Texte intégral
(Interview à Radio France Internationale à Istanbul, le 12 février 2002)
Q - (Sur les raisons de ce forum ministériel)
R - Après des événements importants l'an dernier, comme la Conférence de Durban ou bien les attentats du 11 septembre, mais surtout les réactions assez différentes dans les différentes parties du monde aux attentats du 11 septembre, on s'est rendu compte qu'il y avait des malentendus, des divergences d'interprétation. Que la communauté internationale, que l'on croyait créée depuis l'adoption de la Charte des Nations unies et des grandes déclarations des Droits de l'Homme, restait à faire largement. En tout cas à parfaire. Un certain nombre d'organismes ont eu idée de rétablir un dialogue entre les différentes parties du monde qui, parfois, ont dû mal à se comprendre. Pourquoi ? Parce qu'il y a eu des contentieux historiques importants, au fil des siècles, que l'on croyait dépassés mais qui ne le sont pas dans les profondeurs des mentalités, entre le monde musulman et le monde occidental, par exemple. Et puis, il y a des divergences d'interprétations bien actuelles sur le partage riches-pauvres ou sur les affaires régionales comme l'affaire du Proche-Orient. Les Turcs ont eu une excellente idée de réunir à Istanbul, qui est un merveilleux symbole pour cela et un lieu parfait d'échanges, une conférence entre les ministres de l'Union européenne et ceux de l'Organisation de la conférence islamique. Il y avait à Istanbul plus de quarante ministres qui se sont prêtés à cet exercice, c'est dire qu'on en ressentait la nécessité.
Q - (Sur la nécessité du dialogue UE-OCI)
R - Le déjeuner de travail dont je sors a été marqué par un échange que j'ai trouvé très salutaire où sont intervenus le Prince Hassan de Jordanie, M. Fischer, moi-même, le ministre pakistanais, celui d'Azerbaïdjan, devant un parterre très varié. Nous avons tous, chacun dans notre style, insisté sur le fait que ce dialogue était indispensable à condition d'être véritable. Il y a eu trop de dialogues inutiles sur le pseudo-dialogue des civilisations dans lesquels on s'enfonce mutuellement, en se tenant des propos aimables, en évitant les sujets qui fâchent. Je pense que l'idée du dialogue véritable a marqué les esprits et que cela chemine. On a même pu parler d'un esprit d'Istanbul qui aurait lancé cela. On a parlé du débat sur la peine de mort, on a parlé du statut de la femme dans le monde musulman mais aussi de la situation des familles dans le monde occidental, que, en sens inverse, eux ne comprennent pas. On a parlé de toutes sortes de sujets. Si on est capable d'en parler sans que cela tourne au dialogue haineux, comme à Durban, ou un dialogue de sourd, on aura vraiment fait avancer les choses en sachant bien que cela ne peut pas être traité que par des ministres. Naturellement, ils peuvent amorcer ces choses mais il faut que ce soit relié après.
Q - (Sur la manière dont se déroule le forum)
R - On sait très bien qu'on s'attaque à des mentalités qui ont été ossifiées par des siècles d'affrontements et qu'on ne peut pas faire disparaître par enchantement. Au moins faut-il montrer que nous en sommes conscients, qu'il ne suffit pas d'échanger des bonnes paroles et de pratiquer la politique de l'autruche en disant que c'était tout à fait impensable. Il faut avoir le courage de voir les choses. Il y a à la fois beaucoup de dialogues, des débats dans les civilisations entre elles. Je crois qu'il y a une vraie prise de conscience, ce qui est une bonne réaction à tout ce qui s'est passé l'an dernier, qui n'est pas que le 11 septembre. Il y a beaucoup d'éléments de fractures dans le monde actuel. Si on arrive à bâtir quelque chose ensemble, en crevant les abcès et en dissipant les ambiguïtés, on aura travaillé utilement.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 février 2002)
(Interview à RMC Moyen-Orient à Istanbul, le 12 février 2002)
Q - (Sur les attentes de ce forum)
R - J'attends de la conférence qu'elle donne le signal qu'un vrai dialogue est possible, sans faux-semblant, avec franchise, qui dépasse le stade des courtoisies et des échanges d'amabilité habituels. Qui montre qu'on est capable de traiter des vrais malentendus, des vrais désaccords. Notre but à tous est naturellement de bâtir une civilisation universelle regroupant de très nombreuses cultures qui auraient préservé leur diversité. Au jour d'aujourd'hui, on voit bien que ce travail est à parfaire, à mener jusqu'au bout. Il faut avoir le courage de s'attaquer aux sujets des malentendus ou des désaccords après une année qui a été marquée par le 11 septembre, des réactions assez divergentes à la question du 11 septembre dans les différentes parties du monde, la Conférence de Durban et d'autres choses. Donc cette Conférence d'Istanbul est très bienvenue. J'ai dit, au cours du déjeuner-débat, qu'on parlera encore longtemps de cet esprit d'Istanbul, qui est cet esprit de pré-dialogue constructif.
