Texte intégral
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président de la CNMCCA,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
"Horizon 2015" ! Je vous l'avoue franchement, à première vue, le thème de votre rapport m'a surpris. Faire de la prospective à quinze ans, après Berlin, avant Seattle et pendant la discussion à Paris sur la loi d'orientation ? Se demander : "quel est l'avenir du futur", en 2015, alors que la météo a déjà du mal à prévoir la grêle à trois jours ?
Pourtant, à regarder les choses de plus près, vous avez vu juste. Car l'agriculture de 2015 se décide dès maintenant ! Ce sont les choix d'aujourd'hui, qui feront de l'agriculture et des agriculteurs ce qu'ils seront dans quinze ans.
On peut penser a priori que nous serons plus diversifiés, multifonctionnels, positionnés sur des segments. On peut penser aussi que nous serons un peu moins nombreux, de plus en plus en concurrence, même entre nous. Mais rien n'est écrit d'avance et il y a des marges de manuvre !
Alors sans jouer ni les Cassandre, ni les voyants extralucides, je répondrais en responsable syndical plutôt qu'en expert, en me plaçant sur le terrain des valeurs, des projets, des orientations. Quel doit être le rôle des agriculteurs demain, leur place dans la société, et en Europe ? Quelle politique agricole face aux marchés et aux demandes de la société ? Quelle Europe dans le monde ?
Nos réponses d'aujourd'hui dessineront l'horizon 2015. C'est l'heure des choix : faisons les bons, car nous en sommes aussi responsables devant les générations qui nous suivront ! Alors je profite de cette occasion de réfléchir sur le long terme et vous dire que j'ai "une certaine idée" de l'agriculture.
Votre rapport resitue l'évolution de l'agriculture au cur des grandes tendances de nos sociétés. Les deux sont liés, vous l'avez démontré et c'est le premier mérite de votre démarche.
Beaucoup de choses peuvent se passer en quinze ans. Qui aurait pu prévoir la crise asiatique? La crise de la vache folle ? Mais j'ai une certitude : pour gérer l'imprévisible, il nous faudra être de mieux en mieux formés et de plus en plus organisés. Nous devrons aussi ne pas perdre le fil conducteur de notre action, de notre éthique, de nos valeurs !
L'avenir est fait de ruptures imprévisibles - et je ne connais pas de Madame soleil en agriculture, pas plus à l'INRA, qu' à la météo nationale ! Mais l'avenir est aussi le produit de tendances de fond déjà présentes aujourd'hui.
La mondialisation est en marche, en agriculture comme dans les autres secteurs. Elle désigne à la fois l'interdépendance croissante des économies et la libéralisation des échanges, avec une concurrence de plus en plus rude. Il faut en tenir compte, mais aussi se rappeler que l'économie doit être au service de l'Homme.
Les innovations scientifiques et techniques, la révolution génétique et les OGM, vont transformer nos métiers et notre rapport à l'alimentation, aux paysages, à la nature. A nous de faire en sorte que le progrès ne soit pas accaparé par quelques grands conglomérats, mais soit profitable à tous et sans risque pour la société. A la révolution du vivant, nous devons répondre par une éthique du vivant. A nous de construire cette éthique, avec les consommateurs !
La société de communication est déjà là et je suis tout à fait d'accord avec vous lorsque vous écrivez que l'opinion publique aura de plus en plus de poids. Nous devons dès maintenant en tirer les conséquences pour ne pas perdre à terme la bataille de l'opinion. L'avenir de l'agriculture passe aussi par là !
Surtout que la demande sociale a évolué : les exigences sont de plus en plus qualitatives, qu'il s'agisse de sécurité ou de qualité alimentaire, comme de l'environnement et de l'équilibre des territoires. Ces exigences des citoyens et des consommateurs, rejoignent nos convictions sur le rôle de l'agriculture. C'est tout cela que nous défendons avec le modèle agricole européen et la multifonctionnalité.
