Interview de M. Alain Richard, ministre de la défense à RTL et Europe 1 le 12 août 1999, sur la situation au Kosovo, l'affrontement des communautés serbes et albanaises, les résistances aux actions de maintien de la paix de la Kfor, le retour des réfugiés, la démilitarisation de l'UCK, le pouvoir des partisans de Slobodan Milosevic.

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Circonstance : Voyage de M. Richard au Kosovo et en Macédoine le 10 août 1999

Média : Emission L'Invité de RTL - Europe 1 - RTL

Texte intégral

Interview de Monsieur Alain Richard, ministre de la Défense, sur RTL le 12 Août 1999
RICHARD ARTZ
Alain RICHARD bonjour. De votre visite au Kosovo n'avez-vous pas retenu que les possibilités d'apaisement sont loin d'être en vue ?
ALAIN RICHARD
Oui, mais revenons avant tout sur les quatre ou cinq mois que nous venons de vivre. Nous avons, par la force armée, empêché et arrêté l'épuration ethnique entreprise par le pouvoir serbe. 900 000 Kosovars albanais sont partis de chez eux sous la terreur et plusieurs milliers ont été massacrés. Aujourd'hui les gens se réinstallent. Les deux communautés sont amenées à vivre proches l'une de l'autre, mais aussi à se confronter. Il existe en effet, une compétition pour le pouvoir. Nous ne pouvons, par conséquent, espérer que la force internationale, la KFOR, puisse vivre cette réinstallation au Kosovo dans la paix et dans la concorde. Ce contexte génère forcément des affrontements et nous devons les surmonter. La maîtrise des situations sur le terrain s'améliore cependant.
RICHARD ARTZ
Le désarmement des parties en présence doit être achevé mi-septembre. Alors allons-nous forcément connaître, d'ici cette échéance, une période difficile ?
ALAIN RICHARD
Il y aura d'autres affrontements. Nous l'avons vu avec la brigade américaine qui s'est heurtée à certaines opposants. Cet affrontement était d'ailleurs beaucoup plus direct que ce qu'ont vécu nos hommes à Mitrovica. Les manifestants venaient ainsi défendre des personnes qui avaient été interpellées les armes à la main. Ils ont donc mené une résistance à leur façon contre les forces d'occupation serbes. Ils souhaitent en effet avoir le maximum de pouvoir et de responsabilités sur leur village ou leur quartier, une fois les opérations terminées. Mais la loi internationale ce n'est pas ça : c'est l'établissement de la démocratie. Ces personnes auront leur place, mais elles doivent avant tout choisir entre la kalachnikov et le bulletin de vote. Pendant cette période de changement de perspective, apparaissent évidemment des soubresauts.
RICHARD ARTZ
Le Haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), estime qu'il existe une campagne d'intimidation et d'agression pour inciter les Serbes à quitter le Kosovo. Ce serait, en quelque sorte, une épuration ethnique à l'envers ?
ALAIN RICHARD
N'allons pas trop vite dans cette description. En effet, l'UCK, cette formation résistante, était tout de même très dispersée. Elle est variable suivant les régions et les secteurs du Kosovo. Nous pouvons alors penser, au contraire, que beaucoup d'initiatives sont locales et conduites par des chefs de guérilla. Certes, à l'arrivée de chaque vague de réfugiés - tous les réfugiés sont désormais pratiquement revenus -, la découverte des lieux, des destructions, des exactions et des massacres a engendré une haine et une volonté de revanche. Imaginons un instant que l'une de nos provinces ait connu de tels faits : personne ne reviendrait avec l'esprit serein.
RICHARD ARTZ
Des Albanais du Kosovo s'en sont pris, à Mitrovica, aux soldats français qui les empêchaient de franchir un pont en direction du quartier serbe. Quelle signification avait cette agression ? Est-ce le fait d'éléments isolés selon vous ?
ALAIN RICHARD
Ce sont sans doute de très jeunes gens. Après en avoir longuement discuté avec le général CUCHE et son état-major, nous estimons qu'environ 50 000 albanophones sont vraisemblablement revenus à Mitrovica. Ils ont, vaille que vaille retrouvé leur foyer. Or, les manifestants étaient à peu près 200. Ce n'est donc pas un mouvement de la vague de la population albanophone souhaitant rejoindre l'autre quartier, mais véritablement un mouvement minoritaire désireux de s'imposer un peu.
RICHARD ARTZ
Le commandant du contingent allemand de la KFOR estime que les soldats français ont montré, à cette occasion, des signes de faiblesse. Ils auraient dû, selon lui, se servir de leurs armes pour des tirs de sommation.