Q - (M. Straw a parlé de divergences éventuelles entre les Quinze sur le Proche-Orient)
R - Je pense que c'est un malentendu. Il y a un véritable accord entre les quinze pays de l'Union européenne pour considérer qu'il faut s'occuper de la recherche de la solution politique. Qu'il faut s'en occuper avec autant d'énergie et de force qu'on en met pour lutter contre l'insécurité et le terrorisme. Donc là-dessus, il y a un vrai accord à quinze et M. Straw n'a pas du tout dit le contraire de cela.
Q - (Sur les idées européennes au sujet du Proche-Orient)
R - Eventuellement, un référendum, c'est une idée allemande ; la reconnaissance de l'Etat palestinien au début du processus au lieu de le faire à la fin ; l'idée italienne d'une conférence internationale. Il y a eu beaucoup d'idées européennes qui ont été mises sur la table. Et là, en effet, M. Straw a raison de dire qu'il y a une variété de points de vue sur chacune de ces idées. Nous-mêmes, on voudrait encore y réfléchir pour savoir à quel moment, dans quel contexte, elles seraient le plus utile pour atteindre notre but commun qui est la paix. Mais toutes les idées européennes suivent la même ligne, c'est-à-dire ramener les choses sur le terrain de la solution politique qui a été malheureusement complètement abandonnée ces derniers temps. Je crois que nos idées européennes vont continuer à faire leur chemin, à progresser. Elles sont dans les esprits. Les gens y réfléchissent et je pense que nous allons pouvoir avancer. Petit à petit, nous allons préciser les différents aspects de ce dispositif.
Q - (Sur les divergences américaines et européennes sur le Proche-Orient)
R - Les Américains nous disent que pour eux, il faut avant tout mettre en uvre les idées Tenet et les conclusions de la Commission Mitchell, avant de faire autre chose. Mais nous leur faisons remarquer que nous avons joué le jeu. Cela fait des mois que l'on attend une mise en uvre de Tenet et Mitchell et on voit que cela ne marche pas. Nous pensons que nous sommes en droit d'apporter, nous les Européens, des idées complémentaires, pas du tout antagonistes, mais complémentaires. Parce que si on pouvait en plus appliquer Tenet et Mitchell, cela serait excellent. Cela formerait un ensemble tout à fait cohérent avec les idées européennes. Le temps passe, il faut faire quelque chose. Nous apportons des idées pour faire réfléchir les uns et les autres. Dans un premier temps, nos amis américains nous disent : "Mais ce n'est pas notre priorité, on ne voit pas toutes les choses comme cela". Mais cela ne nous empêche pas de continuer à discuter et d'espérer que ces différentes approches convergent. Après tout, en novembre dernier à l'ONU, le président Bush a bien dit que son objectif final était d'aboutir à un Etat de Palestine. Il n'y a pas de raison que l'on ne puisse pas travailler ensemble.
