Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle, à France 2 le 21 février 2002, sur l'annonce de la candidature de L. Jospin, l'importance du premier tour, le démarrage de la campagne électorale et ses difficultés au sein de l'UDF.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

R. Sicard L. Jospin a donc annoncé hier sa candidature par le biais d'une lettre aux Français, il s'exprimera ce soir sur France 2. Sur le fond, le candidat Jospin présente un programme assez consensuel : il veut plus de travail, plus de sécurité, plus de justice. Dans le fond, c'est difficile de ne pas être d'accord avec lui.
- "Oui, mais ce qui est frappant quand on lit la déclaration de M. Jospin, c'est qu'il veut une France comme vous dites, sûre, avec du travail, forte, autrement dit exactement le contraire de ce qu'il a fait pendant cinq ans."
Plus de travail, quand même, le chômage a baissé....
- "Oui, mais vous savez bien qu'il repart, alors, ne reprenons pas ce genre de polémique. Non, pendant cinq années, on a l'impression qu'il s'est éloigné de l'objectif et, aujourd'hui, il propose d'aller en sens inverse. C'est toute l'ambiguïté, toute la duplicité, diraient certains, peut-être, de la candidature de M. Jospin. En réalité, c'est une question de modèle sur lequel les Français devront choisir."
Alors, quel modèle ? Vous pensez qu'il y a aujourd'hui deux modèles, celui de Jospin et celui de Chirac ? Quelle va être la place pour les autres candidats comme vous ? Est-ce que l'on ne risque pas aujourd'hui de se diriger finalement vers un affrontement entre deux personnes ?
- "Le premier tour sert à tout à fait autre chose. C'est une élection à deux tours. Alors, je sais bien que l'on essaie de gommer le premier tour pour aller directement au second, comme si les Français n'avaient le choix qu'entre les deux équipes ou les deux manières, les deux pratiques, que l'on a eues depuis 20 ans. Or, le résultat oblige à dire que depuis 20 ans, les problèmes de la France, que ceux qui nous écoutent connaissent bien, qu'ils connaissent dans leur propre vie, ces problèmes n'ont pas trouvé de réponse. Parce qu'il y a une France réelle qui est très éloignée de la France des déclarations de candidatures. Il y a des Français qui voient bien que leur insécurité grandit et ils le disent tous les jours et de manière presque obsessionnelle. Ils voient bien les difficultés de l'emploi. Ils voient bien que les 35 heures, par exemple à l'hôpital, cela ne marche pas comme on leur dit. Et de plus en plus, ils se sentent moins éloignés de ce que les responsables sortants disent. Je crois qu'il y a une autre espérance. Est-ce que l'on est condamné comme beaucoup le disent, à n'avoir le choix qu'entre ces deux équipes ou, au contraire, faut-il se servir du premier tour pour chercher un autre chemin ? Je crois que l'utilité du premier tour est précisément de regarder et de chercher une autre espérance pour la France. Si c'était cela, alors le printemps serait, je crois, très utile."
L. Jospin dit qu'il veut présider autrement, qu'il veut prendre des engagements qu'il tiendra. Si on lit entre les lignes, cela veut dire qu'il estime que J. Chirac ne l'a pas fait. Quel est votre avis là dessus ?
- "Qu'ils parlent entre eux ! Je n'ai aucune envie d'être commentateur de la campagne que M. L. Jospin et M. J. Chirac organisent l'un contre l'autre. Ma certitude, c'est que la France cherche autre chose que ces deux là."
Mais sur le fond, quand même...
- "Je pense que M. Jospin s'est trompé pendant cinq ans sur des sujets très importants - pas sur tout, mais il s'est trompé pendant cinq ans sur des sujets importants. Et il y a des millions et des millions de Français de l'opposition qui ont une autre appréciation, une autre attitude et une autre attente que celle de J. Chirac et de ceux qui l'entourent. Autrement dit, je résumerai ma position : je pense utile de battre Jospin et je pense nécessaire d'être libre à l'égard de J. Chirac."
Je reviens quand même à ma question : sur le fait qu'il faut tenir les engagements que l'on prend, c'est quand même une des demandes fondamentales des Français. Comment allez-vous faire pour respecter les engagements que vous prenez ?
