité du mouvement, mais aussi du fait qu'il n'a plus de spécificité claire. L'écologie est prise en compte par d'autres candidats ; le radicalisme social trouve son compte d'une manière, plus efficace semble-t-il, à l'extrême gauche ; la dimension antimondialiste est partagée par tout le monde. Non seulement, vous avez perdu une spécificité que vous aviez, mais en plus, il n'y a pas de valeur ajoutée, il n'y a pas l'apparition des valeurs et du projet de cette troisième gauche qu'annonçait D. Cohn-Bendit.
- "Evidemment, je ne vais pas partager votre point de vue, mais je comprends votre analyse. Nous avons une difficulté, effectivement, aujourd'hui, parmi les candidats qui ont émergés, en particulier J.-P. Chevènement qui donne des réponses à la mondialisation, à l'Europe, qui veut faire croire aux Français qu'il n'y a plus de clivage ni droite ni gauche, [qui débouche] sur finalement une congélation de la République ; nous ne voulons pas congeler la République, nous voulons la changer. Cela fait longtemps que nous plaidons pour une VIe République. Une VIe République, ce n'est pas simplement la volonté, ce n'est pas simplement un mot, ce n'est pas simplement un slogan, c'est ce que je viens de vous dire : c'est renforcer la responsabilité citoyenne et arriver vers ce que l'on appelle une démocratie civique, mais une démocratie civique à tous les étages, du plus haut niveau de l'Etat - comme je l'évoquais tout à l'heure - jusqu'à la commune. C'est la création de conseils de quartier, c'est la possibilité de faire comme le souhaitait déjà les Révolutionnaires avec les pétitions, les lois d'initiative citoyenne pour qu'elles soient reprises au Parlement, c'est la limitation stricte du cumul des mandats, c'est trouver vraiment un statut de l'élu, c'est permettre de renforcer la démocratie sociale. Regardez ce qui se passe aujourd'hui avec l'affaire Teulade : ce n'est que l'illustration du fait que, dans ce pays, on n'a pas encore réussi à financer publiquement les syndicats, qu'il n'y a pas d'organisme de contrôle indépendant pour les formes de mutuelles - qui ont fait d'ailleurs perdre 15 % de leurs retraites aux instituteurs ! De la même manière qu'on a été capable d'introduire de la transparence et de la rigueur dans le financement des partis politiques, il faut aussi introduire la démocratie sociale. Quand on parle d'EDF par exemple, vous avez une querelle pour dire [qu'] il faut ouvrir le capital d'EDF. Nous, nous ne disons pas cela. Nous disons que la gestion de l'énergie est un service commun, est un bien public, que l'EDF doit rester un service public. Le problème n'est pas d'ouvrir son capital, le problème, c'est d'introduire des usagers dans le conseil d'administration d'EDF, pour qu'ils puissent avoir un droit de regard. Je ne suis pas d'accord avec l'idée qui consiste - elle a régné pendant 30 ans, ceux qui nous écoutent savent de quoi je parle - [en ce ] qu'EDF, pour financer le programme électronucléaire de la France, ait obligé les bailleurs sociaux à doter les logements sociaux de convecteurs électriques. Regardez les surendettements qui sont liés à cela, par exemple !"
J.-L. Hees : On va reparler du nucléaire tout à l'heure, parce que c'est très important en ce qui concerne la candidature des Verts... Mais je voudrais que l'on revienne sur cette famille des Verts, sur ce problème d'identité dont parlait P. Le Marc. Une élection est destinée à fédérer le plus grand nombre de gens. Donc, c'est de faire encore mieux que le score actuel dans les sondages à l'arrivée. Donc, jusqu'où va cette fédération ? Qui, en France, pourrait appartenir ou faire partie de cette fédération qui serait incarnée par vous, candidat des Verts à la présidentielle ?
- "Qui peut s'associer à nous et nous rejoindre ? Tous ceux qui croient à la responsabilité des citoyens, tous ceux qui croient à une société de responsabilité contre une société de la conservation et de la peur, tous ceux qui pensent que nous pourrons nous en sortir si l'on fait confiance aux Français, si on leur donne le goût du risque et si on ne leur dit pas "on va vous protéger, rassurez-vous, tout va bien, on contrôle, on surveille et de toute façon, pour ce qui ne va pas, on va employer une politique encore plus répressive"."
J.-L. Hees : Cohn-Bendit est beaucoup plus clair. Il vous dit : "N. Mamère, regarde au centre ! "
- " Ça, c'est le problème de Dany. Ce qui m'intéresse chez Dany, c'est son idée de troisième gauche que vous avez évoquée. C'est ce qu'il faut que nous arrivions à démontrer. A démontrer que le Parti socialiste et le Parti communiste français n'ont plus le monopole de la gauche."
J.-L. Hees : Donc, pas de course au centre ?
- "Je fais une course à l'écologie ! Je veux une République écologique face à une République congelée, une République essoufflée et conservatrice. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire qu'il faut qu'on explique aux Français, sur nos fondamentaux, c'est-à-dire ce sur quoi ils nous reconnaissent lorsque nous parlons des transports, du nucléaire, de la santé, quand nous parlons de la protection de l'environnement et du développement durable, leur expliquer que derrière ces questions, ce n'est pas simplement une spécialité de l'écologie, mais c'est l'ensemble des problèmes de société dont nous débattons. Et quand vous dites "on ne vous identifie pas" : moi, je suis heureux politiquement que les idées que nous défendons soient maintenant dans la société, qu'elles soient acceptées par une grande majorité des Français. Maintenant, il faut leur expliquer - c'est tout l'enjeu, toute la difficulté auxquels je suis confronté - que ces idées-là, elles peuvent être utiles."
S. Paoli : Où est-elle, cette troisième gauche ? Elle est en rupture avec le Parti communiste et avec le Parti socialiste ? Quand on entend A. Lipietz dire tout à l'heure qu'après tout, Mamère, ce qu'il faut surtout ce qu'il fasse, c'est plus que le PC... Qu'est-ce que ça veut dire ? C'est de la stratégie politique ? Où êtes-vous ?
- "Je ne suis pas d'accord avec A. Lipietz. Mon objectif et mon obsession, ce n'est pas de dépasser le Parti communiste français qui, parce que l'Histoire a réglé les comptes, est en train de se débattre avec l'Histoire. Mon problème, c'est de déplacer le centre de gravité de la gauche, le centre de gravité de ses idées. Quand je vois que nous butons dans les discussions que nous avons avec le Parti socialiste pour un accord de législature sur la question du nucléaire, je me dis que nous avons encore beaucoup de travail à faire et que le chantier est grand pour provoquer une sorte d'aggiornamento, de révolution culturelle dans les idées que défendent nos partenaires. Il faut sortir de cela. Quand je vois qu'on a tellement de difficulté à dire que si on veut un peu moins de camions sur les routes, il faudrait peut-être aménager ou rattraper le différentiel entre le gasoil et l'essence et qu'on n'y arrive toujours pas."
J.-L. Hees : Où en est cette discussion avec le Parti socialiste ? Il y a une rencontre aujourd'hui et vous prenez pendant le week-end la décision de signer ou pas un accord avec le Parti socialiste. Où en est exactement la négociation ?
- "D'abord, la décision ne dépend pas de moi, mais de l'assemblée fédérale des Verts se tenir à Nantes. C'est à elle d'en décider. Les discussions avancent sur un certain nombre de points. Sur beaucoup de points, nous avons trouvé des compromis et des accords. Il reste encore des discussions et les deux sujets les plus difficiles sur lesquels nous butons sont les sujets du nucléaire et le sujet des transports. Nous sommes mercredi, nous avons jusqu'à dimanche et il faut que nos délégations essayent de trouver le meilleur compromis possible jusqu'à samedi."
J.-L. Hees : Est-ce qu'il est imaginable qu'il n'y ait pas d'accord entre les Verts et le PS ?
- "Je pense que ce serait suicidaire, à la fois pour les socialistes comme pour les Verts, qu'il n'y ait pas d'accord. Parce que l'isolement, c'est ce qu'il y a de pire pour nous ; nous avons démontré que nous étions dans la gauche. Je suis le candidat des Verts au cur de la gauche et je pense que les socialistes, face à l'effritement très notable du Parti communiste français, face à la montée en puissance de Chevènement, qui devra nous dire un jour, après avoir procédé au grand écart - je crois que M. Triboulet, 95 ans, ministre du général de Gaulle, vient de le rejoindre en le traitant de patriote -, s'il est président de la République - ce que je ne souhaite pas pour la France - avec quelle majorité il va gouverner et pour quel projet, parce que jusqu'à maintenant, le projet de Chevènement, c'est quand même "on va vitrifier la nation, on met les femmes à la maison et on tape sur les sauvageons".
J.-L. Hees : Tout de même, ce n'est pas facile d'être candidat à la présidentielle quand on incarne le parti des Verts parce qu'il y a un double problème. On parlait des législatives. Finalement, les élections les plus importantes pour votre parti -pardonnez-moi - c'est plutôt l'après-présidentielle, à savoir les législatives ?
- "Vous posez une question qui me préoccupe tous les jours, parce que crains en effet que les Verts se trompent d'élection. Ils sont ravis de me voir venir sur le terrain - et j'y vais beaucoup plus qu'A. Lipietz ne le croit, je lui recommande vivement de regarder le planning de mon programme et je l'invite à venir me rejoindre demain à Quimper, à Brest où nous allons parler des écoles Diwan, de l'enseignement des langues régionales par exemple, où nous allons parler de l'agriculture intensive qui fait qu'aujourd'hui, en Bretagne, on ne peut plus ouvrir son robinet, il faut aller acheter de l'eau minérale, parce que les nitrates ont pollué la nappe phréatique et qu'elles ont tué les paysans. C'est de cela dont nous voulons vraiment débattre et c'est cela notre spécificité. Et la réalité, c'est qu'en effet, les Verts sont plutôt, dans la tête, dans les élections législatives et n'ont pas encore compris, pour certains d'entre eux, que l'élection présidentielle, plus elle sera réussie, plus elle sera une locomotive pour nous permettre d'obtenir ce que nous voulons, c'est-à-dire un groupe parlementaire à l'Assemblée nationale."
S. Paoli : Et derrière quoi ? Vous commenciez d'évoquer quelque chose tout à l'heure qui était un peu une VIe République. Une fois que la présidentielle sera passée et que les législatives auront eu lieu, qu'envisagez-vous, que proposez-vous ?
- "Ce que nous proposons, c'est d'abord d'être dans la majorité. Pour l'instant, ce n'est pas encore sûr, parce que les élections ne sont pas passées et que nous voyons bien que les scores sont très serrés entre les deux camps. Nous, nous faisons une différence entre la gauche et la droite. Ce que nous voulons, c'est que la gauche modifie, déplace son centre de gravité vers le développement durable. Ce que nous voulons, cela va de la saisine du Conseil constitutionnel par chacun des citoyens, cela passe par le fait qu'aujourd'hui, quand on n'est pas content de l'administration, on peut saisir le Médiateur de la République, mais lorsqu'on est face à des bavures policières ou des erreurs de justice, qu'est-ce qu'on a pour se défendre ? Est-ce que le citoyen peut être associé ou réclamé ou se battre sur les dysfonctionnements de la justice et de la police ? La réponse est non. [Cela va] jusqu'à la sortie progressive du nucléaire. Nous ne disons pas que nous voulons sortir du nucléaire demain. Faisons comme les Allemands et les Belges, faisons-le démocratiquement sur 25 à 30 ans."