Q - (Sur les moyens mis en uvre dans la lutte contre le terrorisme)
R - Je crois que l'on peut toujours faire davantage dans la lutte contre le terrorisme. Et d'ailleurs, les Européens l'ont demandé régulièrement ces derniers temps au président Arafat. Nous l'avions demandé au niveau des ministres en décembre. Cela a été redemandé solennellement, lors du Conseil européen de Laeken. Ce qui est vrai, c'est que si on redonnait au président Arafat une perspective politique et si, d'autre part, on ne limitait pas ses moyens d'action, il pourrait faire encore plus et encore mieux, c'est certain.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 février 2002)
(Interview à la chaîne de télévision turque "TRT 2" à Istanbul, le 12 février 2002)
Q - Tout d'abord, que peut-on attendre de ce forum ?
R - Je crois que ce que l'on peut attendre, c'est le démarrage d'un vrai dialogue. Il y a beaucoup de dialogues dans beaucoup d'enceintes, mais ce sont des dialogues de courtoisie, des dialogues académiques, des dialogues entre des gens extrêmement polis, aimables, qui n'abordent pas les sujets difficiles.
Cette réunion d'Istanbul est capable de lancer un vrai mouvement de dialogue entre l'Europe et le monde islamique parce qu'il y a des risques, et en même temps, parce qu'il y a une proximité historique. Si nous arrivons à lancer ce vrai dialogue, il se sera passé à Istanbul quelque chose de vraiment important. Mais cela suppose qu'il y ait une franchise dans le dialogue, une sincérité, qui n'a pas toujours été présente jusqu'à maintenant.
Q - Un mot sur le Proche-Orient. Il semble que le dialogue est interrompu et que vous proposez une initiative. Que pouvez-vous en dire ?
R - Au Proche-Orient, il y a un problème qui est beaucoup plus profond et beaucoup plus grave qu'un manque de dialogue. Il y a un problème politique dans toute la force du terme, qui ne se résoudra que le jour où il y aura un Etat palestinien. Un Etat palestinien viable, qui doit naturellement être pacifique et démocratique. Il sera d'autant plus pacifique et démocratique qu'il aura été conçu dans de bonnes conditions et qu'il sera viable. C'est la solution. Cela fait longtemps que la France le pense, depuis 1982. Cela fait maintenant plusieurs années que les Européens le proposent, depuis 1999 ; même le président Bush a parlé d'Etat de Palestine comme étant un objectif, en novembre dernier, aux Nations unies.
Il y a donc un accord général sur les grands objectifs, et malheureusement une politique de l'actuel gouvernement israélien qui ne va pas dans ce sens. Les Européens pensent que c'est une erreur de ne pas rechercher de solution politique. Tout le monde est d'accord avec la lutte contre le terrorisme, tout le monde pense qu'il faut contrôler la violence, tout le monde pense qu'il faut assurer la sécurité du peuple israélien qui vit dans des conditions d'inquiétude et de risques. Tout le monde pense aussi qu'il faut trouver une solution politique correcte pour le peuple palestinien qui vit dans des conditions abominables. La position européenne est qu'il faut faire les deux en même temps : lutter contre la violence et le terrorisme, et rechercher une solution politique. Si on dit qu'on ne commencera à rechercher une solution politique que quand la sécurité aura été complètement établie, on ne commencera jamais, parce que précisément la situation actuelle est tellement insupportable qu'elle ne peut pas être stable.
Les Européens font cela, la France a lancé quelques nouvelles idées ces derniers temps : l'idée d'une reconnaissance de l'Etat palestinien au début du processus, qui est aussi l'idée de Shimon Peres et d'Abou Ala ; l'idée d'élections dans les Territoires palestiniens, pour que les Palestiniens aient un mode d'expression politique, auquel ils ont droit comme les autres. L'Allemagne a parlé d'un référendum, l'Italie a parlé de refaire une conférence internationale. Toutes les idées européennes ont un élément commun, qui est de considérer que maintenant, c'est sur la solution politique qu'il faut mettre l'accent.
Q - Sur la Turquie, que pensez-vous des relations entre la Turquie et l'Union européenne ?