ALAIN RICHARD
Ce commentaire n'est pas adapté. Toute cette opération s'est menée, en grande partie, à l'initiative et avec un effort particulier des Européens. Depuis le départ nous avons travaillé en bonne entente sur toute cette action au sein des gouvernements européens. Il serait étonnant que mon collègue et ami Rudolph SCHARPING, ministre allemand de la Défense, reprenne le commentaire de ce général.
RICHARD ARTZ
Après ces manifestations, Hashim THACI, chef politique de l'UCK, avait dénoncé l'arrogance des soldats français. Vous avez affirmé pouvoir comprendre certains termes dans une situation de compétition de pouvoir. Avez-vous, tout d'abord, vous même été bien compris en disant cela ? D'autre part, diriez-vous encore la même chose après avoir parlé une demi-heure avec Hashim THACI ?
ALAIN RICHARD
Oui. Nous avons même parlé pendant plus longtemps que cela. Je lui ai dit assez franchement ma façon de penser suite à ses déclarations. Notre rôle au sein des nations aujourd'hui directement en charge du maintien de la paix au Kosovo, n'est pas d'attiser le feu. Ces protagonistes se disputent pour installer leur pouvoir sur le Kosovo. Cela conduit donc à des excès verbaux, comme au cours de ces manifestations. Nous ne pouvons nous comporter comme ces protagonistes alors que nous sommes le juge de paix. Par conséquent, je n'ai pas relevé son propos.
Cette visite tendait à conforter, encourager et complimenter pour leur maîtrise, les soldats français. Soulignons que pendant ces périodes, avec des sursauts de violence et des remontées de haine, c'est tout de même dans le secteur dont la brigade LECLERC a la charge qu'il y a eu le moins de morts par violence. Nous avons assuré la sécurité vitale des gens.
RICHARD ARTZ
Vous avez rencontré Hashim THACI. Qu'avez-vous retiré de positif au cours de cet entretien ?
ALAIN RICHARD
Il a vraisemblablement compris que désormais la voie à suivre est celle de la reconstruction dans la coexistence des communautés. Il est cependant difficile de faire redescendre cette nouvelle optique vers la base de son organisation. Il a affirmé publiquement que son rôle était aussi d'assurer un Kosovo multi-ethnique et que la règle du jeu était maintenant de se préparer à gérer pacifiquement et démocratiquement cette province. Bernard KOUCHNER réfléchit quant à lui, sous l'égide des Nations Unies, au calendrier de mise en place d'institutions locales élues dans le Kosovo. Monsieur THACI a sans doute compris cela.
RICHARD ARTZ
Vous avez récemment rencontré monsieur RUGOVA dont la position est modérée.
ALAIN RICHARD
Monsieur RUGOVA a une audience et bénéficie d'un potentiel de confiance dans la population albanaise, même si ce ne sont pas des gens qui ont pris les armes. Son groupe de résistance passive, structuré pendant sept ou huit ans contre la domination serbe, est constitué de beaucoup de personnes justement prêtes à exercer des responsabilités, disposées à enseigner, soigner, et faire vivre les services locaux. Nous pensons qu'il va lui aussi jouer le jeu.
RICHARD ARTZ
Une amitié et une alliance franco-serbe a été entretenue tout au long du XXème siècle. Par conséquent, les Français n'ont-ils pas, plus que d'autres, aujourd'hui besoin de démontrer leur neutralité au Kosovo ?
ALAIN RICHARD
Certes, il existait au cours de ce siècle des liens historiques positifs avec la Serbie. Mais nous possédions aussi des liens historiques négatifs avec l'Allemagne et tout le monde constate aujourd'hui que nous travaillons côte à côte. Les choses se transforment donc ! Notre attitude à l'égard du pouvoir serbe et sa volonté d'élimination, a parfaitement été démontrée au cours des pourparlers de Rambouillet et ensuite dans l'opération aérienne contre la Yougoslavie. Nous n'avons donc plus rien à prouver de ce côté là.
RICHARD ARTZ
A ce propos, MILOSEVIC tarde décidément à être renversé.
ALAIN RICHARD
Oui, mais souvenez-vous de ce que l'on entendait dire ou encore ce qu'on lisait à Paris il y a quatre mois. Beaucoup de commentateurs nous accusaient d'être vraiment maladroits, de nous y prendre " comme des manches " sous le reproche de souder la population serbe autour de MILOSEVIC en employant la force contre lui. Nous observons partout aujourd'hui des manifestations de protestations ainsi que le détachement de l'église orthodoxe - qui représente évidemment un poids dans la communauté serbe - à l'encontre de Milosevic. L'échec économique et social, assorti d'un ensemble de mécanismes de racket, de corruption etc., constitue le fond du pouvoir des partisans de MILOSEVIC. L'issue de MILOSEVIC est l'affaire du peuple serbe, d'une part - il est d'ailleurs en train de s'en charger - et du Tribunal pénal international d'autre part, que nous aidons pour l'établissement des constats au Kosovo.
