Texte intégral
Q - Bonjour Hubert Védrine. Au Proche-Orient, en vingt-quatre heures, il y a eu une vingtaine de Palestiniens tués, une dizaine d'Israéliens tués aussi, et des missiles lancés à quelques mètres du bureau de Yasser Arafat. Israël n'avait jamais frappé aussi près du président palestinien...
R - Dans l'annonce des titres, vous disiez : "La guerre au Proche-Orient". Je crois que c'est le terme exact.
Q - Quelle est votre opinion sur le fait que, décidément, Israël continue de considérer Yasser Arafat comme responsable des actes de violence ?
R - Dans cette affaire, je voudrais rappeler notre objectif : il s'agit d'arriver à ce que deux Etats puissent vivre en sécurité et cohabiter. Il s'agit de sortir de cette situation effroyable qui s'aggrave chaque jour, dans laquelle les Israéliens vivent dans l'insécurité et l'angoisse permanente, tandis que les Palestiniens vivent dans des conditions littéralement abominables, ce qui fait qu'ils n'ont plus rien à perdre et qu'ils sont prêts à tout. C'est de cette situation qu'il faut sortir. C'est pour cela que la France a présenté des idées, de même que les Allemands et les Italiens. Ce sont des idées européennes. Il s'agit de tenter de sortir de ce piège et de redonner un contenu au volet politique qui a complètement disparu.
Q - Cela ne semble absolument pas crédible actuellement ?
R - Je pense que c'est crédible parce que cela s'imposera un jour ou l'autre, et que la voie purement répressive ne peut conduire qu'à l'aggravation permanente. J'observe qu'un débat se développe en Israël, que des gens aussi importants que le président de la Knesset s'interrogent à voix haute sur la pertinence de cette politique. Même au sein de l'armée et de la presse israélienne des gens s'interrogent.
Cela fait plus d'un an que cette politique de répression militaire est menée. Elle n'apporte pas aux Israéliens la sécurité alors que la sécurité pour les Israéliens est aussi fondamentale dans notre démarche et notre action que des conditions de vie dignes pour les Palestiniens dans un Etat. Comment sortir de ce piège ? C'est à cette question que les Européens travaillent en ce moment.
Q - Les Européens unis sur des propositions d'élections en Palestine, par exemple ? C'est une proposition française.
R - Les Européens sont d'accord sur le fait que la solution est un Etat palestinien coexistant pacifiquement et démocratiquement avec Israël, respectant Israël, les deux Etats étant en sécurité. Tout le monde est d'accord là-dessus.
Sur la technique immédiate, nous discutons parce qu'il y a deux approches en Europe. Il y a ceux qui pensent qu'il faut quand même continuer à avoir le même raisonnement que Sharon, qui est : "Rétablissons d'abord la sécurité avant d'ouvrir peut-être une négociation"...
Q - ...les Anglais, par exemple ?
R - Les Anglais. L'autre versant, maintenant majoritaire, défendu fortement par l'Espagne à la tête de l'Union européenne, - par nous aussi - est l'idée que l'on n'arrivera jamais à rétablir la sécurité s'il n'y a en même temps aucune perspective politique. En schématisant, nous disons qu'il faut revenir à la politique de Rabin, qui est d'être aussi énergique dans la lutte contre le terrorisme que dans la recherche de la paix.
Q - Est-ce qu'à votre avis le soutien américain à Ariel Sharon bloque toute évolution vers cette solution politique ?
R - Ce soutien encourage Ariel Sharon à rester dans une ligne qui ne peut conduire qu'à une impasse stratégique, même si l'armée israélienne est très forte. Mais c'est d'Israël que l'interrogation viendra, parce que ce sont les Israéliens qui sont en première ligne, qui sont confrontés au problème, donc au blocage. Je vois que dans la société israélienne quelque chose s'est remis en marche. Il y a une interrogation à ce sujet.
Q - Je parlais des Américains. Vous avez eu un réel succès en parlant du "simplisme américain" qui est de ramener tous les problèmes du monde à la seule lutte contre le terrorisme. Ce mot n'a pas plu du tout aux dirigeants américains. Colin Powell, le chef de la diplomatie, s'est demandé si vous aviez des "vapeurs". Le président Bush, à Tokyo, a trouvé cette réplique intéressante. Que répondez-vous ? Avez-vous des vapeurs ?
R - Powell nous a dit que cela avait été mal traduit. Cela signifie que l'on s'échauffe trop. D'ailleurs, il a ensuite cherché à atténuer en disant : "Nous nous sommes tous échauffés les uns les autres, il faut maintenir le dialogue."