- "Non seulement c'est une demande, mais c'est probablement le critère essentiel pour retrouver la confiance. Et ce que j'ai dit, c'est que les engagements que je prendrai, ils ne seront pas en l'air : je créerai une autorité, chargée de surveiller si les choses bougent sur les sujets où je me suis engagé ou pas. Un juge extérieur qui dira aux Français : [en matière de] chômage, illettrisme, sécurité, voilà comment les choses évoluent et bougent. Autrement dit, on ne laisse plus les politiques parler seulement entre eux en disant que "ce que fait l'autre camp est affreux, ce que je fais moi est formidable" - ce qui est le débat, pour simplifier, dans lequel nous vivons. On met, au nom des Français, une autorité qui dise : en effet, sur ce sujet, les choses s'améliorent et sur tel autre, elles ne bougent pas. Autrement dit, je propose de changer la règle du jeu. Vous voyez bien qu'avec cette règle du jeu, depuis 20 ans, on est dans une impasse, en tout cas sur les sujets importants. On n'a pas les améliorations que les Français sont en droit de demander. Changeons tranquillement la règle du jeu, au nom des Français ou donnons aux Français le moyen de savoir exactement où l'on en est. S'ils savent où l'on en est, ils aiguillonneront les hommes politiques pour que les choses changent."
Alors, justement, votre campagne a du mal à décoller. Dans les sondages, ce n'est pas très bon, comment expliquez-vous que votre message ne passe pas ?
- "Parce que la campagne n'est pas ouverte. Si je devais dire un seul mot sur l'entrée en lice de M. Jospin, je dirais : "Enfin" ! On avait une campagne à cache-cache. Enfin, on va avoir une campagne où les Français seront désormais en situation de juger, non pas des faux candidats mais des vrais, non pas des sortants bénéficiant de tous les avantages de l'apparat de l'Etat, mais des candidats dont on va pouvoir écouter la différence. Et j'espère qu'à cet instant là, lorsque les Français écouteront la différence, ils entendront cette espérance que j'appelle et que je porte."
On parlait des difficultés de votre campagne. Dans ces difficultés, il y a aussi le fait qu'il y a eu beaucoup de trahisons dans votre camp : il y a beaucoup de membres - et pas des moindres - de l'UDF, qui vous demandent d'arrêter, qui vous demandent de renoncer à votre candidature et qui voudraient se rallier d'ores et déjà à J. Chirac. Comment vivez-vous cela ?
- "Le renoncement est une tentation ou une pratique dont on souffre en France depuis 20 ans : on a renoncé devant la monté de la violence ; on a renoncé devant le chômage ; on a renoncé devant le fait d'apprendre à lire aux enfants. Eh bien, moi, je ne renoncerai pas, je ne pratiquerai pas le renoncement parce que, si on a peur des sondages, on n'est pas digne de gouverner la France."
Mais vous en voulez à ceux qui vous ont lâché ?
- "Ce n'est pas parce que l'on a un mauvais sondage deux mois avant une élection qu'il faut baisser les bras et s'en aller. Je vous le répète, il y a - et je le dis à mes amis aussi - des millions et des millions de Français qui attendent autre chose à droite et au centre que la, j'allais dire, sempiternelle candidature de J. Chirac. C'est la quatrième fois..."
Mais vous irez jusqu'au bout ?
- "J'irai jusqu'au bout et je porterai une espérance nouvelle. Et cette espérance, les Français l'entendront, parce qu'ils l'attendent."
Et au deuxième tour, vous appellerez à voter pour J. Chirac ? C'est clair, d'ores et déjà ?
- "Je veux que le deuxième tour soit différent de ce que vous annoncez, mais pour le reste, je ne trahirai pas mon camp parce que je pense qu'il faut de la clarté et, quant à moi, je pratique la loyauté. Mais, ce deuxième tour n'est pas le deuxième tour porteur d'une vraie espérance et je vais le montrer pendant cette campagne."
(Source :Premier ministre,Service d'information du gouvernement, le 21 février 2002)