Interview de Monsieur Alain Richard, ministre de la Défense, sur RTL le 12 Août 1999
RICHARD ARTZ
Alain RICHARD bonjour. De votre visite au Kosovo n'avez-vous pas retenu que les possibilités d'apaisement sont loin d'être en vue ?
ALAIN RICHARD
Oui, mais revenons avant tout sur les quatre ou cinq mois que nous venons de vivre. Nous avons, par la force armée, empêché et arrêté l'épuration ethnique entreprise par le pouvoir serbe. 900 000 Kosovars albanais sont partis de chez eux sous la terreur et plusieurs milliers ont été massacrés. Aujourd'hui les gens se réinstallent. Les deux communautés sont amenées à vivre proches l'une de l'autre, mais aussi à se confronter. Il existe en effet, une compétition pour le pouvoir. Nous ne pouvons, par conséquent, espérer que la force internationale, la KFOR, puisse vivre cette réinstallation au Kosovo dans la paix et dans la concorde. Ce contexte génère forcément des affrontements et nous devons les surmonter. La maîtrise des situations sur le terrain s'améliore cependant.
RICHARD ARTZ
Le désarmement des parties en présence doit être achevé mi-septembre. Alors allons-nous forcément connaître, d'ici cette échéance, une période difficile ?
ALAIN RICHARD
Il y aura d'autres affrontements. Nous l'avons vu avec la brigade américaine qui s'est heurtée à certaines opposants. Cet affrontement était d'ailleurs beaucoup plus direct que ce qu'ont vécu nos hommes à Mitrovica. Les manifestants venaient ainsi défendre des personnes qui avaient été interpellées les armes à la main. Ils ont donc mené une résistance à leur façon contre les forces d'occupation serbes. Ils souhaitent en effet avoir le maximum de pouvoir et de responsabilités sur leur village ou leur quartier, une fois les opérations terminées. Mais la loi internationale ce n'est pas ça : c'est l'établissement de la démocratie. Ces personnes auront leur place, mais elles doivent avant tout choisir entre la kalachnikov et le bulletin de vote. Pendant cette période de changement de perspective, apparaissent évidemment des soubresauts.
RICHARD ARTZ
Le Haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), estime qu'il existe une campagne d'intimidation et d'agression pour inciter les Serbes à quitter le Kosovo. Ce serait, en quelque sorte, une épuration ethnique à l'envers ?
ALAIN RICHARD
N'allons pas trop vite dans cette description. En effet, l'UCK, cette formation résistante, était tout de même très dispersée. Elle est variable suivant les régions et les secteurs du Kosovo. Nous pouvons alors penser, au contraire, que beaucoup d'initiatives sont locales et conduites par des chefs de guérilla. Certes, à l'arrivée de chaque vague de réfugiés - tous les réfugiés sont désormais pratiquement revenus -, la découverte des lieux, des destructions, des exactions et des massacres a engendré une haine et une volonté de revanche. Imaginons un instant que l'une de nos provinces ait connu de tels faits : personne ne reviendrait avec l'esprit serein.
RICHARD ARTZ
Des Albanais du Kosovo s'en sont pris, à Mitrovica, aux soldats français qui les empêchaient de franchir un pont en direction du quartier serbe. Quelle signification avait cette agression ? Est-ce le fait d'éléments isolés selon vous ?
ALAIN RICHARD
Ce sont sans doute de très jeunes gens. Après en avoir longuement discuté avec le général CUCHE et son état-major, nous estimons qu'environ 50 000 albanophones sont vraisemblablement revenus à Mitrovica. Ils ont, vaille que vaille retrouvé leur foyer. Or, les manifestants étaient à peu près 200. Ce n'est donc pas un mouvement de la vague de la population albanophone souhaitant rejoindre l'autre quartier, mais véritablement un mouvement minoritaire désireux de s'imposer un peu.
RICHARD ARTZ
Le commandant du contingent allemand de la KFOR estime que les soldats français ont montré, à cette occasion, des signes de faiblesse. Ils auraient dû, selon lui, se servir de leurs armes pour des tirs de sommation.
ALAIN RICHARD
Ce commentaire n'est pas adapté. Toute cette opération s'est menée, en grande partie, à l'initiative et avec un effort particulier des Européens. Depuis le départ nous avons travaillé en bonne entente sur toute cette action au sein des gouvernements européens. Il serait étonnant que mon collègue et ami Rudolph SCHARPING, ministre allemand de la Défense, reprenne le commentaire de ce général.
