Interview de M. Olivier Besancenot, candidat de la Ligue communiste révolutionnaire à l'élection présidentielle de 2002, à "France Inter" le 20 mars 2002, sur la place de l'extrême gauche dans la campagne électorale.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli
L. Jospin saura-t-il aller gagner lui-même les voix de l'extrême gauche, ainsi que vous lui recommandez de le faire ? La montée régulière dans les sondages d'A. Laguiller - "Arlette à Malibu", titre avec malice aujourd'hui Le Canard Enchaîné - inquiète-t-elle le Parti socialiste et le PC ?
Que dites-vous de l'analyse que vient de faire D. Bromberger sur le fait que la droite, voire même que l'extrême droite d'ailleurs, commence à pousser de plus en plus fortement en Europe ?
- "Je crois que malheureusement l'extrême droite, y compris en France, est en train de faire un retour en force, tout simplement parce qu'il y a une dérive sécuritaire, qu'on est en train d'essayer de nous faire croire que la question de l'insécurité serait la question unique de ces élections. C'est-à-dire que du coup, Le Pen n'a pratiquement plus à dire un seul mot pour rafler la mise politique, étant donné que malheureusement, c'est sur son terrain qu'est en train de s'organiser toutes les discussions de ces élections. Donc, nous, on serait pour remettre au cur des débats, la priorité qui est pour nous la préoccupation de millions de personnes dans ce pays, c'est-à-dire la question de l'urgence sociale."
Mais sur la question de l'urgence sociale, est-ce que vous n'avez pas tendance à considérer que là aussi le débat se fait surtout au centre, autant du coté de L. Jospin que de celui de J. Chirac aujourd'hui ?
- "Je regrette encore la déclaration de L. Jospin hier, qui fait un mea culpa une fois de plus par rapport à J. Chirac ; je pense qu'il pourrait avoir un mot de temps en temps pour ces salariés qui ont été licenciés, ceux de Moulinex que j'ai pu voir hier soir à Alençon, qui sont quand même 800 à être restés sur le carreau. Ces salariés de Michelin qui avaient été licenciés alors que leur entreprise faisait des bénéfices, qui avaient fait appel au Gouvernement, qui s'était présenté pour dire qu'il ne pouvait rien faire. Eh bien, je crois qu'un vrai gouvernement de gauche, ça serait un gouvernement qui ne se présenterait pas devant les téléspectateurs pour chaque fois nous expliquer, comme il y a quelques semaines, le patronat n'a pas à se plaindre de sa politique, puisque c'était visiblement la seule préoccupation à l'époque de L. Jospin, ou avoir cet unique regret - la dernière fois qu'il était passé une fois de plus à la télévision, c'est de nous expliquer que son seul regret, c'est l'insécurité. Eh bien, non, aujourd'hui, pour nous - et c'est ce qu'on essaie de défendre -, un gouvernement de gauche devrait pointer le bout de son nez quand il y a des plans dits "sociaux" qui, en réalité, laissent sur le carreau des dizaines de milliers de travailleurs comme de vulgaires Kleenex et qui broient des régions entières."
Mais vous nous dites au fond qu'il y a plus que les trotskistes pour faire un programme de gauche en France ?
- "Non, vous savez, il y a de plus en plus de gens à gauche, sans être révolutionnaires, qui demandent justement une politique sociale, qui demandent par exemple une loi qui interdirait les licenciements, qui le font savoir dans la rue en descendant de plus en plus massivement, même si c'est insuffisant par rapport à ce qu'il faudrait. On l'a vu au mois de juin dernier. On le voit aujourd'hui avec des jeunes salariés précaires. Et puis, je crois qu'aujourd'hui, il y a de plus en plus d'électeurs de gauche tout simplement qui sont déboussolés par la politique de ce Gouvernement, qui voudraient par exemple qu'une fois de plus l'Etat impose aux actionnaires le maintien de l'emploi et de l'activité industrielle sur une région, sous peine de récupérer - c'est vrai que c'est du chantage - les subventions publiques et autres allégements de cotisations sociales qui sont en général largement distribués."
Vous vous êtes élancé avec énergie et avec la fraîcheur de vos 27 ans dans cette campagne présidentielle, mais à quoi sert-elle votre campagne, au fond ? Parce que vous savez bien que vous allez faire un petit score... A quoi ça va servir tout ce que vous dites et tout ce que vous faites en ce moment ?
- "Si on arrive à faire déjà une démonstration, c'est qu'on peut être effectivement et jeune et salarié - parce qu'à ma connaissance je suis quand même le seul candidat qui travaille, je serais le seul à ne pas retourner sur les bancs de l'Assemblée nationale à la fin de cette campagne..."
Au passage, licencié en histoire et postier à Neuilly, c'est la démonstration d'une difficulté justement qu'ont les jeunes à trouver du travail à la mesure de leur formation, par exemple ?
- "Quand il y a quatre ans effectivement, quand je suis rentré à La Poste, c'était ces hangars, si vous vous en souvenez qui étaient remplis de 30-40.000 jeunes pour 1.000 ou 2.000 places, qui sont effectivement à ces jeux-là les plus diplômés qui passent. Et pour vous donner un exemple, dans mon premier bureau de poste où j'ai commencé comme facteur, je n'étais pas le plus diplômé de la bande. Et je crois qu'effectivement, avec le contexte actuel, la question de l'emploi là aussi redevient la préoccupation de millions de jeunes aujourd'hui qui font leurs études et puis qui, en plus de faire leurs études, souvent travaillent à côté. Et quand ils travaillent à côté ils sont en plus obligés de faire grève, comme c'est le cas actuellement à la Fnac ou chez McDonald's à Paris, tout simplement pour faire respecter le code du travail et pour tout simplement ne pas être considéré comme de vulgaires Kleenex là aussi. "
A quoi répond votre candidature ? Pour quoi faire ou pour quoi dire ?