Nous devons intégrer ces exigences dans nos métiers.Et n'oublions pas en particulier que l'environnement va devenir une préoccupation centrale : alimentation, eau, air, sols, paysages
Alors, compte tenu de tous ces enjeux, quel genre d'hommes et de femmes devons-nous être?
Des entrepreneurs du vivant, voilà l'expression qui résume notre ambition.
Des hommes et des femmes passionnés par leur métier, capables d'innover, de créer de la valeur. Des hommes et des femmes compétents, gestionnaires efficaces de leur exploitation, mais aussi techniciens hors pair face à un travail de plus en plus complexe. Des hommes et des femmes organisés collectivement, dans leur travail et face aux marchés.
Des hommes et des femmes mieux formés au changement, à l'instabilité des marchés, capables en permanence de s'adapter, donc porteurs de projets pour leur exploitation et leur territoire.
Des hommes et des femmes qui sont aussi des citoyens, animés par des convictions, qui regardent plus loin que leur exploitation. Et cela passe d'abord par l'engagement militant, la prise de responsabilité au service de toute la profession !
Des hommes et des femmes qui sont plus ouverts à la société. Donc, soucieux de communiquer, d'échanger, d'expliquer leurs métiers !
Bref, nous avons besoin de bâtisseurs d'avenir !
S'ouvrir à la société, tout en restant pleinement des paysans, fiers de notre métier, de nos attaches, de nos valeurs, de nos campagnes : voilà le pari ! Comme l'arbre qui plonge ses racines dans la terre pour élever ses branches au ciel, nous voulons être des paysans modernes, fidèles à nous-mêmes, tout en étant conscients de vivre au cur de la société. Voilà le chemin d'un véritable "retour des paysans" !
On peut d'ailleurs espérer que la politique agricole commune à l'horizon 2015, insistera sur l'équilibre des territoires, l'emploi, le développement rural, la multifonctionnalité et qu'elle aidera les agriculteurs à être de plus en plus en phase avec la société.
Mais entendons-nous bien sur la multifonctionnalité ! Ces missions plus larges pour la société, les agriculteurs ne pourront les remplir que s'ils sont d'abord des acteurs économiques. Hommes, produits, territoires : les trois vont ensemble ! Et ce n'est sûrement pas en marginalisant économiquement l'agriculture et en l'administrant de plus en plus, qu'on pourra lui demander d'aménager le territoire, de structurer l'espace !
Les femmes et les hommes qui feront l'agriculture en 2015 devront aussi, plus qu'aujourd'hui, être solidaires. Devant tout le mouvement mutualiste réuni ici, je voudrais dire que la solidarité, que vous avez portée et organisée, doit rester le pilier de notre action et de notre identité.
Les agriculteurs ne peuvent pas se permettre de jouer l'individualisme aux dépens du mutualisme. Le mutualisme a besoin à la fois de réaffirmer ses valeurs de base et de se moderniser. Mais se moderniser, cela ne veut pas dire s'abandonner aux sirènes du libéralisme et à la loi du marché !
On ne brade pas son identité pour être moderne !
Modernité des moyens, fidélité aux fins et aux valeurs !
Oui, la solidarité et l'organisation collective, sont des paris d'avenir ! Alors, faisons ensemble ces paris !
Organisation, solidarité, volonté collective : voilà le chemin à suivre dans l'économie des années 2015.
L'économie à l'horizon 2015, sera de plus en plus mondialisée : nous n'y échapperons pas.
Mais ne soyons pas angéliques ! N'attendons pas des marchés qu'ils bâtissent spontanément l'équilibre des hommes, des produits et des territoires !
Ne laissons pas les marchés décider du nombre d'agriculteurs ! Ne laissons pas les marchés imposer la standardisation industrielle des produits ! Ne laissons pas les marchés délocaliser nos productions ! Ne laissons pas les marchés intégrer les producteurs à coups de crises et de fluctuation des cours !
