Déclaration de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, en réponse à une question d'actualité sur les relations de la France avec les Etats-Unis, à l'Assemblée nationale le 20 février 2002.

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Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Madame la Député,
Compte tenu de nos liens historiques avec les Etats-Unis, de notre amitié pour le peuple américain, de notre alliance avec ce pays, de son rôle dans le monde, notre préférence va à la coopération avec lui dans un vrai partenariat. Ce n'est que lorsque cela s'avère impossible que nous marquons nos désaccords, ou que nous nous résolvons à agir sans lui, si possible avec nos partenaires européens.
Depuis 1997, ce gouvernement a démontré, à maintes reprises, notamment dans les Balkans, et quand le président Clinton s'engageait personnellement dans la recherche de la paix au Proche-Orient, que cet état d'esprit constructif était bien le sien. Depuis un an, les Etats-Unis ont pris, en matière internationale, un certain nombre de décisions que nous avons regrettées. Je pense à leur refus de ratifier la Cour pénale internationale, le protocole de Kyoto, le traité sur les mines antipersonnel. Je pense à leur retrait du traité ABM, à bien d'autres choses encore. Nous avons contesté ces décisions car elles ne correspondent pas à nos conceptions du monde mais nous avons gardé, à chaque fois, le sens de la mesure.
Depuis le 11 septembre, nous n'avons pas marchandé notre solidarité au peuple américain terriblement éprouvé. Nous avons été parmi les premiers à juger légitime et nécessaire la réaction américaine - qui d'ailleurs a été bien menée - contre Al Qaïda. La lutte contre le terrorisme est une impérieuse nécessité. Elle doit être poursuivie avec énergie. Nous y sommes résolus. Mais doit-on ramener tous les problèmes du monde à la seule lutte contre le terrorisme ? Est-ce que celle-ci ne doit être menée que par des moyens militaires, en ignorant ses causes et ses racines profondes ? C'est cela qui serait trop simpliste, dangereux et inefficace. Nous avons été plusieurs responsables européens à le dire, à nous en inquiéter. Les Américains s'en sont étonnés, mais comme l'a dit Joschka Fischer, les alliés ne sont pas des satellites. Comme l'a demandé José Maria Aznar, il est indispensable qu'il y ait un débat, notamment entre alliés, sur la forme que doit prendre dans la durée la lutte contre le terrorisme, ainsi que la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive qui posent un autre problème. Je l'avais déjà dit devant l'ONU, il faut compléter la coalition contre le terrorisme par une coalition pour un monde équitable.
Nous avons l'intention de participer à ce débat dans la clarté, dans un esprit de responsabilité et en y apportant nos propositions. La puissance exceptionnelle des Etats-Unis leur confère, selon nous, une responsabilité non moins exceptionnelle. Nous souhaitons qu'ils acceptent ce débat légitime et qu'ils se réengagent avec nous, comme le Premier ministre les y a appelés il y a quelques jours, dans une approche multilatérale et concertée des grands problèmes du monde. Il faut, certes, éradiquer le terrorisme, mais aussi la pauvreté, les injustices, les tragédies régionales, la gouvernance du monde qui sont notre monde commun. Pour notre part, c'est cette approche de la mondialisation que nous continuerons à promouvoir.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 février 2002)