Déclaration de M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche, sur l'organisation et les missions assignées au GIS 'Institut de la longévité', Paris le 26 mars 2002.

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Circonstance : Installation du GIS 'Institut de la longévité à Paris le 26 mars 2002

Texte intégral

Je suis heureux de vous recevoir au ministère de la Recherche pour installer les instances de "l'Institut de la longévité".
Le 8 mars 2001, il y a donc un an, j'avais présenté ici-même, avec le Professeur Etienne-Emile BAULIEU, vice-président de l'Académie des sciences, ce projet d'Institut de la Longévité. Dans cet intervalle, nous avons défini et mis sur pied cet Institut, que nous créons officiellement aujourd'hui.
Il est indispensable, en effet, d'impulser et de développer les recherches sur le vieillissement, vu les progrès importants de la longévité, tant dans le monde qu'en France même.
21 rue Descartes - 75231 Paris cedex 05 - Tél : 01 55 55 90 90 - Fax : 01 55 55 84 37
Le vieillissement de la population mondiale
Une étude statistique des Nations-Unies publiée le 28 février à New-York constate que le vieillissement de la population est un phénomène " pratiquement irréversible " .
Il y aura en 2050 plus de personnes agées de plus de 60 ans qu'il n'y aura de personnes âgées de moins de 15 ans.
Ce vieillissement constitue "un phénomène sans précédent dont on ne connaît pas d'équivalent dans l'histoire de l'humanité" et il est universel.
Le vieillissement de la population française
En France, le bilan démographique publié par l'INSEE le 6 février 2002 montre que l'espérance de vie continue à progresser. Ainsi, elle a progressé de trois mois et demi en 2001 et s'établit désormais à 75,5 ans pour les hommes et à 83 ans pour les femmes françaises, qui détiennent toujours le record de longévité en Europe.
En extrapolant à partir de ces données, on peut en déduire qu'une fille sur deux qui naît aujourd'hui atteindra l'âge de cent ans.
Au recensement de 1999, les plus de 60 ans représentaient déjà 21,3% de la population en France. En 2010, ce pourcentage s'élèvera à 25%. En 2035, il s'établira à 33%.
Dès 2011, les plus de 60 ans seront plus nombreux que les moins de 20 ans en France.
Une étude du Ministère de l'Emploi et de la Solidarité, publiée le 4 mars 2002, montre que l'on devrait compter 17 millions de plus de 60 ans en 2020, dont 4 millions de plus de 80 ans. Par ailleurs, le nombre de personnes âgées dépendantes de plus de 60 ans devrait augmenter de 25 % à l'horizon 2020.
L'image de l'âge
Longtemps, a prévalu une image négative de la vieillesse. L'âge avancé était assimilé au déclin de l'énergie et de la vitalité.
On se rappelle Don Diègue dans " Le Cid " :
" Ô rage ! Ô désespoir. Ô vieillesse ennemie ! "
Cependant, le curseur de l'image du vieillissement s'est sensiblement déplacé .
Les barbons de Molière avaient 40 ans. C'est l'âge d'Arnolphe dans " l'Ecole des femmes ", quand il projette d'épouser Agnès. C'est aussi l'âge de Molière quand il écrit cette pièce : Armande Béjart a, elle, 20 ans et ne lui sera guère fidèle.
Pour Balzac, "La Femme de trente ans" était au sommet de son épanouissement ; après, c'était le déclin.
Aujourd'hui, Claudia Cardinale, Catherine Deneuve ou Jane Fonda ont bien plus de 30 ans. Elles ont parfois le double de cet âge. Et elles continuent de séduire.
Aujourd'hui, un homme ou une femme de 60 ans est souvent en pleine possession de ses moyens . A 60 ans, on n'est plus un "vieillard" mais un "senior".
Les 60-70 ans constituent une génération hédoniste, soucieuse de rester en forme et de mieux profiter des années qui restent.
Vivre vieux et vivre mieux
Il importe de concilier durée de la vie et qualité de la vie. L'objectif, c'est à la fois de vivre vieux et de vivre mieux.
L'objectif, c'est une longévité de qualité, c'est de gagner des années de vraie vie.