Alors, oui, je l'affirme : en Europe, si nous voulons éviter la toute puissance des marchés et préserver l'équilibre de l'agriculture au service de la société, plus que jamais il y aura place en 2015 pour une Pac nouvelle et ambitieuse.
L'Europe ne doit pas sacrifier les aspirations de ses citoyens et de ses consommateurs, sur l'autel de la mondialisation. Elle ne doit pas marchander son âme !
C'est pourquoi à Seattle, lors des prochaines négociations à l'OMC, notre premier combat sera de faire reconnaître nos spécificités. L'Europe doit rappeler à ses partenaires et aux Etats-Unis, que la mondialisation ne doit pas être la banalisation, c'est-à-dire l'alignement servile sur le modèle américain ! C'est un combat européen, mais je pense aussi que d'autres continents attendent justement de l'Europe la démonstration qu'une autre voie est possible. Celle de la diversité des cultures et des modèles économiques régionaux.
L'Europe doit être au rendez-vous de l'Histoire, qu'il s'agisse de défis externes avec l'OMC, ou de défis internes avec l'élargissement. Pour réussir l'Europe à 26 il faudra réformer les institutions en dépassant Amsterdam. Dans l'après Kosovo, l'Europe centrale et orientale attendra de l'Union européenne qu'elle soit un pôle de stabilité, de progrès économique et social, de prospérité.
Et ce n'est pas en fragilisant la PAC, première politique intégrée de l'Europe, que nous avancerons sur cette voie ! A-t-on déjà vu un architecte saper les fondations d'une maison avant d'en construire un étage supplémentaire ?
L'agriculture est le fondement de la maison Europe. Les PECO et les autres n'entreront pas dans l'Union pour accompagner le déclin de la PAC ! Nous devons leur proposer une politique agricole et les intégrer au modèle agricole européen.
La place des agriculteurs dans l'économie dépendra aussi de nos comportements de producteurs.
Je pense que pour continuer à nous développer dans un monde de plus en plus concurrentiel, nous devrons évoluer vers la transformation et resserrer nos partenariats. Nous devrons avoir la hantise de la valeur ajoutée. Développer la segmentation, des produits, des marchés, comme des démarches de production et des modes d'organisation. Nous devrons affronter la concurrence avec nos propres atouts en Europe comme la typicité de nos terroirs, la sécurité de nos produits.
Bien sûr, face à 8 milliards de femmes et d'hommes sur la planète en 2025, la demande sera là et les produits de base resteront essentiels.
Mais encore faudra-t-il pouvoir accéder à cette demande et pour cela, ne basons pas toute notre stratégie sur l'écrasement des prix ! Nous serions battus avant même le début du match ! Il nous faudra créer un avantage concurrentiel également en terme de qualité et de service offert.
Nous ne voulons pas d'une agriculture à deux vitesses : les uns tournés vers les marchés mondiaux, les autres vers la multifonctionnalité et vers des niches locales. L'économie à deux vitesses me fait penser à cette plaisanterie de Pierre Desproges : "qu'est-ce qu'un statisticien ? C'est quelqu'un qui vous dit qu'en mettant la tête dans le four et les pieds dans le frigo, en moyenne, vous vous sentirez à la bonne température" ! Eh bien, je ne suis pas un statisticien !
Non à l'économie duale, oui à la complémentarité des missions et des stratégies d'entrepreneurs !
Notre place dans l'économie et dans la société dépendra aussi de notre capacité à capter la valeur ajoutée. Et c'est dès maintenant qu'il faut réagir ! Soyons clairs : face aux géants de la grande distribution, le rapport de force s'est dégradé à la vitesse grand V : producteurs, transformateurs, nous perdons de plus en plus de terrain ! Si nous ne réagissons pas, et dès maintenant, nous serons tous en 2015 les chauffeurs de tracteurs de la grande distribution ! Non, nous ne pouvons pas l'accepter !
Alors retroussons nos manches, organisons-nous, renforçons nos partenariats !
