Texte intégral
Le 9 avril, Lionel Jospin sera au Grand-Quevilly pour décliner ses propositions pour une France plus juste, la ville dont Laurent Fabius était maire avant de devenir ministre de l'économie et des finances. A cette occasion, Laurent Fabius nous a accordé une interview exclusive dans laquelle il évoque le contenu qu'il donne à une "France moderne". Pour lui, le "bon mot d'ordre pour entrer dans le 21ème siècle", c'est "discuter collégial, réformer partenarial".
1) Lionel Jospin sera demain dans votre ville de Grand-Quevilly pour évoquer la "France moderne". Quel contenu lui donnez-vous ?
Lionel Jospin connaît bien Grand-Quevilly comme il connaît bien la Haute-Normandie. Je suis heureux de l'accueillir pour parler de la "France moderne". C'est un axe fort de l'action qu'il a menée depuis cinq ans. C'est un thème majeur de son projet présidentiel.
La modernité, beaucoup la revendiquent. Mais tous les candidats ne lui donnent pas la même signification. A droite, la modernité s'accompagne souvent de la rhétorique du déclin et se traduit par moins de solidarité et moins d'équité. Pour nous, la modernité est un défi collectif, elle n'est pas séparable de la solidarité. Notre pays dispose d'atouts puissants pour affronter la compétition internationale et la révolution technologique. Quand on voit la qualité de nos systèmes d'éducation et de santé, de nos équipements de transport et de nos infrastructures de télécommunications, quand on sait le talent de nos chercheurs et de nos ingénieurs, la compétence des salariés, la créativité de nos jeunes, la volonté des seniors d'être toujours plus actifs, la position forte de nos entreprises sur les secteurs traditionnels comme sur les secteurs d'avenir, on a vraiment des raisons d'espérer.
Mais la modernité ne doit pas être confisquée par quelques-uns : elle doit se faire au bénéfice de tous, individus, territoires, générations. Le progrès ne doit pas être bancal : excellence et égalité des chances sont inséparables, innovation et solidarité vont de pair. C'est le message que porte Lionel Jospin dans cette campagne.
2) Vous mettez l'accent sur la formation tout au long de la vie. Comment construire concrètement ce nouveau droit ?
D'abord, un point fondamental : l'accès à la formation tout au long de la vie doit être conçu comme un droit à part entière. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Si les entreprises ont une obligation de financer la formation de leurs salariés, la formation n'est pas un véritable droit, ouvert à tous. Résultat : la collectivité consacre chaque année plus de 21 milliards d'euros à la formation continue pour des résultats très limités. La formation profite d'abord aux plus diplômés ! Autrement dit, dans notre pays qui pêche parfois par un excès d'élitisme, on forme en continu ceux qui ont déjà été les mieux formés durant la période initiale. Il faut donc une ambition et des méthodes nouvelles. Je suis heureux que ce soit l'une des thématiques portées par Lionel Jospin qui, je le fais observer, est le seul candidat à dire que la formation tout au long de la vie est une priorité et à indiquer les moyens concrets de la mettre en uvre.
Nous proposons un compte formation ouvert à tous et doté pour tous. Ce compte sera d'autant plus fourni que l'on aura quitté tôt l'école. Un effort particulier sera fait pour l'accès à la formation des plus de 40 ans. Il devra y avoir un socle garanti par l'Etat, plus des compléments partenariaux. Les régions, à qui les lois de décentralisation ont confié la compétence en matière de formation professionnelle des jeunes, seront des acteurs clés du processus. Pour aboutir, le dialogue devra évidemment être privilégié : dès le début de la prochaine législature, Etat, partenaires sociaux et régions élaboreront ensemble les modalités du droit à la formation tout au long de la vie.
3) Vous insistez sur la nécessité de construire une société du travail. C'est une aspiration historique des socialistes. Comment y parvenir alors que changent les temps sociaux et les aspirations des salariés ?
Le plein emploi est le premier enjeu du quinquennat qui vient. Il correspond à notre vision du monde, à l'idée que nous nous faisons du vivre ensemble : le travail reste le principal facteur d'intégration. Il est aussi le résultat de notre volonté d'articuler l'économique et le social : pour redistribuer des richesses, il faut d'abord que le travail en produise. J'ajoute qu'en agissant pour le plein emploi, nous répondrons à d'autres défis essentiels aux Français : la consolidation de nos régimes de retraite par répartition, l'innovation et la création, la réduction des inégalités.