Q - George Bush a trouvé que c'était une idée intéressante...
R - Il est normal qu'il défende son secrétaire d'Etat. Mais comme je l'ai dit avant-hier, ce sont des "échanges virils" entre amis. Cela n'empêche pas que l'on se parle. Sur le fond du sujet, vous avez noté qu'il y a une dizaine de responsables européens...
Q - Qui ont repris le mot, ou l'idée en tout cas ?
R - Qui ont repris le mot, qui se sont exprimés ou qui ont fait part de leur inquiétude sur tel ou tel aspect de la politique américaine : ses aspects globaux, la question du Proche-Orient, l'aspect iraquien ou des problèmes plus particuliers, comme Guantanamo. De toute l'Europe remonte l'idée qu'en fait nous souhaitons un partenariat avec les Etats-Unis. Nous souhaitons qu'ils considèrent leurs alliés comme des partenaires. Nous ne souhaitons pas qu'ils se désengagent mais plutôt qu'ils se réengagent dans la gestion multilatérale du monde. Nous constatons que, sur plusieurs points depuis quelques mois, nous n'avons pas la même approche. Les Américains ne veulent pas soutenir le Protocole de Kyoto contre le réchauffement ; ils sont contre la cour pénale ; ils se sont retirés du Traité ABM ; ils sont contre le traité contre les mines antipersonnel, etc... C'est pour cela qu'il y a eu tellement de réactions en Europe. Ce n'est pas du tout un épisode franco-américain mais plutôt un épisode euro-américain.
Q - Il n'empêche que l'ambassadeur de France à Washington a été convoqué au département d'Etat.
R - Non, c'est faux. Il avait un rendez-vous parce qu'une diplomate américaine lui avait demandé de passer le voir pour préparer un voyage qu'elle faisait en Europe. Elle est d'ailleurs à Paris aujourd'hui, où elle est bien sûr la bienvenue, parce que nous souhaitons discuter.
Q - On ne peut donc pas parler d'un différend diplomatique ?
R - Il y a des désaccords sur certaines choses. Mais comme l'a dit Joschka Fischer : "Etre des alliés, cela ne veut pas dire être des satellites". Ce n'est pas parce que nous sommes des alliés des Etats-Unis et que nous sommes absolument engagés dans la lutte contre le terrorisme - tous ensemble, parce que ce combat est vital pour nous tous - que le débat doit s'arrêter.
Q - Les Américains peuvent comprendre cela ?
R - Je le souhaite. C'est indispensable.
Q - Quand ils parlent de "l'axe du mal", ce mot choisi par George Bush ?
R - C'est une rhétorique américaine. Ce ne sont pas nos mots à nous. Il n'empêche qu'il y a des sujets sur lesquels il faut qu'on parle. Comment mener la lutte contre le terrorisme ? Comment s'attaquer à sa racine ? Comment traiter la question des armes de destruction massive, la prolifération ?
George Bush est à la frontière des deux Corée. Les dirigeants de Corée du Sud avaient, à notre avis, une politique très intelligente par rapport à la Corée du Nord. Nous continuons à penser qu'il faut plutôt les encourager dans ce traitement intelligent, pour résorber petit à petit le problème de la Corée du Nord. Il y a beaucoup de choses à discuter. Nous sommes dans une alliance. Nous souhaitons pouvoir parler entre alliés, sans que cela ait l'air choquant ou bizarre. Il est normal de parler sur des sujets de fond.
Q - Je termine sur un dernier sujet. Dans quelques jours encore, Lionel Jospin sera candidat à l'élection présidentielle, tout comme Jacques Chirac. Cela ne va pas simplifier la cohabitation ?
R - Je pense que la cohabitation fonctionnera correctement jusqu'au bout. Nous nous y sommes engagés. Nous l'avons fait depuis juin 1997. Je crois que la voix de la France se fera entendre avec clarté et fermeté, y compris dans cette période électorale. C'est l'engagement du Premier ministre, c'est l'engagement du président de la République. Pour le reste, c'est la campagne et chacun développera dans la liberté, devant tous les Français, ses propositions pour la France dans la période 2002-2007, ce que nous pouvons être et faire dans le monde.
Q - Vous-même, vous allez participer à la campagne électorale de Lionel Jospin activement ?
R - J'apporterai, évidemment, de toutes les façons utiles, mon soutien à Lionel Jospin pour étayer, développer, expliquer les propositions qui seront faites sur ce que devrait être la politique étrangère de la France, ce que doit être la crédibilité du président français dans le monde des années qui viennent.