Et vous, Monsieur le Ministre ? Que proposez-vous pour éviter l'intégration généralisée ? Je n'ai vu aucune disposition s'y opposant dans la loi d'orientation ! Dois-je comprendre que l'agriculteur et le transformateur de 2015 seront fatalement à vos yeux, intégrés par la grande distribution ? Rassurez-nous, Monsieur le Ministre !
Enfin, et je terminerai par là, on ne peut pas se projeter à l'horizon 2015 sans évoquer l'avenir de nos organisations professionnelles agricoles.
Si nous voulons que nos structures continuent à jouer le rôle qui est le leur, nous devons nous appliquer un sérieux remembrement. Je m'explique.
Nous avons vécu avec un certain nombre d'outils, qui correspondaient à une certaine politique agricole et qui avaient leur logique historique. Aujourd'hui, si nous voulons garder le même poids dans le monde rural et la société, si nous voulons nous donner toutes nos chances dans la mondialisation, nous devons remettre en cause la dispersion de nos organisations voire la concurrence entre elles. Je ne préjuge pas des réponses concrètes à apporter, mais je vous engage à y réfléchir. Et ne bottons pas en touche à cause d'enjeux de pouvoir et d'ambitions personnelles, ce serait avoir la vue bien courte !
A nous de faire le bilan de ce que nous sommes et de décider ce que nous voulons devenir. L'évolution de l'agriculture à l'horizon 2015, conditionnera largement l'évolution de nos OPA. Comme l'agriculture, nos OPA devront devenir des entreprises multifonctionnelles, offrant des services modernisés. Elles devront s'ouvrir davantage à la société et travailler davantage en partenariat. Le monde bouge, nos OPA doivent aussi évoluer, ne craignons pas les remises en cause : c'est la meilleure façon de construire dans la durée.
Je ne peux que souhaiter ici à la CNMCCA, davantage de synergie entre vos membres, entre la MSA, Groupama et le Crédit Agricole, comme entre les coopératives : c'est une évolution necessaire dans les quinze années quiviennent.
Soyons aussi logiques avec nous-mêmes. Si certains parlent de libéralisation à tout crin, de compétitivité à tout va, ils devront alors intégrer le fait que certaines protections de statut doivent être remises en cause ! On ne peut pas avoir le beurre, l'argent du beurreet le sourire de la fermière !
Une coopérative, est d'abord un outil au service des agriculteurs, pour valoriser nos productions sur des territoires, vers des marchés bien identifiés.
A l'heure des 35 heures et de la réforme des retraites, nous devons aussi agir sur la solidarité. Je pense notamment aux agriculteurs en difficulté : il faut mettre en place le FAC 4 et vite ! Les arguments de procédure ne doivent pas nous distraire du devoir de solidarité. Bruxelles a bon dos ! Et quand après Berlin, les exploitations d'élevage vont perdre 20% de leur capital, nous devons nous reposer plus largement la question de la solidarité, de l'équilibre entre les agriculteurs, mais aussi entre les OPA et au sein des OPA avec nos collaborateurs.
Il est certainement plus facile de parler de modulation, de plafonnement, de solidarité quand on n'est pas directement concerné. Alors, je ne porte pas de jugement, mais je voudrais simplement que l'on puisse en parler pour agir : j'y suis prêt. C'est nécessaire, pour aujourd'hui mais surtout pour demain. Nous voulons tous être des entrepreneurs, avec les risques et les responsabilités qui vont avec.
Pour terminer, je voudrais dire qu'il ne s'agit pas de prévoir l'avenir, mais de le construire. Rien n'est inéluctable ! Il n'y a pas de fatalité qui tienne, pour des hommes et des femmes décidés, responsables, solidaires.
Alors, nous ne savons pas exactement où nous serons en 2015, mais nous savons où nous voulons aller et nous travaillons à définir comment nous y arriverons !
Je vous remercie.