Troisième partie de l'interview : 8h45 - 9h00
S. Paoli : A l'instant, Yves Decaens vous décrivez en photo, en train de gratter la guitare à Porto Alegre. Au-delà de la guitare et plus sérieusement, sur la régulation mondiale : N. Notat était cette semaine l'invitée de la rédaction d'Inter à 8H20, elle parlait de l'épargne salariale et du capitalisme syndical, comme peut-être un moyen de commencer à réguler l'économie du monde. Qu'en dites-vous ?
- "J'ai évoqué tout à l'heure le financement public des syndicats par rapport à ce que nous connaissons de l'affaire des mutuelles. Je pense qu'en effet, nous pouvons nous inspirer d'un modèle qui existe au Québec, qui est une sorte de fonds d'épargne salarial qui est géré par les syndicats et qui permet la reconversion. Et je crois que c'est dans ce sens là qu'il faut aller. Donc, ce que dit Mme Notat doit être écouté. Nous, nous ne sommes pas pour, comme elle le dit, un capitalisme syndical..."
S. Paoli : C'est moi qui parle de "capitalisme syndical", N. Notat n'a pas été jusque là...
- "Ce n'est pas dans ce sens là qu'il faut aller. Vous savez que les syndicats français, à l'exception de Force ouvrière, ont trouvé un accord sur l'épargne salariale, parce qu'ils se sont bien rendus compte que les fonds de pension n'ont rien empêché, notamment dans l'affaire Enron, et qu'il faut avoir un contrôle sur ces fonds de pension. Mais qu'on ne peut pas se permettre aujourd'hui d'obliger des salariés à cotiser à des fonds de pension. Il faut que les syndicats aient un rôle majeur dans cette affaire et je crois que ce qui nous vient du Québec, c'est-à-dire ce fonds public qui est géré par les syndicats pour permettre les reconversions, est sans doute la meilleure formule que l'on puisse trouver. S'appuyer là-dessus, pour créer par exemple - voilà une proposition - un compte-épargne création d'entreprise, pour ceux qui veulent créer des entreprises en exonérant des charges pendant trois ans et en s'appuyant sur ce fonds d'épargne."
J.-L. Hees : Pardonnez-moi, je vais avoir le mauvais rôle, mais on va revenir aux idées d'ici 9h00 : j'en reviens à la politique, à la stratégique politique, parce que j'ai besoin que vous décryptiez pour moi certains propos de Cohn-Bendit. Alors lui, c'est lui et vous c'est vous, bien sûr, mais tout de même vous entendez bien. Il dit : "L'idéal pour moi, au deuxième tour, c'est un duel Jospin - Chevènement". En quoi cela fait avancer, selon vous, le déplacement de la gauche dont vous nous parliez tout à l'heure ?
- "Je suis désolé de dire à Dany que cela ne fait rien avancer du tout. Quand nous, nous réclamons, comme je le fais, le déplacement du centre de gravité de la gauche, ce n'est pas pour que cela se termine par un duel entre Jospin et Chevènement, c'est-à-dire entre deux conceptions de la République qui sont quand même encore très archaïques, en particulier celle de Chevènement. Et ce n'est pas pour tomber de la sociale démocratie qui gère le libéralisme face au national républicanisme. C'est pour au contraire faire avancer la gauche que nous sommes là. Donc je ne suis pas d'accord avec la proposition de Dany. Je crois que la France a besoin d'un vrai clivage entre la droite et la gauche. Je crois qu'il y a de réelles différences, surtout lorsqu'on écoute les Verts et que l'on prend le temps de parler sur une radio comme la vôtre. Et que ces différences qui ont été évoquées à l'instant par S. Paoli, notamment sur la manière de répondre à la mondialisation libérale qui veut à la fois uniformiser la gauche, uniformiser les cultures, demander ce qu'il en pense à M. Messier et à quelques autres. Qui veut breveter le vivant, que ce soit l'homme, que ce soit le végétal ou que ce soit l'animal. Il faut quand même savoir qu'au Brésil, vous avez des zones entières de ce pays qui sont complètement pillées par des grands groupes de biotechnologie du vivant, qui viennent piller les plantes médicinales, pour ensuite les revendre et les breveter. Donc, est-ce que c'est ce que nous voulons comme monde pour nos enfants ? La réponse, c'est non. Et donc, il faut opposer non pas l'impuissance, qui consiste à dire "je n'y peux rien", à cette situation de fait, mais y opposer une volonté politique. Et c'est la raison pour laquelle, nous, les Verts, nous demandons encore plus de mondialisation, mais pas la mondialisation de M. Monsanto ou de M. Desmarest. Quand par exemple, on met en place la cour pénale internationale - je ne parle pas de celle qui juge les crimes contre l'Humanité de M. Milosevic pour la Yougoslavie -, que l'on voit que la France traîne des pieds à cause de la question des crimes de guerre, que l'on voit que les Etats-Unis ne veulent pas signer cette convention qui a été signée par 120 Etats, qu'ils ne veulent pas signer la Convention sur l'utilisation des armes biotechnologiques, qu'ils ne signent pas le protocole de Kyoto, qui ne signent pas le protocole de Carthagène sur la biosécurité, imposant par l'intermédiaire de l'OMC, à des pays qui n'en veulent pas, des organismes génétiquement manipulés... Je me dis qu'il faut une mondialisation, une gouvernance mondiale qui ne soit pas adossée simplement sur le marché qui se régule par le marché, mais dans laquelle on introduise de l'éthique et du droit. Et l'éthique, ce n'est pas simplement le local, c'est aussi le global."
P. Le Marc : "Et l'abandon des souverainetés."
- "Ce n'est pas forcément l'abandon des souverainetés."
P. Le Marc : "A un moment donné, il faudra y passer quand même, ne serait-ce que dans le domaine de la justice."
- "La "souveraineté", il faut arrêter d'employer ce mot qui ne veut rien dire, comme le mot "citoyen" ou comme le mot "citoyenneté", qui a été utilisé dans tous les sens. Est-ce que les entreprises françaises se disent des citoyennes ?, C'est quoi une entreprise citoyenne ? C'est Marks Spencer ou c'est Moulinex, qui jette les gens comme des kleenex, après les avoir payés pendant vingt-cinq ans, 6.500 balles ? C'est ça les entreprises citoyennes ? Une entreprise citoyenne, c'est une entreprise dans laquelle, par exemple, on autorise le droit de veto pour les comités d'entreprise, chaque fois qu'il y a des propositions de plans sociaux, dans lesquels on associe un petit peu plus les salariés au fonctionnement de l'entreprise et aux décisions qu'elles sont appelées à prendre. Et la réalité, c'est qu'aujourd'hui on est dans une situation où la souveraineté, elle existe bien sûr. Mais il faut dire à ceux qui nous écoutent, à l'Assemblée nationale où je suis représentant du peuple avec quelques 576 autres, 3/5ème des lois que nous votons, c'est l'application dans le droit français de directives européennes. Est-ce que les Français ont le sentiment depuis que l'Europe existe et depuis que nous votons ces lois, est-ce qu'ils ont le sentiment que nous avons abandonné notre souveraineté et que nous avons démantelé la République ? Donc, le problème, c'est ce que je disais tout à l'heure, c'est qu'il faut, si nous voulons proposer un projet aux Français, ce n'est pas en leur disant, "on va vous proposer encore un peu plus de souveraineté, un peu plus de protection, un peu plus"... Il faut arrêter de se regarder le nombril. Il faut préparer la France à l'Europe que nous sommes en train de construire - et l'Europe fédérale est inéluctable. On ne pourra pas l'empêcher. M. Chevènement pourra crier et se battre sur son siège, M. de Villiers qui s'apprête à le rejoindre pourra nous le dire, M. Pasqua pourra redemander la révision du Maastricht ou le rétablissement de la peine de mort... Il faut dire aux Français que ce n'est plus possible, parce qu'il y a l'Europe. Et que depuis qu'il y a une Convention européenne et une Cour européenne des droits de l'homme, on ne peut plus revenir sur ce qui était une barbarie sur ce Vieux continent."
J.-L. Hees : Une campagne électorale, c'est toujours le moment d'un bilan. D'ailleurs, chacun va présenter un bilan, dans un certain nombre de domaines et pour deux candidats au moins. Vous la trouvez comment la France ? Parce qu'on écoutait le président de la République lundi, et d'après lui, elle était à l'envers, pas au bord de la faillite, mais il y avait des problèmes très graves qui se posaient aux Français, des problèmes urgents. Comment regardez-vous votre pays, vous qui êtes candidat ?"
- "D'abord j'aime mon pays et j'ai autant de passion pour les Français et pour la France que ceux qui n'arrêtent pas de nous le clamer. Et je pense que la passion, c'est quelque chose d'intime et que nous avons à démontrer notre passion vis-à-vis de notre pays et vis-à-vis des Français, par les propositions que nous faisons. Pour parler du candidat Chirac et président de la République, d'abord, je constate qu'il n'exerce pas le pouvoir depuis cinq ans. Que durant les deux ans où il a exercé, cela n'a pas été franchement ce que l'on peut faire de mieux, quand on a vu des millions de Français descendre dans la rue en 1995 et quand il nous explique qu'il a dissout l'Assemblée, uniquement parce qu'il ne pouvait pas préparer l'euro. Je ne vois pas pourquoi ce que Juppé n'a pas pu faire, Jospin a pu le réaliser. Et je dirai à M. Chirac qui nous parle de la France à l'envers qu'il veut remettre à l'endroit, il faut arrêter..."
J.-L. Hees : Oui, mais cela ne répond pas à ma question...
- "Cela fait 35 ans qu'il exerce le pouvoir, c'est la quatrième fois consécutive qu'il est candidat à la présidence de la République ! Mais qu'est-ce qu'il a fait quand il était Premier ministre ? Déréguler les transports, faire du " tatcherisme ", nous dire qu'il y avait un "parti de l'étranger" lorsqu'il lançait son appel de Cochin, c'est ça ?!"
J.-L. Hees : Cela ne répond pas à ma question.
- "Avoir défendu l'agriculture productiviste dont aujourd'hui on paie les conséquences pour les paysans, pour le milieu et pour la santé ? Franchement..."
J.-L. Hees : Cela ne répond pas du tout à ma question ! Ma question, c'était votre opinion, à vous, sur l'état de la France.
