Texte intégral
France Inter -
Le 8 mars 2002
S. Paoli Le troisième homme des présidentielles sera-t-il une femme ? La question n'est pas seulement provoquée par cette Journée internationale des femmes, mais bien parce que l'Ifop, dans son dernier sondage, crédite A. Laguiller de 9 % des intentions de vote, loin devant R. Hue, et talonnant J.-P. Chevènement et J.-M. Le Pen.
Vous venez de publier un essai intitulé "Mon communisme", aux éditions Plon. Vous bousculez autant la campagne de L. Jospin que celle de R. Hue...
- "J'espère que je bouscule tout le monde, parce que ce qu'on entend actuellement des discours de ceux qu'on nous présente comme les "grands candidats" sont des phrases creuses, qui ne correspondent absolument pas aux problèmes que rencontrent les travailleurs de ce pays, la population laborieuse, tous ceux qui, soit sont au chômage, soit viennent de se faire licencier de leur entreprise, ils sont sûrs de ne pas retrouver un emploi. Pour les 6 millions de pauvres de ce pays. Justement, moi, je n'ai pas besoin finalement de faire toutes ces phrases. Je suis comprise, j'ai l'assentiment d'une grande partie de ce monde du travail. Quand j'étais hier soir à Saint-Lô, avec beaucoup d'ouvrières et d'ouvriers de Moulinex dans la salle, je peux vous dire que quand je dis qu'il faut l'interdiction des licenciements sous peine de réquisition des entreprises qui licencient, c'est tout à fait compris. Cela rencontre effectivement cet assentiment qui se retrouve actuellement, à un temps donné, dans les sondages."
Mais que répondez-vous à R. Hue quand il dit - c'était dans le cadre du journal, tout à l'heure à 8h00 - qu'"au fond, moi, je la trouve sympathique, parce qu'elle est protestataire". On comprenait qu'il disait en même qu'elle est un peu velléitaire, parce qu'une fois qu'elle a fini la campagne, il ne se passe pas grand chose. Qu'est-ce que vous répondez à R. Hue ?
- "R. Hue pense qu'il faut que son parti soit dans le Gouvernement pour faire avancer les choses. La présence des ministres communistes n'a empêché aucun plan de licenciement, n'empêche pas la précarité de l'emploi de gagner dans ce pays. Non, je pense qu'on peut peser beaucoup plus en réalité de l'extérieur. Moi, si j'ai un souhait, c'est de faire effectivement un score important, pas pour moi, mais parce que je pense que cela va renforcer le camp du monde du travail, que les travailleurs se sentiront... D'abord, cela montrera que la classe ouvrière existe, contrairement à ce que certains veulent bien laisser entendre, et deuxièmement, qu'elle se renforce moralement, politiquement. De toute façon, nous allons avoir des luttes à mener, que ce soit sur les problèmes des retraites, sur les problèmes du chômage, sur les problèmes des salaires, cela va nous rendre plus fort, si d'un bout à l'autre du pays, il y a des millions de femmes et d'hommes qui disent qu'ils sont d'accord, qu'il faut arrêter cette société d'injustice. Il y a, oui, une petite minorité de très riches qui décident tout, y compris sur le plan économique, et que les travailleurs, eux, n'ont que leurs yeux pour pleurer quand au bout de dix ans, vingt ans, ou trente ans de travail, on les met à la porte de leur entreprise."
Quand vous dites peser - en effet, vous pesez, puisque vous êtes créditée de 9 % des intentions de vote, vous êtes même presque en situation de pivot maintenant dans cette élection présidentielle - qu'est-ce que vous allez faire ? Votre stratégie, qu'elle est-elle ? Il y a le deuxième tour de la présidentielle. Qu'est-ce que vous allez dire, faire ? On parlera des législatives ensuite...
