Interview de M. Charles Josselin, ministre de la coopération, dans "Al Bayane" du 21 juin 1999, sur la réforme de la politique de coopération française, l'intégration du Maroc dans la Zone de solidarité prioritaire de la coopération française, le bilan des politiques d'aide au retour et de stabilisation des risques migratoires, l'avenir du co-développement.

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Circonstance : Voyage officiel de M. Josselin au Maroc les 18 et 19 juin 1999-clôture de la XVIIème session du COCEP (Comité permanent d'études et de programmation) franco-marocain, à Rabat (Maroc) le 18

Média : Al Bayane

Texte intégral

Q - Monsieur Josselin, s'il est une idée reçue, c'est bien qu'un gouvernement présidé par un homme de même sensibilité politique augmente automatiquement les possibilités d'accroissement de l'aide. Est-ce le cas aujourd'hui entre les gouvernements Jospin et Youssoufi ?
R - L'aide est déjà à un très haut niveau. Il est vrai que l'an dernier, dans le cadre d'une première rencontre entre les Premiers ministres, M. Youssoufi et Jospin, une nouvelle ligne de crédit avait été annoncée notamment pour aider au développement des petites et moyennes entreprises. Je pense aussi à une reconversion de la dette en investissements. Mais nous avons surtout l'intention de donner à cette coopération une plus grande efficacité et une meilleur lisibilité par une évaluation continue et nous entendons nous donner les moyens de faire en sorte que cette coopération réponde plus étroitement aux priorités du gouvernement marocain, mais surtout qu'elle associe mieux la société civile. Quand je dis la société civile, je pense aux entreprises, aux ONG, aux collectivités locales car il s'agit là de nouveaux partenaires en coopération qui peuvent certainement donner à notre relation plus d'épaisseur encore.
Nous avons, au cours de ces derniers jours, ciblé quelques points d'appui de notre coopération qui, jusqu'alors, avaient été moins pris en compte. Je pense à l'aménagement du territoire qui répond à la volonté du gouvernement marocain de développer des espaces qui sont en plus grande difficulté et nous avons bien l'intention de les aider. C'est d'ailleurs probablement ce domaine de l'aménagement du territoire qui pourrait faire l'objet d'un fonds d'aide et de coopération mobilisable très rapidement et j'espère que ce dossier sera bouclé avant la prochaine réunion des Premiers ministres qui se tiendra en novembre.
Q - MM. Youssoufi, Oualalou et Benaïssa ont été vos principaux interlocuteurs lors de votre brève visite à Rabat. Peut-on dire que le débat sur la reconversion d'une partie de la dette marocaine, déjà entamé à Paris lors de la visite de M. Youssoufi, a enregistré des avancées ?
R - S'il est vrai que mes entretiens avec MM. Youssoufi et Oualalou ont été importants, je ne vais pas oublier l'entretien que j'ai eu, pour commencer, avec le ministre des Affaires étrangères puisque c'est mon interlocuteur naturel. Les entretiens que j'ai eus avec l'ensemble des interlocuteurs m'ont convaincu que le Maroc entend, avec détermination, poursuivre les réformes engagées, que chacun est conscient du besoin qu'il y a de répondre à un certain nombre de revendications sociales. Le Premier ministre y a particulièrement insisté. Ceci me paraît d'autant plus important que nous sommes très attentifs et assez admiratifs, il faut le dire, quant à la manière dont le Maroc gère sa transition. C'est important pour le Maroc et c'est important pour l'exemple donné par le Maroc à d'autres pays. Je voulais y insister. La France y trouve une raison de plus pour entretenir avec le Maroc des relations privilégiées. La démocratie et les Droits de l'Homme y trouvent aussi leur compte et la France est également attentive à ces aspects. Je n'oublie pas non plus, la présence au Maroc d'une importante communauté française qui a elle-même intérêt à ce que le Maroc se porte bien à tous égards, que ce soit au plan économique ou que ce soit au plan social. Bref, c'est mon premier voyage au Maroc en tant que ministre de la Coopération et j'espère bien que c'est le début d'une série d'échanges que nous organiserons ici ou en France. Vous n'êtes pas sans savoir l'attachement du ministre de l'Economie et des Finances français, Dominique Strauss-Kahn, à ce pays dont il dit qu'il est un peu le sien.
Q - Vous avez un message à lui transmettre de la part de M. Oualalou ?
R - Le message que je vais lui transmettre, c'est la volonté exprimée par chacun d'une relation plus suivie encore, si possible, avec la France. Je transmettrai aussi quelques dossiers plus particuliers que M. le ministre marocain de l'Economie et des Finances, en particulier, a souhaité m'exposer aujourd'hui pour tenir compte, par exemple, de la situation que la sécheresse va nécessairement provoquer et qui peut justifier d'une attention particulière. Mais j'ai un regret que je me permets d'exprimer ici, c'est de devoir repartir sitôt samedi, mais j'espère revenir rapidement.
