Interview de M. Charles Pasqua, président du Rassemblement pour la France, à La Chaîne info le 4 janvier 2002, sur l'abandon du franc au profit de l'euro et sur la polémique sur le versement d'une rançon pour les otages du Liban.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser Je vous avais invité pour parler de l'euro ...
- "Oui, Parlons-en."
Je vais quand même vous poser la question : l'euro ça marche, ça vous surprend, ça vous fait râler ?
- "Non, pas vraiment. Je crois qu'il y a eu un tel matraquage médiatique que..."
Une bonne préparation aussi ?
- "Oui, une bonne préparation, mais surtout une mise en condition psychologique. J'ajouterai d'autre part qu'à partir du moment où tout le monde sait que le franc va être retiré de la circulation, le fait que les gens échangent les francs ne me paraît pas constituer une nouvelle bouleversante."
Pourquoi vous êtes-vous battu jusqu'au dernier moment ?
- "Oui, je me suis battu jusqu'au dernier moment et je continuerai. Je veux dire par là que je considère que c'est une mauvaise chose pour la France, qui a perdu sa souveraineté dans un domaine important."
Mais ça fait longtemps qu'elle l'a perdue dans ce domaine ?
- "Oui, oui, mais enfin, là, maintenant c'est visible. Je veux dire par là que, autant jusqu'à présent nous nous trouvions dans la situation d'une monnaie commune, maintenant nous sommes dans une monnaie unique, avec la disparition des monnaies nationales. Ce qui veut dire que les Français se rendront compte - ce qu'ils n'ont pas encore eu l'occasion de faire -, qu'ils ont perdu une partie de leur pouvoir de décision en matière économique et budgétaire. Quelle que soit la situation économique ou sociale du pays demain, ils ne pourront plus faire ce qu'ils veulent."
Vous allez jouer les Cassandre, là ?
- "Non, je ne vais pas jour les Cassandre. Mais je suis persuadé qu'à partir du moment où on a commencé à construire la maison par le toit, tout cela marchera mal. Et qu'à un moment ou à un autre, il faudra revoir les choses. Et donc, je continuerai à le dire."
Est-ce que ça ne va pas perturber un peu votre campagne que vous apprêtez à lancer quand même ? Le fait que ça marche.
- "D'abord, avant de dire que ça marche, pour le moment de quoi s'agit-il ? On verra dans les mois qui viennent, si l'euro est un succès ou s'il ne l'est pas. Pour que l'euro soit un succès, il faudrait qu'il s'apprécie par rapport au dollar."
Ca commence ...
- "Ca commence ! Il a gagné 2 points et il les a immédiatement perdus. Hier, il est redescendu au niveau qui était le sien auparavant. Mais je ne me réjouis pas pour autant d'une faiblesse de l'euro. Puisque la crainte c'était que l'euro soit trop fort. Un euro faible par rapport au dollar, ça permet d'avoir une meilleure situation au plan des exportations. Mais ce qui apparaît clairement, c'est que le dollar et l'euro sont étroitement liés. Si les Etats-Unis s'enrhument nous avons la grippe. Voilà la réalité des choses. L'indépendance économique de l'Europe, malheureusement c'est pas pour demain."
On va en venir au sujet du jour : l'affaire - la nouvelle affaire qui vous est reprochée, enfin qui est reprochée à votre entourage. Vous avez parlé de "cabinet noir" à Matignon, en expliquant que les poux qu'on cherche sur la tête de votre collaboratrice et de madame Marchiani, tout ça c'est une affaire orchestrée. Qu'est-ce qui vous permet de dire cela ?
- "Avant qu'on parle de cet aspect des choses, il faut aller à l'essentiel. De quoi s'agit-il ? Il s'agit d'une accusation qui est fondée sur une note blanche de la DST, selon laquelle le gouvernement français aurait versé une rançon pour obtenir la libération des otages, et qu'une partie ou la totalité de cette rançon aurait été détournée au profit de Marchiani, Pasqua, et pourquoi pas, Chirac ! Bon. Alors, première question : y-a-t-il eu un versement de rançon ? Parce que s'il n'y a pas eu versement de rançon, il ne peut pas y avoir eu de détournement."
Non, mais il peut y avoir récompense ...
- "Non, non. Mais s'il n'y a pas eu de versement de rançon, il ne peut pas y avoir eu détournement de la rançon, comme dirait monsieur de La Palice. Permettez-moi de vous dire que je m'étonne de la légèreté de vos confrères. Car la première des choses à vérifier, c'est effectivement s'il y a eu un versement de rançon. S'il y en a eu un, cela n'a pu être fait que sur les fonds spéciaux. Qui gérait les fonds spéciaux à l'époque ? Le Premier ministre, J. Chirac. C'est donc à lui qu'il faut poser la question. Si lui ne peut pas répondre, son directeur de cabinet de l'époque, monsieur Ullrich ou le ministre d'Etat, ministre des Finances, monsieur Balladur peuvent répondre. Alors qu'on leur pose la question."
Vous mouillez du monde là !
