Interviews de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à "Radio nacional de Espana" le 15 et "Telecinco" le 16 septembre 1999, sur le séminaire franco-espagnol, la coopération bilatérale pour la lutte contre le terrorisme basque, la situation en Russie et l'intervention des forces de l'ONU au Timor oriental.

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Circonstance : 17ème séminaire franco espagnol à Madrid du 15 au 16 septembre 1999

Média : Radio nacional de Espana - Telecinco

Texte intégral

ENTRETIEN AVEC "RADIO NACIONAL DE ESPANA" (Madrid, 15 septembre 1999)
Q - Quelles sont les possibilités, les grandes lignes qui vont être tirées de ce séminaire à votre avis, Monsieur le Ministre, compte tenu des thèmes bilatéraux d'actualité tels que le processus de paix au Pays basque, la situation à la frontière des deux pays et des grandes questions internationales, la Méditerranée, le processus de paix au Moyen-Orient, la décomposition de la Russie ou l'affaire de Timor, par exemple?
R - Les séminaires franco-espagnols ne sont pas faits pour prendre des décisions spectaculaires mais pour faire un solide travail de fond. Et ces dernières années, on a vu d'ailleurs que les problèmes qui pouvaient se poser entre les deux pays sur différents plans ont été extraordinairement améliorés par ces séminaires, puisqu'on a appris à mieux se comprendre et on a trouvé des solutions. Je me rappelle encore le séminaire d'Ibiza en 97, par exemple, à l'occasion duquel on avait bâti une nouvelle coopération sur la question des fruits et légumes, pour réussir à trouver un peu de sérénité par rapport à des opinions publiques qui étaient assez enflammées l'une contre l'autre sur de tels sujets.
Aujourd'hui nous n'avons aucun problème. On a des sujets intéressants mais pas des problèmes et pas de contentieux. Donc, nous allons faire le point des relations bilatérales, pour faire avancer les choses, comme dans toutes ces rencontres, sur les sujets les plus variés. On va évidemment parler des sujets qui concernent les ministres qui sont avec moi, notamment les questions des ministères de l'Intérieur, de l'Equipement et des Transports. Ensuite, nous allons faire le point de toutes les questions qui touchent la Méditerranée, puisque la France et l'Espagne ont un grand intérêt commun, elles agissent de façon coordonnée et convergente: le Maghreb, le processus de Barcelone, le processus de paix au Proche-Orient. Ensuite, nous allons regarder de près les questions européennes, les prochaines échéances, le Conseil de Tampere sur les questions de justice et de police, qui est d'ailleurs une initiative espagnole. C'est un sujet de plus en plus important pour l'Europe. On va parler des perspectives de l'élargissement de l'Europe et des réformes institutionnelles que cela nous impose de faire, pour faire face à cette échéance, entre autres sujets. En matière européenne, nous sommes très proches, l'Espagne et la France, et nous cherchons toujours à préciser sujet par sujet nos positions exactes, pour pouvoir nous conforter mutuellement. Et, il y a bien d'autres sujets possibles dans l'actualité brûlante, bien sûr Timor, mais là, heureusement, il y a un vrai progrès avec l'acceptation par le président Habibie d'une force et avec le vote d'une résolution du Conseil de sécurité. Et, certainement, nous parlerons aussi des relations Europe-Amérique Latine, nous ne sommes pas très longtemps après le Sommet de Rio et on peut dire que c'est grâce à la France, à l'Espagne et au Brésil, que nous avons formulé le compromis qui a permis, avant le Sommet de Rio, de jeter les bases de la négociation qui va maintenant s'engager entre l'Union européenne et le Mercosur. Nous allons aborder de nombreux sujets avec amitié et sympathie parce qu'aucun de ces sujets ne nous sépare. Au contraire, nous allons faire du bon travail ensemble.
Q - Comment le gouvernement français voit-il le processus de paix au Pays Basque ?
R - Le gouvernement français souhaite que les choses avancent. Il a agi depuis longtemps maintenant, pour que tous ces problèmes douloureux puissent être surmontés, et il coopère activement avec l'Espagne sur les questions de sécurité. C'est une coopération établie, solide, confiante de part et d'autre. Ensuite, il reste une question proprement politique qui est une question de politique intérieure espagnole. Donc ce n'est pas à nous de dire ce qu'il faut faire ou pas. Mais en parlant avec l'amitié que peut éprouver un voisin aussi proche, nous pouvons dire que nous espérons vivement que ce processus puisse déboucher sur une solution qui crée une situation stable.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 septembre 1999)
ENTRETIEN AVEC LA CHAINE DE TELEVISION ESPAGNOLE "TELECINCO" (Madrid, 16 septembre 1999)
Q - Monsieur le Ministre, on commence par la Russie. Je voudrais savoir quelle influence ont en Europe les derniers attentats, qui peuvent déstabiliser la Russie. La Russie n'est certes pas, à l'heure actuelle, une puissance économique mais elle est tout de même une puissance à d'autres égards.
