Interview de M. Olivier Besancenot, candidat LCR à l'élection présidentielle 2002, à "RTL" le 31 janvier 2002, sur la mobilisation croissante contre la mondialisation capitaliste au Forum social mondial de Porto Alegre, et sur sa ligne politique.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief
Vous êtes en ligne avec nous depuis Porto Alegre au Brésil, vous avez 27 ans, vous êtes facteur et vous êtes le candidat de la Ligue Communiste Révolutionnaire à l'élection présidentielle. Vous étiez dans l'avion lundi soir avec J.-P. Chevènement et N. Mamère. Trois candidats dans un avion, qu'est-ce que cela se dit ?
- "Pas grand chose, parce qu'on n'a pas fait tout à fait le même voyage en fait. Ils étaient devant et moi derrière, donc on n'a pas pu échanger plus de paroles que cela."
Devant, en "Classe affaire", et vous, en "Classe éco" ?
- "Voilà, c'est ça. Même dans l'avion je continue à faire une campagne en "deuxième classe"."
Pourquoi vous n'avez pas serré la main à J.-P. Chevènement et à N. Mamère ?
- "J'ai échangé quelques mots avec N. Mamère effectivement, car lui et moi, contrairement à J.-P. Chevènement, on s'est déjà croisés dans les manifestations, pour soutenir les sans-papiers par exemple."
Et J.-P. Chevènement, vous lui en voulez particulièrement ?
- "Je ne lui en veux pas particulièrement."
Vous croyez qu'il n'a pas sa place peut-être à ce Forum social mondial ?
- "C'est pas à moi de dire qui doit venir ou pas au Forum social mondial. Par contre une chose est sûre, c'est que le Forum social mondial ne se résume pas à J.-P. Chevènement, heureusement. Et je lui souhaite bien du courage, lui qui a trouvé un petit peu de démocratie dans la dictature tunisienne de Ben Ali, quand il va rencontrer demain peut-être les militants d'Attac Tunisie dans les couloirs du Forum social mondial de Porto Alegre."
Vous ne mélangez pas un petit peu tout ?
- "Je ne vois pas en quoi je mélange cette question-là. Je crois qu'une question de cohérence veut que, quand on va à un contre-sommet, on essaye d'appliquer, là où on est, les mêmes principes et pas de faire un grand écart permanent."
Il y a six ministres du gouvernement Jospin, F. Hollande du PS, qui va arriver à Porto Alegre, même un représentant de J. Chirac. Certains trouvent cela plutôt bien qu'il y ait beaucoup de Français. Vous, vous trouvez cela "navrant". Vous voulez rester le seul, que cela reste un endroit marginal ?
- "Ce n'est déjà pas un endroit marginal, c'est tout le contraire depuis deux ans. Et avant tout, cette année, cela ne se résumera pas non plus à cette photo de famille. Ce sera d'abord et avant tout ce que cela doit être, c'est-à-dire un lieu de résistance, de mobilisation pour tous ceux qui, au quotidien, mènent vraiment la lutte contre la mondialisation capitaliste, c'est-à-dire : des syndicats, des associations, des ONG, des associations écologiques, ou aussi encore des organisations féministes qui sont venues ici plus nombreux encore que l'année passée et qui vont adopter un calendrier de mobilisation pour les années à venir."
Quel a été votre programme ces derniers jours ?
- "J'étais dans le camp des jeunes, qui est extrêmement nombreux et plus représentatif encore de toute une série d'organisations venues du monde entier cette année. J'irai voir demain les paysans sans-terre, les chômeurs argentins, et puis j'irai plus personnellement rencontrer les postiers de Porto Alegre, puisqu'il se trouve, que ce soit ou Brésil ou en France, on est à peu près tous mangés à la même sauce en ce moment, face à la privatisation."
D. Strauss-Kahn, dans son livre, dit que "Les solutions proposées à Porto Alegre sont à côté de la plaque"...
- "On n'est pas d'accord sur la taille de "la plaque" ni où elle se trouve. Moi, c'est sa politique que je trouve trop réaliste en tout cas, comme celle de Fabius, du point de vue des patrons, des actionnaires aujourd'hui, qui accélèrent une fois de plus une offensive libérale absolument sans précédent. C'est-à-dire où des multinationales essayent de récupérer tout ce qui avait pu leur échapper à un moment donné, sous la pression des mobilisations. Donc, le mouvement social a des propositions concrètes aujourd'hui : taxer la spéculation boursière, éradiquer les paradis fiscaux ou annuler la dette. Je pense que c'est une politique tout à fait réaliste et surtout qui est absolument urgente aujourd'hui, pour toute une série de populations, que ce soit au Nord ou au Sud. Parce que les inégalités entre les pays du Nord et ceux du Sud n'ont jamais été aussi fortes. Aujourd'hui, les pays du Nord sont 70 fois plus riches que les pays du Sud."
L. Jospin de son côté, hier, a plaidé pour "une régulation de la mondialisation" et pour "la création d'un Conseil de sécurité économique et social au sein de l'ONU", qui arbitrerait les règles de la concurrence. C'est une bonne proposition pour vous ?