A lui seul, le nombre croissant des personnes concernées par le vieillissement nous engage déjà à en faire un domaine de recherche prioritaire.
Mais une autre donnée renforce notre détermination à agir : le niveau socio-économique reste, en France, un des déterminants majeurs de l'espérance de vie.
On constate l'inquiétante persistance des inégalités devant la mortalité.
Les moins favorisés, les moins éduqués, sont aussi les plus vulnérables face à la maladie et à la mort. C'est le constat du Haut Comité de la santé publique en février 2002.
L'espérance de vie masculine est de six ans et demi moins élevée chez les ouvriers que chez les cadres et les professions libérales.
Un manuvre a trois fois plus de risques de mourir entre 35 et 65 ans qu'un ingénieur .
L'inégalité est avant tout sociale, mais elle est aussi géographique. Aujourd'hui, les hommes du Nord-Pas-de-Calais ont une espérance de vie à la naissance d'un peu plus de 71 ans, une valeur déjà atteinte pour les hommes de Midi-Pyrénées il y a vingt ans.
Or, l'égalité des chances devant la maladie et la mort, comme le droit d'accès aux soins pour tous, doit être un des principes fondateurs de notre démocratie.
Je tiens donc particulièrement à ce que soient aussi analysés les facteurs qui rendent les couches sociales défavorisées plus vulnérables face au vieillissement, afin que les avancées de la recherche médicale bénéficient à tous.
Le rôle de l'Institut de la longévité
Il importe d'étudier davantage les maladies conduisant au vieillissement, pour mieux les prévenir ou pouvoir les soigner.
Le rôle de l'Institut de la longévité sera d'impulser, de développer et de coordonner les recherches sur le vieillissement .
Il y a, d'ailleurs, une insuffisance mondiale des recherches dans ce domaine. Nous pouvons créer là un pôle d'excellence de la recherche française. La France peut-être n°1, elle peut être leader dans ce domaine .
L'Institut de la longévité sera une "institution sans murs", mettant en uvre un programme fédérateur et fonctionnant en réseau par "networking".
Il ne s'agit évidemment pas de créer une structure lourde et pesante, qui dériverait vers la bureaucratie.
Cet Institut prend la forme d'un GIS, d'un Groupement d'intérêt scientifique, associant les divers partenaires concernés :
le ministère de la Recherche et bientôt, sans doute, d'autres départements ministériels, le secrétariat d'Etat aux personnes âgées ayant par exemple donné son accord de principe ;
des organismes publics de recherche : INSERM, CNRS et INED (Institut national des études démographiques) ;
des associations de malades: France Alzheimer dès aujourd'hui et France Parkinson probablement très prochainement.
la Fédération Française des sociétés d'assurances.
Cette structure favorisera les synergies et mettra ensemble tous les partenaires concernés, pour dynamiser les recherches sur le vieillissement, pour aller plus loin et plus vite.
Ce GIS est doté d'un comité directeur et d'un conseil scientifique.
Le Comité directeur est composé, outre son président, de deux membres désignés par le ministère de la Recherche (dont un spécialiste des sciences humaines et sociales) et d'un membre désigné par chacun des autres partenaires.
Je serais heureux que le Pr. Etienne-Emile Baulieu, qui est un peu à l'origine de ce GIS, soit le premier président de l'Institut et que le Pr. Philippe Amouyel, qui vient d'animer la mission de préfiguration du GIS, accepte d'en être maintenant son directeur.
Le Comité directeur définit le programme d'activité du GIS et veille à l'utilisation optimale de ses moyens.
Le Conseil scientifique est composé, outre son président, de seize membres, représentant l'ensemble des champs disciplinaires concernés par les recherches sur le vieillissement.
Le Conseil scientifique est consulté par le Comité directeur sur la politique scientifique et les programmes que le GIS souhaite promouvoir. Il assure le suivi des résultats obtenus et propose au comité directeur les priorités qu'il souhaite voir retenues.
Des scientifiques éminents tels que les professeurs au Collège de France Christine Petit et Alain Berthoz, les Pr Jean Mariani, José Sahel et Jacques Demongeot, les Drs François Bourdelet et Jacques Epelbaum, feront partie de ce conseil.
