Déclaration de M. Claude Goasguen, vice-président de Démocratie libérale, sur le système éducatif français, la nécessité de transformer "l'école sanctuaire" en "école sociétale", l'importance de créer des internats pour des enfants en difficulté familiale et sur le rôle de l'enseignement privé.

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Circonstance : Assises des Orphelins Apprentis d'Auteuil à Paris le 19 mai 2000

Texte intégral

Merci beaucoup de m'accueillir dans votre maison. Il y a quelques années lorsque j'enseignais à la faculté de droit, j'ai formé peut-être quelques uns des animateurs qui sont aujourd'hui dans cette salle.
Je voudrais entrer rapidement dans le vif du sujet et partager avec vous quelques réflexions sur la transformation de notre société et sur les interpellations extraordinaires qu'elle est en train de poser au système éducatif. Nous éviterons ici les termes structurels évoquant la décentralisation, la déconcentration, qui ont donné lieu, récemment, à quelques débats houleux au sein de l'Education nationale. Je voudrais me borner avec vous, car vous connaissez ce sujet mieux que quiconque, à souligner la transformation sociétale de notre système éducatif qui, aujourd'hui, bascule de l'école qu'on appelait "Ecole sanctuaire", vers une école en prise directe avec la société. Notre société intervient de plus en plus dans l'école, l'occupe et quelquefois la dévore, dans des conditions assez dramatiques.
L'école sanctuaire, c'était la construction de la fin du XIXème siècle, c'est-à-dire un endroit où on était censé apprendre. Elle s'intégrait dans un système où la famille constituait un réseau social fort, dans une société qui n'était pas éclatée, sur le plan urbanistique, géographique, sans mondialisation.
Avec le temps, cette école a montré ses limites. Depuis une vingtaine d'années, la société s'est délitée, la famille a explosé dans des conditions souvent dramatiques, les populations se sont paupérisées, sous l'effet de la crise. En se paupérisant, elles ont contribué un peu plus à l'éclatement du noyau familial. L'immigration massive depuis une trentaine d'années a contribué très largement à déstabiliser des secteurs sociaux entiers sans que la France ait trouvé, comme d'ailleurs ses voisins, des réponses adaptées. L'urbanisme a crée de grandes concentrations, éclatant les noyaux familiaux. La structure familiale qui devenait depuis une trentaine d'années cellulaire est devenue de plus en plus monoparentale. Cette dégradation fondamentale a interpellé l'école qui ne pouvait plus rester un sanctuaire indifférent devant une société en ébullition.
La violence est entrée dans l'école et dans le système éducatif. Et la progression de cette violence oblige l'école à se transformer en profondeur. L'école est désormais un instrument social prioritaire qui déborde le seul savoir. C'est un fait, il n'est ni de droite ni de gauche, il est, c'est tout. Dans votre établissement, vous aviez compris l'impact fondamental du poids de la société dans l'école. Et c'est là votre spécificité, vous avez aidé, depuis des décennies un public, qui s'est considérablement accru, qui ne trouvait pas sa place dans l'école sanctuaire. C'est ce qui fait l'originalité de votre Fondation.
Votre nature d'établissement privé ne doit pas constituer une gêne de la part des autorités publiques. J'ai dit tout à l'heure au curé d'Auteuil, que je salue, à quel point je me réjouissais de la fin des querelles enseignement privé contre enseignement public. L'enseignement public lorsqu'il va mal, a toujours la tentation, s'il se sent menacé, de prendre en otage tout ce qui peut le concurrencer. Je le dis sans esprit de polémique, il faut privilégier la formation sur l'idée d'appartenance à telle ou telle structure. C'est une nécessité. J'ai le sentiment aigu que nous ne pourrons nous en sortir qu'unis et non par des querelles qui appartiennent au passé. Même si je reste vigilant sur les abus de quelques-uns.
Pour réussir cette transformation nécessaire du système éducatif, les différents partenaires, politiques, spécialistes du monde de l'éducation vont devoir entreprendre des démarches qui vont être très difficiles à faire accepter. Pourquoi ? D'abord, parce que nous avons un premier handicap, au sein de l'Education nationale, qui est celui de la formation des maîtres. Les maîtres sont-ils devenus des pédagogues au sens étymologique du terme, celui qui s'occupe de l'enfant ou sont-ils des dispensateurs de savoir ? L'école doit-elle continuer à avoir le monopole du dispensateur de savoir ?