- "Eh bien, mon opinion, c'est de dire qu'il y a des choses qui ont avancé, et d'autres qui sont restées en l'état. Les choses qui ont avancé, c'est par exemple la Couverture médicale universelle. Mais quand j'entends les propositions qui sont faites par la droite et qui nous disent que demain, on va raser gratis en réduisant de 30 % l'impôt sur le revenu, je reproche à la gauche et à L. Fabius à Bercy d'avoir réduit l'impôt sur le revenu qui ne profite qu'à un tout petit nombre de Français et qui par exemple, nous empêche de relever ce plafond de la Couverture médicale universelle, que nous avons voté et qui interdit à des personnes âgées qui relèvent du minimum vieillesse ou à des personnes adultes handicapées qui reçoivent cette allocation. Parce qu'il y a cinq euros de différence, elles ne peuvent pas bénéficier de la CMU. Si, par exemple, on n'avait pas réduit les impôts sur le revenu qui ne profite qu'à quelques-uns, on pourrait assurer la gratuité des livres dans les écoles et dans les universités. Si, par exemple, on avait évité de relever les impôts, parce que le système de l'impôt progressif est juste - il faut que chacun en fonction de ses revenus paie la même chose que l'on sorte de ces exceptions extrêmement nombreuses auxquelles on assiste -, on aurait pu par exemple relever les minima sociaux. Il y a des choses qui ont été faites dans le cadre de la loi sur l'exclusion. L'introduction de la parité homme-femme dans la Constitution, les 35 heures, quoi qu'on en dise, même s'il faut trouver des aménagements pour les très petites entreprises et les PME. Le Pacs... Voilà autant de réformes qui ont été des avancées pour la société. Et c'est vrai que sur la double peine... Vous parliez tout à l'heure, S. Paoli, de "risque". Je prends le risque de dire, devant les auditeurs et devant les Français, que la double peine qui impose à quelqu'un qui n'est pas né français d'aller dans son pays d'origine, qui n'est plus le sien, parce qu'il habite dans notre pays ici et qui a déjà payé sa dette devant la société. Je trouve que c'est une forme de bannissement et que cela ne fait qu'accélérer la discrimination et l'approfondir dans les banlieues. Ce n'est pas très électoraliste de le dire, de la même manière que ce n'est pas très électoraliste de dire qu'il faut régulariser les sans-papiers qui en ont fait la demande. Parce qu'on ne peut pas d'un côté réduire l'aide au développement aux pays africains, ce qui est le cas de la France, dire que l'on veut favoriser l'aide au retour et maintenir dans une situation aussi grave, aussi dangereuse, aussi fragile, ceux qui sont dans notre pays et qui contribuent à aider leur propre pays. Alors voilà ce que je dis, je pense que sur tous ces sujets, nous avons des progrès à faire. Je pense qu'on n'a pas assez avancé sur ce qu'on appelle la fiscalité écologique, mais il faut bien expliquer aux Français que la fiscalité écologique, ce n'est pas prendre encore un peu plus d'argent dans la poche des gens : c'est dire qu'on va aider ceux qui font des efforts pour les économies d'énergie, pour le respect du milieu, pour lutter contre l'effet de serre, qui est quand même l'un des grands sujets qui se posent au monde. Il y a des réfugiés économiques aujourd'hui, il y a des réfugiés politiques, mais demain, il y aura des réfugiés climatiques. Il faudra traiter ce problème. Pourquoi n'a-t-on pas fait plus d'efforts pour favoriser le ferroutage, comme le font par exemple les Suisses ? Il ont du courage, les Suisses !"
P. Le Marc : Sur la maîtrise des risques industriels et sur le contrôle de la sûreté nucléaire, deux sujets qui sont à l'ordre du Conseil des ministres ce matin et qui sont défendus par Y. Cochet, votre collègue écologiste, est-ce qu'on avance et est-ce que vous êtes satisfait de ce qui sera présenté au Conseil des ministres ? Ou est-ce qu'il faut aller plus loin ?
- "Je suis satisfait de ce que prépare Y. Cochet, mais je ne peux pas être satisfait de ce qui se passe sur le contrôle de la sûreté nucléaire. Aujourd'hui - et la réalité des choses est comme cela -, on peut nous le tourner dans tous les sens, on mélange le contrôleur et le contrôlé, comme on l'a fait d'ailleurs pour l'Erika et pour un certain nombre d'activités industrielles. Vous parlez des risques industriels : s'il y avait une seule réforme à faire, pour qu'on ne vive pas dans ce péril permanent ? Les DRIRE, qui sont des ingénieurs des corps des mines, qui dépendent du ministère de l'Industrie et qui sont chargés de surveiller les sites industriels à risques et les sites Seveso, doivent être détachés du ministère de l'Industrie pour dépendre du ministère de l'Environnement. Parce que nous savons que le ministère de l'Industrie, c'est d'abord le ministère des industriels. Vous savez ce qui s'est passé à AZF Toulouse ? Chaque fois qu'il y a des usines comme celles-ci, on fait ce qu'on appelle des études de danger. L'étude de danger qui avait été faite pour les centrales nucléaires, c'était un CESNA qui tombait sur la centrale. Depuis le 11 septembre, on est en droit de se poser un certain nombre de questions sur la vulnérabilité de ce type d'industrie très lourd et assez ancien. L'étude de danger devait être faite depuis février dernier, depuis février 2001, elle n'a pas été faite. Pour la rentabilité et pour que cela sorte moins cher, qu'est-ce qu'on utilise ? On utilise des intérimaires qui ne sont pas formés. On met en péril ceux qui sont membres des comités d'hygiène et de sécurité, dont le statut doit être renforcé. Je suis d'accord avec B. Thibault lorsqu'il propose cela. Vous voyez qu'il y a des efforts à faire, pas simplement sur l'idée du risque zéro, cela n'existe pas. Je ne veux pas que l'on soit dans une société qui est une machine à risques, où l'on ne délibère pas ensemble des risques que l'on veut courir."
S. Paoli : Alors, on s'interroge tout le temps sur la vérité des hommes, mais on peut aussi le faire sur la vérité des faits. Puisque vous parlez du développement durable, est-ce qu'on dit aux Français la vérité, par exemple, sur le stockage des déchets nucléaires et sur ce qu'on est en train de léguer aux générations futures ?
- "On ne leur dit ni la vérité sur le stockage des déchets nucléaires ni la vérité sur ce que coûte le transport des marchandises par les camions, avec 85% de monopole. On ne leur dit pas que si aujourd'hui, on gère les stocks dans les camions, c'est parce qu'il y a une logique dite des flux tendus. C'est-à-dire pour arriver encore moins cher et parce qu'il y a des grandes sociétés de distribution qui imposent leur loi. On ne leur dit pas, effectivement, que les déchets nucléaires, aujourd'hui, sont des déchets à longue vie dont on ne connaît pas - cela peut durer plusieurs millions d'années -, dont on ne connaît pas vraiment les risques. C'est la raison pour laquelle nous sommes farouchement opposés à l'enfouissement irréversible et en grande profondeur des déchets nucléaires. Et ce qu'il faut dire aux Français, c'est qu'on n'est pas par religion contre le nucléaire. Mais on estime qu'on est dépendant et vulnérable, quand on est le seul pays au monde dont l'électricité dépend à 80% du nucléaire. Donc, il faut sortir de cette hégémonie, il faut favoriser les économies d'énergie, mais favoriser aussi ce qu'on appelle l'efficacité énergétique. Le logement social, les bâtiments et travaux publics, vous disent qu'il faut faire encore plus de routes et plus d'autoroutes. Cela ne contribue pas à l'économie d'énergie, au respect des accords de Kyoto. Alors, qu'ils construisent des logements sociaux avec des matériaux qui permettent par exemple de gagner deux à trois degrés, Voilà quelques pistes. Faisons un plan Marshall pour les banlieues, qui passe précisément la destruction de tours, mais qui passe surtout par une autre volonté, une autre manière d'appréhender le logement social. Je suis effaré quand je vois les chiffres qui ont été donnés par l'enquête demandée par Mme Lienemann, qui montre que l'insécurité est principalement dans les logements sociaux. Dans ma commune, la semaine dernière, des jeunes, avec une voiture-bélier, ont enfoncé la maison de quartier de la cité Y. Farge, et l'ont incendiée. C'est là-dessus qu'il faut se battre, parce qu'il faut proposer aux Français, notamment à ceux qui sont le plus en difficultés, des conditions de vie décente. C'est ce que nous appelons la qualité de la vie. Mais la qualité de la vie est la qualité de ce que l'on vit chez soi, dans son quartier, avec la possibilité de ne plus avoir peur quand on sort le soir, de n'avoir plus peur d'être attaqué, de vivre dans des conditions décentes. Mais c'est aussi la qualité de la démocratie. Et la qualité de la démocratie, c'est l'association du citoyen aux choix qui sont jusqu'à maintenant pris sur son dos. Je vous donne un exemple : le 5 février, on a voté une loi qui s'appelle " Démocratie de proximité " - on aurait mieux fait de l'appeler "Démocratie de l'éloignement". Nous avions, en première lecture, adopté un texte sur lequel j'étais critique, disant que les conseils de quartiers existent partout, au Québec, dans l'Union européenne, sauf en France où on quadrille les quartiers au service de la clientèle des élus politiques. On avait fixé à 50.000 le seuil, il était monté à 80.000 par le Sénat. Et l'Assemblée nationale n'a pas moufté. Est-ce que vous pensez que c'est normal qu'on attende d'être 80.000 habitants pour avoir un conseil de quartiers se mêler de la vie de notre commune, de ce qui nous regarde ? C'est ça, la démocratie participative, c'est ça, la démocratie civique ?! Mais le civisme commence là, le civisme commence au plus haut sommet de l'Etat, quand on ne paye pas ses vacances avec des billets dont on ne sait pas d'où ils viennent. Quand on s'explique devant la justice, quand on veut et quand on prétend transformer la société ? On ne peut pas parler d'une France à l'envers pour la remettre à l'endroit, tant qu'on n'est pas à l'endroit vis à vis de la justice, tant qu'on n'est pas à l'endroit vis à vis des Français. C'est de la supercherie et du mensonge."
J.-L. Hees : Cela ne va pas être facile d'être candidat, cela ne va pas être facile d'être président de la République non plus. Mais quand on est le candidat des Verts, je trouve que c'est encore un petit peu plus difficile. On parlait tout à l'heure de la sécurité par exemple, "pas question de faire de la démagogie autour des problèmes sécuritaires". Et puis il y a un autre problème pour les Français, c'est l'emploi. Et Dieu que cela revient dans les esprits en ce moment, puisque la croissance descend dans notre pays - et ailleurs, d'ailleurs. Mais qu'est-ce qu'un candidat des Verts dit aux Français qui ont peur pour leur emploi par exemple ? Pas facile... Je pense à l'usine de Toulouse : pas facile d'aller dire aux gens, déménagez cette usine, les ouvriers ne sont pas d'accord, les employés de l'usine ne sont pas d'accord...
- "Non, ce n'était pas facile !"
J.-L. Hees : Que dit un candidat vert ?
- "D'abord tous les salariés français ne sont pas des salariés d'AZF et des usines à risques comme Seveso. Il faut que nous le gérions ensemble, il faut faire un diagnostic, y compris avec les syndicats, pour savoir dans quelles conditions, à tel endroit, on peut continuer cette activité, sans qu'elle présente de risque pour les salariés et pour ceux qui habitent autour de ces usines - puisque c'est d'abord les salariés qu'il faut protéger. Donc, il y a des endroits où il faudra se dire qu'on va s'engager dans une logique de reconversion. Je vous disais tout à l'heure que la société TotalFinaElf a fait 7,2 milliards d'euros de bénéfices en 2001 : elle peut financer cette reconversion, quand elle est nécessaire. De la même manière que lorsque nous disons qu'il faut arrêter le retraitement des déchets nucléaires à la Hague, parce que cela ne sert à rien, parce que nous devenons la poubelle du monde et que cela ne va faire que contribuer à accélérer encore et à renforcer l'hégémonie du nucléaire"
J.-L. Hees : Je parlais de l'emploi en général...