Q - La réforme de la coopération française, mise en place en février dernier, a placé le Maroc dans la Zone de solidarité prioritaire. Comment cela se traduit-il ?
R - Vous savez que la coopération française s'organisait surtout en direction de ce qu'on appelait l'Afrique francophone. Nous avons fait le choix d'ouvrir cette coopération à l'ensemble des pays dont la situation économique justifie une solidarité particulière et aussi des pays avec lesquels la France peut, pour des raisons stratégiques, vouloir coopérer davantage. On s'est ouvert à toute l'Afrique, encore fallait-il marquer notre solidarité avec des pays auxquels l'histoire nous lie davantage. Nous avons créé cette zone de solidarité prioritaire et nous avons fait le choix d'y inscrire le Maroc même si, si on s'en tient aux statistiques, le Maroc offre, évidemment, une situation sensiblement différente de celle des pays de l'Afrique sub-saharienne. Ce faisant, nous avons d'abord voulu marquer notre volonté de préserver notre relation avec le Maroc, mais aussi d'offrir à ce pays la possibilité d'utiliser toute la gamme des outils de coopération et en particulier un Fonds d'aide à la coopération, qui est réservé aux pays de la ZSP et dont le Maroc n'aurait pas pu profiter s'il n'avait pas été dans cette Zone de solidarité prioritaire. Nous pensons que l'un des tout premiers projets qui pourraient être montés dans le cadre de ce Fonds d'aide et de coopération, concerne justement l'aménagement du territoire et en particulier le développement du Nord du Maroc qui est une zone qui mérite des soins particuliers.
Q - La politique du co-développement semble avoir été un échec du gouvernement marocain refuse ce qu'on appelle un simple "contrat de retour au pays d'origine" et propose en échange la mise en place conjointe de projets de développement et de promotion locaux à même de stabiliser les populations à risque migratoire. Le ministre marocain de l'Emploi et de la Solidarité le déclarait il y a quelques jours au journal "Le Monde". Comment réagissez-vous à cette proposition ?
R - Je ne crois pas qu'il faille opposer le développement ici et éventuellement l'aide au retour. Il faut simplement prendre la mesure d'une réalité : ce n'est pas seulement l'aide au retour qui suffira pour organiser le développement. Mais je pense que nous pouvons conjuguer les deux. Et je le répète, c'est d'abord en aidant au développement, par exemple au Nord du Maroc, que nous pourrons probablement convaincre les Marocains à participer au développement du Maroc plutôt que de venir forcément en France. Mais, si dans le même temps, des Marocains ont envie de participer au développement de leur pays en revenant avec une formation, avec quelques moyens supplémentaires dans le cadre d'un partenariat organisé entre les deux pays, c'est tant mieux.
Je crois que c'est le concept du co-développement qui mérite peut-être d'être mieux précisé, mieux défini. Cela éviterait ce constat d'échec que vous présentiez à l'instant alors que dans le même temps nous n'avons cessé d'aide au développement. C'est peut-être le mot qui a été mal choisi. Il mériterait d'être repensé...
Q - Donc pour vous c'est plus un problème de linguistique que de fond.
R - Je crois que l'on a mélangé deux concepts. Le problème migratoire est une chose et le problème du développement en est une autre. Les deux peuvent être liés mais ce n'est pas toujours ce qui s'est passé.
Q - Une dernière question si vous le permettez, Monsieur le Ministre. Avant, vous étiez Monsieur Afrique du gouvernement Jospin. Aujourd'hui, vous êtes Monsieur quoi ?
R - Je voudrais d'abord faire observer que Josselin l'Africain, ce n'est pas de moi ! Je l'ai vécu du reste positivement. L'Afrique continue d'occuper l'essentiel de mon temps même s'il est vrai que je suis en charge de l'action humanitaire : le Kosovo, la Macédoine et l'Albanie m'ont pas mal occupé ces derniers temps. Je voudrais faire remarquer que c'est toute l'Afrique, y compris la Méditerranée qui nous intéresse. Ce qui n'était pas le cas auparavant. C'est à ce niveau que je situe ma présence dans la réforme de la coopération que je viens de conduire. Hier, on aurait considéré que la coopération commençait en dessous du Sahara. En faisant cette réforme, nous avons en quelque sorte désenclavé l'Afrique francophone et considéré que désormais il fallait avoir une relations normale de partenariat avec l'ensemble des pays qui le souhaitent. Je crois que l'on peut dire que c'est un peu l'histoire coloniale qu'on a voulu refermer avec cette réforme de la coopération. Je pense que les pays africains - qui au début ont eu un peu peur en se disant qu'on va les oublier - se rendent compte qu'avec la Zone de solidarité prioritaire nous avons consolidé les relations. Ils s'aperçoivent que finalement il s'agit d'organiser une autre présence française. Lionel Jospin avait tenu à la caractériser à Bamako en disant ni ingérence ni indifférence. Et c'est cela la coopération.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 juin 1999)