- "Ce qu'il faudrait surtout aujourd'hui, c'est un contre-pouvoir capable de rivaliser avec des multinationales qui licencient à tour de bras. Je pense aussi, par exemple, à un scandale immédiat, qui est les multinationales pharmaceutiques qui imposent aujourd'hui un monopole indécent sur l'accès aux soins. C'est-à-dire que les deux tiers des victimes du Sida aujourd'hui, dans les pays pauvres, des millions et des millions de personnes, n'ont pas accès aux traitements qui existent. Donc, nous faisons une proposition concrète, qui serait d'arrêter le système du "brevetage" aujourd'hui, des brevets, car aujourd'hui, cela ne sert que les intérêts des marchands de la mort qui font du business 24 heures sur 24 avec nos vies. Il faudra décréter par exemple la santé, patrimoine commun de l'humanité, en interdisant de faire du commerce sur ces questions."
On vous présente comme un jeune candidat, vous avez 27 ans, comme quelqu'un de nouveau dans la politique et dans cette course à la présidentielle. Votre langage est-il vraiment plus jeune, vos propositions sont-elles vraiment plus jeunes, différentes et nouvelles ?
- "Je n'ai pas la prétention de dire que mon langage est plus jeune ou plus vieux, la discussion ne se passe pas à ce niveau-là. Le langage est celui que j'ai au quotidien, y compris dans mon entreprise, que connaissent mes collègues. En tout cas, on pense avoir des idées."
J'ai remarqué dans un communiqué que vous finissiez par un mot :
"Beurk !". C'est le nouveau langage ?
- "Vous savez, les vrais gros mots aujourd'hui, les vrais mots sales et indécents, c'est plutôt FMI, OMC. Mais la discussion se passe d'abord sur le terrain des idées. Nous faisons des propositions concrètes : c'est aujourd'hui faire passer les salariés d'abord, et pas les actionnaires. On veut prendre aujourd'hui sur les profits et sur les grandes fortunes, pour faire passer les besoins sociaux avant la logique de rentabilité. C'est une discussion politique qui a lieu à Porto Alegre, mais qui aura lieu aussi pendant les élections présidentielles."
Vous stagnez aujourd'hui à 0,5 % dans les sondages. Le fait qu'il y ait des socialistes à Porto Alegre, cela vous encouragerait à appeler à voter Jospin au deuxième tour ?
- "D'abord la campagne ne fait que commencer et j'espère pouvoir prouver qu'on peut voter pour quelqu'un comme soi, qui nous ressemble, à ces élections, c'est-à-dire un jeune salarié, en sanctionnant à gauche la politique du Gouvernement. Aujourd'hui, j'espère simplement que les responsables socialistes sont venus, avec dans leurs valises, des mesures concrètes, comme l'annulation immédiate et sans conditions de la dette de l'Argentine. Ce serait la moindre des choses."
Vous voterez Jospin au deuxième tour ?
- "On a décidé de ne pas donner de consigne de vote pour le deuxième tour. Pour nous, la gauche et la droite, ce n'est pas la même chose. Je ne voterai pas Chirac. Il y a des électeurs qui voteront Besancenot..."
Donc, vous voterez Jospin alors ?
- "Si je vous ce que je vais voter pour le deuxième tour, cela sera une consigne de vote. On a décidé de ne pas en donner, c'est-à-dire que, des gens iront voter Besancenot au premier tour et iront voter à gauche au deuxième. Il y en a qui ne le feront pas. J'irai ni chez les uns et ni chez les autres pour les forcer à faire quoi que ce soit."
Pendant toute la campagne, vous gardez votre poste de facteur à Neuilly-sur-Seine ?
- "Jusqu'au début du mois de mars, je suis encore en discussion avec la direction de mon entreprise, j'ai demandé un détachement jusqu'à la fin du mois d'avril, de deux mois, pour pouvoir faire un meeting par jour, ce qui est à peu près nécessaire pour faire une vraie campagne présidentielle. En attendant, je continue à travailler dans mon entreprise, effectivement comme facteur."
Quand la droite accuse L. Jospin d'être un trotskiste, cela vous fait plaisir ou ça vous ennuie ?
- "Ni l'un, ni l'autre. Je juge d'abord Jospin sur ce qu'il fait actuellement, sur ce qu'il a déclaré récemment à la télévision, en expliquant malheureusement que le patronat n'avait pas à se plaindre de sa politique. Et le problème, c'est qu'il a été extrêmement convainquant. Quant à moi, vous n'aurez pas besoin de savoir et de fouiller dans mes archives pour savoir ce que j'étais à l'âge de 27 ans. C'est-à-dire un militant révolutionnaire. Donc, cela me laisse ni chaud, ni froid. Et la droite ferait bien de balayer devant sa propre porte, étant donné que Chirac à l'heure actuelle devrait pour ces élections plutôt passer devant les juges que devant les urnes. Si la justice pouvait faire simplement son travail."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 31 janvier 2002)