Déclaration de M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, sur les "nouveaux territoires" de l'art, Marseille le 14 février 2002.

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Circonstance : Ouverture de la rencontre "Nouveaux territoires de l'art" à Marseille le 14 février 2002

Texte intégral

Mesdames,
Messieurs,
Le 17 octobre 2000, peu de temps après mon entrée au gouvernement, je passais commande d'un rapport sur les expériences artistiques, culturelles et sociales conduites dans les friches, les squats et les fabriques éparpillés sur le territoire français. A cette date, beaucoup parmi vous étaient engagés, depuis fort longtemps déjà, dans ces aventures toutes atypiques et singulières. Quant à moi je les découvrais. Quinze mois après, vous êtes des centaines réunis ici même à la Belle de Mai pour défricher, si je puis dire, les nouveaux territoires de l'art. Que vous soyez des artistes ou des intellectuels, des militants associatifs ou des élus locaux, des metteurs en scène de la vie culturelle ou des responsables politiques nationaux, des personnalités ou des citoyens, la venue de chacune et de chacun d'entre vous est un signe.
Le signe éclatant que quelque chose est en train de se produire de ce côté-là du paysage, celui de l'art et celui de la société. J'ignore quelle sera la part du réel que dévoileront les témoignages, les confrontations et l'investigation commune auxquels vous vous consacrerez trois jours durant. En revanche, je mesure d'ores et déjà toute la signification que revêt la présence de maliens et de nigériens, d'égyptiens et de brésiliens, de libanais et d'européens, d'asiatiques et d'américains. Quand pour " tout l'art du monde " on se donne rendez-vous dans un port, le regard porté sur le monde lui-même ne peut plus être je crois, tout à fait le même. Pour la première fois, à l'initiative d'un Etat et de son administration culturelle, relayée par plusieurs ministères, le mouvement culturel que vous incarnez est appréhendé à l'échelle internationale.
Cette approche n'est pas une lacune qu'il se serait agi simplement de combler. Elle est, me semble-t-il, l'horizon naturel de ces aventures. Tant il est vrai, comme le souligne Toni Negri, que la friche est désormais par excellence un point de contact, un point de passage entre le Nord et le Sud. En tout état de cause, sachez que pour ma part, je suis comblé de voir ici représentés l'Afrique, le Moyen Orient et l'Asie, par ses artistes. Dans quelques minutes, la première piste d'investigation de cette rencontre va être ouverte. Elle porte sur la mutation esthétique dont ces nouveaux territoires de l'art sont le décor. Je n'ai évidemment pas à porter de jugement en la matière ; tout au plus un sentiment à livrer. Celui que, dans ces espaces et ces expériences, se cristallise une des tendances les plus remarquables de l'art actuel : le désir de faire de l'oeuvre le lieu de prédilection de la rencontre entre les hommes, et du processus de création le récit de cette rencontre.
L'inventivité des formes, la communion des expressions artistiques, la reconquête du temps de la création, sont à ce titre emblématiques. Mais au fond, il est vain de dissocier les enjeux artistiques de ces expérimentations, de ce qu'elles parviennent à troubler de l'ordre du monde. La ré-appropriation d'un territoire, l'envie de refaire la ville, de révolutionner l'expérience du travail, de refonder la cité, de se construire aux contacts de l'altérité..., de tout cela il va être question lors de cette rencontre. Tout simplement parce que l'ouverture de ces chantiers est à l'ordre du jour dans la société. Ils offrent par là même de quoi dépasser la vision contenue de la culture réduite à un secteur. A mes yeux, toutes ces interrogations convergent donc vers un point qui met chacune d'elles en perspective. La quête du sens est désormais devenue la quête du commun, du collectif, de l'altérité, du respect de l'autre. Le désir d'une manière de vivre ensemble où chacun peut être soi.
Cette recherche là hante le monde. Il y va de la justice de son ordre, de sa beauté, et aujourd'hui nous le savons, de son existence même. Les nouveaux territoires de l'art, dans la diversité ici représentée, sont investis de cette quête. Pas sur le mode désuet de la sentinelle ou de l'avant-garde éclairée, mais de l'intérieur du monde lui-même, dans l'intimité de ses failles et de ses déchirures, qui sont aussi le lieu d'autres possibles, ici et maintenant. Ce qui se passe sur les nouveaux territoires de l'art, avec leur part d'universel, dérange à bien des égards. Les aventures qui s'y mènent, rebelles au dogme du tout marchandise prennent de cours l'injonction faite aux artistes -avec quelques arrière-pensées, on peut le soupçonner- de rester coûte que coûte ce qu'ils étaient hier. La singularité a besoin du collectif pour se déployer. Telle semble être aujourd'hui la posture la plus rebelle. Ces nouveaux territoires bousculent les représentations dominantes, du statut des artistes, de leur fonction sociale et de ce que doit être une politique culturelle. Tant mieux.
Car si " l'art ne tient pas en place ", la société non plus. C'est elle qui fait aujourd'hui preuve de créativité en matière de partage de l'art. Il est nécessaire que les responsables politiques dont je suis le mesurent. Ce n'est pas une question de méthodologie politique mais de morale politique. Pour cela l'écoute, certes, est nécessaire. Mais pour entendre ce qui se dit, il faut construire. L'élargissement, l'enrichissement de l'espace public de la culture a bien lieu : il est là, sous nos yeux, au coeur de ces nouveaux territoires de l'art. Encore faut-il leur accorder, comme nous commençons à le faire, la reconnaissance, le soutien et l'accompagnement respectueux de ce qu'ils sont. C'est précisément l'étape dans laquelle nous nous trouvons.
L'intervention résolue des collectifs d'artistes, des citoyens, de leurs plus proches représentants, y est tout aussi vitale que lors des précédentes. En quinze mois, de la commande du rapport à Fabrice Lextrait à aujourd'hui, c'est beaucoup et c'est peu. Je veux citer ici ce que Paul Virilio dit des espaces que vous avez inventés : " Ils sont une sorte de cri pour retrouver la ville, la commune, la communauté, le commun ". C'est pourquoi la rencontre de Marseille peut être le début d'une très belle histoire. Une histoire où la société renoue, sur les nouveaux territoires de l'art, avec l'interprétation de ses rêves.
Permettez moi pour terminer, de rappeler que cette rencontre n'aurait pu avoir lieu sans Système Friche Théâtre qui l'a organisée, sans l'AFAA. co-organisatrice, sans les ministères de la Ville, de l'équipement, de la Jeunesse et des Sports, des Affaires étrangères, du FAS., de la Caisse des Dépôts et Consignations, d'Euroméditerranée, et je tiens à le souligner de la Ville de Marseille, du Conseil Général des Bouches du Rhône et de la Région Provence Alpes Côte d'Azur.
(source http://www.culture.gouv.fr, le 19 février 2002)