Le préalable, c'est bien sûr de confirmer et de renforcer notre stratégie économique en faveur de la croissance. Il faudra, comme nous l'avons fait depuis 1997, soutenir le pouvoir d'achat des ménages, les capacités d'investissement des entreprises, le retour à emploi afin que le travail paye plus que le non travail. Parce qu'il n'est pas normal qu'une personne vivant du RMI ne bénéficie pas d'une augmentation significative de son pouvoir d'achat lorsqu'elle retrouve un emploi, nous avons créé la prime pour l'emploi. Elle est un bon outil en faveur de la société du travail. C'est pourquoi Lionel Jospin propose qu'elle soit étendue.
Enfin, un effort particulier devra être accompli pour accroître la participation des plus de 50 ans au marché du travail. En France, l'âge moyen de cessation d'activité est l'un des plus faibles d'Europe. Au-delà du formidable gâchis d'expérience qu'il constitue, le retrait anticipé des seniors affaiblit la croissance et compromet la sécurisation de nos régimes de retraites. Pour inverser la tendance, là non plus il n'y aura pas de solution unique, mais des propositions soumises à la négociation : limitation du recours aux préretraites, évolution des règles de départ à la retraite, adaptation des emplois et de l'organisation du travail aux capacités physiques des salariés les plus âgés, mises à disposition ou prêts de personnel au sein ou entre les entreprises avec, bien sûr, maintien des garanties collectives et individuelles, renforcement de la formation professionnelle, sans oublier notre proposition de réserver des contrats sociaux de travail aux plus de 50 ans. Pour mettre en uvre ces idées, il y aura un cadre, le plan pour l'emploi des plus de 50 ans, et deux maîtres mots : volonté et concertation.
4) La législature a commencé avec la révolution d'Internet, elle s'achève sur celle des biotechnologies. Vous avez récemment fait des propositions précises pour que la France relève le défi des biotechs. Pourquoi est-ce si important à vos yeux ?
Il faudra poursuivre nos efforts pour la diffusion des technologies de l'information. Notre projet comprend des propositions fortes en ce sens. Mais, dans la bataille pour l'innovation - décisive pour l'avenir - je suis aussi sensible aux potentialités des biotechnologies. Grâce au déchiffrage du génome humain et aux avancées des sciences de la vie, la médecine va accomplir des progrès très importants dans les années qui viennent. Nouveaux médicaments et nouvelles thérapeutiques permettront de soigner des maladies génétiques rares mais aussi des maladies très fréquentes, je pense aux cancers, aux maladies cardiovasculaires ou à la maladie d'Alzheimer. On vivra mieux et plus longtemps. Les applications environnementales et industrielles seront aussi importantes. Les biotechnologies sont au cur d'une économie du savoir prometteuse : chercheurs, créateurs d'entreprises et grandes industries peuvent s'unir pour créer de nouvelles richesses.
Nous avons commencé d'agir pour développer les biotechnologies, mais il faut aller plus loin. On devra par exemple proposer un véritable plan d'action gouvernemental pour les sciences de la vie (PAVIE), sur le modèle de ce que nous avons fait en faveur d'Internet. Ce plan aura pour but d'encourager la recherche publique et privée et d'aider les créateurs de "jeunes pousses". Les aspects éthiques sont aussi importants et ils devront être examinés dans le cadre d'un débat citoyen. Pour enclencher la dynamique, on pourrait réunir des assises des sciences de la vie dès l'automne prochain. Voilà des propositions concrètes. Elles sont en phase avec notre projet qui évoque la nécessité d'un effort spécifique pour les biotechs.
5) Une France moderne, n'est-ce pas aussi une France où l'on se parle vraiment, où l'on se parle mieux, notamment entre l'Etat et les partenaires sociaux ?
La mise en place de ce que j'appelle la "société partenariale" est une dimension essentielle de la France moderne. L'Etat n'entend pas conduire unilatéralement la négociation collective, même s'il doit veiller à ce que tous les citoyens, assurés, usagers, soient protégés. Les partenaires sociaux ne votent pas la loi car c'est le rôle du Parlement. S'il est élu, Lionel Jospin s'est engagé à demander au Gouvernement d'organiser une Conférence économique et sociale nationale pour aborder les grands dossiers du quinquennat : les retraites, le compte formation pour chaque salarié, le plan pour l'emploi des plus de 50 ans. Discuter collégial, réformer partenarial, c'est un bon mot d'ordre pour entrer dans le 21ème siècle.
6) Pour nos concitoyens, comment faire le lien entre France moderne et France juste ?
La France moderne doit être une France juste. Créer un droit à la formation tout au long de la vie, c'est avancer concrètement vers l'égalité des chances. Mieux dialoguer dans notre pays, c'est faire progresser la démocratie. Soutenir l'innovation et en diffuser les applications, c'est permettre à chacun de bénéficier du progrès. Notre volonté, c'est à la fois de moderniser la France et de la rendre plus solidaire : c'est la raison pour laquelle, nous agirons aussi en faveur des jeunes, des familles, des plus âgés et du droit au logement. Parce qu'il faut des réformes efficaces et justes, il faut un nouveau Président, Lionel Jospin.