- "Je n'ai pas de stratégie. Si vous me parlez du deuxième tour, moi, contrairement à Chevènement, j'ai dit clairement que je ne donnerais pas de consigne de vote. Je sais que mes électeurs ne sont pas de petits soldats, qu'ils feront absolument ce qu'ils auront envie de faire. Lutte Ouvrière et moi-même nous ne donnerons aucune consigne de vote. J'ai toujours combattu la droite, mais je ne cautionnerai pas la politique que le Parti socialiste a menée au pouvoir pendant cinq ans, une politique qui a aggravé le sort de la classe ouvrière, qui a continué les mesures prises par la droite. Balladur a augmenté le temps de cotisation pour les retraites et Jospin a appliqué cela sans état d'âme. La droite a commencé à privatiser et la gauche, avec Jospin, a continué, et même privatisé davantage et on a beaucoup de crainte sur la privatisation d'EDF aujourd'hui, quel que soit l'élu du deuxième tour. Voilà. Moi, ce n'est pas une stratégie, c'est représenter les travailleurs, les chômeurs, les petites retraites, parce qu'on nous dit : "Les retraités, c'est formidable, les retraités, ils vivent bien". Je ne sais pas, on vit dans des mondes différents. Moi, tous les soirs, à mes meetings, il y a des femmes qui viennent et qui n'ont que 5.000 francs pour vivre, qui sont effarées de voir qu'on leur reprend encore la CSG, la RDS. Il y a une grande partie de la population, aujourd'hui, qui vit mal, qui vit pauvrement et je crois que ce n'est pas un problème de stratégie. C'est un problème que ces gens-là, on les entende. Moi, je vais les faire entendre dans la campagne."
Vous considérez qu'en effet, il n'y a plus vraiment de gauche, en tout cas s'agissant des socialistes et même du Parti communiste, qu'il y a eu un incroyable recentrage de ces partis ?
- "Si j'ai quelque chose à dire, non pas à R. Hue - je n'ai pas de compassion pour R. Hue, parce qu'il mène la politique qu'il entend mener à la direction de son parti -, mais en ce qui concerne les militants du Parti communiste, en particulier les militants ouvriers, je pense leur faire la démonstration qu'on peut continuer à défendre les intérêts des travailleurs, même quand c'est un gouvernement de gauche qui les attaque, ou en tout cas qui ne les défend pas. Leur montrer aussi qu'on peut se dire communiste et, finalement, avoir l'assentiment d'une partie de la population."
C'est la Journée internationale des femmes. A vos yeux, qu'en dites-vous ? Est-ce une sorte d'assez pitoyable prothèse, parce que cela fait longtemps que la Journée des femmes existe et qu'on n'a pas beaucoup avancé - il y en aura une prochaine, dans un an, et on redira à peu près les mêmes choses ? Ou est-ce que quelque chose, à vos yeux - et aussi politiquement d'ailleurs - a commencé à changer dans ce pays ?
- "D'abord, c'est vrai que c'est une tradition ancienne. Elle est née du mouvement ouvrier. C'est en 1910 que Clara Zetkin a décidé que ce serait une journée de la femme, une journée internationale. Mais ce n'est pas une journée de la femme, c'est une journée internationale de lutte des femmes. Qu'après tout, au moins, une fois par an, on soit obligé de parler de toutes ces femmes qui sont opprimées à travers le monde, qu'on soit obligé de resignaler l'inégalité des salaires féminins et masculins persistante, y compris dans les pays riches, qu'on puisse dire qu'il y en a assez qu'on ferme les maternités de proximité, ce qui oblige, dans des régions comme j'ai été hier en Basse-Normandie, les femmes à accoucher dans les voitures de pompiers, parce qu'il faut faire des kilomètres pour trouver un hôpital, qu'on augmente le nombre de crèches, de haltes-garderies pour que les femmes puissent mener effectivement de front à la fois leur vie professionnelle et élever des enfants, et peut-être faire du syndicalisme et de la politique, tout cela, si après tout on le rappelle... Et puis avoir une pensée effectivement pour toutes les femmes qui souffrent, celles qui sont lapidées pour un soi-disant adultère, en Afrique, ou le courage d'I. Betancourt dont je ne partage pas les idées, mais qui a eu le courage de retourner dans son pays pour défendre ses idées... Alors, qu'on parle de tout cela, aujourd'hui... J'espère qu'en tout cas, les mouvements de femmes n'attendent pas après cette journée du 8 mars et que le combat continue. Et j'en suis totalement solidaire."
Quel regard portez-vous sur une certaine Sylviane et une certaine Bernadette ?
- "Moi, je suis une femme et donc, j'ai l'avantage de ne pas être obligée d'exhiber mon compagnon, puisque j'assume cette féminité toute seule."
Vous considérez qu'il y a une forme d'instrumentalisation politique de ces épouses de candidats ?
