Déclaration de Mme Paulette Guinchard-Kunstler, secrétaire d'Etat aux personnes âgées, sur la prévention de la maltraitance des personnes âgées, notamment la mise en place d'un dispositif de lutte et de prévention de proximité et le repérage des risques pour les professionnels de la santé, Paris le 22 janvier 2002.

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Circonstance : Remise du rapport Debout sur la prévention des maltraitances envers les personnes âgées à Paris le 22 janvier 2002

Texte intégral

Je voudrais d'abord dire que lorsqu'on parle de maltraitance envers les personnes âgées , qu'elle ait lieu dans la famille ou au sein d'une institution, on vise une réalité complexe qui reste souvent difficile à appréhender, tant par son ampleur que par la nature des violences qui la caractérisent.
Il est, du même coup, particulièrement difficile de mesurer un tel phénomène.
Il n'existe pas aujourd'hui d'enquête nationale du type de celle qui a été menée sur les violences faites aux femmes, ni de système d'information national. Il n'est donc pas possible d'avancer aujourd'hui une estimation fiable.
S'agissant du phénomène en Europe, le Professeur HUGONOT, président d'ALMA, faisait état en 1998, à partir de synthèses d'enquêtes étrangères, d'une estimation à 5 % des personnes âgées de plus de 65 ans et à 15 % des plus de 75 ans. D'autres études étrangères citées dans l'ouvrage du Professeur HUGONOT, La vieillesse en danger, ont proposé une estimation du phénomène :
en Norvège et en Suède, 2 à 5 % des personnes âgées seraient brutalisées chez elles et par leurs familles ;
au Canada, 4 % des personnes âgées disaient avoir été maltraitées par leur famille ou des soignants à domicile (enquête téléphonique de 1992) ;
aux USA, entre 4 et 10 % des plus de 65 ans seraient victimes de maltraitance (enquêtes 1981 et 1984)
En France, nous ne disposons actuellement que des données recueillies par l'association ALMA France (" Allô maltraitance personnes âgées ") à partir des 8 600 appels téléphoniques de signalement de maltraitances ou négligences reçus entre 1995 et 2000 par les antennes départementales du réseau ALMA. Le nombre de ces appels est sans doute très faible au regard de la réalité du phénomène.
D'où l'importance de l'une des premières préconisations faites dans le rapport Debout et que je souhaite pouvoir mettre en uvre très rapidement :
la réalisation d'une enquête nationale sur les maltraitances envers les personnes âgées, dont les méthodes et modalités pratiques, inspirées de l'enquête nationale sur les violences faites aux femmes en France (ENVEFF), devront être adaptées aux spécificités de la population visée ( accès limité aux moyens de communication, absence ou perte de communication verbale.).
Je partage l'idée du groupe de travail qui considère que la maltraitances exercées à l'encontre des personnes âgées procèdent d'un ensemble général de violences que subissent tous les membres de la société et dont nous devons analyser plus précisément les causes et les modalités. Voilà pourquoi je reçois de façon très favorable la proposition de créer un Observatoire national des violences qui aurait une vocation générale et transversale d'observation des violences quelle que soit leur nature, y compris les négligences, leurs modalités d'exercice ou les publics qui les subissent ; une section spécifique de cet observatoire sera consacrée à l'étude des maltraitances des adultes vulnérables, quel que soit leur âge ou leur handicap. Un tel observatoire des violences appellera nécessairement une large concertation interministérielle.
La réponse aux phénomènes de maltraitance doit toujours être une réponse de proximité. C'est en ce sens que des dispositifs départementaux doivent être organisés. Un dispositif d'appel et de recueil des plaintes devra se développer en lien et en cohérence avec le plan de développement du réseau Alma, et dans le respect d'un cahier des charges national. Selon les réalités locales, un niveau de coordination régionale pourra être envisagé. Avec la création de 25 antennes par an, nous souhaitons, en s'appuyant sur la dynamique associative, sur l'implication des CODERPA, des services de l'Etat et sur celle des collectivités territoriales, parvenir à une couverture de l'ensemble du territoire en 2005.
A côté de ce dispositif d'accueil et d'écoute, il nous faut mettre en place, dans chaque département, dun dispositif coordonné de lutte et de prévention des maltraitances envers les personnes âgées selon le schéma suivant :
TM Au plus près des besoins, devra être identifiée une personne ressource, dotée d'une expérience longue et solide des problématiques des personnes âgées ainsi que d'une formation à l'éthique, validée par un diplôme universitaire. Son intervention se situera en préalable à toute saisine administrative ou judiciaire.
TM Une instance de pilotage, de coordination et d'évaluation du dispositif départemental de lutte et de prévention de la maltraitance des personnes vulnérables sera mise en place sous la présidence conjointe du Préfet et du Président du Conseil général. Cette instance départementale associera l'ensemble des acteurs publics et associatifs concernés. Elle analysera les données disponibles sur le territoire, réalisera un diagnostic partagé et proposera un plan pluriannuel de prévention. Elle se réunira en formation restreinte pour aider au traitement des situations les plus complexes.