(Source http://www.lioneljospin.net, le 9 avril 2002)
1) Lionel Jospin sera demain dans votre ville de Grand-Quevilly pour évoquer la "France moderne". Quel contenu lui donnez-vous ?
Lionel Jospin connaît bien Grand-Quevilly comme il connaît bien la Haute-Normandie. Je suis heureux de l'accueillir pour parler de la "France moderne". C'est un axe fort de l'action qu'il a menée depuis cinq ans. C'est un thème majeur de son projet présidentiel.
La modernité, beaucoup la revendiquent. Mais tous les candidats ne lui donnent pas la même signification. A droite, la modernité s'accompagne souvent de la rhétorique du déclin et se traduit par moins de solidarité et moins d'équité. Pour nous, la modernité est un défi collectif, elle n'est pas séparable de la solidarité. Notre pays dispose d'atouts puissants pour affronter la compétition internationale et la révolution technologique. Quand on voit la qualité de nos systèmes d'éducation et de santé, de nos équipements de transport et de nos infrastructures de télécommunications, quand on sait le talent de nos chercheurs et de nos ingénieurs, la compétence des salariés, la créativité de nos jeunes, la volonté des seniors d'être toujours plus actifs, la position forte de nos entreprises sur les secteurs traditionnels comme sur les secteurs d'avenir, on a vraiment des raisons d'espérer.
Mais la modernité ne doit pas être confisquée par quelques-uns : elle doit se faire au bénéfice de tous, individus, territoires, générations. Le progrès ne doit pas être bancal : excellence et égalité des chances sont inséparables, innovation et solidarité vont de pair. C'est le message que porte Lionel Jospin dans cette campagne.
2) Vous mettez l'accent sur la formation tout au long de la vie. Comment construire concrètement ce nouveau droit ?
D'abord, un point fondamental : l'accès à la formation tout au long de la vie doit être conçu comme un droit à part entière. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Si les entreprises ont une obligation de financer la formation de leurs salariés, la formation n'est pas un véritable droit, ouvert à tous. Résultat : la collectivité consacre chaque année plus de 21 milliards d'euros à la formation continue pour des résultats très limités. La formation profite d'abord aux plus diplômés ! Autrement dit, dans notre pays qui pêche parfois par un excès d'élitisme, on forme en continu ceux qui ont déjà été les mieux formés durant la période initiale. Il faut donc une ambition et des méthodes nouvelles. Je suis heureux que ce soit l'une des thématiques portées par Lionel Jospin qui, je le fais observer, est le seul candidat à dire que la formation tout au long de la vie est une priorité et à indiquer les moyens concrets de la mettre en uvre.
Nous proposons un compte formation ouvert à tous et doté pour tous. Ce compte sera d'autant plus fourni que l'on aura quitté tôt l'école. Un effort particulier sera fait pour l'accès à la formation des plus de 40 ans. Il devra y avoir un socle garanti par l'Etat, plus des compléments partenariaux. Les régions, à qui les lois de décentralisation ont confié la compétence en matière de formation professionnelle des jeunes, seront des acteurs clés du processus. Pour aboutir, le dialogue devra évidemment être privilégié : dès le début de la prochaine législature, Etat, partenaires sociaux et régions élaboreront ensemble les modalités du droit à la formation tout au long de la vie.
3) Vous insistez sur la nécessité de construire une société du travail. C'est une aspiration historique des socialistes. Comment y parvenir alors que changent les temps sociaux et les aspirations des salariés ?
Le plein emploi est le premier enjeu du quinquennat qui vient. Il correspond à notre vision du monde, à l'idée que nous nous faisons du vivre ensemble : le travail reste le principal facteur d'intégration. Il est aussi le résultat de notre volonté d'articuler l'économique et le social : pour redistribuer des richesses, il faut d'abord que le travail en produise. J'ajoute qu'en agissant pour le plein emploi, nous répondrons à d'autres défis essentiels aux Français : la consolidation de nos régimes de retraite par répartition, l'innovation et la création, la réduction des inégalités.
Le préalable, c'est bien sûr de confirmer et de renforcer notre stratégie économique en faveur de la croissance. Il faudra, comme nous l'avons fait depuis 1997, soutenir le pouvoir d'achat des ménages, les capacités d'investissement des entreprises, le retour à emploi afin que le travail paye plus que le non travail. Parce qu'il n'est pas normal qu'une personne vivant du RMI ne bénéficie pas d'une augmentation significative de son pouvoir d'achat lorsqu'elle retrouve un emploi, nous avons créé la prime pour l'emploi. Elle est un bon outil en faveur de la société du travail. C'est pourquoi Lionel Jospin propose qu'elle soit étendue.