- "Je vous avoue que cela me rappelle beaucoup 1974, la première campagne où j'étais d'ailleurs la première femme à me présenter. J'étais très choquée de cela, de cette façon d'exhiber, de se servir de sa femme comme si dans un couple, on n'est pas deux individualités. Et puis, l'un n'est pas responsable de ce que fait l'autre. Donc, j'avoue que cela m'a toujours choqué, et je trouve que cela revient en force et je trouve qu'on régresse en politique aujourd'hui."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 mars 2002)
LCI
Le 15 mars 2002
A. Hausser Vous avez déjà déposé vos 500 signatures au Conseil constitutionnel. 500 tout rond ou un peu plus ?
- "Ma camarade, C. Cauquil, les a effectivement déposées hier. Il y en a peut-être un tout petit peu plus pour permettre des fois à des erreurs techniques d'être corrigées. Mais d'ailleurs, cela nous avait assez amusé de voir que le matin même certains journalistes - cela a été assez repris -, disaient qu'A. Laguiller avait des difficultés. Je rassure tout le monde : A. Laguiller sera bien présente dans cette campagne des présidentielles !"
Vous êtes candidate et définitivement candidate ?
- "Absolument, je suis candidate dans cette élection."
Ce système handicape un certain nombre de candidats à la candidature. C'est un mauvais système d'être obligé de "draguer" 500 signatures de maire dans vingt départements différents ?
- "Moi, je serais pour que tous ceux qui ont des choses à défendre dans une campagne électorale puissent le faire. Mais je vous dirais que ce n'est pas le seul barrage. Il y a aussi le barrage de l'argent, puisque le Conseil constitutionnel nous oblige maintenant à faire des emprunts. Et moi, en ce qui me concerne, je peux vous dire que pour le moment, je n'ai pas encore réussi à avoir une réponse positive pour un emprunt. Et cela peut tout à fait gêner les candidats. Donc, il y a à la fois les signatures et à la fois l'argent."
On vous réclame un emprunt de combien ?
- "L'emprunt, vous faites ce que vous voulez. Nous, nous avions estimé avoir besoin de 15 millions - ce qui est beaucoup moins que pour beaucoup de candidats. C'est un autre barrage qui est mis. Le Conseil constitutionnel peut très bien ne pas vous rembourser - en tout cas c'est ce qui semble se dessiner - si vous n'avez pas eu cet emprunt et refuserait que ce soit le parti qui vous avance l'argent."
Là, vous lancez un appel à la générosité de vos adhérents et de vos soutiens ?
- "Mes adhérents et mes soutiens, ils le feront de toute façon. Mais je dis que, là, il y a une autre difficulté qui est la difficulté de l'argent."
Vous êtes créditée de 9 % des voix. Vous avez déclaré que vous n'appellerez pas à un report de voix. Ce n'est pas un peu un vote inutile en votre faveur ?
- "Non, le vote inutile, selon moi, ce sera le vote du deuxième tour, parce que quel que soit l'élu, Chirac ou Jospin, il n'y a rien de bon à en attendre pour les travailleurs, puisqu'aucun d'eux d'ailleurs ne s'est élevé contre aucun des plans de licenciements qui déferlent sur le pays actuellement et qui font des dizaines de milliers de travailleurs, de salariés de ce pays qui se retrouvent du jour au lendemain, uniquement par la volonté des conseils d'administration des grands groupes, privés de leur travail, même s'ils ont travaillé dix ans, vingt ans, trente ans dans une entreprise ; on les jette dehors comme des malpropres, et bien souvent sans même d'indemnités de licenciement qui pourraient permettre de voir venir. J'ai traversé tout le pays depuis la mi octobre, il n'y a pas une région qui échappe à ces plans de suppression d'emplois, ces plans de licenciements, qui sont en train d'aggraver le chômage. Et aucun des deux grands candidats, d'abord, ne dit rien là-dessus, et en plus, évidemment, ne lève le petit doigt."
Vous avez vu les images de L. Jospin interpellé par les LU, l'autre jour à Evry. Comment l'avez-vous trouvé ?
- "Cela ne m'a pas étonnée, parce que je les avais rencontrés quelques jours avant, et je connaissais leur colère et leur désespoir de voir que ce Gouvernement, qui se dit de gauche, ne fait rien contre monsieur Riboud qui décide comme cela, brutalement, parce que soi-disant il n'y aurait suffisamment de profits, de fermer l'usine de Ris-Orangis, de fermer l'usine de Calais et de licencier d'ailleurs dans d'autres usines également."