(Source http://www.fnsea.fr, le 12 février 2001)
Monsieur le Président de la CNMCCA,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
"Horizon 2015" ! Je vous l'avoue franchement, à première vue, le thème de votre rapport m'a surpris. Faire de la prospective à quinze ans, après Berlin, avant Seattle et pendant la discussion à Paris sur la loi d'orientation ? Se demander : "quel est l'avenir du futur", en 2015, alors que la météo a déjà du mal à prévoir la grêle à trois jours ?
Pourtant, à regarder les choses de plus près, vous avez vu juste. Car l'agriculture de 2015 se décide dès maintenant ! Ce sont les choix d'aujourd'hui, qui feront de l'agriculture et des agriculteurs ce qu'ils seront dans quinze ans.
On peut penser a priori que nous serons plus diversifiés, multifonctionnels, positionnés sur des segments. On peut penser aussi que nous serons un peu moins nombreux, de plus en plus en concurrence, même entre nous. Mais rien n'est écrit d'avance et il y a des marges de manuvre !
Alors sans jouer ni les Cassandre, ni les voyants extralucides, je répondrais en responsable syndical plutôt qu'en expert, en me plaçant sur le terrain des valeurs, des projets, des orientations. Quel doit être le rôle des agriculteurs demain, leur place dans la société, et en Europe ? Quelle politique agricole face aux marchés et aux demandes de la société ? Quelle Europe dans le monde ?
Nos réponses d'aujourd'hui dessineront l'horizon 2015. C'est l'heure des choix : faisons les bons, car nous en sommes aussi responsables devant les générations qui nous suivront ! Alors je profite de cette occasion de réfléchir sur le long terme et vous dire que j'ai "une certaine idée" de l'agriculture.
Votre rapport resitue l'évolution de l'agriculture au cur des grandes tendances de nos sociétés. Les deux sont liés, vous l'avez démontré et c'est le premier mérite de votre démarche.
Beaucoup de choses peuvent se passer en quinze ans. Qui aurait pu prévoir la crise asiatique? La crise de la vache folle ? Mais j'ai une certitude : pour gérer l'imprévisible, il nous faudra être de mieux en mieux formés et de plus en plus organisés. Nous devrons aussi ne pas perdre le fil conducteur de notre action, de notre éthique, de nos valeurs !
L'avenir est fait de ruptures imprévisibles - et je ne connais pas de Madame soleil en agriculture, pas plus à l'INRA, qu' à la météo nationale ! Mais l'avenir est aussi le produit de tendances de fond déjà présentes aujourd'hui.
La mondialisation est en marche, en agriculture comme dans les autres secteurs. Elle désigne à la fois l'interdépendance croissante des économies et la libéralisation des échanges, avec une concurrence de plus en plus rude. Il faut en tenir compte, mais aussi se rappeler que l'économie doit être au service de l'Homme.
Les innovations scientifiques et techniques, la révolution génétique et les OGM, vont transformer nos métiers et notre rapport à l'alimentation, aux paysages, à la nature. A nous de faire en sorte que le progrès ne soit pas accaparé par quelques grands conglomérats, mais soit profitable à tous et sans risque pour la société. A la révolution du vivant, nous devons répondre par une éthique du vivant. A nous de construire cette éthique, avec les consommateurs !
La société de communication est déjà là et je suis tout à fait d'accord avec vous lorsque vous écrivez que l'opinion publique aura de plus en plus de poids. Nous devons dès maintenant en tirer les conséquences pour ne pas perdre à terme la bataille de l'opinion. L'avenir de l'agriculture passe aussi par là !
Surtout que la demande sociale a évolué : les exigences sont de plus en plus qualitatives, qu'il s'agisse de sécurité ou de qualité alimentaire, comme de l'environnement et de l'équilibre des territoires. Ces exigences des citoyens et des consommateurs, rejoignent nos convictions sur le rôle de l'agriculture. C'est tout cela que nous défendons avec le modèle agricole européen et la multifonctionnalité.