- "On peut expliquer aux salariés de la Hague, ils sont très nombreux, que le conditionnement des déchets n'entraîne pas les licenciements. Sur la question du chômage, sur la question de l'accompagnement social, c'est la question de la formation et la question de l'insertion. Beaucoup de choses se font, il y en a dans ma commune, comme dans d'autres. Dans le cadre de la loi sur l'exclusion, on a mis en place les plans locaux d'insertion par l'emploi. Mais il y a aussi tout l'accompagnement que l'on peut faire de ces personnes qui sont loin de l'emploi et qui sont encore trop nombreuses, qui manquent de formation. On peut par exemple décider d'accorder pour les 6.000 premiers francs, puisque vous savez qu'il y a beaucoup de charges, que les charges pèsent beaucoup plus sur le travail que sur le produit de ce que l'on fabrique. Il faut dans ces conditions permettre à des gens qui ont peu de formation de pouvoir accéder plus facilement à l'emploi, en mettant en place des dispositifs de préparation et en travaillant avec les entreprises. Les entreprises citoyennes, c'est ça : c'est celles qui acceptent de sortir de la logique, du contrat à durée déterminée ou du temps partiel imposé pour s'inscrire dans une logique de CDI."
J.-L. Hees : On arrive au terme de cette émission et je vais laisser la parole à P. Le Marc, qui recevra ce soir C. Pasqua, qui incarne à peu près le contraire de ce que vous venez de dire dans la campagne présidentielle.
- "Il faut des contraires en politique !"
P. Le Marc : On a entendu depuis 7H45 un discours, un discours intéressant, mais tout de même quelles sont les deux ou trois propositions symboles, les deux ou trois grandes priorités de votre projet.
S. Paoli : Et vous avez quarante secondes pour le faire !
- "Je n'ai qu'une seule priorité à donner : c'est le retour vers une démocratie civique, c'est-à-dire la participation du citoyen à tous les étages de la démocratie. C'est le retour du civisme et le retour du citoyen. Faisons-le, à travers un certain nombre de choses que j'ai évoquées durant ces deux heures que nous avons passées ensemble. Et s'il n'y avait qu'une chose à dire aux Français c'est que nous voulons défendre ensemble une société de responsabilités. Vous êtes responsable de votre destin et ce n'est pas aux politiques d'en décider à votre place."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 13 février 2002)
- "Je pense que les Français adorent la politique, c'est même le peuple du monde qui l'aime le plus. Je crois que nous avons un devoir vis-à-vis des Français : c'est de débattre effectivement de nos projets, des idées pour la société pour transformer le monde et essayer d'assurer à nos enfants et à nos petits enfants une planète qui soit vivable. Et on ne peut pas se permettre de le faire en quelques semaines. C'est la raison pour laquelle j'ai toujours plaidé pour une entrée, la plus rapide possible, de tous les candidats dans l'arène, même si le débat politique n'est pas un combat, mais c'est une explication. Nous ne sommes pas là pour séduire mais pour convaincre et convaincre sur les idées. Nous voyons bien comment, aujourd'hui, nous sommes entrés dans une société du zapping, de la consommation, de la vitesse. Quand j'étais journaliste jusqu'en 1992, il ne fallait pas faire dans un journal télévisé un sujet de plus d'une minute trente. Aujourd'hui, on voudrait consommer la politique comme on consomme l'information. Cela ne peut pas fonctionner. La démocratie a horreur de la vitesse, horreur de la précipitation. Il faut prendre le temps. Prendre le temps d'expliquer, de faire comprendre et aussi d'écouter les autres. Je pense qu'à l'occasion d'une campagne comme celle-ci, qui est un grand débat - c'est le seul qu'on a une fois tous les cinq ans, maintenant - il faut que nous profitions de cette espace pour convaincre que nous pouvons être utiles à notre pays. C'est cela ma préoccupation."
J.-L. Hees : On va prendre des précautions avec le temps, mais le temps existe tout de même, surtout le matin à la radio. On va d'abord faire un petit tour du paysage politique, si vous le souhaitez. Vous devez être ravi : depuis lundi, il y a un candidat en plus dans la campagne, et puis on en attend un autre. Cela modifie-t-il quelque chose pour les autres, pour la campagne et pour vous-même ?
- "Pour ce qui me concerne, cela ne change rien. Je suis le candidat des Verts pour essayer de faire comprendre aux Français qu'après avoir posé des bonnes questions sur la crise écologique, sur la crise économique et sociale - je pense à la malbouffe, je pense au poulet à la dioxine, à la catastrophe du tunnel sous le Mont-Blanc, à l'Erika ; je ne venais pas ici faire la litanie des catastrophes qui nous sont tombés sur la tête depuis dix ans -, nous avons des réponses. Nous n'avons pas la prétention d'être les seuls à détenir les bonnes réponses. Nous nous méfions de toutes les formes de totalitarisme et d'hégémonie. Mais nous pensons qu'aujourd'hui, le monde ne peut plus tourner rond si on n'y introduit pas la question du développement durable et si on n'y introduit pas un certain nombre des problématiques dont nous sommes porteurs."
S. Paoli : Vous dites au fond que ce qui est important pour un homme - ou une femme politique, car nous accueillons aussi des femmes ici - c'est de s'engager dans le débat. C'est donc la prise de risques. Comment se fait-il que les hommes politiques prennent aussi peu de risques aujourd'hui ? Et d'ailleurs, qu'en est-il au passage de la vérité des hommes en politique ?
- "La question que vous posez est au coeur de l'action politique. Quand par exemple, R. Badinter, en 1981, prend la responsabilité avec le Gouvernement de supprimer la peine de mort, il prend un risque devant la société qui semblait ne pas y être prête. La noblesse de la politique, ce n'est pas forcément de changer le visage d'une ville, ce n'est pas forcément de flatter l'opinion dans le sens du poil, par exemple de bricoler une loi sur la présomption d'innocence parce que des policiers sont descendus dans la rue, alors qu'on n'a même pas donné le temps - encore lui ! - à cette loi de montrer son efficacité. Donc, oui il faut prendre des risques. Il faut prendre le risque par exemple, pendant ce débat, de sortir de ce qui, aujourd'hui, envahit les médias et les débats politiques, c'est-à-dire la question de la sécurité. Je ne nie absolument pas le fait. Je suis maire et je suis payé pour savoir que les problèmes de violence sur les personnes et de violence sur les biens, le sentiment de l'impunité face à ces auteurs de délits, c'est quelque chose qui perturbe beaucoup les Français. Mais la noblesse de la politique, c'est de leur dire qu'il n'y a pas que cela. Regardez ce qui est en train de se passer dans le monde : c'est l'insécurité par rapport à ce que nous mangeons, c'est l'insécurité par rapport à des OGM que l'on cultive en plain-champ, c'est l'insécurité par rapport au travail, c'est l'insécurité par rapport à la santé - 15 % de nos enfants, des grandes personnes, des adultes en sont victimes, et ça a augmenté de 15 % à Paris et en région Ile-de-France. Il faut quand même se poser la question de savoir pourquoi."
J.-L. Hees : Mais la petite dame qui se fait agresser dans le métro, elle a ces problèmes-là. En plus d'un autre problème, dont il faudra bien aussi apporter un début de réponse...
- "Il faut apporter des réponses à ce problème-là, mais je ne pense pas que l'on doive rendre le débat politique otage des questions de la sécurité envisagées sous l'angle sécuritaire. Est-ce que c'est courageux que de répondre aux Français et de dire que lorsqu'une famille a des enfants qui sont délinquants, il faut leur supprimer les allocations familiales ? Cela veut dire quoi ? Cela veut dire qu'on va les enfoncer un petit peu plus dans la situation d'exclusion dans laquelle elles se trouvent, dans la situation de fragilité dans laquelle elles sont plongées ou est-ce qu'on peut faire d'autres propositions qui contribuent à créer un peu plus de lien et un peu plus de protection ?"
S. Paoli : En attendant, que faites-vous ? Tenez ! Le métro parisien, ce matin. Pardon d'être parisien, mais il semblerait que ce soit surtout là que cela se passe : il y aurait une augmentation de plus de 25 % de la criminalité.
- "Il n'y a pas que dans le métro."
S. Paoli : Oui, mais vous faites quoi ?
- "Ce que je fais ?"
S. Paoli : Oui.
- "Je travaille sur la réparation d'abord, et j'essaye de faire en sorte - d'ailleurs, la RATP est un des seuls organismes publics dans lequel la réparation fonctionne à peu près bien, même s'il y a des chiffres qui sont impressionnants. Mais si l'on regarde les chiffres par exemple du RER, on aurait encore plus peur. La question est faire réparer à ceux qui commettent des délits, avec des travaux d'intérêt général ; c'est la substitution, pour parler comme un pédant, aux peines de prison qui de toute façon font qu'on est encore plus délinquant quand on en sort que lorsqu'on y est entré - j'ai vu ce que c'étaient que les prisons avec la commission d'enquête parlementaire à laquelle j'ai participé. C'est aussi la réparation pour les victimes. Qu'elles n'aient pas le sentiment de l'impunité, et lorsqu'elles vont au commissariat de police de Bègles, après 19 heures, qu'on ne leur dise pas : "écoutez, vous pouvez toujours porter plainte, de toute façon, on ne poursuivra pas". Et c'est tout un travail d'éducation. Il est là le coeur du problème. C'est le fait pour un certain nombre de gens dans ce pays, il y a des quartiers dans lesquels il y a 50 % de chômage. C'est très largement au-dessus de la moyenne nationale. Donc, quand on sait que dans ce pays, il y a un éducateur pour cent policiers, on peut se poser des questions et se dire que la police, qui est assez nombreuse dans notre pays - on fait partie des trois premiers pays européens pour le nombre de policiers par habitant, ce n'est pas le nombre, c'est la répartition des effectifs - eh bien, il faut que la police aille là où elle doit être et non pas simplement à garder des personnalités ou des immeubles à Paris."
J.-L. Hees : On va avoir le temps de revenir sur les idées et le programme du candidat Mamère, mais j'aimerais qu'on revienne sur le paysage de la campagne électorale.
P. Le Marc : Quelle est votre évaluation du rapport de force entre les deux principaux candidats ? Est-ce que vous pensez que les "affaires" constitueront la donnée centrale du choix des Français, autrement dit l'éthique politique, ou au contraire la montée du chômage, l'insécurité et finalement le tassement de la croissance ? Qu'est-ce qui va compter dans ce rapport de force ? Comment vous l'évaluez actuellement ?
- "Je pense que c'est l'ensemble qui va compter."
P. Le Marc : Réponse à la normande.
- "Non, ce n'est pas une réponse à la normande. Vous parlez d'affaires et d'éthique politique. Moi, ce qui m'intéresse, c'est l'éthique démocratique, l'éthique politique. En effet, lorsqu'on prétend diriger le pays, être le représentant du peuple au plus haut niveau, le premier citoyen de ce pays, on doit être absolument, je ne dirais pas "propre", parce que nous ne sommes pas des chevaliers blancs, mais on doit être insoupçonnable. On doit donc être les premiers garants de l'éthique, parce que nous servons de modèles. Il ne faut pas s'étonner qu'il y ait des jeunes qui, aujourd'hui, de doute façon, se disent : "Pourquoi ne pas continuer puisque au plus haut sommet de l'Etat, c'est l'impunité qui règne?". Donc, il faut retourner à une éthique démocratique."