- "Non, je ne mouille personne ! Je dis simplement qu'il n'y a pas eu de versement de rançon et j'attends que ceux qui sont en mesure de confirmer qu'il n'y en a pas eu le fassent."
Mais là, en l'occurrence, c'est moins de rançon dont il s'agit que de ristourne, d'argent liquide qui aurait été versé ...
- "Non, non, non ! De quoi est-il question ? "Blanchiment aggravé", "détournement de fonds provenant des versements de la rançon". S'il n'y a pas eu versement de rançon, par conséquent il n'y a pas de détournement de fonds. Le reste ne me concerne pas, je n'en sais rien, ça ne m'intéresse pas. Je dis simplement que l'accusation qui est portée contre Marchiani, moi-même et éventuellement contre d'autres, qu'on imagine parfaitement, selon laquelle nous aurions organisé un détournement de fonds est proprement scandaleuse, elle est de nature à nuire à l'image de l'Etat. Pour ce qui me concerne, je ne suis pas décidé à le tolérer. C'est la raison pour laquelle je demande au garde des Sceaux, conformément à la loi, d'engager des poursuites nécessaires."
Contre qui ?
- "D'abord, les poursuites on les engage contre X. Ensuite, l'information judiciaire permettra de voir où la DST a pêché ces renseignements, de qui elle les tient, comment un fonctionnaire de la DST a-t-il pu transmettre directement ces informations à la justice."
Vous demandez au garde des Sceaux l'ouverture de deux informations judiciaires.
- "0ui, oui."
Rien ne dit que vous serez suivi.
- "Mais ça c'est la loi, elle est obligée de le faire. J'étais ministre de l'Intérieur à l'époque. Je suis mis en cause en cette qualité et les services qui dépendaient de moi. La loi fait obligation au garde des Sceaux d'engager des poursuites judiciaires. C'est comme ça."
Donc, vous êtes tranquille.
- "Et pourquoi voulez-vous que je ne le sois pas ?"
Quand je dis : vous êtes tranquille, ça veut dire que l'information judiciaire va être ouverte ?
- "L'information judiciaire sera obligatoirement ouverte." ..."
Et l'enquête va suivre ?
- "Je l'espère ou alors nous ne sommes plus dans un Etat de droit. Si nous sommes dans un autre système, celui des coups bas, celui des coups tordus, etc., chacun d'entre nous en tirera les leçons et les conséquences."
"Les coups bas, les coups tordus"... Est-ce que ça vous vise, vous ou est-ce que ça vise J. Chirac ? Est-ce que ça vise tous les deux ?
- "Il est évident que je suis le premier visé dans cette affaire, cela paraît éclatant. Et comme par hasard ça intervient maintenant, c'est rendu public au début du mois de janvier alors que tout le monde sait que je vais annoncer ma candidature dans dix jours, dans une quinzaine de jours, tout le monde le sait. Donc, manifestement je suis visé. Est-ce que J. Chirac l'est ? Il est évident que s'il est question de versement d'une rançon, cela ne pourrait avoir été fait qu'avec des complicités au plus haut niveau de l'Etat. Donc, c'est clair : pour moi, c'est une manipulation politique dans toute sa splendeur. J'ai été ministre de l'Intérieur, je n'imagine pas une seule minute qu'un fonctionnaire de la DST n'ait pas rendu compte à son directeur, que celui-ci n'ait pas rendu compte à son ministre, et que le ministre n'ait pas rendu compte à Matignon. Tout ça me paraît aberrant ! Donc, c'est bien une volonté politique et c'est bien une manoeuvre qui a pour but de me déstabiliser et éventuellement de s'en prendre à J. Chirac. Voilà ce que je crois. Mais alors, que J. Chirac dise s'il y a eu une rançon ou pas. Il n'a qu'à le dire après tout."
Vous l'interpellez ce matin ?
- "Non. Je dis simplement que j'attends que ceux qui sont en mesure de confirmer qu'il n'y a pas eu de versement de rançon le fassent. Qu'il le fasse lui-même, qu'il le fasse faire par M. Ullrich s'il veut, par qui il veut."
Ou par E. Balladur ?
- "En tous les cas qu'il le dise. Ou par E. Balladur. E. Balladur sait parfaitement dans quelles conditions il y a eu conversation entre les responsables de l'Etat français et les responsables de la République islamique d'Iran. Il sait parfaitement qu'il n'a pas été question de rançon."
Et qu'il n'y a pas eu de négociations monnayées ?
- "Mais non, absolument pas ! Il y a eu un accord qui est intervenu entre le gouvernement français et le gouvernement iranien, qui a porté, d'une part, sur la situation de nos ambassades respectives, et d'autre part, sur le remboursement à l'Etat iranien d'une partie des sommes que le Shah avait avancées dans le cadre du contrat Eurodif. Tout ça a été négocié d'ailleurs par monsieur Trichet. Alors qu'on lui demande à lui aussi."
Il y a quelqu'un d'autre, encore, que vous ?
- "Non, pour le moment ça suffit ! Pour ce matin, ça suffira !"
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 4 janvier 2002)