Nous devons intégrer ces exigences dans nos métiers.Et n'oublions pas en particulier que l'environnement va devenir une préoccupation centrale : alimentation, eau, air, sols, paysages
Alors, compte tenu de tous ces enjeux, quel genre d'hommes et de femmes devons-nous être?
Des entrepreneurs du vivant, voilà l'expression qui résume notre ambition.
Des hommes et des femmes passionnés par leur métier, capables d'innover, de créer de la valeur. Des hommes et des femmes compétents, gestionnaires efficaces de leur exploitation, mais aussi techniciens hors pair face à un travail de plus en plus complexe. Des hommes et des femmes organisés collectivement, dans leur travail et face aux marchés.
Des hommes et des femmes mieux formés au changement, à l'instabilité des marchés, capables en permanence de s'adapter, donc porteurs de projets pour leur exploitation et leur territoire.
Des hommes et des femmes qui sont aussi des citoyens, animés par des convictions, qui regardent plus loin que leur exploitation. Et cela passe d'abord par l'engagement militant, la prise de responsabilité au service de toute la profession !
Des hommes et des femmes qui sont plus ouverts à la société. Donc, soucieux de communiquer, d'échanger, d'expliquer leurs métiers !
Bref, nous avons besoin de bâtisseurs d'avenir !
S'ouvrir à la société, tout en restant pleinement des paysans, fiers de notre métier, de nos attaches, de nos valeurs, de nos campagnes : voilà le pari ! Comme l'arbre qui plonge ses racines dans la terre pour élever ses branches au ciel, nous voulons être des paysans modernes, fidèles à nous-mêmes, tout en étant conscients de vivre au cur de la société. Voilà le chemin d'un véritable "retour des paysans" !
On peut d'ailleurs espérer que la politique agricole commune à l'horizon 2015, insistera sur l'équilibre des territoires, l'emploi, le développement rural, la multifonctionnalité et qu'elle aidera les agriculteurs à être de plus en plus en phase avec la société.
Mais entendons-nous bien sur la multifonctionnalité ! Ces missions plus larges pour la société, les agriculteurs ne pourront les remplir que s'ils sont d'abord des acteurs économiques. Hommes, produits, territoires : les trois vont ensemble ! Et ce n'est sûrement pas en marginalisant économiquement l'agriculture et en l'administrant de plus en plus, qu'on pourra lui demander d'aménager le territoire, de structurer l'espace !
Les femmes et les hommes qui feront l'agriculture en 2015 devront aussi, plus qu'aujourd'hui, être solidaires. Devant tout le mouvement mutualiste réuni ici, je voudrais dire que la solidarité, que vous avez portée et organisée, doit rester le pilier de notre action et de notre identité.
Les agriculteurs ne peuvent pas se permettre de jouer l'individualisme aux dépens du mutualisme. Le mutualisme a besoin à la fois de réaffirmer ses valeurs de base et de se moderniser. Mais se moderniser, cela ne veut pas dire s'abandonner aux sirènes du libéralisme et à la loi du marché !
On ne brade pas son identité pour être moderne !
Modernité des moyens, fidélité aux fins et aux valeurs !
Oui, la solidarité et l'organisation collective, sont des paris d'avenir ! Alors, faisons ensemble ces paris !
Organisation, solidarité, volonté collective : voilà le chemin à suivre dans l'économie des années 2015.
L'économie à l'horizon 2015, sera de plus en plus mondialisée : nous n'y échapperons pas.
Mais ne soyons pas angéliques ! N'attendons pas des marchés qu'ils bâtissent spontanément l'équilibre des hommes, des produits et des territoires !
Ne laissons pas les marchés décider du nombre d'agriculteurs ! Ne laissons pas les marchés imposer la standardisation industrielle des produits ! Ne laissons pas les marchés délocaliser nos productions ! Ne laissons pas les marchés intégrer les producteurs à coups de crises et de fluctuation des cours !