P. Le Marc : Ce sera un axe fondamental de votre campagne ?
- "Ce n'est pas pour rien que j'ai été le premier, à l'Assemblée nationale à dénoncer un certain nombre de choses. On me l'a reproché. Moi, je n'ai rien contre la personne du candidat président ..."
J.-L. Hees : Justement, on se le demande, N. Mamère...
- "... Je pense que c'est la fonction. Je suis aujourd'hui candidat à la présidence de la République. Donc, je crois à la vertu et à l'efficacité de cette fonction. Je ne suis pas là pour contribuer à la dévaloriser mais, au contraire, pour faire en sorte qu'elle retrouve sa valeur."
J.-L. Hees : Cela devient compliqué parfois et j'aimerais que vous me répondiez très sincèrement sur ce sujet. Tout le monde a noté la pugnacité, pour dire le moins, de vos attaques contre le président de la République. Parfois on se demande - cela a pu choquer d'ailleurs certains qui sont très attachés à la fonction présidentielle - si c'est un problème de personnes, est-ce que N. Mamère a un problème avec J. Chirac ou bien est-ce qu'il est en train aussi d'effondrer un petit peu, de grignoter un petit peu la fonction qui est incarnée par un homme ?
- "Non, pas du tout. D'abord, je n'ai jamais rencontré monsieur Chirac dans ma vie. Ce n'est pas ma première préoccupation. C'est la fonction qui m'intéresse. Je pense qu'il n'est pas normal que dans une grande démocratie - regardons ce qui se passe autour de nous dans l'Union européenne : quelqu'un dont le nom est cité dans plusieurs affaires, qui montrent qu'il est d'ailleurs le candidat d'un système qui s'appelle le RPR, qui est quand même un système plus que sclérosé, pour ne pas dire pourri, à travers les affaires des HLM d'Ile-de-France, des lycées d'Ile-de-France, des emplois fictifs, comment voulez-vous que les Français, alors qu'on a fait une loi sur le financement des partis politiques, croient à l'intégrité et à la sincérité de leurs hommes politiques, quand on est dans une situation où de toute façon la justice n'a pas pu faire son travail. C'est cela qui me choque. C'est tout. Donc, je demande simplement, comme l'ont dit d'autres avec moi - Montebourg et d'autres - que la justice ne soit pas empêchée par elle-même, et qu'elle ne soit pas empêchée par les principes d'une vieille monarchie républicaine. Ecoutez, franchement, je vais vous dire : j'appartiens à une génération qui en a un peu ras le bol de cette vieille République. Je crois que cette République est essoufflée. On le voit à plein de titres. Pourquoi parle-t-on de "classe politique" ? Parce qu'on a le sentiment qu'il y a deux mondes différents : un monde à part, celui des politiques et des technocrates, et d'un certain nombre de lobbies, qui font leurs petites affaires ensemble - ou leurs grandes affaires - qui pratiquent la politique hors-sol, qui s'éloignent de plus en plus de la société et, pendant ce temps, il y a la rue, le tumulte, il y a les exigences des citoyens qui ont envie de se mêler de ce qui les regarde, qui ont envie d'être associés un peu plus à des décisions qu'on prend à leur place, qui ont envie donc de participer et auxquels on confisque cette participation. Je vous donne un exemple. Tout à l'heure, dans le journal, vous avez parlé des risques industriels à propos d'AZF et sur la loi qu'est en train de préparer Y. Cochet. Hier soir, il y a eu une réunion à Toulouse où le préfet a dit, devant un certain nombre de gens - le maire de Toulouse, les associations comme "Plus jamais ça, ni ici, ni ailleurs", les Sans-fenêtre - que de toute façon, il n'y aurait pas besoin d'enquête publique pour ouvrir une partie de la SNPE, la poudrerie qui se trouve à côté d'AZF. Dans quel monde vit-on ? Il vient d'y avoir une catastrophe terrible qui a provoqué ce que l'on sait à Toulouse, avec des gens qui sont dans le plus grand besoin et qui attendent toujours d'ailleurs des indemnisations de la société TotalFinaElf, qui, par parenthèses, vient en 2001 de faire un bénéfice de 7,2 milliards d'euros, c'est-à-dire l'équivalent du produit intérieur brut de l'Afrique de l'Ouest et de l'Afrique centrale, et on vient nous dire maintenant : on va peut-être rouvrir un site dangereux sans même une enquête publique !"
J.-L. Hees : Comment se fait-il que ce grand courant de désir participatif se traduise, par exemple en ce qui vous concerne - on parle de sondage - par 7 % des intentions de vote ? Pourquoi ce n'est pas un énorme ras de marée qu'on sent tirer dans cette campagne, alors qu'il y a des tas de candidats qui sont issus du siècle dernier, si je puis dire, puisqu'on est en 2002, et ils représentent aussi une énorme masse ? Où est le mouvement ?
- "C'est comme un grand navire. Avant qu'il ne s'arrête et qu'il change de cap, il faut qu'il soit sur son aire. Donc, il lui faut beaucoup de temps avant de changer de cap. C'est ce qu'on appelle le décalage entre le temps politique et le temps de la société. Déjà, je devrais me féliciter, mais je crois que la campagne n'est pas terminée et qu'elle ne fait que commencer : en 1995, D. Voynet, malgré une belle campagne, n'a pas réussi à dépasser les 3,95 %. Je suis au début de la campagne et je suis déjà au double des chiffres réalisés par D. Voynet. Ce qui veut dire qu'entre 1995 et 2002, il s'est passé des choses. Nous avons participé au Gouvernement, nous avons participé à la majorité. Notre parole a été entendue. Elle a été et elle est aujourd'hui dans la société. Maintenant, il faut qu'on franchisse ce pas décisif qui va nous conduire, dans le rapport de force, à ne plus être simplement un parti d'appoint pour le Parti socialiste, mais un partenaire à part entière."
Deuxième partie de l'interview : 8h15 - 8h30
S. Paoli : Nous vous avons vu un peu tiquer tout à l'heure, pendant le journal de P. Roger, quand A. Lipietz disait : "Il fait une campagne surtout médiatique, Mamère !"
J.-L. Hees : On a l'impression qu'il y a toujours des états d'âme chez les Verts, même quand il ne faut pas...
- "Les blessures sont encore ouvertes sans doute. Il faut s'attacher à ce que la synthèse culturelle des Verts puisse se faire dans de bonnes conditions si l'on veut répondre positivement à la question que vous m'avez posée tout à l'heure, en vous demandant pourquoi, puisque les idées que nous défendons sont dans la société, nous ne faisons pas plus dans les sondages. Je crois que cela dépend d'abord des Verts. Alors oui, je suis, dans l'immédiat, comme tous les candidats et j'occupe l'espace politique ; et je crois que je dois le faire et que c'est de mon devoir. Je vais aussi sur le terrain : j'étais ce week-end au tunnel sous le Mont-Blanc, où j'ai réclamé, dans le cadre de ce que nous voulons, c'est-à-dire une démocratie plus responsable et plus civique, où le citoyen soit associé aux décisions, la saisine de la Commission nationale du débat public, pour ne pas se cantonner à l'opposition entre les Chamoniards et la Maurienne. Je vous donne un chiffre, parce qu'il faut que les Français sachent que nous transportons 85 % de nos marchandises avec des camions, que non seulement cela détruit l'environnement mais que cela pose des problèmes de santé. En 1966, quand le tunnel du Mont-Blanc a ouvert, il y avait 44.000 camions par an ; trente ans plus tard, il y en a 800.000. Est-ce que l'on va continuer comme cela ? La réponse, c'est non, il ne peut pas y avoir de réponse franco-française, ni franco-italienne : il faut des réponses européennes. Voilà pourquoi je situe aussi ma campagne dans le cadre d'une France qui s'intégrera et qui doit se préparer à cette intégration européenne qui est si nécessaire - par exemple pour harmoniser la fiscalité, pour lutter contre les paradis fiscaux, pour trouver une harmonisation par le haut des conditions sociales des travailleurs de ce Vieux continent."
P. Le Marc : Visiblement, les Verts et vous-même souffrez d'un manque d'attractivité dans cette campagne. La preuve, c'est que vous n'avez pas encore recueilli les 500 signatures. Est-ce que ce manque d'attractivité ne vient pas, bien sûr, on a parlé peut-être de l'immaturité du mouvement, mais aussi du fait qu'il n'a plus de spécificité claire. L'écologie est prise en compte par d'autres candidats ; le radicalisme social trouve son compte d'une manière, plus efficace semble-t-il, à l'extrême gauche ; la dimension antimondialiste est partagée par tout le monde. Non seulement, vous avez perdu une spécificité que vous aviez, mais en plus, il n'y a pas de valeur ajoutée, il n'y a pas l'apparition des valeurs et du projet de cette troisième gauche qu'annonçait D. Cohn-Bendit.
- "Evidemment, je ne vais pas partager votre point de vue, mais je comprends votre analyse. Nous avons une difficulté, effectivement, aujourd'hui, parmi les candidats qui ont émergés, en particulier J.-P. Chevènement qui donne des réponses à la mondialisation, à l'Europe, qui veut faire croire aux Français qu'il n'y a plus de clivage ni droite ni gauche, [qui débouche] sur finalement une congélation de la République ; nous ne voulons pas congeler la République, nous voulons la changer. Cela fait longtemps que nous plaidons pour une VIe République. Une VIe République, ce n'est pas simplement la volonté, ce n'est pas simplement un mot, ce n'est pas simplement un slogan, c'est ce que je viens de vous dire : c'est renforcer la responsabilité citoyenne et arriver vers ce que l'on appelle une démocratie civique, mais une démocratie civique à tous les étages, du plus haut niveau de l'Etat - comme je l'évoquais tout à l'heure - jusqu'à la commune. C'est la création de conseils de quartier, c'est la possibilité de faire comme le souhaitait déjà les Révolutionnaires avec les pétitions, les lois d'initiative citoyenne pour qu'elles soient reprises au Parlement, c'est la limitation stricte du cumul des mandats, c'est trouver vraiment un statut de l'élu, c'est permettre de renforcer la démocratie sociale. Regardez ce qui se passe aujourd'hui avec l'affaire Teulade : ce n'est que l'illustration du fait que, dans ce pays, on n'a pas encore réussi à financer publiquement les syndicats, qu'il n'y a pas d'organisme de contrôle indépendant pour les formes de mutuelles - qui ont fait d'ailleurs perdre 15 % de leurs retraites aux instituteurs ! De la même manière qu'on a été capable d'introduire de la transparence et de la rigueur dans le financement des partis politiques, il faut aussi introduire la démocratie sociale. Quand on parle d'EDF par exemple, vous avez une querelle pour dire [qu'] il faut ouvrir le capital d'EDF. Nous, nous ne disons pas cela. Nous disons que la gestion de l'énergie est un service commun, est un bien public, que l'EDF doit rester un service public. Le problème n'est pas d'ouvrir son capital, le problème, c'est d'introduire des usagers dans le conseil d'administration d'EDF, pour qu'ils puissent avoir un droit de regard. Je ne suis pas d'accord avec l'idée qui consiste - elle a régné pendant 30 ans, ceux qui nous écoutent savent de quoi je parle - [en ce ] qu'EDF, pour financer le programme électronucléaire de la France, ait obligé les bailleurs sociaux à doter les logements sociaux de convecteurs électriques. Regardez les surendettements qui sont liés à cela, par exemple !"