- "D'abord, cette démonstration, une fois de plus prouver qu'on peut défendre des idées sans être un politicien professionnel, y compris aux élections présidentielles, qu'on peut faire de la politique sans vouloir nécessairement en vivre ; et puis donner l'occasion à des millions de salariés peut-être, et plus particulièrement des jeunes, de sanctionner à gauche la politique du Gouvernement, c'est-à-dire envoyer un signal fort, que tout simplement ce Gouvernement nous prononce au moins une phrase de gauche dans cette campagne. Quand L. Jospin nous explique tout à coup - parce qu'ils seront bien obligés à un moment donné de se retourner vers l'électorat de gauche, même s'il ne se dit plus socialiste -, quand il nous parle de "zéro SDF dans cinq ans", eh bien, il ferait mieux de commencer par appliquer la loi ..."
Vous y croyez ? C'est un slogan ou c'est un vrai projet politique, "zéro SDF" ?
- "En tout les cas, ça devrait être une vraie préoccupation et ça aurait du déjà être celle d'un gouvernement de gauche. Et il pourrait le faire avec quelque chose de très simple, c'est-à-dire appliquer la loi. C'est-à-dire arrêter les expulsions et surtout appliquer la loi des réquisitions des logements vides. C'est la loi. Et appliquer la loi aujourd'hui, ça ferait tout simplement qu'il n'y ait plus ces dizaines de milliers de familles qui aujourd'hui sont obligées de jouer au chat à la souris avec les Renseignements généraux, aux côtés d'organisations comme le Droit Au Logement, pour trouver un toit, alors qu'il y a un logement sur dix à Paris qui est vide par exemple. Donc, plutôt effectivement que de trouver des grands slogans auprès des grandes boites de communications, il y a une mesure de gauche toute bête, qui n'est même pas à promettre, qui est tout simplement à appliquer."
Mais quand vous recommandez à L. Jospin d'aller chercher lui-même ses voix à gauche, cela veut dire que vous ne donnez pas de consignes de vote pour le deuxième tour ?
- "Cela veut dire qu'effectivement, on ne donne pas de consignes de vote au deuxième tour. Cela ne veut pas dire que pour nous, gauche et droite, c'est la même chose. Je pense, pour dire franchement, que J. Chirac devrait être devant le juge Halphen et pas devant les électeurs. Moi-même, à la loupe, je n'ai jamais trouvé un cortège du RPR dans les manifestations populaires, alors qu'on retrouve les électeurs, les militants, les sympathisants de gauche, donc nous on dit effectivement que c'est à Jospin d'aller gagner ses voix chez les salariés de Moulinex, chez les Danone, chez les postiers, chez les salariés d'EDF qui ont été privatisés cette semaine. On ne l'empêche pas d'aller gagner ses élections. Donc, on ne votera pas Chirac. Cela veut dire concrètement qu'il y en a qui voteront Besancenot au premier tour, qui voteront à gauche au deuxième. Il y en a qui ne le feront pas. Je n'irais ni chez les uns ni chez les autres pour les forcer à faire quoi que ce soit, d'autant plus que les électeurs ne sont pas des petits soldats - et c'est tant mieux d'ailleurs."
Comment concevez-vous la place que l'extrême gauche commence à tenir dans cette présidentielle - j'allais dire, au fond, sa place stratégique ? Parce que si on additionne Lutte Ouvrière et A. Laguiller qui montent régulièrement, le Parti des travailleurs et vous, ça va faire un petit peu plus de 10%, même pourquoi pas 11%. C'est beaucoup. Quel rôle vous entendez jouer maintenant ? Est-ce que d'ailleurs, on peut envisager une sorte de regroupement de ces trois mouvements ?
- "Je crois qu'effectivement la poussée de l'extrême gauche, depuis plusieurs années maintenant, que ce soit depuis les élections régionales, européennes, municipales et y compris peut-être à ces élections, même si le vrai seul sondage qui comptera c'est quand même celui du 21 avril prochain, est la confirmation justement d'une efficacité. L'efficacité, c'est envoyer un signal fort une fois de plus à ceux qui nous gouvernent et d'essayer d'envoyer aussi un signal fort à surtout ceux qui ont lancé en premier leur vraie campagne présidentielle depuis plusieurs mois, qui sont omniprésents au niveau social mais aussi au niveau politique, c'est-à-dire le baron Seillière, c'est-à-dire le Medef, un Medef qui est en train de rédiger mot à mot le programme de la droite et qui inspire malheureusement le programme de la gauche plurielle. Donc, oui, effectivement, ce sera aussi un encouragement pour les mobilisations..."
Mobilisations de quelle nature ?
- "Des mobilisations sociales, celles que l'on peut voir des salariés aujourd'hui, que ce soit pour leur salaire, que ce soit contre les licenciements ou même contre la "marchandisation" des services publics, mais aussi ces grandes mobilisations qui sont historiques, contre la mondialisation libérale, dont on nous avait annoncés la fin pendant la guerre en Afghanistan et qui se sont confirmées à Bruxelles, à Porto Alegre et à Barcelone - il y avait plus de 350.000 personnes dans la rue, des syndicalistes et majoritairement beaucoup de jeunes. On était 200.000 dans les rues de Gênes, plus encore à Barcelone et je crois qu'il y a une déferlante aujourd'hui, il y a quelque chose de nouveau, de neuf, qui ne règle pas tous les problèmes, mais pour nous c'est un formidable espoir et encouragement à aller plus loin évidemment."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 mars 2002)