Vous savez que c'est une grande polémique qui traverse l'Education nationale. Elle n'est pas artificielle même si par moment, elle est un peu caricaturale. Incontestablement, si l'on admet que l'école est en train de devenir "sociétale", il va falloir que le système éducatif français accompagne les professeurs d'une multitude d'animateurs, qui ne sont pas à proprement parlé des professeurs, mais qui seront des accompagnateurs d'un type nouveau de cette nouvelle dimension. Si nous voulons réussir, l'école publique devra se transformer et méditer votre exemple. L'enfant n'est plus simplement là pour apprendre l'anglais, la lecture ou le calcul, souvent en se demandant vraiment ce qu'il fait là. Il faut que l'enfant vienne dans un établissement - je crois qu'il faut que notre système éducatif retrouve la culture d'établissement -, dans un endroit qui soit un lieu de vie, où il trouve quelque famille qu'il n'a pas eu.
Certes, on nous dit : il faut reconstruire la famille. Ne croyez pas que les hommes politiques ne réfléchissent pas à cela. Reconstruire la famille sur de nouvelles bases, cela prendra du temps. Or, nous devons agir et prendre des décisions intermédiaires. Il faut s'occuper de ces enfants, les accueillir dans un lieu où ils s'épanouissent. Nous les pousserons à la prédélinquance, à la délinquance, à la marginalité faute d'avoir offert des havres suffisants à ce désespoir que l'on sent monter.
La culture d'établissement y aidera. Elle est fondée sur la définition d'une école considérée davantage comme un lieu de vie que comme un lieu de savoir. C'est une révolution totale dans le milieu éducatif. Les professeurs d'aujourd'hui, eux-mêmes bons élèves, sont-ils préparés, quelques-uns d'entre eux sûrement, à se transformer en substitut de parents ? C'est toute la question caricaturale de l'internat. Quand on regarde la situation de l'internat, dans l'Education nationale, on s'aperçoit que depuis 30 ans, non seulement nous n'avons pas ouvert d'internat mais nous les avons quasiment tous fermés.
L'internat est devenu un luxe. A Paris, il doit y en avoir trois ou quatre. Lorsque j'étais adjoint aux affaires scolaires de la ville de Paris, j'ai voulu construire un internat pour ces élèves en difficulté, notamment ceux des lycées professionnels qui venaient de lieux divers de la banlieue parisienne et qui cumulaient souvent problèmes de transport et problèmes familiaux. Pendant 3 ans, nous avons discuté avec le rectorat de Paris. Nous nous sommes heurtés à l'immobilisme de l'administration universitaire et scolaire et au fait que nous ne trouvions pas de professeurs susceptibles d'accompagner la création de cet "internat-collège". Il va néanmoins se faire et il sera suivi d'autres. Je me félicite que le ministre actuel, qui n'est pas de mes amis pourtant, ait la volonté d'étendre ce qui peut être une solution efficace au vide laissé dans notre société par l'éclatement des structures traditionnelles. Cela sera difficile néanmoins. L'internat est souvent considéré comme un endroit de vie et les professeurs ne sont pas les gestionnaires d'un lieu de vie. L'internat nécessite un bouleversement complet du système éducatif. Il en va de même pour des établissements dits spécialisés dans l'Education nationale, en particulier pour les handicaps physiques ou mentaux.
L'Education nationale est un système qui dispose, je crois, de 82 établissements de ce genre, dans toute la France. C'est peu, c'est dérisoire pour le système éducatif français. Nous payons encore le moule unique du système éducatif dans lequel nous ne pouvons plus fonctionner. Les 3 ou 4 années qui viennent seront, sans doute, et je l'espère dans le calme et le consensus, des années décisives pour l'assouplissement de notre système éducatif.
Nous allons passer d'un système qui au nom de l'égalité a créé l'uniformité des structures et qui a oublié que la vraie égalité, c'est l'égalité des chances. L'égalité ne signifie pas l'uniformité, il faut, au contraire, la pluralité, la diversité, une culture d'établissement s'adaptant à des milieux différenciés. C'est cela créer l'égalité des chances et non un collège unique pour tout le monde, soi-disant égalitaire. Il faut donc réapprendre la diversité aux structures éducatives.