J.-L. Hees : On va reparler du nucléaire tout à l'heure, parce que c'est très important en ce qui concerne la candidature des Verts... Mais je voudrais que l'on revienne sur cette famille des Verts, sur ce problème d'identité dont parlait P. Le Marc. Une élection est destinée à fédérer le plus grand nombre de gens. Donc, c'est de faire encore mieux que le score actuel dans les sondages à l'arrivée. Donc, jusqu'où va cette fédération ? Qui, en France, pourrait appartenir ou faire partie de cette fédération qui serait incarnée par vous, candidat des Verts à la présidentielle ?
- "Qui peut s'associer à nous et nous rejoindre ? Tous ceux qui croient à la responsabilité des citoyens, tous ceux qui croient à une société de responsabilité contre une société de la conservation et de la peur, tous ceux qui pensent que nous pourrons nous en sortir si l'on fait confiance aux Français, si on leur donne le goût du risque et si on ne leur dit pas "on va vous protéger, rassurez-vous, tout va bien, on contrôle, on surveille et de toute façon, pour ce qui ne va pas, on va employer une politique encore plus répressive"."
J.-L. Hees : Cohn-Bendit est beaucoup plus clair. Il vous dit : "N. Mamère, regarde au centre ! "
- " Ça, c'est le problème de Dany. Ce qui m'intéresse chez Dany, c'est son idée de troisième gauche que vous avez évoquée. C'est ce qu'il faut que nous arrivions à démontrer. A démontrer que le Parti socialiste et le Parti communiste français n'ont plus le monopole de la gauche."
J.-L. Hees : Donc, pas de course au centre ?
- "Je fais une course à l'écologie ! Je veux une République écologique face à une République congelée, une République essoufflée et conservatrice. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire qu'il faut qu'on explique aux Français, sur nos fondamentaux, c'est-à-dire ce sur quoi ils nous reconnaissent lorsque nous parlons des transports, du nucléaire, de la santé, quand nous parlons de la protection de l'environnement et du développement durable, leur expliquer que derrière ces questions, ce n'est pas simplement une spécialité de l'écologie, mais c'est l'ensemble des problèmes de société dont nous débattons. Et quand vous dites "on ne vous identifie pas" : moi, je suis heureux politiquement que les idées que nous défendons soient maintenant dans la société, qu'elles soient acceptées par une grande majorité des Français. Maintenant, il faut leur expliquer - c'est tout l'enjeu, toute la difficulté auxquels je suis confronté - que ces idées-là, elles peuvent être utiles."
S. Paoli : Où est-elle, cette troisième gauche ? Elle est en rupture avec le Parti communiste et avec le Parti socialiste ? Quand on entend A. Lipietz dire tout à l'heure qu'après tout, Mamère, ce qu'il faut surtout ce qu'il fasse, c'est plus que le PC... Qu'est-ce que ça veut dire ? C'est de la stratégie politique ? Où êtes-vous ?
- "Je ne suis pas d'accord avec A. Lipietz. Mon objectif et mon obsession, ce n'est pas de dépasser le Parti communiste français qui, parce que l'Histoire a réglé les comptes, est en train de se débattre avec l'Histoire. Mon problème, c'est de déplacer le centre de gravité de la gauche, le centre de gravité de ses idées. Quand je vois que nous butons dans les discussions que nous avons avec le Parti socialiste pour un accord de législature sur la question du nucléaire, je me dis que nous avons encore beaucoup de travail à faire et que le chantier est grand pour provoquer une sorte d'aggiornamento, de révolution culturelle dans les idées que défendent nos partenaires. Il faut sortir de cela. Quand je vois qu'on a tellement de difficulté à dire que si on veut un peu moins de camions sur les routes, il faudrait peut-être aménager ou rattraper le différentiel entre le gasoil et l'essence et qu'on n'y arrive toujours pas."
J.-L. Hees : Où en est cette discussion avec le Parti socialiste ? Il y a une rencontre aujourd'hui et vous prenez pendant le week-end la décision de signer ou pas un accord avec le Parti socialiste. Où en est exactement la négociation ?
- "D'abord, la décision ne dépend pas de moi, mais de l'assemblée fédérale des Verts se tenir à Nantes. C'est à elle d'en décider. Les discussions avancent sur un certain nombre de points. Sur beaucoup de points, nous avons trouvé des compromis et des accords. Il reste encore des discussions et les deux sujets les plus difficiles sur lesquels nous butons sont les sujets du nucléaire et le sujet des transports. Nous sommes mercredi, nous avons jusqu'à dimanche et il faut que nos délégations essayent de trouver le meilleur compromis possible jusqu'à samedi."
J.-L. Hees : Est-ce qu'il est imaginable qu'il n'y ait pas d'accord entre les Verts et le PS ?
- "Je pense que ce serait suicidaire, à la fois pour les socialistes comme pour les Verts, qu'il n'y ait pas d'accord. Parce que l'isolement, c'est ce qu'il y a de pire pour nous ; nous avons démontré que nous étions dans la gauche. Je suis le candidat des Verts au cur de la gauche et je pense que les socialistes, face à l'effritement très notable du Parti communiste français, face à la montée en puissance de Chevènement, qui devra nous dire un jour, après avoir procédé au grand écart - je crois que M. Triboulet, 95 ans, ministre du général de Gaulle, vient de le rejoindre en le traitant de patriote -, s'il est président de la République - ce que je ne souhaite pas pour la France - avec quelle majorité il va gouverner et pour quel projet, parce que jusqu'à maintenant, le projet de Chevènement, c'est quand même "on va vitrifier la nation, on met les femmes à la maison et on tape sur les sauvageons".
J.-L. Hees : Tout de même, ce n'est pas facile d'être candidat à la présidentielle quand on incarne le parti des Verts parce qu'il y a un double problème. On parlait des législatives. Finalement, les élections les plus importantes pour votre parti -pardonnez-moi - c'est plutôt l'après-présidentielle, à savoir les législatives ?
- "Vous posez une question qui me préoccupe tous les jours, parce que crains en effet que les Verts se trompent d'élection. Ils sont ravis de me voir venir sur le terrain - et j'y vais beaucoup plus qu'A. Lipietz ne le croit, je lui recommande vivement de regarder le planning de mon programme et je l'invite à venir me rejoindre demain à Quimper, à Brest où nous allons parler des écoles Diwan, de l'enseignement des langues régionales par exemple, où nous allons parler de l'agriculture intensive qui fait qu'aujourd'hui, en Bretagne, on ne peut plus ouvrir son robinet, il faut aller acheter de l'eau minérale, parce que les nitrates ont pollué la nappe phréatique et qu'elles ont tué les paysans. C'est de cela dont nous voulons vraiment débattre et c'est cela notre spécificité. Et la réalité, c'est qu'en effet, les Verts sont plutôt, dans la tête, dans les élections législatives et n'ont pas encore compris, pour certains d'entre eux, que l'élection présidentielle, plus elle sera réussie, plus elle sera une locomotive pour nous permettre d'obtenir ce que nous voulons, c'est-à-dire un groupe parlementaire à l'Assemblée nationale."
S. Paoli : Et derrière quoi ? Vous commenciez d'évoquer quelque chose tout à l'heure qui était un peu une VIe République. Une fois que la présidentielle sera passée et que les législatives auront eu lieu, qu'envisagez-vous, que proposez-vous ?
- "Ce que nous proposons, c'est d'abord d'être dans la majorité. Pour l'instant, ce n'est pas encore sûr, parce que les élections ne sont pas passées et que nous voyons bien que les scores sont très serrés entre les deux camps. Nous, nous faisons une différence entre la gauche et la droite. Ce que nous voulons, c'est que la gauche modifie, déplace son centre de gravité vers le développement durable. Ce que nous voulons, cela va de la saisine du Conseil constitutionnel par chacun des citoyens, cela passe par le fait qu'aujourd'hui, quand on n'est pas content de l'administration, on peut saisir le Médiateur de la République, mais lorsqu'on est face à des bavures policières ou des erreurs de justice, qu'est-ce qu'on a pour se défendre ? Est-ce que le citoyen peut être associé ou réclamé ou se battre sur les dysfonctionnements de la justice et de la police ? La réponse est non. [Cela va] jusqu'à la sortie progressive du nucléaire. Nous ne disons pas que nous voulons sortir du nucléaire demain. Faisons comme les Allemands et les Belges, faisons-le démocratiquement sur 25 à 30 ans."
Troisième partie de l'interview : 8h45 - 9h00
S. Paoli : A l'instant, Yves Decaens vous décrivez en photo, en train de gratter la guitare à Porto Alegre. Au-delà de la guitare et plus sérieusement, sur la régulation mondiale : N. Notat était cette semaine l'invitée de la rédaction d'Inter à 8H20, elle parlait de l'épargne salariale et du capitalisme syndical, comme peut-être un moyen de commencer à réguler l'économie du monde. Qu'en dites-vous ?
- "J'ai évoqué tout à l'heure le financement public des syndicats par rapport à ce que nous connaissons de l'affaire des mutuelles. Je pense qu'en effet, nous pouvons nous inspirer d'un modèle qui existe au Québec, qui est une sorte de fonds d'épargne salarial qui est géré par les syndicats et qui permet la reconversion. Et je crois que c'est dans ce sens là qu'il faut aller. Donc, ce que dit Mme Notat doit être écouté. Nous, nous ne sommes pas pour, comme elle le dit, un capitalisme syndical..."
S. Paoli : C'est moi qui parle de "capitalisme syndical", N. Notat n'a pas été jusque là...
- "Ce n'est pas dans ce sens là qu'il faut aller. Vous savez que les syndicats français, à l'exception de Force ouvrière, ont trouvé un accord sur l'épargne salariale, parce qu'ils se sont bien rendus compte que les fonds de pension n'ont rien empêché, notamment dans l'affaire Enron, et qu'il faut avoir un contrôle sur ces fonds de pension. Mais qu'on ne peut pas se permettre aujourd'hui d'obliger des salariés à cotiser à des fonds de pension. Il faut que les syndicats aient un rôle majeur dans cette affaire et je crois que ce qui nous vient du Québec, c'est-à-dire ce fonds public qui est géré par les syndicats pour permettre les reconversions, est sans doute la meilleure formule que l'on puisse trouver. S'appuyer là-dessus, pour créer par exemple - voilà une proposition - un compte-épargne création d'entreprise, pour ceux qui veulent créer des entreprises en exonérant des charges pendant trois ans et en s'appuyant sur ce fonds d'épargne."
