Texte intégral
Cher Alain Françon,
" Il y a des taiseux dont le silence, les réserves, les précautions oratoires en disent plus que bien des discours. Alain Françon est de ceux-là. Les grandes déclarations tapageuses, les certitudes, les affirmations péremptoires ne sont pas son genre. Chez vous, cher Alain l'homme doute, l'artiste interroge le monde, et le metteur en scène aime se colleter avec des textes qui résistent et diriger des acteurs de grand talent ".
Ce portrait, tracé au détour d'une critique du "chant du Dire-Dire " de Daniel Danis, je le reprends volontiers à mon compte tant il reflète vos qualités constantes, de l'époque du Théâtre éclaté à Annecy, votre première compagnie, jusqu'au Théâtre National de la Colline.
Vous dirigez depuis cinq ans le plus jeune et le plus contemporain de nos théâtres nationaux. Vous avez su faire du Théâtre de la Colline, après Guy Retoré qui a créé le TEP et conçu ce bel équipement, après Jorge Lavelli qui en avait ouvert les portes en janvier 1988, un lieu de création exemplaire. Poursuivant la mission de présenter les auteurs du XXè siècle qu'avait développée votre prédécesseur, vous vous êtes consacré à la reconnaissance des auteurs vivants, essentiels à la lecture de notre monde. Le public a perçu l'enjeu qui lui était proposé : cinq ans après, tout en s'étant renouvelé, il confirme son attachement à la force de vos programmations comme le montre le nombre croissant des abonnés conquis cette année.
Vous avez, dans ce cadre aussi, su inventer des initiatives nouvelles et originales par exemple en associant des comités de lecture et des comités de spectateurs avec de jeunes scolaires, dans votre démarche de sensibilisation à l'écriture dramatique contemporaine théâtrale. Le questionnement du monde, vous l'avez voulu large, et la liste des auteurs vivants présentés au cours de ces cinq années est d'une étonnante diversité. Il faut citer, dans l'ordre des saisons, Eugène Durif, Edward Bond, Nathalie Sarraute, Jean-Pierre Milovanoff, Michel Vinaver, Xavier Durringer, Olivier Cadiot, Daniel Danis, Jean-Marie Patte, Valère Novarina, Jon Fosse, Marius von Mayenburg, Pascal Rambert et Olivier Py que nous entendrons tout à l'heure.
Vous savez quel attachement je porte à l'écriture contemporaine. C'est la raison pour laquelle j'ai tenu à réaffirmer par quelques nominations la place de l'auteur dans nos théâtres. La disparition récente de Jean Audureau nous rappelle, au delà de l'uvre admirable qu'il nous lègue, les devoirs qui sont les nôtres à l'égard de ceux qui créent aujourd'hui et qui construisent le patrimoine de demain. Devoir des politiques, certes, mais aussi de l'ensemble des responsables d'institutions publiques qui ont la charge de faire vivre la création théâtrale. Je tiens ici à souligner la qualité de votre engagement, à cet endroit de notre mission commune.
J'en profite pour tenter de tordre le coup à un vieux canard qui voudrait que les scènes publiques ne s'intéressent qu'aux auteurs du passé. J'ai demandé, lors de mon arrivée rue de Valois, que la DMDTS évalue la place des auteurs vivants dans la programmation des CDN. Sur la seule saison 99/2000, 75 % des textes présentés étaient l'uvre d'auteurs vivants, dont la moitié de langue française soit plus du tiers de la production. Il convient, pour être juste de le souligner également.
Votre théâtre vous l'avez voulu aussi ouvert et volontaire par ses engagements de production : le Théâtre national de la Colline est un lieu majeur de production et de coproduction. Il faut souligner en effet la détermination que vous manifestez pour partager votre outil avec d'autres. A travers cette institution par essence qu'est un théâtre national, de nombreuses compagnies ont pu grâce à vous, bénéficier du soutien financier souvent décisif du Théâtre national de la Colline pour la création de leurs spectacles.