R - La Turquie est effectivement dans une situation stratégique, par son histoire, par la nature de sa société, de sa culture, des évolutions politiques qu'elle a connues ; par le fait qu'elle est membre de l'OTAN, qu'elle est candidate à l'Union européenne tout en ayant des relations très étroites avec le Moyen-Orient. Donc c'est vrai, c'est un pays stratégique. C'est la définition même du pays stratégique. C'est pour cela qu'il est très important pour nous dans l'Union européenne, que la Turquie utilise cette position formidable dans un sens pacificateur, dans un sens stabilisateur, et ce qu'elle fait est très important.
C'est pour cela que nous avons des relations étroites avec la Turquie, c'est vrai des Européens et c'est vrai spécialement de la France et de la Turquie ; nous avons un dialogue diplomatique, nous avons un dialogue stratégique sur beaucoup de sujets, et la contribution de la Turquie est très importante et très appréciée.
En ce qui concerne les relations avec l'UE, ce sont des décisions qui se prennent à quinze. Il y a eu une longue période d'hésitations, et à la fin de cette période d'hésitations, les Quinze ont décidé de considérer que la Turquie pouvait présenter sa candidature. Après, il y a une deuxième étape : pour pouvoir ouvrir les négociations proprement dites, il faut que la Turquie ait fait un certain nombre de réformes pour se rapprocher des critères européens, que nous appelons dans notre langage, les critères de Copenhague, pour que la négociation puisse commencer.
Je sais que c'est un débat en Turquie, parce que cela oblige à modifier des lois, des règlements, des conceptions, à faire évoluer des mentalités. Chaque pays est attaché à ses mentalités et c'est normal mais, en même temps, il faut évoluer. Récemment, un certain nombre de réformes ont été présentées, qui vont dans le bon sens. Nous, Français, nous encourageons ce mouvement de la Turquie par rapport à l'Union européenne. Nous souhaitons que la Turquie soit solidement ancrée par rapport à l'Europe, et donc nous souhaitons que ce mouvement de réformes et de modernisation politique, économique, sociale se poursuive, parce cela nous paraît la bonne direction.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 février 2002)
Q - (Sur les raisons de ce forum ministériel)
R - Après des événements importants l'an dernier, comme la Conférence de Durban ou bien les attentats du 11 septembre, mais surtout les réactions assez différentes dans les différentes parties du monde aux attentats du 11 septembre, on s'est rendu compte qu'il y avait des malentendus, des divergences d'interprétation. Que la communauté internationale, que l'on croyait créée depuis l'adoption de la Charte des Nations unies et des grandes déclarations des Droits de l'Homme, restait à faire largement. En tout cas à parfaire. Un certain nombre d'organismes ont eu idée de rétablir un dialogue entre les différentes parties du monde qui, parfois, ont dû mal à se comprendre. Pourquoi ? Parce qu'il y a eu des contentieux historiques importants, au fil des siècles, que l'on croyait dépassés mais qui ne le sont pas dans les profondeurs des mentalités, entre le monde musulman et le monde occidental, par exemple. Et puis, il y a des divergences d'interprétations bien actuelles sur le partage riches-pauvres ou sur les affaires régionales comme l'affaire du Proche-Orient. Les Turcs ont eu une excellente idée de réunir à Istanbul, qui est un merveilleux symbole pour cela et un lieu parfait d'échanges, une conférence entre les ministres de l'Union européenne et ceux de l'Organisation de la conférence islamique. Il y avait à Istanbul plus de quarante ministres qui se sont prêtés à cet exercice, c'est dire qu'on en ressentait la nécessité.