J.-L. Hees : Pardonnez-moi, je vais avoir le mauvais rôle, mais on va revenir aux idées d'ici 9h00 : j'en reviens à la politique, à la stratégique politique, parce que j'ai besoin que vous décryptiez pour moi certains propos de Cohn-Bendit. Alors lui, c'est lui et vous c'est vous, bien sûr, mais tout de même vous entendez bien. Il dit : "L'idéal pour moi, au deuxième tour, c'est un duel Jospin - Chevènement". En quoi cela fait avancer, selon vous, le déplacement de la gauche dont vous nous parliez tout à l'heure ?
- "Je suis désolé de dire à Dany que cela ne fait rien avancer du tout. Quand nous, nous réclamons, comme je le fais, le déplacement du centre de gravité de la gauche, ce n'est pas pour que cela se termine par un duel entre Jospin et Chevènement, c'est-à-dire entre deux conceptions de la République qui sont quand même encore très archaïques, en particulier celle de Chevènement. Et ce n'est pas pour tomber de la sociale démocratie qui gère le libéralisme face au national républicanisme. C'est pour au contraire faire avancer la gauche que nous sommes là. Donc je ne suis pas d'accord avec la proposition de Dany. Je crois que la France a besoin d'un vrai clivage entre la droite et la gauche. Je crois qu'il y a de réelles différences, surtout lorsqu'on écoute les Verts et que l'on prend le temps de parler sur une radio comme la vôtre. Et que ces différences qui ont été évoquées à l'instant par S. Paoli, notamment sur la manière de répondre à la mondialisation libérale qui veut à la fois uniformiser la gauche, uniformiser les cultures, demander ce qu'il en pense à M. Messier et à quelques autres. Qui veut breveter le vivant, que ce soit l'homme, que ce soit le végétal ou que ce soit l'animal. Il faut quand même savoir qu'au Brésil, vous avez des zones entières de ce pays qui sont complètement pillées par des grands groupes de biotechnologie du vivant, qui viennent piller les plantes médicinales, pour ensuite les revendre et les breveter. Donc, est-ce que c'est ce que nous voulons comme monde pour nos enfants ? La réponse, c'est non. Et donc, il faut opposer non pas l'impuissance, qui consiste à dire "je n'y peux rien", à cette situation de fait, mais y opposer une volonté politique. Et c'est la raison pour laquelle, nous, les Verts, nous demandons encore plus de mondialisation, mais pas la mondialisation de M. Monsanto ou de M. Desmarest. Quand par exemple, on met en place la cour pénale internationale - je ne parle pas de celle qui juge les crimes contre l'Humanité de M. Milosevic pour la Yougoslavie -, que l'on voit que la France traîne des pieds à cause de la question des crimes de guerre, que l'on voit que les Etats-Unis ne veulent pas signer cette convention qui a été signée par 120 Etats, qu'ils ne veulent pas signer la Convention sur l'utilisation des armes biotechnologiques, qu'ils ne signent pas le protocole de Kyoto, qui ne signent pas le protocole de Carthagène sur la biosécurité, imposant par l'intermédiaire de l'OMC, à des pays qui n'en veulent pas, des organismes génétiquement manipulés... Je me dis qu'il faut une mondialisation, une gouvernance mondiale qui ne soit pas adossée simplement sur le marché qui se régule par le marché, mais dans laquelle on introduise de l'éthique et du droit. Et l'éthique, ce n'est pas simplement le local, c'est aussi le global."
P. Le Marc : "Et l'abandon des souverainetés."
- "Ce n'est pas forcément l'abandon des souverainetés."
P. Le Marc : "A un moment donné, il faudra y passer quand même, ne serait-ce que dans le domaine de la justice."
- "La "souveraineté", il faut arrêter d'employer ce mot qui ne veut rien dire, comme le mot "citoyen" ou comme le mot "citoyenneté", qui a été utilisé dans tous les sens. Est-ce que les entreprises françaises se disent des citoyennes ?, C'est quoi une entreprise citoyenne ? C'est Marks Spencer ou c'est Moulinex, qui jette les gens comme des kleenex, après les avoir payés pendant vingt-cinq ans, 6.500 balles ? C'est ça les entreprises citoyennes ? Une entreprise citoyenne, c'est une entreprise dans laquelle, par exemple, on autorise le droit de veto pour les comités d'entreprise, chaque fois qu'il y a des propositions de plans sociaux, dans lesquels on associe un petit peu plus les salariés au fonctionnement de l'entreprise et aux décisions qu'elles sont appelées à prendre. Et la réalité, c'est qu'aujourd'hui on est dans une situation où la souveraineté, elle existe bien sûr. Mais il faut dire à ceux qui nous écoutent, à l'Assemblée nationale où je suis représentant du peuple avec quelques 576 autres, 3/5ème des lois que nous votons, c'est l'application dans le droit français de directives européennes. Est-ce que les Français ont le sentiment depuis que l'Europe existe et depuis que nous votons ces lois, est-ce qu'ils ont le sentiment que nous avons abandonné notre souveraineté et que nous avons démantelé la République ? Donc, le problème, c'est ce que je disais tout à l'heure, c'est qu'il faut, si nous voulons proposer un projet aux Français, ce n'est pas en leur disant, "on va vous proposer encore un peu plus de souveraineté, un peu plus de protection, un peu plus"... Il faut arrêter de se regarder le nombril. Il faut préparer la France à l'Europe que nous sommes en train de construire - et l'Europe fédérale est inéluctable. On ne pourra pas l'empêcher. M. Chevènement pourra crier et se battre sur son siège, M. de Villiers qui s'apprête à le rejoindre pourra nous le dire, M. Pasqua pourra redemander la révision du Maastricht ou le rétablissement de la peine de mort... Il faut dire aux Français que ce n'est plus possible, parce qu'il y a l'Europe. Et que depuis qu'il y a une Convention européenne et une Cour européenne des droits de l'homme, on ne peut plus revenir sur ce qui était une barbarie sur ce Vieux continent."
J.-L. Hees : Une campagne électorale, c'est toujours le moment d'un bilan. D'ailleurs, chacun va présenter un bilan, dans un certain nombre de domaines et pour deux candidats au moins. Vous la trouvez comment la France ? Parce qu'on écoutait le président de la République lundi, et d'après lui, elle était à l'envers, pas au bord de la faillite, mais il y avait des problèmes très graves qui se posaient aux Français, des problèmes urgents. Comment regardez-vous votre pays, vous qui êtes candidat ?"
- "D'abord j'aime mon pays et j'ai autant de passion pour les Français et pour la France que ceux qui n'arrêtent pas de nous le clamer. Et je pense que la passion, c'est quelque chose d'intime et que nous avons à démontrer notre passion vis-à-vis de notre pays et vis-à-vis des Français, par les propositions que nous faisons. Pour parler du candidat Chirac et président de la République, d'abord, je constate qu'il n'exerce pas le pouvoir depuis cinq ans. Que durant les deux ans où il a exercé, cela n'a pas été franchement ce que l'on peut faire de mieux, quand on a vu des millions de Français descendre dans la rue en 1995 et quand il nous explique qu'il a dissout l'Assemblée, uniquement parce qu'il ne pouvait pas préparer l'euro. Je ne vois pas pourquoi ce que Juppé n'a pas pu faire, Jospin a pu le réaliser. Et je dirai à M. Chirac qui nous parle de la France à l'envers qu'il veut remettre à l'endroit, il faut arrêter..."
J.-L. Hees : Oui, mais cela ne répond pas à ma question...
- "Cela fait 35 ans qu'il exerce le pouvoir, c'est la quatrième fois consécutive qu'il est candidat à la présidence de la République ! Mais qu'est-ce qu'il a fait quand il était Premier ministre ? Déréguler les transports, faire du " tatcherisme ", nous dire qu'il y avait un "parti de l'étranger" lorsqu'il lançait son appel de Cochin, c'est ça ?!"
J.-L. Hees : Cela ne répond pas à ma question.
- "Avoir défendu l'agriculture productiviste dont aujourd'hui on paie les conséquences pour les paysans, pour le milieu et pour la santé ? Franchement..."
J.-L. Hees : Cela ne répond pas du tout à ma question ! Ma question, c'était votre opinion, à vous, sur l'état de la France.
- "Eh bien, mon opinion, c'est de dire qu'il y a des choses qui ont avancé, et d'autres qui sont restées en l'état. Les choses qui ont avancé, c'est par exemple la Couverture médicale universelle. Mais quand j'entends les propositions qui sont faites par la droite et qui nous disent que demain, on va raser gratis en réduisant de 30 % l'impôt sur le revenu, je reproche à la gauche et à L. Fabius à Bercy d'avoir réduit l'impôt sur le revenu qui ne profite qu'à un tout petit nombre de Français et qui par exemple, nous empêche de relever ce plafond de la Couverture médicale universelle, que nous avons voté et qui interdit à des personnes âgées qui relèvent du minimum vieillesse ou à des personnes adultes handicapées qui reçoivent cette allocation. Parce qu'il y a cinq euros de différence, elles ne peuvent pas bénéficier de la CMU. Si, par exemple, on n'avait pas réduit les impôts sur le revenu qui ne profite qu'à quelques-uns, on pourrait assurer la gratuité des livres dans les écoles et dans les universités. Si, par exemple, on avait évité de relever les impôts, parce que le système de l'impôt progressif est juste - il faut que chacun en fonction de ses revenus paie la même chose que l'on sorte de ces exceptions extrêmement nombreuses auxquelles on assiste -, on aurait pu par exemple relever les minima sociaux. Il y a des choses qui ont été faites dans le cadre de la loi sur l'exclusion. L'introduction de la parité homme-femme dans la Constitution, les 35 heures, quoi qu'on en dise, même s'il faut trouver des aménagements pour les très petites entreprises et les PME. Le Pacs... Voilà autant de réformes qui ont été des avancées pour la société. Et c'est vrai que sur la double peine... Vous parliez tout à l'heure, S. Paoli, de "risque". Je prends le risque de dire, devant les auditeurs et devant les Français, que la double peine qui impose à quelqu'un qui n'est pas né français d'aller dans son pays d'origine, qui n'est plus le sien, parce qu'il habite dans notre pays ici et qui a déjà payé sa dette devant la société. Je trouve que c'est une forme de bannissement et que cela ne fait qu'accélérer la discrimination et l'approfondir dans les banlieues. Ce n'est pas très électoraliste de le dire, de la même manière que ce n'est pas très électoraliste de dire qu'il faut régulariser les sans-papiers qui en ont fait la demande. Parce qu'on ne peut pas d'un côté réduire l'aide au développement aux pays africains, ce qui est le cas de la France, dire que l'on veut favoriser l'aide au retour et maintenir dans une situation aussi grave, aussi dangereuse, aussi fragile, ceux qui sont dans notre pays et qui contribuent à aider leur propre pays. Alors voilà ce que je dis, je pense que sur tous ces sujets, nous avons des progrès à faire. Je pense qu'on n'a pas assez avancé sur ce qu'on appelle la fiscalité écologique, mais il faut bien expliquer aux Français que la fiscalité écologique, ce n'est pas prendre encore un peu plus d'argent dans la poche des gens : c'est dire qu'on va aider ceux qui font des efforts pour les économies d'énergie, pour le respect du milieu, pour lutter contre l'effet de serre, qui est quand même l'un des grands sujets qui se posent au monde. Il y a des réfugiés économiques aujourd'hui, il y a des réfugiés politiques, mais demain, il y aura des réfugiés climatiques. Il faudra traiter ce problème. Pourquoi n'a-t-on pas fait plus d'efforts pour favoriser le ferroutage, comme le font par exemple les Suisses ? Il ont du courage, les Suisses !"