Q - Vous souhaitez que Lionel Jospin se déclare le plus rapidement possible ?
R - C'est à lui de voir.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 février 2002)
R - Dans l'annonce des titres, vous disiez : "La guerre au Proche-Orient". Je crois que c'est le terme exact.
Q - Quelle est votre opinion sur le fait que, décidément, Israël continue de considérer Yasser Arafat comme responsable des actes de violence ?
R - Dans cette affaire, je voudrais rappeler notre objectif : il s'agit d'arriver à ce que deux Etats puissent vivre en sécurité et cohabiter. Il s'agit de sortir de cette situation effroyable qui s'aggrave chaque jour, dans laquelle les Israéliens vivent dans l'insécurité et l'angoisse permanente, tandis que les Palestiniens vivent dans des conditions littéralement abominables, ce qui fait qu'ils n'ont plus rien à perdre et qu'ils sont prêts à tout. C'est de cette situation qu'il faut sortir. C'est pour cela que la France a présenté des idées, de même que les Allemands et les Italiens. Ce sont des idées européennes. Il s'agit de tenter de sortir de ce piège et de redonner un contenu au volet politique qui a complètement disparu.
Q - Cela ne semble absolument pas crédible actuellement ?
R - Je pense que c'est crédible parce que cela s'imposera un jour ou l'autre, et que la voie purement répressive ne peut conduire qu'à l'aggravation permanente. J'observe qu'un débat se développe en Israël, que des gens aussi importants que le président de la Knesset s'interrogent à voix haute sur la pertinence de cette politique. Même au sein de l'armée et de la presse israélienne des gens s'interrogent.
Cela fait plus d'un an que cette politique de répression militaire est menée. Elle n'apporte pas aux Israéliens la sécurité alors que la sécurité pour les Israéliens est aussi fondamentale dans notre démarche et notre action que des conditions de vie dignes pour les Palestiniens dans un Etat. Comment sortir de ce piège ? C'est à cette question que les Européens travaillent en ce moment.
Q - Les Européens unis sur des propositions d'élections en Palestine, par exemple ? C'est une proposition française.
R - Les Européens sont d'accord sur le fait que la solution est un Etat palestinien coexistant pacifiquement et démocratiquement avec Israël, respectant Israël, les deux Etats étant en sécurité. Tout le monde est d'accord là-dessus.
Sur la technique immédiate, nous discutons parce qu'il y a deux approches en Europe. Il y a ceux qui pensent qu'il faut quand même continuer à avoir le même raisonnement que Sharon, qui est : "Rétablissons d'abord la sécurité avant d'ouvrir peut-être une négociation"...
Q - ...les Anglais, par exemple ?
R - Les Anglais. L'autre versant, maintenant majoritaire, défendu fortement par l'Espagne à la tête de l'Union européenne, - par nous aussi - est l'idée que l'on n'arrivera jamais à rétablir la sécurité s'il n'y a en même temps aucune perspective politique. En schématisant, nous disons qu'il faut revenir à la politique de Rabin, qui est d'être aussi énergique dans la lutte contre le terrorisme que dans la recherche de la paix.
Q - Est-ce qu'à votre avis le soutien américain à Ariel Sharon bloque toute évolution vers cette solution politique ?
R - Ce soutien encourage Ariel Sharon à rester dans une ligne qui ne peut conduire qu'à une impasse stratégique, même si l'armée israélienne est très forte. Mais c'est d'Israël que l'interrogation viendra, parce que ce sont les Israéliens qui sont en première ligne, qui sont confrontés au problème, donc au blocage. Je vois que dans la société israélienne quelque chose s'est remis en marche. Il y a une interrogation à ce sujet.
Q - Je parlais des Américains. Vous avez eu un réel succès en parlant du "simplisme américain" qui est de ramener tous les problèmes du monde à la seule lutte contre le terrorisme. Ce mot n'a pas plu du tout aux dirigeants américains. Colin Powell, le chef de la diplomatie, s'est demandé si vous aviez des "vapeurs". Le président Bush, à Tokyo, a trouvé cette réplique intéressante. Que répondez-vous ? Avez-vous des vapeurs ?
R - Powell nous a dit que cela avait été mal traduit. Cela signifie que l'on s'échauffe trop. D'ailleurs, il a ensuite cherché à atténuer en disant : "Nous nous sommes tous échauffés les uns les autres, il faut maintenir le dialogue."
Q - George Bush a trouvé que c'était une idée intéressante...