La loi de modernisation sociale ne sert à rien ?
- "La loi de modernisation sociale, qui est la seule petite mesure qui n'aurait pas interdit les licenciements, mais qui pouvait mettre quelques bâtons dans les roues au patronat, a été, vous le savez, supprimée par le Conseil constitutionnel."
La France est unanime cette fois-ci pour s'opposer à l'ouverture du capital d'EDF-GDF. Pensez-vous que c'est uniquement une affaire de campagne électorale et qu'après, on se rallie ?
- "Je suis moins sûre que vous que Chirac comme Jospin soient opposés à l'ouverture du capital. Je pense qu'ils ne veulent pas employer le mot "privatisation", parce qu'ils savent bien que les travailleurs ne le souhaitent pas, et même je dirais, sans doute une grande partie de la population ne souhaitent pas cette privatisation d'un service public..."
Qui marche bien...
- "Oui, qui marche bien, et on a l'exemple de ce qui se passe dans d'autres pays. Mais je dirais que même si les autres gouvernements européens ont l'air, eux, d'accord avec cette privatisation, les milliers, les dizaines de milliers de manifestants qui ont manifesté hier à Barcelone, et qui venaient de toute l'Europe, montrent bien que même si leurs gouvernements, eux, sont pour la privatisation, ce n'est pas partagé par les travailleurs de leur pays respectif."
Et on pourra l'empêcher ?
- "Il n'y a que la mobilisation, effectivement, du monde du travail qui pourra l'empêcher et même si elle devait se faire de façon hypocrite, qui serait une ouverture partielle du capital."
Si vous n'étiez pas en campagne, vous seriez allé manifester à Barcelone ?
- "J'aurais pu aller manifester à Barcelone ou à Paris, puisqu'également d'autres travailleurs ont manifesté à Paris."
Et d'autres candidats ?
- "Et d'autres candidats y étaient certainement."
Comment expliquez-vous que vous dépassiez R. Hue dans les sondages ?
- "Je pense que les mesures que je propose - l'interdiction des licenciements, en prenant sur les profits des entreprises ou sur les fortunes des actionnaires et des propriétaires pour maintenir les emplois - sont mieux comprises certainement que le langage que tient R. Hue et de son soutien au gouvernement de la gauche, qui ne fait rien contre les suppressions d'emplois."
L. Jospin pourrait vous reprocher, comme à J. Chirac, d'avoir une vision pessimiste de la France.
- "Ceux qui ont une vision pessimiste, ce sont les 9 millions de personnes dans ce pays qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, qui a été établi par la Commission européenne, qui est de 4.200 francs par mois. Ce sont les 4 millions de travailleurs pauvres, c'est-à-dire des gens qui ont un emploi mais qui gagnent moins que le Smic à cause de toutes ces formes d'emplois précaires - travail en intérim, à temps partiel, en CDD, en CES - sans compter, et c'est un chiffre énorme, les 2,2 millions de chômeurs officiellement recensés dans ce pays. En 1974, quand je me suis présentée la première fois, il y avait 700.000 chômeurs. Tout le monde disait que c'était une catastrophe. Eh bien, oui, ce sont des drames individuels terribles pour les chômeurs et leurs familles et leurs enfants aujourd'hui."
Dans un reportage qui vous est consacré dans Paris-Match, un de vos amis dit : "Elle ne s'arrêtera jamais". C'est vrai ?
- "Oui, je crois que quand on milite, quand on défend ses idées, quand on pense que cette société finalement est intenable et qu'il faut vraiment la changer, je crois qu'il n'y a que l'âge ou la maladie qui peuvent vous arrêter. Pour l'instant, je me sens assez en forme effectivement pour continuer mon combat."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 15 mars 2002)
France 2
Le 19 mars 2002
F. Laborde Nous allons évidemment évoquer la campagne électorale, les derniers sondages qui la créditent de 9 % des intentions de vote, son programme, mais aussi, pour commencer, les propositions de L. Jospin qui ont été présentées officiellement hier à son Atelier de campagne. Quel regard portez-vous sur ces différentes propositions, concernant aussi bien les SDF que les créations d'emplois, que les baisses d'impôts ?