Alors, oui, je l'affirme : en Europe, si nous voulons éviter la toute puissance des marchés et préserver l'équilibre de l'agriculture au service de la société, plus que jamais il y aura place en 2015 pour une Pac nouvelle et ambitieuse.
L'Europe ne doit pas sacrifier les aspirations de ses citoyens et de ses consommateurs, sur l'autel de la mondialisation. Elle ne doit pas marchander son âme !
C'est pourquoi à Seattle, lors des prochaines négociations à l'OMC, notre premier combat sera de faire reconnaître nos spécificités. L'Europe doit rappeler à ses partenaires et aux Etats-Unis, que la mondialisation ne doit pas être la banalisation, c'est-à-dire l'alignement servile sur le modèle américain ! C'est un combat européen, mais je pense aussi que d'autres continents attendent justement de l'Europe la démonstration qu'une autre voie est possible. Celle de la diversité des cultures et des modèles économiques régionaux.
L'Europe doit être au rendez-vous de l'Histoire, qu'il s'agisse de défis externes avec l'OMC, ou de défis internes avec l'élargissement. Pour réussir l'Europe à 26 il faudra réformer les institutions en dépassant Amsterdam. Dans l'après Kosovo, l'Europe centrale et orientale attendra de l'Union européenne qu'elle soit un pôle de stabilité, de progrès économique et social, de prospérité.
Et ce n'est pas en fragilisant la PAC, première politique intégrée de l'Europe, que nous avancerons sur cette voie ! A-t-on déjà vu un architecte saper les fondations d'une maison avant d'en construire un étage supplémentaire ?
L'agriculture est le fondement de la maison Europe. Les PECO et les autres n'entreront pas dans l'Union pour accompagner le déclin de la PAC ! Nous devons leur proposer une politique agricole et les intégrer au modèle agricole européen.
La place des agriculteurs dans l'économie dépendra aussi de nos comportements de producteurs.
Je pense que pour continuer à nous développer dans un monde de plus en plus concurrentiel, nous devrons évoluer vers la transformation et resserrer nos partenariats. Nous devrons avoir la hantise de la valeur ajoutée. Développer la segmentation, des produits, des marchés, comme des démarches de production et des modes d'organisation. Nous devrons affronter la concurrence avec nos propres atouts en Europe comme la typicité de nos terroirs, la sécurité de nos produits.
Bien sûr, face à 8 milliards de femmes et d'hommes sur la planète en 2025, la demande sera là et les produits de base resteront essentiels.
Mais encore faudra-t-il pouvoir accéder à cette demande et pour cela, ne basons pas toute notre stratégie sur l'écrasement des prix ! Nous serions battus avant même le début du match ! Il nous faudra créer un avantage concurrentiel également en terme de qualité et de service offert.
Nous ne voulons pas d'une agriculture à deux vitesses : les uns tournés vers les marchés mondiaux, les autres vers la multifonctionnalité et vers des niches locales. L'économie à deux vitesses me fait penser à cette plaisanterie de Pierre Desproges : "qu'est-ce qu'un statisticien ? C'est quelqu'un qui vous dit qu'en mettant la tête dans le four et les pieds dans le frigo, en moyenne, vous vous sentirez à la bonne température" ! Eh bien, je ne suis pas un statisticien !
Non à l'économie duale, oui à la complémentarité des missions et des stratégies d'entrepreneurs !
Notre place dans l'économie et dans la société dépendra aussi de notre capacité à capter la valeur ajoutée. Et c'est dès maintenant qu'il faut réagir ! Soyons clairs : face aux géants de la grande distribution, le rapport de force s'est dégradé à la vitesse grand V : producteurs, transformateurs, nous perdons de plus en plus de terrain ! Si nous ne réagissons pas, et dès maintenant, nous serons tous en 2015 les chauffeurs de tracteurs de la grande distribution ! Non, nous ne pouvons pas l'accepter !
Alors retroussons nos manches, organisons-nous, renforçons nos partenariats !