R - Il est normal qu'il défende son secrétaire d'Etat. Mais comme je l'ai dit avant-hier, ce sont des "échanges virils" entre amis. Cela n'empêche pas que l'on se parle. Sur le fond du sujet, vous avez noté qu'il y a une dizaine de responsables européens...
Q - Qui ont repris le mot, ou l'idée en tout cas ?
R - Qui ont repris le mot, qui se sont exprimés ou qui ont fait part de leur inquiétude sur tel ou tel aspect de la politique américaine : ses aspects globaux, la question du Proche-Orient, l'aspect iraquien ou des problèmes plus particuliers, comme Guantanamo. De toute l'Europe remonte l'idée qu'en fait nous souhaitons un partenariat avec les Etats-Unis. Nous souhaitons qu'ils considèrent leurs alliés comme des partenaires. Nous ne souhaitons pas qu'ils se désengagent mais plutôt qu'ils se réengagent dans la gestion multilatérale du monde. Nous constatons que, sur plusieurs points depuis quelques mois, nous n'avons pas la même approche. Les Américains ne veulent pas soutenir le Protocole de Kyoto contre le réchauffement ; ils sont contre la cour pénale ; ils se sont retirés du Traité ABM ; ils sont contre le traité contre les mines antipersonnel, etc... C'est pour cela qu'il y a eu tellement de réactions en Europe. Ce n'est pas du tout un épisode franco-américain mais plutôt un épisode euro-américain.
Q - Il n'empêche que l'ambassadeur de France à Washington a été convoqué au département d'Etat.
R - Non, c'est faux. Il avait un rendez-vous parce qu'une diplomate américaine lui avait demandé de passer le voir pour préparer un voyage qu'elle faisait en Europe. Elle est d'ailleurs à Paris aujourd'hui, où elle est bien sûr la bienvenue, parce que nous souhaitons discuter.
Q - On ne peut donc pas parler d'un différend diplomatique ?
R - Il y a des désaccords sur certaines choses. Mais comme l'a dit Joschka Fischer : "Etre des alliés, cela ne veut pas dire être des satellites". Ce n'est pas parce que nous sommes des alliés des Etats-Unis et que nous sommes absolument engagés dans la lutte contre le terrorisme - tous ensemble, parce que ce combat est vital pour nous tous - que le débat doit s'arrêter.
Q - Les Américains peuvent comprendre cela ?
R - Je le souhaite. C'est indispensable.
Q - Quand ils parlent de "l'axe du mal", ce mot choisi par George Bush ?
R - C'est une rhétorique américaine. Ce ne sont pas nos mots à nous. Il n'empêche qu'il y a des sujets sur lesquels il faut qu'on parle. Comment mener la lutte contre le terrorisme ? Comment s'attaquer à sa racine ? Comment traiter la question des armes de destruction massive, la prolifération ?
George Bush est à la frontière des deux Corée. Les dirigeants de Corée du Sud avaient, à notre avis, une politique très intelligente par rapport à la Corée du Nord. Nous continuons à penser qu'il faut plutôt les encourager dans ce traitement intelligent, pour résorber petit à petit le problème de la Corée du Nord. Il y a beaucoup de choses à discuter. Nous sommes dans une alliance. Nous souhaitons pouvoir parler entre alliés, sans que cela ait l'air choquant ou bizarre. Il est normal de parler sur des sujets de fond.
Q - Je termine sur un dernier sujet. Dans quelques jours encore, Lionel Jospin sera candidat à l'élection présidentielle, tout comme Jacques Chirac. Cela ne va pas simplifier la cohabitation ?
R - Je pense que la cohabitation fonctionnera correctement jusqu'au bout. Nous nous y sommes engagés. Nous l'avons fait depuis juin 1997. Je crois que la voix de la France se fera entendre avec clarté et fermeté, y compris dans cette période électorale. C'est l'engagement du Premier ministre, c'est l'engagement du président de la République. Pour le reste, c'est la campagne et chacun développera dans la liberté, devant tous les Français, ses propositions pour la France dans la période 2002-2007, ce que nous pouvons être et faire dans le monde.
Q - Vous-même, vous allez participer à la campagne électorale de Lionel Jospin activement ?
R - J'apporterai, évidemment, de toutes les façons utiles, mon soutien à Lionel Jospin pour étayer, développer, expliquer les propositions qui seront faites sur ce que devrait être la politique étrangère de la France, ce que doit être la crédibilité du président français dans le monde des années qui viennent.
Q - Vous souhaitez que Lionel Jospin se déclare le plus rapidement possible ?
R - C'est à lui de voir.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 février 2002)