- "D'abord, j'ai regardé principalement ce qui concernait le chômage. Je vois que L. Jospin promet 900.000 emplois en cinq ans, ce qui veut dire qu'en dix ans, ça fait 1.800.000 emplois, en 15 ans trois fois plus, ce qui fait qu'il faudra dix ans, quinze ans pour que les chômeurs aujourd'hui espèrent avoir un emploi. Je crois qu'on se moque du monde et que, s'il y avait réellement la volonté de créer des emplois, eh bien, on devrait tout de suite interdire les plans de licenciements. Parce que si le chômage augmente depuis quelques mois, c'est à cause de ces licenciements collectifs, qui sont en hausse de près de 14% et donc, c'est ça qu'il faut arrêter tout de suite, si on veut marquer vraiment une volonté d'éradiquer le chômage. En plus, L. Jospin ne dit pas comment on créera ces emplois. Est-ce qu'il s'agit d'embaucher dans les services publics, comme le demandent les enseignants, comme le demandent les hospitaliers depuis des mois en faisant grève, comme on le demande dans les transports en commun ? Ou est-ce qu'il s'agit d'attendre que peut-être la croissance revienne, que peut-être Jospin soit réélu trois fois pour faire ce plan ? Non, je crois que les mesures doivent être prises tout de suite et qu'on a pu juger sur le bilan des cinq ans que ce n'était justement pas le chômage qui était visé, puisque L. Jospin lui-même, au moment des premiers plans de licenciements, par exemple chez Michelin, a dit tout à fait son incapacité à s'opposer à ces plans de licenciements. Eh bien, c'est cette volonté qui manque."
L'interdiction des plans de licenciements, c'est au cur de vos propositions. Est-ce qu'aujourd'hui, c'est une proposition raisonnable ? Est-ce qu'il n'y a pas un certain nombre d'entreprise où, hélas, on ne peut pas empêcher le licenciement ? Il y a des entreprises qui sont conduites à la fermeture, à la cessation d'activité. Qu'est-ce qu'on fait dans ces cas-là ?
- "D'abord, la plupart des entreprises qui licencient aujourd'hui sont des grands groupes qui ferment des usines et qui annoncent dans le même temps des bénéfices importants. Quant à ceux qui disent qu'ils font des pertes, je demande la levée du secret bancaire et du secret commercial, qu'on puisse vérifier où ont été les profits qui, pendant des dizaines d'années, ont été gagnés sur le travail des salariés qu'on met à la porte au bout de dix ans, vingt ans, trente ans même, en brisant des vies et, même en ruinant des régions entières."
Est-ce que cela veut dire que cette interdiction de licenciements pourrait souffrir des aménagements ? Est-ce que cela veut dire que, dans certains cas, quand la survie de l'entreprise est en cause, on pourrait envisager quelque chose d'un peu plus souple et, dans le cas où ce sont des bénéfices, on dirait "pas question d'interdire, regardez vos comptes" ?
- "Non, il n'est pas question d'exception, mais c'est vrai que cela paraît tout de suite réalisable dès que ce sont des grands groupes qui font des profits. Mais pour ceux qui disent ne plus en faire aujourd'hui, il faut peut-être prendre sur les fortunes accumulées par les grands actionnaires, par les propriétaires de ces entreprises, pour maintenir les emplois. Autrement, on n'arrivera pas à éradiquer le chômage. Juste un mot sur les SDF, si vous me le permettez, parce que ça me touche beaucoup..."
Oui, j'allais vous poser la question : "zéro SDF en 2007", c'est une des propositions...
- "Oui, eh bien, qu'on commence aujourd'hui, aujourd'hui même, que le Gouvernement interdise les expulsions qui risquent d'avoir lieu dans les semaines qui viennent et qui vont créer de nouveaux sans domicile."
Vous voulez une mesure immédiate, tout de suite, qu'il fasse la preuve ?
- "Bien sûr, des mesures immédiates. Il y a 100.000 personnes dans ce pays, y compris des enfants, qui n'ont pas de logement du tout. C'est tout de suite qu'il faut agir, tout de suite d'ailleurs. Et puis, c'est bien beau qu'il y ait une loi qui oblige les communes à créer des logements sociaux, mais si on ne se donne pas les moyens coercitifs d'obliger ces communes à le faire, qu'on se contente qu'elles payent une amende, eh bien, jamais on n'arrivera à éradiquer le problème des sans-logis. Il y a des millions de personnes dans ce pays qui sont salariés et qui ont bien du mal à se loger à cause des salaires qui sont trop bas."