Q - (Sur la nécessité du dialogue UE-OCI)
R - Le déjeuner de travail dont je sors a été marqué par un échange que j'ai trouvé très salutaire où sont intervenus le Prince Hassan de Jordanie, M. Fischer, moi-même, le ministre pakistanais, celui d'Azerbaïdjan, devant un parterre très varié. Nous avons tous, chacun dans notre style, insisté sur le fait que ce dialogue était indispensable à condition d'être véritable. Il y a eu trop de dialogues inutiles sur le pseudo-dialogue des civilisations dans lesquels on s'enfonce mutuellement, en se tenant des propos aimables, en évitant les sujets qui fâchent. Je pense que l'idée du dialogue véritable a marqué les esprits et que cela chemine. On a même pu parler d'un esprit d'Istanbul qui aurait lancé cela. On a parlé du débat sur la peine de mort, on a parlé du statut de la femme dans le monde musulman mais aussi de la situation des familles dans le monde occidental, que, en sens inverse, eux ne comprennent pas. On a parlé de toutes sortes de sujets. Si on est capable d'en parler sans que cela tourne au dialogue haineux, comme à Durban, ou un dialogue de sourd, on aura vraiment fait avancer les choses en sachant bien que cela ne peut pas être traité que par des ministres. Naturellement, ils peuvent amorcer ces choses mais il faut que ce soit relié après.
Q - (Sur la manière dont se déroule le forum)
R - On sait très bien qu'on s'attaque à des mentalités qui ont été ossifiées par des siècles d'affrontements et qu'on ne peut pas faire disparaître par enchantement. Au moins faut-il montrer que nous en sommes conscients, qu'il ne suffit pas d'échanger des bonnes paroles et de pratiquer la politique de l'autruche en disant que c'était tout à fait impensable. Il faut avoir le courage de voir les choses. Il y a à la fois beaucoup de dialogues, des débats dans les civilisations entre elles. Je crois qu'il y a une vraie prise de conscience, ce qui est une bonne réaction à tout ce qui s'est passé l'an dernier, qui n'est pas que le 11 septembre. Il y a beaucoup d'éléments de fractures dans le monde actuel. Si on arrive à bâtir quelque chose ensemble, en crevant les abcès et en dissipant les ambiguïtés, on aura travaillé utilement.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 février 2002)
(Interview à RMC Moyen-Orient à Istanbul, le 12 février 2002)
Q - (Sur les attentes de ce forum)
R - J'attends de la conférence qu'elle donne le signal qu'un vrai dialogue est possible, sans faux-semblant, avec franchise, qui dépasse le stade des courtoisies et des échanges d'amabilité habituels. Qui montre qu'on est capable de traiter des vrais malentendus, des vrais désaccords. Notre but à tous est naturellement de bâtir une civilisation universelle regroupant de très nombreuses cultures qui auraient préservé leur diversité. Au jour d'aujourd'hui, on voit bien que ce travail est à parfaire, à mener jusqu'au bout. Il faut avoir le courage de s'attaquer aux sujets des malentendus ou des désaccords après une année qui a été marquée par le 11 septembre, des réactions assez divergentes à la question du 11 septembre dans les différentes parties du monde, la Conférence de Durban et d'autres choses. Donc cette Conférence d'Istanbul est très bienvenue. J'ai dit, au cours du déjeuner-débat, qu'on parlera encore longtemps de cet esprit d'Istanbul, qui est cet esprit de pré-dialogue constructif.
Q - (M. Straw a parlé de divergences éventuelles entre les Quinze sur le Proche-Orient)
R - Je pense que c'est un malentendu. Il y a un véritable accord entre les quinze pays de l'Union européenne pour considérer qu'il faut s'occuper de la recherche de la solution politique. Qu'il faut s'en occuper avec autant d'énergie et de force qu'on en met pour lutter contre l'insécurité et le terrorisme. Donc là-dessus, il y a un vrai accord à quinze et M. Straw n'a pas du tout dit le contraire de cela.
Q - (Sur les idées européennes au sujet du Proche-Orient)
R - Eventuellement, un référendum, c'est une idée allemande ; la reconnaissance de l'Etat palestinien au début du processus au lieu de le faire à la fin ; l'idée italienne d'une conférence internationale. Il y a eu beaucoup d'idées européennes qui ont été mises sur la table. Et là, en effet, M. Straw a raison de dire qu'il y a une variété de points de vue sur chacune de ces idées. Nous-mêmes, on voudrait encore y réfléchir pour savoir à quel moment, dans quel contexte, elles seraient le plus utile pour atteindre notre but commun qui est la paix. Mais toutes les idées européennes suivent la même ligne, c'est-à-dire ramener les choses sur le terrain de la solution politique qui a été malheureusement complètement abandonnée ces derniers temps. Je crois que nos idées européennes vont continuer à faire leur chemin, à progresser. Elles sont dans les esprits. Les gens y réfléchissent et je pense que nous allons pouvoir avancer. Petit à petit, nous allons préciser les différents aspects de ce dispositif.