La mise en oeuvre de cette politique de production courageuse et exigeante n'aurait pu se faire sans l'accompagnement et le soutien croissant du ministère de la culture et de la communication. Je suis heureuse que le Théâtre national de la Colline ait ainsi pu compter, pendant votre premier mandat, sur 8,4 millions de francs de mesures nouvelles. Au delà des mots et des intentions, ce sont les actes qu'on juge. L'engagement de notre gouvernement s'est traduit par une progression continuelle du budget de la culture, parce que le premier ministre a fait de l'égal accès de tous à la culture et de l'aide à la création une priorité de son action.
Le temps du second mandat qui s'ouvre désormais devant vous doit vous permettre de consolider ces acquis et d'avancer vers de nouveaux horizons. Répondant à votre attente, j'ai accepté d'abord le principe d'ouvrir au Théâtre national de la Colline la possibilité d'appuyer son développement sur une équipe artistique permanente. Il s'agit d'un débat essentiel pour nos lieux de production de théâtre, débat qui n'est pas simple et qui fait écho aux expériences conduites au Théâtre national de Strasbourg, puis au Théâtre national de l'Odéon.
J'ai clairement perçu les enjeux que recouvrait votre attachement à ce projet. Cette équipe artistique destinée à vous accompagner dans votre aventure en faveur de la création mais aussi de votre relation au public comptera, dans un premier temps, cinq comédiens qui joueront dans vos spectacles et dans certaines coproductions mais seront aussi disponibles pour le travail de rencontre et de sensibilisation mené sur le terrain en relation avec le quartier et le milieu scolaire et universitaire. A ce noyau de troupe, se joindront également un dramaturge, un auteur engagé pour la saison, créant ainsi autour de vous ces complicités durables nécessaires à la cohérence et au rayonnement de votre projet.
Faut-il en effet s'étonner qu'un théâtre soit habité par des artistes ? Votre proposition se traduira dans les faits de manière progressive puisque les acteurs et les autres personnels artistiques seront engagés dans le courant de l'année prochaine. C'est donc à partir de la saison 2002/2003 qu'une telle organisation aura une incidence profonde sur la programmation et le fonctionnement de votre théâtre. Je n'oublie pas que pour qu'un théâtre fonctionne bien et soit à la hauteur des ambitions qu'il nourrit, il lui faut aussi des murs.
Avec ses installations de conception récente, le Théâtre national de la Colline dispose déjà d'un outil de qualité qui permet, avec ses deux salles, de moduler les programmations pour les adapter au mieux à la nature artistique des projets et aux attentes du public.
J'ai conscience toutefois des contraintes qui pèsent sur le personnel technique et administratif du fait du resserrement des autres espaces. Entre 1988 et 2001, l'effectif permanent du Théâtre national de la Colline est passé de 50 personnes à 95. Cela n'est pas sans poser des problèmes. C'est pourquoi je suis prête à étudier des aménagements et si nécessaire l'extension du cadre bâti actuel. Les évolutions souhaitables et acceptées dans leur principe devront bien sur s'inscrire dans le calendrier et le volume des moyens financiers que l'Etat pourra y consacrer. Nous chercherons ensemble les meilleures solutions.
Cher Alain Françon, pour tous ces paris que vous acceptez de relever, pour que l'on continue d'entendre dans ce théâtre, la voix de l'écriture " la parole muette, lourde de significations inconnues " comme le disait Jon Fosse dans l'une de vos plaquettes de saison, pour votre longue patience , pour vos impatiences aussi, j'ai proposé au gouvernement votre renouvellement à la tête du Théâtre national de la Colline.
Vous pouvez compter sur ma détermination à vous accompagner et je forme le vu, comme il est de coutume à cette époque de l'année, que votre belle entreprise soit, chaque jour davantage et pour de longues années, l'objet du désir de nos contemporains.
Bonne route à toute l'équipe de la Colline et à ses spectateurs.
(source http://www.culture.gouv.fr, le 11 janvier 2002)