A ce titre, lorsque j'ai rencontré vos représentants, j'ai été tout à fait séduit par la démarche qui est la vôtre car elle est probablement à l'avant-garde d'un certain nombre d'initiatives. l'enfant Dans votre secteur, c'est dans la prise en main globale de l'enfant en difficulté, à un titre ou à un autre, que réside la possibilité de l'amener progressivement à l'insertion, l'insertion professionnelle, mais aussi affective, culturelle. On décompose l'insertion en plusieurs adjectifs, mais en réalité, c'est le fait de vivre qui est en cause et surtout, de pouvoir vivre sa vie. C'est à partir d' expériences qui sont les vôtres que nous pourrons modifier, sans doute, la vision académique sur l'enfance et l'adolescence en difficulté.
Encore faudra-t-il que la France s'intéresse à ce débat là , très politique. Or, rien n'est moins ouvert que le débat éducatif. Un débat de six heures par an où l'on vote 500 milliards de francs à l'Assemblée nationale. On ne voit plus le ministre de l'Education nationale qui gère à coup d'arrêtés, de décrets, de circulaires, de réglementations, tout cela en dehors de tout débat et sans contrôle de la nation. Il faut sortir les sujets éducatifs des problèmes strictement corporatistes et les ouvrir sur la formation de l'Homme. Dans ce débat, vous vous ferez connaître. Il y a eu des précurseurs chez vous qui ont, pour des raisons diverses, senti la nécessité d'appréhender globalement l'individu dans l'acte de formation. Vos relations avec l'administration doivent être également faciliter car souvent j'ai remarqué, pour avoir un certain nombre d'établissements privés de grande qualité dans ma circonscription, que les académies sont souvent agressives dans leur comportement. Il faut sortir d'un état où l'administration est revancharde à l'égard d'un système éducatif privé qui lui paraît, à tort ou à raison, mieux réussir qu'elle. Je crois au compromis que nous trouverons avec des hommes politiques de toutes tendances - j'en ai discuté avec des gens qui ne sont pas de la même famille politique que moi - en vue d'un vrai débat, sinon d'un consensus.
Il faut également que la Nation aide matériellement davantage ceux qui remplacent les structures familiales et réexaminer, sans doute, la question de votre financement. Même si le financement des fondations est plutôt libéral en France, il l'est beaucoup moins que chez nos voisins anglo-saxons.
J'ai, dans mes dossiers, des chiffres qu'on ne peut pas sortir en public, mais qui montre que la montée de ce secteur, que l'on qualifie un peu facilement de "prédélinquant", un peu un secteur fourre-tout, est quantitativement si fort, qualitativement si difficile qu'il représenterait un effort considérable. Lorsque l'Etat ne peut pas assumer seul, la collectivité nationale doit donner la possibilité à d'autres d'assumer une partie de ce service public au service d'un public.
Je voulais vous dire spontanément ces quelques mots, loin du discours politique ou universitaire habituel. En dehors de votre activité, vous avez désormais un devoir d'exemplarité, avec tous les ennuis que cela suscite. Car, bien entendu, à partir du moment où seront connues les réalisations d'un certain nombre de vos établissements, les critiques ne manqueront pas de pleuvoir. C'est dans ces moments là que l'on s'aperçoit de la difficulté de la reconnaissance. Vous aurez aussi un afflux de demandes dans l'avenir qui peut rapidement vous submerger et devenir problématique.
Retrouvons des cultures d'établissements, retrouvons des différenciations, sortons d'un schéma d'école sanctuaire pour aller vers une école "sociétale", prenons à bras le corps la crise de société, la crise de l'urbanisme, recréons des structures qui permettent de se substituer à un environnement sociétal défaillant, voilà en réalité l'enjeu commun à tout le secteur éducatif public ou privé.
Vous êtes dedans. Vous avez plus à nous apprendre que l'Education nationale à vous donner de conseils et c'est avec beaucoup d'humilité que j'apprendrai les enseignements de votre expérience dans le domaine difficile et passionnant que vous allez nous aider à connaître.
Merci de votre accueil et de votre attention.
(Source http://www.claude-goasguen.org, le 20 mars 2002)