R - Je ne pense pas que cela puisse avoir une influence en Europe. Je pense que c'est un gros problème pour la Russie. La Russie à l'heure actuelle a deux problèmes principaux à traiter : d'une part, l'organisation et le respect de ses échéances électorales, puisqu'il y a dans les mois qui viennent en Russie des élections législatives, puis présidentielles. La première chose que l'on souhaite pour la Russie c'est que tout cela se déroule bien, dans de bonnes conditions et qu'il y ait une transition démocratique, sans problèmes entre le mandat du président Eltsine et le mandat de son successeur. C'est important pour la consolidation de la démocratie en Russie qu'une transition de ce type ait lieu et crée un précédent. Cela, c'est une première chose.
Ensuite il y a la question du Caucase. Dans le Caucase, la Russie est confrontée à des situations extrêmement complexes qu'on trouve d'ailleurs en dehors de la Russie, puisque dans le Caucase du Sud il y a aussi de nombreuses situations compliquées. En Russie il y a aussi des problèmes avec le nationalisme tchétchène, par exemple, avec l'islamisme en Daguestan qui a des répercussions dans d'autres régions du Caucase, c'est un problème extrêmement préoccupant qui a des répercussions. Les autorités russes disent que c'est cela qui est derrière la vague d'attentats, mais nous n'en avons aucune preuve. Mais là il y a une question très délicate que les autorités russes doivent régler avec une combinaison de moyens qui ne peut pas être que militaire. On ne peut pas régler ce problème à leur place. On ne peut que souhaiter qu'ils trouvent une solution, et que cette solution n'affecte pas ce que j'indiquais, en ce qui concerne les échéances électorales à venir.
Puis enfin, en dehors de ces deux problèmes, il y a la grande question qui est celle de l'économie, et qui est celle de la construction à partir des décombres de l'Union Soviétique d'il y a dix ans. La construction d'une économie et d'une société qui deviendront progressivement et par étapes, modernes. Et là, nous sommes engagés, dans notre propre intérêt, dans une coopération avec la Russie qu'il faut poursuivre, même si nous voulons qu'elle soit très rigoureuse de façon à être très efficace.
Q - Revenons un petit peu aux affaires nationales de l'Espagne. Il y a un an la trêve a été déclarée par l'ETA. Quel est le bilan que vous faites de cette année de trêve, Monsieur le Ministre ?
R - Du point de vue français, ce que je voudrais dire c'est que nous nous étions naturellement réjouis de cette trêve déclarée par l'ETA il y a un an. Cela ne nous a pas empêché de poursuivre la coopération entre les deux polices, la coopération en matière de lutte contre le terrorisme. La coopération entre la France et l'Espagne est maintenant solide, confiante et établie, et cette action de coopération devra être poursuivie, tant que ce sera nécessaire. Pour le reste, naturellement nous ne pouvons que souhaiter que les démarches allant au-delà de la pacification et la stabilisation de cette situation puissent aboutir.
Q - Je voudrais savoir quelle est votre impression et quelle est votre opinion en ce qui concerne la situation au Timor oriental et je voudrais savoir si la force qui est prévue pour arriver dans le pays le week-end prochain peut arriver à une solution ou apporter une contribution à une solution ?
R - Je pense que ces derniers jours, il y a eu deux décisions, positives heureusement, après plusieurs jours de tragédie. C'est l'acceptation par le président Habibie, au nom des autorités civiles et militaires de l'Indonésie, d'une force, puisque la démonstration avait été faite que l'Indonésie n'était pas capable de rétablir l'ordre et la sécurité à Timor et, d'autre part, la décision du Conseil de sécurité de créer cette force qui avait été prise très très vite. Après l'acceptation par le président Habibie, il s'est passé trois jours entre les deux décisions. La communauté internationale a maintenant à la fois la base juridique et les moyens qui sont en cours de constitution et qui devraient permettre à cette force d'être sur place, je l'espère, le week-end prochain. L'Australie en fournira la base essentielle, il y aura beaucoup de contingents asiatiques, mais aussi des participations française, britannique et d'autres pays d'Europe. Donc la tâche de la force sera de rétablir l'ordre et cela risque d'être difficile de reprendre le fil de l'accord qui avait été conclu entre l'ONU et l'Indonésie, sur le référendum et sur l'accession à l'indépendance. C'est sur cela maintenant que nous devons concentrer nos efforts, pour que l'ensemble de ce plan qui a été à un moment donné contrecarré par l'extraordinaire violence des milices, puisse finalement être appliqué.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 septembre 1999)