Il nous faut sensibiliser tous les professionnels, qu'ils soient de soin ou d'accompagnement, car, j'en suis convaincue, c'est l'ignorance ou la méconnaissance qui favorise trop souvent la maltraitance. Dans ce but, nous allons publier rapidement un guide pratique à l'usage des professionnels des secteurs sanitaire, social et médico-social. Destiné aux médecins, aux soignants, et à l'ensemble des professionnels des établissements et des services en charge des personnes âgées, ce guide devra constituer pour les professionnels une aide pour le repérage des risques, le traitement et la prévention des situations de maltraitance.
Dans la continuité de cette logique, nous souhaitons organiser des campagnes de communication, menées en partenariat avec les services publics, les entreprises de transport en commun, les entreprises de la grande distribution, les réseaux associatifspour sensibiliser l'opinion publique en valorisant le respect et l'estime des personnes.
Il me paraît très important d'attacher beaucoup d'attention à la situation des soins qui sont prodigués aux personnes âgées car elle peut devenir un moment de maltraitance, presque à l'insu des acteurs de cette maltraitance. C'est dans ce but que je souhaite développer dans les hôpitaux des équipes gériatriques mobiles, comme je l'ai annoncé mardi dernier en présentant les grands axes du plan Gériatrie. Je suis particulièrement intéressée par la proposition faite par le groupe du Professeur Debout de créer auprès des services d'accueil d'urgences d' " espaces d'accueil et d'orientation ", pour répondre à des difficultés d'ordre psychosocial, éventuellement provoquées par des situations de maltraitance; et notamment pour prendre le temps de bien apprécier l'état de la personne et savoir précisément où l'orienter.
Nous avons ces dernières années considérablement amélioré notre législation pour que les institutions sociales et médico-sociales connaissent une vie à laquelle les résidants soient bien associés, ainsi que les familles et le personnel qui travaille dans l'institution. Dans la continuité de ce qui a été déjà engagé, je crois qu'il sera utile, comme le préconise le groupe de travail, d'élargir à la prévention des risques de maltraitance, les missions confiées aux Conseils de la vie sociale dans les structures sociales et médico-sociales, en créant, en leur sein, des comités de vigilance, ce qui permet une bonne sensibilisation du personnel.
Nous devons généraliser la formation de tous à la connaissance et à la compréhension de ces phénomènes. D'où la volonté d'élaborer et d'introduire un module de formation au repérage et à la prévention de la maltraitance dans les formations de tous les professionnels en contact avec des personnes âgées. Dans le cadre de cette formation, je crois qu'il est très important d'insister sur la qualité des soins corporels non pas tant d'un point de vue technique qu'en ce qui concerne le respect de la pudeur et de l'intimité du corps de la personne âgée.
J'ai eu l'occasion à de nombreuses reprises depuis la rédaction de mon rapport parlementaire de souligner à la fois le dévouement des familles dans l'accompagnement de leur parent âgé et l'épuisement auquel elles parviennent faute de se voir proposer des solutions alternatives, des solutions de répit. Voilà pourquoi je suis très favorable au développement de structures d'accueil de jour permettant à une famille de pouvoir souffler et permettant aussi à la personne âgée elle même de sortir du confinement dans lequel elle se trouve.
Je crois que la situation de confinement est une dimension essentielle dans les causes de la maltraitance des personnes âgées car parfois ce huis clos qui s'instaure entre les aidants familiaux, aussi dévoués soient-ils, et la personne âgée aidée, devient insupportable à chacun et fait le lit de maltraitances éventuelles. Je suis très interessée par la proposition faite par le groupe de travail d'expérimenter un dispositif " Chèques liberté " ( à l'image du Chèque Domicile qui a été expérimenté dans quelques départements par la Caisse des Dépots et la CNRACL); ce "Chèque liberté" permettrait de solvabiliser les prestations de services facilitant la sortie du domicile, ce qui permettrait de financer un séjour de vacances, une sortie culturelle, un repas au restaurant,. pour les personnes âgées qui le souhaiteraient, ce qui déserrerait parfois l'étau dans lequel elles se trouvent.
Dans les semaines qui viennent, à partir de ces propositions, je proposerai au Premier Ministre d'inscrire une communication sur cette question au Conseil des Ministres.
Je voudrais pour conclure, insister sur le fait qu'en s'attaquant à ce phénomène, nous nous attaquons sans doute à un tabou essentiel: si la maltraitance des vieux n'est abordée qu'aujourd'hui, alors que les violences faites aux enfants, aux femmes, aux personnes handicapées sont déjà dénoncées depuis quelques années, n'est-ce pas parce que notre société n'a pas encore opéré ce nécessaire changement de regard sur le vieillissement et qu'elle est trop portée encore à ne voir dans le vieillard qu'un citoyen de deuxième ordre ?
Permettez-moi de remercier le Professeur Debout et tous les membres de son groupe qui ont effectué un travail remarquable; je veux aussi remercier Daniel Anghelou et Odile Doucet, de la DGAS, qui ont permis à ce groupe de travailler vite et bien. Ils nous ont permis d'ouvrir un chantier très important et dans lequel nous devons nous investir durablement.



(source http://www.social.gouv.fr, le 7 février 2002)