P. Le Marc : Sur la maîtrise des risques industriels et sur le contrôle de la sûreté nucléaire, deux sujets qui sont à l'ordre du Conseil des ministres ce matin et qui sont défendus par Y. Cochet, votre collègue écologiste, est-ce qu'on avance et est-ce que vous êtes satisfait de ce qui sera présenté au Conseil des ministres ? Ou est-ce qu'il faut aller plus loin ?
- "Je suis satisfait de ce que prépare Y. Cochet, mais je ne peux pas être satisfait de ce qui se passe sur le contrôle de la sûreté nucléaire. Aujourd'hui - et la réalité des choses est comme cela -, on peut nous le tourner dans tous les sens, on mélange le contrôleur et le contrôlé, comme on l'a fait d'ailleurs pour l'Erika et pour un certain nombre d'activités industrielles. Vous parlez des risques industriels : s'il y avait une seule réforme à faire, pour qu'on ne vive pas dans ce péril permanent ? Les DRIRE, qui sont des ingénieurs des corps des mines, qui dépendent du ministère de l'Industrie et qui sont chargés de surveiller les sites industriels à risques et les sites Seveso, doivent être détachés du ministère de l'Industrie pour dépendre du ministère de l'Environnement. Parce que nous savons que le ministère de l'Industrie, c'est d'abord le ministère des industriels. Vous savez ce qui s'est passé à AZF Toulouse ? Chaque fois qu'il y a des usines comme celles-ci, on fait ce qu'on appelle des études de danger. L'étude de danger qui avait été faite pour les centrales nucléaires, c'était un CESNA qui tombait sur la centrale. Depuis le 11 septembre, on est en droit de se poser un certain nombre de questions sur la vulnérabilité de ce type d'industrie très lourd et assez ancien. L'étude de danger devait être faite depuis février dernier, depuis février 2001, elle n'a pas été faite. Pour la rentabilité et pour que cela sorte moins cher, qu'est-ce qu'on utilise ? On utilise des intérimaires qui ne sont pas formés. On met en péril ceux qui sont membres des comités d'hygiène et de sécurité, dont le statut doit être renforcé. Je suis d'accord avec B. Thibault lorsqu'il propose cela. Vous voyez qu'il y a des efforts à faire, pas simplement sur l'idée du risque zéro, cela n'existe pas. Je ne veux pas que l'on soit dans une société qui est une machine à risques, où l'on ne délibère pas ensemble des risques que l'on veut courir."
S. Paoli : Alors, on s'interroge tout le temps sur la vérité des hommes, mais on peut aussi le faire sur la vérité des faits. Puisque vous parlez du développement durable, est-ce qu'on dit aux Français la vérité, par exemple, sur le stockage des déchets nucléaires et sur ce qu'on est en train de léguer aux générations futures ?
- "On ne leur dit ni la vérité sur le stockage des déchets nucléaires ni la vérité sur ce que coûte le transport des marchandises par les camions, avec 85% de monopole. On ne leur dit pas que si aujourd'hui, on gère les stocks dans les camions, c'est parce qu'il y a une logique dite des flux tendus. C'est-à-dire pour arriver encore moins cher et parce qu'il y a des grandes sociétés de distribution qui imposent leur loi. On ne leur dit pas, effectivement, que les déchets nucléaires, aujourd'hui, sont des déchets à longue vie dont on ne connaît pas - cela peut durer plusieurs millions d'années -, dont on ne connaît pas vraiment les risques. C'est la raison pour laquelle nous sommes farouchement opposés à l'enfouissement irréversible et en grande profondeur des déchets nucléaires. Et ce qu'il faut dire aux Français, c'est qu'on n'est pas par religion contre le nucléaire. Mais on estime qu'on est dépendant et vulnérable, quand on est le seul pays au monde dont l'électricité dépend à 80% du nucléaire. Donc, il faut sortir de cette hégémonie, il faut favoriser les économies d'énergie, mais favoriser aussi ce qu'on appelle l'efficacité énergétique. Le logement social, les bâtiments et travaux publics, vous disent qu'il faut faire encore plus de routes et plus d'autoroutes. Cela ne contribue pas à l'économie d'énergie, au respect des accords de Kyoto. Alors, qu'ils construisent des logements sociaux avec des matériaux qui permettent par exemple de gagner deux à trois degrés, Voilà quelques pistes. Faisons un plan Marshall pour les banlieues, qui passe précisément la destruction de tours, mais qui passe surtout par une autre volonté, une autre manière d'appréhender le logement social. Je suis effaré quand je vois les chiffres qui ont été donnés par l'enquête demandée par Mme Lienemann, qui montre que l'insécurité est principalement dans les logements sociaux. Dans ma commune, la semaine dernière, des jeunes, avec une voiture-bélier, ont enfoncé la maison de quartier de la cité Y. Farge, et l'ont incendiée. C'est là-dessus qu'il faut se battre, parce qu'il faut proposer aux Français, notamment à ceux qui sont le plus en difficultés, des conditions de vie décente. C'est ce que nous appelons la qualité de la vie. Mais la qualité de la vie est la qualité de ce que l'on vit chez soi, dans son quartier, avec la possibilité de ne plus avoir peur quand on sort le soir, de n'avoir plus peur d'être attaqué, de vivre dans des conditions décentes. Mais c'est aussi la qualité de la démocratie. Et la qualité de la démocratie, c'est l'association du citoyen aux choix qui sont jusqu'à maintenant pris sur son dos. Je vous donne un exemple : le 5 février, on a voté une loi qui s'appelle " Démocratie de proximité " - on aurait mieux fait de l'appeler "Démocratie de l'éloignement". Nous avions, en première lecture, adopté un texte sur lequel j'étais critique, disant que les conseils de quartiers existent partout, au Québec, dans l'Union européenne, sauf en France où on quadrille les quartiers au service de la clientèle des élus politiques. On avait fixé à 50.000 le seuil, il était monté à 80.000 par le Sénat. Et l'Assemblée nationale n'a pas moufté. Est-ce que vous pensez que c'est normal qu'on attende d'être 80.000 habitants pour avoir un conseil de quartiers se mêler de la vie de notre commune, de ce qui nous regarde ? C'est ça, la démocratie participative, c'est ça, la démocratie civique ?! Mais le civisme commence là, le civisme commence au plus haut sommet de l'Etat, quand on ne paye pas ses vacances avec des billets dont on ne sait pas d'où ils viennent. Quand on s'explique devant la justice, quand on veut et quand on prétend transformer la société ? On ne peut pas parler d'une France à l'envers pour la remettre à l'endroit, tant qu'on n'est pas à l'endroit vis à vis de la justice, tant qu'on n'est pas à l'endroit vis à vis des Français. C'est de la supercherie et du mensonge."
J.-L. Hees : Cela ne va pas être facile d'être candidat, cela ne va pas être facile d'être président de la République non plus. Mais quand on est le candidat des Verts, je trouve que c'est encore un petit peu plus difficile. On parlait tout à l'heure de la sécurité par exemple, "pas question de faire de la démagogie autour des problèmes sécuritaires". Et puis il y a un autre problème pour les Français, c'est l'emploi. Et Dieu que cela revient dans les esprits en ce moment, puisque la croissance descend dans notre pays - et ailleurs, d'ailleurs. Mais qu'est-ce qu'un candidat des Verts dit aux Français qui ont peur pour leur emploi par exemple ? Pas facile... Je pense à l'usine de Toulouse : pas facile d'aller dire aux gens, déménagez cette usine, les ouvriers ne sont pas d'accord, les employés de l'usine ne sont pas d'accord...
- "Non, ce n'était pas facile !"
J.-L. Hees : Que dit un candidat vert ?
- "D'abord tous les salariés français ne sont pas des salariés d'AZF et des usines à risques comme Seveso. Il faut que nous le gérions ensemble, il faut faire un diagnostic, y compris avec les syndicats, pour savoir dans quelles conditions, à tel endroit, on peut continuer cette activité, sans qu'elle présente de risque pour les salariés et pour ceux qui habitent autour de ces usines - puisque c'est d'abord les salariés qu'il faut protéger. Donc, il y a des endroits où il faudra se dire qu'on va s'engager dans une logique de reconversion. Je vous disais tout à l'heure que la société TotalFinaElf a fait 7,2 milliards d'euros de bénéfices en 2001 : elle peut financer cette reconversion, quand elle est nécessaire. De la même manière que lorsque nous disons qu'il faut arrêter le retraitement des déchets nucléaires à la Hague, parce que cela ne sert à rien, parce que nous devenons la poubelle du monde et que cela ne va faire que contribuer à accélérer encore et à renforcer l'hégémonie du nucléaire"
J.-L. Hees : Je parlais de l'emploi en général...
- "On peut expliquer aux salariés de la Hague, ils sont très nombreux, que le conditionnement des déchets n'entraîne pas les licenciements. Sur la question du chômage, sur la question de l'accompagnement social, c'est la question de la formation et la question de l'insertion. Beaucoup de choses se font, il y en a dans ma commune, comme dans d'autres. Dans le cadre de la loi sur l'exclusion, on a mis en place les plans locaux d'insertion par l'emploi. Mais il y a aussi tout l'accompagnement que l'on peut faire de ces personnes qui sont loin de l'emploi et qui sont encore trop nombreuses, qui manquent de formation. On peut par exemple décider d'accorder pour les 6.000 premiers francs, puisque vous savez qu'il y a beaucoup de charges, que les charges pèsent beaucoup plus sur le travail que sur le produit de ce que l'on fabrique. Il faut dans ces conditions permettre à des gens qui ont peu de formation de pouvoir accéder plus facilement à l'emploi, en mettant en place des dispositifs de préparation et en travaillant avec les entreprises. Les entreprises citoyennes, c'est ça : c'est celles qui acceptent de sortir de la logique, du contrat à durée déterminée ou du temps partiel imposé pour s'inscrire dans une logique de CDI."
J.-L. Hees : On arrive au terme de cette émission et je vais laisser la parole à P. Le Marc, qui recevra ce soir C. Pasqua, qui incarne à peu près le contraire de ce que vous venez de dire dans la campagne présidentielle.
- "Il faut des contraires en politique !"
P. Le Marc : On a entendu depuis 7H45 un discours, un discours intéressant, mais tout de même quelles sont les deux ou trois propositions symboles, les deux ou trois grandes priorités de votre projet.
S. Paoli : Et vous avez quarante secondes pour le faire !
- "Je n'ai qu'une seule priorité à donner : c'est le retour vers une démocratie civique, c'est-à-dire la participation du citoyen à tous les étages de la démocratie. C'est le retour du civisme et le retour du citoyen. Faisons-le, à travers un certain nombre de choses que j'ai évoquées durant ces deux heures que nous avons passées ensemble. Et s'il n'y avait qu'une chose à dire aux Français c'est que nous voulons défendre ensemble une société de responsabilités. Vous êtes responsable de votre destin et ce n'est pas aux politiques d'en décider à votre place."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 13 février 2002)