Et vous, Monsieur le Ministre ? Que proposez-vous pour éviter l'intégration généralisée ? Je n'ai vu aucune disposition s'y opposant dans la loi d'orientation ! Dois-je comprendre que l'agriculteur et le transformateur de 2015 seront fatalement à vos yeux, intégrés par la grande distribution ? Rassurez-nous, Monsieur le Ministre !
Enfin, et je terminerai par là, on ne peut pas se projeter à l'horizon 2015 sans évoquer l'avenir de nos organisations professionnelles agricoles.
Si nous voulons que nos structures continuent à jouer le rôle qui est le leur, nous devons nous appliquer un sérieux remembrement. Je m'explique.
Nous avons vécu avec un certain nombre d'outils, qui correspondaient à une certaine politique agricole et qui avaient leur logique historique. Aujourd'hui, si nous voulons garder le même poids dans le monde rural et la société, si nous voulons nous donner toutes nos chances dans la mondialisation, nous devons remettre en cause la dispersion de nos organisations voire la concurrence entre elles. Je ne préjuge pas des réponses concrètes à apporter, mais je vous engage à y réfléchir. Et ne bottons pas en touche à cause d'enjeux de pouvoir et d'ambitions personnelles, ce serait avoir la vue bien courte !
A nous de faire le bilan de ce que nous sommes et de décider ce que nous voulons devenir. L'évolution de l'agriculture à l'horizon 2015, conditionnera largement l'évolution de nos OPA. Comme l'agriculture, nos OPA devront devenir des entreprises multifonctionnelles, offrant des services modernisés. Elles devront s'ouvrir davantage à la société et travailler davantage en partenariat. Le monde bouge, nos OPA doivent aussi évoluer, ne craignons pas les remises en cause : c'est la meilleure façon de construire dans la durée.
Je ne peux que souhaiter ici à la CNMCCA, davantage de synergie entre vos membres, entre la MSA, Groupama et le Crédit Agricole, comme entre les coopératives : c'est une évolution necessaire dans les quinze années quiviennent.
Soyons aussi logiques avec nous-mêmes. Si certains parlent de libéralisation à tout crin, de compétitivité à tout va, ils devront alors intégrer le fait que certaines protections de statut doivent être remises en cause ! On ne peut pas avoir le beurre, l'argent du beurreet le sourire de la fermière !
Une coopérative, est d'abord un outil au service des agriculteurs, pour valoriser nos productions sur des territoires, vers des marchés bien identifiés.
A l'heure des 35 heures et de la réforme des retraites, nous devons aussi agir sur la solidarité. Je pense notamment aux agriculteurs en difficulté : il faut mettre en place le FAC 4 et vite ! Les arguments de procédure ne doivent pas nous distraire du devoir de solidarité. Bruxelles a bon dos ! Et quand après Berlin, les exploitations d'élevage vont perdre 20% de leur capital, nous devons nous reposer plus largement la question de la solidarité, de l'équilibre entre les agriculteurs, mais aussi entre les OPA et au sein des OPA avec nos collaborateurs.
Il est certainement plus facile de parler de modulation, de plafonnement, de solidarité quand on n'est pas directement concerné. Alors, je ne porte pas de jugement, mais je voudrais simplement que l'on puisse en parler pour agir : j'y suis prêt. C'est nécessaire, pour aujourd'hui mais surtout pour demain. Nous voulons tous être des entrepreneurs, avec les risques et les responsabilités qui vont avec.
Pour terminer, je voudrais dire qu'il ne s'agit pas de prévoir l'avenir, mais de le construire. Rien n'est inéluctable ! Il n'y a pas de fatalité qui tienne, pour des hommes et des femmes décidés, responsables, solidaires.
Alors, nous ne savons pas exactement où nous serons en 2015, mais nous savons où nous voulons aller et nous travaillons à définir comment nous y arriverons !
Je vous remercie.
(Source http://www.fnsea.fr, le 12 février 2001)