Q - (Sur les divergences américaines et européennes sur le Proche-Orient)
R - Les Américains nous disent que pour eux, il faut avant tout mettre en uvre les idées Tenet et les conclusions de la Commission Mitchell, avant de faire autre chose. Mais nous leur faisons remarquer que nous avons joué le jeu. Cela fait des mois que l'on attend une mise en uvre de Tenet et Mitchell et on voit que cela ne marche pas. Nous pensons que nous sommes en droit d'apporter, nous les Européens, des idées complémentaires, pas du tout antagonistes, mais complémentaires. Parce que si on pouvait en plus appliquer Tenet et Mitchell, cela serait excellent. Cela formerait un ensemble tout à fait cohérent avec les idées européennes. Le temps passe, il faut faire quelque chose. Nous apportons des idées pour faire réfléchir les uns et les autres. Dans un premier temps, nos amis américains nous disent : "Mais ce n'est pas notre priorité, on ne voit pas toutes les choses comme cela". Mais cela ne nous empêche pas de continuer à discuter et d'espérer que ces différentes approches convergent. Après tout, en novembre dernier à l'ONU, le président Bush a bien dit que son objectif final était d'aboutir à un Etat de Palestine. Il n'y a pas de raison que l'on ne puisse pas travailler ensemble.
Q - (Sur les moyens mis en uvre dans la lutte contre le terrorisme)
R - Je crois que l'on peut toujours faire davantage dans la lutte contre le terrorisme. Et d'ailleurs, les Européens l'ont demandé régulièrement ces derniers temps au président Arafat. Nous l'avions demandé au niveau des ministres en décembre. Cela a été redemandé solennellement, lors du Conseil européen de Laeken. Ce qui est vrai, c'est que si on redonnait au président Arafat une perspective politique et si, d'autre part, on ne limitait pas ses moyens d'action, il pourrait faire encore plus et encore mieux, c'est certain.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 février 2002)
(Interview à la chaîne de télévision turque "TRT 2" à Istanbul, le 12 février 2002)
Q - Tout d'abord, que peut-on attendre de ce forum ?
R - Je crois que ce que l'on peut attendre, c'est le démarrage d'un vrai dialogue. Il y a beaucoup de dialogues dans beaucoup d'enceintes, mais ce sont des dialogues de courtoisie, des dialogues académiques, des dialogues entre des gens extrêmement polis, aimables, qui n'abordent pas les sujets difficiles.
Cette réunion d'Istanbul est capable de lancer un vrai mouvement de dialogue entre l'Europe et le monde islamique parce qu'il y a des risques, et en même temps, parce qu'il y a une proximité historique. Si nous arrivons à lancer ce vrai dialogue, il se sera passé à Istanbul quelque chose de vraiment important. Mais cela suppose qu'il y ait une franchise dans le dialogue, une sincérité, qui n'a pas toujours été présente jusqu'à maintenant.
Q - Un mot sur le Proche-Orient. Il semble que le dialogue est interrompu et que vous proposez une initiative. Que pouvez-vous en dire ?
R - Au Proche-Orient, il y a un problème qui est beaucoup plus profond et beaucoup plus grave qu'un manque de dialogue. Il y a un problème politique dans toute la force du terme, qui ne se résoudra que le jour où il y aura un Etat palestinien. Un Etat palestinien viable, qui doit naturellement être pacifique et démocratique. Il sera d'autant plus pacifique et démocratique qu'il aura été conçu dans de bonnes conditions et qu'il sera viable. C'est la solution. Cela fait longtemps que la France le pense, depuis 1982. Cela fait maintenant plusieurs années que les Européens le proposent, depuis 1999 ; même le président Bush a parlé d'Etat de Palestine comme étant un objectif, en novembre dernier, aux Nations unies.