La direction du GIS est assurée par un directeur nommé par le comité directeur.
L'année écoulée a permis au comité de préfiguration du GIS, piloté par les Pr Baulieu et Amouyel, en liaison avec les services de mon ministère, d'expertiser les axes de recherche possibles.
En 2002, l'Institut disposera de 21 MF provenant du FNS et du FRT ainsi que de l'INSERM, qui s'est résolument engagé dans ce projet et où sera installé le siège de l'Institut.
Pour le démarrage de ce GIS, quatre axes prioritaires de recherche ont été retenus, ce qui, bien sûr, n'exclura pas l'adoption de nouveaux thèmes par la suite.
Les études de génomique et de post-génomique devraient contribuer grandement à développer nos connaissances sur la longévité. Il s'agira en particulier de s'appuyer sur l'expérience originale de l'étude des trois Cités (3C), et de lui donner un nouvel élan.
A ce jour, l'étude 3C, coordonnée par le Professeur Dartigues, a recruté plus de 9 692 participants dans les populations de Bordeaux, Dijon et Montpellier. Elle représente déjà une base de données précieuses en ce qui concerne l'évaluation des capacités intellectuelles comme la mémoire, le langage, la logique. L'étude réalise également des mesures du vieillissement vasculaire et une évaluation du retentissement cérébral de la pathologie vasculaire infra clinique. Une banque de matériel biologique - sérum, plasma, ADN - est constituée, dont l'exploitation sera assurée par les plates-formes à haut débit de la génopole de Lille-Nord-Pas de Calais, dirigée par le Professeur Philippe Amouyel.
La coexistence, au sein d'une même étude de cohorte, des trois points forts que sont le caractère prospectif de l'étude, la qualité et la richesse des variables enregistrées, l'accès à des données biologiques, constitue une expérience pionnière. Cette étude est déjà une référence mondiale et une source de données cliniques unique en son genre. Avec déjà plus de 5000 examens d'imagerie cérébrale, elle constitue la plus grande base de données internationale sur ce sujet.
Le deuxième axe de recherche concerne l'élevage d'animaux utiles à l'étude du vieillissement et de la longévité.
Actuellement, ce qui limite les chercheurs est la disponibilité des animaux en nombre et en facilité d'accès. L'Institut de la longévité pourrait donc s'engager dès maintenant à soutenir deux projets.
D'une part, la création d'un répertoire national des modèles animaux de vieillissement, disponible sur le web grâce à un site dédié. Ce répertoire, réalisé et mis à jour dans le laboratoire du Docteur Françoise Moos à Montpellier, pourrait ensuite être transféré à l'animalerie centrale du CNRS à Orléans, si un noyau de lignées utiles pour l'étude du vieillissement devait y être tranféré et maintenu.
D'autre part, le développement de centres d'élevage agréés, à partir des sites déjà équipés et motivés pour la recherche en biologie du vieillissement. Ces centres d'élevage se verront associer des laboratoires dédiés à la recherche dans ce domaine.
Les handicaps sensoriels liés à l'âge feront l'objet d'une troisième direction de recherche : les affections de la rétine menaçant la vision centrale, la baisse de l'acuité auditive, les troubles de l'équilibre, de la marche et de l'orientation sont les handicaps les plus fréquents chez les personnes âgées.
A côté de la cataracte et du glaucome, la dégénérescence maculaire liée à l'âge est devenue la première cause de cécité en France : elle affecte au moins 1,5 millions de personnes, dont 15 % sont considérées comme aveugles. La DMLA est aujourd'hui identifiée comme la troisième menace pour la santé dans les pays industrialisés. Des programmes cliniques, de même que des programmes de recherche fondamentale seront donc développés.
Le programme de recherches fondamentales fera une large place à la génétique (identification des gènes de susceptibilité de la DMLA), ainsi qu'au développement de modèles et de stratégies novatrices, allant de la thérapie cellulaire aux prothèses visuelles.