RICHARD ARTZ
Après ces manifestations, Hashim THACI, chef politique de l'UCK, avait dénoncé l'arrogance des soldats français. Vous avez affirmé pouvoir comprendre certains termes dans une situation de compétition de pouvoir. Avez-vous, tout d'abord, vous même été bien compris en disant cela ? D'autre part, diriez-vous encore la même chose après avoir parlé une demi-heure avec Hashim THACI ?
ALAIN RICHARD
Oui. Nous avons même parlé pendant plus longtemps que cela. Je lui ai dit assez franchement ma façon de penser suite à ses déclarations. Notre rôle au sein des nations aujourd'hui directement en charge du maintien de la paix au Kosovo, n'est pas d'attiser le feu. Ces protagonistes se disputent pour installer leur pouvoir sur le Kosovo. Cela conduit donc à des excès verbaux, comme au cours de ces manifestations. Nous ne pouvons nous comporter comme ces protagonistes alors que nous sommes le juge de paix. Par conséquent, je n'ai pas relevé son propos.
Cette visite tendait à conforter, encourager et complimenter pour leur maîtrise, les soldats français. Soulignons que pendant ces périodes, avec des sursauts de violence et des remontées de haine, c'est tout de même dans le secteur dont la brigade LECLERC a la charge qu'il y a eu le moins de morts par violence. Nous avons assuré la sécurité vitale des gens.
RICHARD ARTZ
Vous avez rencontré Hashim THACI. Qu'avez-vous retiré de positif au cours de cet entretien ?
ALAIN RICHARD
Il a vraisemblablement compris que désormais la voie à suivre est celle de la reconstruction dans la coexistence des communautés. Il est cependant difficile de faire redescendre cette nouvelle optique vers la base de son organisation. Il a affirmé publiquement que son rôle était aussi d'assurer un Kosovo multi-ethnique et que la règle du jeu était maintenant de se préparer à gérer pacifiquement et démocratiquement cette province. Bernard KOUCHNER réfléchit quant à lui, sous l'égide des Nations Unies, au calendrier de mise en place d'institutions locales élues dans le Kosovo. Monsieur THACI a sans doute compris cela.
RICHARD ARTZ
Vous avez récemment rencontré monsieur RUGOVA dont la position est modérée.
ALAIN RICHARD
Monsieur RUGOVA a une audience et bénéficie d'un potentiel de confiance dans la population albanaise, même si ce ne sont pas des gens qui ont pris les armes. Son groupe de résistance passive, structuré pendant sept ou huit ans contre la domination serbe, est constitué de beaucoup de personnes justement prêtes à exercer des responsabilités, disposées à enseigner, soigner, et faire vivre les services locaux. Nous pensons qu'il va lui aussi jouer le jeu.
RICHARD ARTZ
Une amitié et une alliance franco-serbe a été entretenue tout au long du XXème siècle. Par conséquent, les Français n'ont-ils pas, plus que d'autres, aujourd'hui besoin de démontrer leur neutralité au Kosovo ?
ALAIN RICHARD
Certes, il existait au cours de ce siècle des liens historiques positifs avec la Serbie. Mais nous possédions aussi des liens historiques négatifs avec l'Allemagne et tout le monde constate aujourd'hui que nous travaillons côte à côte. Les choses se transforment donc ! Notre attitude à l'égard du pouvoir serbe et sa volonté d'élimination, a parfaitement été démontrée au cours des pourparlers de Rambouillet et ensuite dans l'opération aérienne contre la Yougoslavie. Nous n'avons donc plus rien à prouver de ce côté là.
RICHARD ARTZ
A ce propos, MILOSEVIC tarde décidément à être renversé.
ALAIN RICHARD
Oui, mais souvenez-vous de ce que l'on entendait dire ou encore ce qu'on lisait à Paris il y a quatre mois. Beaucoup de commentateurs nous accusaient d'être vraiment maladroits, de nous y prendre " comme des manches " sous le reproche de souder la population serbe autour de MILOSEVIC en employant la force contre lui. Nous observons partout aujourd'hui des manifestations de protestations ainsi que le détachement de l'église orthodoxe - qui représente évidemment un poids dans la communauté serbe - à l'encontre de Milosevic. L'échec économique et social, assorti d'un ensemble de mécanismes de racket, de corruption etc., constitue le fond du pouvoir des partisans de MILOSEVIC. L'issue de MILOSEVIC est l'affaire du peuple serbe, d'une part - il est d'ailleurs en train de s'en charger - et du Tribunal pénal international d'autre part, que nous aidons pour l'établissement des constats au Kosovo.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 13 août 1999)