La violence, la sécurité : c'est un des thèmes au cur de cette campagne, tout récemment avec le drame d'Evreux où ce père de famille s'est fait lyncher par une bande de jeunes qui rackettaient son fils. Pour vous, la violence, c'est quoi ? C'est un mélange de prévention et puis parfois de sanctions ?
- "D'abord, c'est vrai que c'est un drame horrible qui s'est passé à Evreux et j'ai beaucoup de compassion bien sûr pour cette famille qui a souffert. Mais ce que je voudrais dire, c'est que, là encore, on fait de la démagogie, à gauche comme à droite, sur le problème de l'insécurité. Vous savez, même les chiffres le disent, dans les quartiers dits difficiles, c'est en moyenne presque 27 % de chômeurs qu'il y a. J'ai vu des quartiers dans ma tournée en province et des citées populaires où c'est 30-40, voire 50 % d'adultes qui sont au chômage et des jeunes qui s'enfoncent dans le désespoir..."
Alors, quand L. Jospin dit qu'il a été naïf de penser que la baisse du chômage... Vous lui dites que ce n'est pas tout à fait ça ?
- "Non, je pense qu'il est hypocrite. Je pense d'une part que c'est vrai, que le chômage n'explique pas tout. Mais qu'on commence par éradiquer non seulement le chômage, mais la pauvreté... On oublie qu'aujourd'hui, dans ce pays, il y a 4 millions de salariés qui gagnent moins que le Smic à cause de toutes les formes d'emplois précaires en intérim, en CDD, en CES. Commençons par éradiquer le chômage et la misère, et je suis sûre qu'on aura réglé une partie de la délinquance, surtout si on donne aussi les moyens aux enseignants. J'ai entendu, dans le programme de L. Jospin, qu'on nous dit "un ordinateur pour cinq élèves". Qu'on donne dans les quartiers difficiles un enseignant pour cinq élèves, pour qu'on n'ait plus 20% des jeunes enfants qui arrivent en 6ème en étant quasiment illettrés, en ne sachant ni bien lire ni bien écrire ! Là encore, je crois qu'il faut se donner les moyens pour changer tout cela et on fera beaucoup avancer les choses par rapport à la délinquance et aux incivilités, c'est vrai, qui pourrissent la vie dans les quartiers populaires et dans les banlieues. J'y vis et ce n'est pas facile à vivre."
On a vu très récemment la gauche, le Parti communiste, le Parti socialiste, s'en prendre assez directement à vous, dire que voter A. Laguiller, c'était un vote stérile, que vous apparaissiez au moment des présidentielles et que vous redisparaissiez après... Au fond, ces critiques là viennent essentiellement de la gauche plus que de la droite. C'est parce qu'ils craignent justement que vos voix disparaissent au deuxième tour ?
- "Vous savez, je crois que si j'étais dans l'opposition au premier tour et puis que, bien sagement au deuxième tour, j'offre mes voix à l'un des deux candidats qui, de toute façon, mène exactement la même politique et je ne suis pas la seule à le dire et quand on compare leurs programmes, on voit bien qu'en réalité..."
Vous dites que la gauche et la droite, ça n'existe plus dans ce pays ?
- "Je ne dis pas ça, je dis que les politiciens de gauche, comme les politiciens de droite, font des promesses pendant les élections, mais qu'ensuite, ils mènent exactement la même politique. Quant à ceux qui disent que je dors entre deux élections, excusez-moi, il n'y aurait pas d'élus..."
C'est F. Hollande...
- "Oui F. Hollande Nous n'aurions pas d'élus dans les conseils régionaux, dans les conseils municipaux, au Parlement européen..."
Vous allez être présents aux législatives ?
- "Nous serons présents dans toutes les circonscriptions. Quant à M. Hollande, je vois bien ce qui l'inquiète : c'est qu'il y a une partie de l'électorat du Parti socialiste qui n'est pas contente de sa politique depuis cinq ans et qui peut-être, pour un certain nombre, s'apprête à voter pour moi."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 19 mars 2002)