Enfin, un effort particulier devra être accompli pour accroître la participation des plus de 50 ans au marché du travail. En France, l'âge moyen de cessation d'activité est l'un des plus faibles d'Europe. Au-delà du formidable gâchis d'expérience qu'il constitue, le retrait anticipé des seniors affaiblit la croissance et compromet la sécurisation de nos régimes de retraites. Pour inverser la tendance, là non plus il n'y aura pas de solution unique, mais des propositions soumises à la négociation : limitation du recours aux préretraites, évolution des règles de départ à la retraite, adaptation des emplois et de l'organisation du travail aux capacités physiques des salariés les plus âgés, mises à disposition ou prêts de personnel au sein ou entre les entreprises avec, bien sûr, maintien des garanties collectives et individuelles, renforcement de la formation professionnelle, sans oublier notre proposition de réserver des contrats sociaux de travail aux plus de 50 ans. Pour mettre en uvre ces idées, il y aura un cadre, le plan pour l'emploi des plus de 50 ans, et deux maîtres mots : volonté et concertation.
4) La législature a commencé avec la révolution d'Internet, elle s'achève sur celle des biotechnologies. Vous avez récemment fait des propositions précises pour que la France relève le défi des biotechs. Pourquoi est-ce si important à vos yeux ?
Il faudra poursuivre nos efforts pour la diffusion des technologies de l'information. Notre projet comprend des propositions fortes en ce sens. Mais, dans la bataille pour l'innovation - décisive pour l'avenir - je suis aussi sensible aux potentialités des biotechnologies. Grâce au déchiffrage du génome humain et aux avancées des sciences de la vie, la médecine va accomplir des progrès très importants dans les années qui viennent. Nouveaux médicaments et nouvelles thérapeutiques permettront de soigner des maladies génétiques rares mais aussi des maladies très fréquentes, je pense aux cancers, aux maladies cardiovasculaires ou à la maladie d'Alzheimer. On vivra mieux et plus longtemps. Les applications environnementales et industrielles seront aussi importantes. Les biotechnologies sont au cur d'une économie du savoir prometteuse : chercheurs, créateurs d'entreprises et grandes industries peuvent s'unir pour créer de nouvelles richesses.
Nous avons commencé d'agir pour développer les biotechnologies, mais il faut aller plus loin. On devra par exemple proposer un véritable plan d'action gouvernemental pour les sciences de la vie (PAVIE), sur le modèle de ce que nous avons fait en faveur d'Internet. Ce plan aura pour but d'encourager la recherche publique et privée et d'aider les créateurs de "jeunes pousses". Les aspects éthiques sont aussi importants et ils devront être examinés dans le cadre d'un débat citoyen. Pour enclencher la dynamique, on pourrait réunir des assises des sciences de la vie dès l'automne prochain. Voilà des propositions concrètes. Elles sont en phase avec notre projet qui évoque la nécessité d'un effort spécifique pour les biotechs.
5) Une France moderne, n'est-ce pas aussi une France où l'on se parle vraiment, où l'on se parle mieux, notamment entre l'Etat et les partenaires sociaux ?
La mise en place de ce que j'appelle la "société partenariale" est une dimension essentielle de la France moderne. L'Etat n'entend pas conduire unilatéralement la négociation collective, même s'il doit veiller à ce que tous les citoyens, assurés, usagers, soient protégés. Les partenaires sociaux ne votent pas la loi car c'est le rôle du Parlement. S'il est élu, Lionel Jospin s'est engagé à demander au Gouvernement d'organiser une Conférence économique et sociale nationale pour aborder les grands dossiers du quinquennat : les retraites, le compte formation pour chaque salarié, le plan pour l'emploi des plus de 50 ans. Discuter collégial, réformer partenarial, c'est un bon mot d'ordre pour entrer dans le 21ème siècle.
6) Pour nos concitoyens, comment faire le lien entre France moderne et France juste ?
La France moderne doit être une France juste. Créer un droit à la formation tout au long de la vie, c'est avancer concrètement vers l'égalité des chances. Mieux dialoguer dans notre pays, c'est faire progresser la démocratie. Soutenir l'innovation et en diffuser les applications, c'est permettre à chacun de bénéficier du progrès. Notre volonté, c'est à la fois de moderniser la France et de la rendre plus solidaire : c'est la raison pour laquelle, nous agirons aussi en faveur des jeunes, des familles, des plus âgés et du droit au logement. Parce qu'il faut des réformes efficaces et justes, il faut un nouveau Président, Lionel Jospin.
(Source http://www.lioneljospin.net, le 9 avril 2002)