Vendredi dernier, le 22 mars, j'ai participé à la signature de la convention constitutive du GIS Institut de Recherches Cliniques et Biomédicales sur la Vision, qui regroupe l'INSERM, Paris VI, les Quinze-Vingts et la Fondation ophtalmologique Adolphe de Rothchild. Ce réseau qu'animera le Pr Sahel jouera un rôle moteur et initiateur pour la thématique de la " cécité liée à l'âge " de l'Institut de la Longévité.
La perte progressive de l'acuité auditive est due à une atteinte de l'oreille interne : la presbyacousie. Elle touche 25 % de la population entre 65 et 75 ans, 40 % au-delà de 75 ans. Il n'existe actuellement aucun traitement efficace de cette affection : les prothèses amplifient le son, mais n'améliorent pas la discrimination auditive.
Les objectifs du projet sont donc de cerner les facteurs de causalité. En particulier de définir les bases moléculaires des formes héréditaires et d'identifier les cibles thérapeutiques potentielles.
La recherche des gènes impliqués combinera des approches ne s'appuyant sur aucune hypothèse fonctionnelle avec des approches ciblées (gène candidat). La validité de cette démarche a été éprouvée pour l'isolement des gènes responsables des surdités héréditaires congénitales, et c'est d'ailleurs le Professeur Christine Petit, récemment élue au Collège de France et spécialiste reconnue du domaine, qui animera ce réseau.
Une partie des déficits de l'équilibre, de la marche et de l'orientation chez les personnes âgées est due à des facteurs périphériques : fragilité osseuse, faiblesse musculaire, troubles neurologiques. L'objectif est de comprendre les mécanismes qui sont à l'origine de ces dégénérescences, et de mettre au point des méthodes de prévention et de rééducation. Ce projet implique la contribution de neurobiologistes, de physiologistes, de neurologues, d'ORL, d'ophtalmologues, de rhumatologues et de psychiatres. Il sera coordonné par les Professeurs Jean Mariani et Alain Berthoz.
Enfin la contribution des technologies de l'information et de la communication peut jouer un rôle important pour améliorer les conditions de vie des personnes âgées. Il s'agit de la quatrième thématique de recherche, consacrée en particulier aux "appartements intelligents".
Là encore, il s'agit de prévenir pour éviter les lourdes conséquences physiques qu'entraînerait, par exemple, un accident cardiaque ou les troubles psychologiques que risquerait de susciter un long séjour hospitalier.
Plusieurs grandes entreprises privées pourraient s'associer à ce programme pour ses aspects de domotique, de télécommunication, de miniaturisation des capteurs, d'informatique du traitement des signaux.
En effet, le premier objectif de cette recherche, coordonnée par le Professeur Jacques Demongeot, est de réaliser des appartements témoins expérimentaux au sein d'institutions gériatriques, telles que les hôpitaux Charles Foix à Vitry ou René Muret associé à Bobigny. Il convient, pour ce faire, de s'assurer de l'aide d'équipes de recherche technologique, comme le CCAS (CNRS) de Grenoble ou le TIISSAD (CNRS/INRIA) implanté au CHU de Nancy.
Les sciences humaines et sociales apporteront, elles aussi leur concours à cette structure intégrée de recherche sur le vieillissement. Elles permettront notamment de mieux connaître la sociologie du sujet âgé ou de mieux évaluer l'impact économique de la longévité.
Les sciences humaines et sociales pourraient ainsi s'engager dans deux grandes orientations d'étude. D'une part, l'organisation du temps personnel selon les âges : comment s'effectue le passage du travail à la retraite et au loisir ; quelle est la place exacte du bénévolat ; qui aide qui et de quelle manière ; comment se fait la transmission du savoir entre les générations ? D'autre part, la thématique Vieillesse et territoire, qui met en uvre les compétences des démographes, sociologues et géographes pour étudier comment on vit la ville en fonction de son âge.
A travers toutes ces recherches, nous retrouvons un concept auquel je suis très attaché : celui d'une "science citoyenne", agissant avec une forte réactivité aux préoccupations et aux attentes de nos concitoyens. Bref, une science au service de la personne humaine et de la société.
C'est cette valeur émancipatrice de la science que nous défendons ensemble, parce qu'elle offre plus d'humanité à chacun et plus de solidarité à tous.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 29 mars 2002)