Il y a donc un accord général sur les grands objectifs, et malheureusement une politique de l'actuel gouvernement israélien qui ne va pas dans ce sens. Les Européens pensent que c'est une erreur de ne pas rechercher de solution politique. Tout le monde est d'accord avec la lutte contre le terrorisme, tout le monde pense qu'il faut contrôler la violence, tout le monde pense qu'il faut assurer la sécurité du peuple israélien qui vit dans des conditions d'inquiétude et de risques. Tout le monde pense aussi qu'il faut trouver une solution politique correcte pour le peuple palestinien qui vit dans des conditions abominables. La position européenne est qu'il faut faire les deux en même temps : lutter contre la violence et le terrorisme, et rechercher une solution politique. Si on dit qu'on ne commencera à rechercher une solution politique que quand la sécurité aura été complètement établie, on ne commencera jamais, parce que précisément la situation actuelle est tellement insupportable qu'elle ne peut pas être stable.
Les Européens font cela, la France a lancé quelques nouvelles idées ces derniers temps : l'idée d'une reconnaissance de l'Etat palestinien au début du processus, qui est aussi l'idée de Shimon Peres et d'Abou Ala ; l'idée d'élections dans les Territoires palestiniens, pour que les Palestiniens aient un mode d'expression politique, auquel ils ont droit comme les autres. L'Allemagne a parlé d'un référendum, l'Italie a parlé de refaire une conférence internationale. Toutes les idées européennes ont un élément commun, qui est de considérer que maintenant, c'est sur la solution politique qu'il faut mettre l'accent.
Q - Sur la Turquie, que pensez-vous des relations entre la Turquie et l'Union européenne ?
R - La Turquie est effectivement dans une situation stratégique, par son histoire, par la nature de sa société, de sa culture, des évolutions politiques qu'elle a connues ; par le fait qu'elle est membre de l'OTAN, qu'elle est candidate à l'Union européenne tout en ayant des relations très étroites avec le Moyen-Orient. Donc c'est vrai, c'est un pays stratégique. C'est la définition même du pays stratégique. C'est pour cela qu'il est très important pour nous dans l'Union européenne, que la Turquie utilise cette position formidable dans un sens pacificateur, dans un sens stabilisateur, et ce qu'elle fait est très important.
C'est pour cela que nous avons des relations étroites avec la Turquie, c'est vrai des Européens et c'est vrai spécialement de la France et de la Turquie ; nous avons un dialogue diplomatique, nous avons un dialogue stratégique sur beaucoup de sujets, et la contribution de la Turquie est très importante et très appréciée.
En ce qui concerne les relations avec l'UE, ce sont des décisions qui se prennent à quinze. Il y a eu une longue période d'hésitations, et à la fin de cette période d'hésitations, les Quinze ont décidé de considérer que la Turquie pouvait présenter sa candidature. Après, il y a une deuxième étape : pour pouvoir ouvrir les négociations proprement dites, il faut que la Turquie ait fait un certain nombre de réformes pour se rapprocher des critères européens, que nous appelons dans notre langage, les critères de Copenhague, pour que la négociation puisse commencer.
Je sais que c'est un débat en Turquie, parce que cela oblige à modifier des lois, des règlements, des conceptions, à faire évoluer des mentalités. Chaque pays est attaché à ses mentalités et c'est normal mais, en même temps, il faut évoluer. Récemment, un certain nombre de réformes ont été présentées, qui vont dans le bon sens. Nous, Français, nous encourageons ce mouvement de la Turquie par rapport à l'Union européenne. Nous souhaitons que la Turquie soit solidement ancrée par rapport à l'Europe, et donc nous souhaitons que ce mouvement de réformes et de modernisation politique, économique, sociale se poursuive, parce cela nous paraît la bonne direction.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 février 2002)