Texte intégral
Q - Monsieur Charles Josselin, bonsoir. Merci d'avoir accepté notre invitation d'être dans Arrêt sur Info ce soir. Je rappelle que vous êtes le ministre délégué à la Coopération et la Francophonie. Alors j'allais dire, on va commencer tout de suite par rappeler ce qui s'est passé hier. Vous étiez en visite au Kosovo et vous avez été pris à partie par la population.
R - Pris à partie est un mot qui moi me paraît totalement inapproprié. J'en suis à me demander si le journaliste qui a rapporté, ne suivait pas la scène de très loin, avec des jumelles dont il avait oublié de nettoyer un peu les verres ! Le mieux c'est sans doute que je vous le raconte.
Il y a, au centre de Mitrovica, un pont qui est très emblématique de la coupure entre la population serbe, qui est au Nord de cette ville. Je rappelle d'ailleurs que, pour l'essentiel, les Serbes, au Kosovo, sont désormais dans cette région de Mitrovica, ce qui explique aussi que l'armée française, qui a en charge cette région, ait une tâche beaucoup plus difficile que les autres contingents, qui sont dans des secteurs où les Serbes sont pratiquement absents aujourd'hui. Et puis il y a, au Sud de ce pont, la zone albanaise, dirons-nous, de Mitrovica. J'ai volontairement voulu franchir à pied ce pont, je suis donc allé vers la zone serbe où de nombreux Serbes désoeuvrés se sont rassemblés à cette occasion et un dialogue s'est engagé avec eux. Un dialogue assez vif, ils ont voulu savoir qui j'étais, j'étais entouré de militaires, j'ai expliqué pourquoi, j'ai aussi expliqué le sens de l'action de la France et si le ton a été, je le répète, un peu fort, il ne l'était pas plus que celui que j'ai eu parfois avec des délégations dans d'autres villes, avec des délégations syndicales, voire des militants. J'ai fait le mouvement inverse en direction des Albanais où, là encore, les Albanais me voyant, s'étaient rassemblés, il y a eu un échange avec les Albanais peut-être un peu plus vif. Ceux-ci me voyant revenir de la partie serbe m'ont interpellé en particulier sur les difficultés qu'ils avaient à franchir ce pont pour aller eux-mêmes, pour certains d'entre eux, dans des maisons qui sont, aujourd'hui, dans la zone serbe et auxquelles ils n'ont pas accès. Nous avons alors pris nos dispositions pour que l'armée française puisse accompagner ceux qui le souhaitaient vers leurs maisons qui sont actuellement dans la zone serbe. Voilà ce qui s'est passé. Mais cela illustre en effet les tensions extrêmes qui existent entre les deux communautés et la difficulté qu'a la France parfois à expliquer le rôle d'intermédiaire, en quelque sorte, qu'elle veut jouer entre les communautés qui vivent au Kosovo et auxquelles il faut réapprendre à vivre ensemble.
Q - Et vous pensez savoir comment on peut y parvenir, puisque en fait là, la France est un peu accusée, soit de faire le jeu des Albanais, soit de faire le jeu des Serbes. En fait, c'est très difficile de faire passer le message dans ces conditions.
R - C'est difficile et il faut, je crois, sur le terrain, donner des preuves que si les deux volontés se réunissent, c'est possible. Un exemple : l'hôpital de Mitrovica, qui a été pris en charge en quelque sorte par la cellule d'urgence humanitaire du ministère des Affaires étrangères français. Je rends hommage au travail considérable qui est fait et, notamment, d'une directrice qui était, il y a encore quelques jours, sous-directrice à Villejuif et qui est maintenant directrice de cet hôpital, qui a été laissé pendant des années dans un état de délabrement extraordinaire, où les équipements manquent mais où, aujourd'hui, les femmes albanaises, ou les femmes d'origine albanaise, ou les femmes d'origine serbe, viennent les unes et les autres, se faire accoucher, par exemple. Et j'ai rencontré des femmes des deux communautés qui sont dans le même hôpital, un hôpital où les médecins sont serbes, pour l'essentiel, payés encore par Belgrade et où les personnels infirmiers sont Albanais et pour lesquels il n'y a pas de moyens de rémunérations, et cela fonctionne. D'où d'ailleurs la participation de la France à ce fonds qui est mis en place pour assurer les salaires de ces Albanais qui, évidemment, n'ayant pas de relations avec Belgrade, eux, ne sont pas payés.
Q - Et vous comptez justement sur la mise en place de moyens pour que le Kosovo retrouve, petit à petit, une normalité, c'est là dessus que vous comptez pour assurer la continuation...
R - Tout à fait. L'hôpital est un exemple, mais les écoles en sont un autre. Il y a eu une école maternelle qui a été ouverte, qui est d'ores et déjà fréquentée par les enfants des deux communautés et nous espérons bien, qu'à la rentrée scolaire, c'est un des objectifs prioritaires pour nous, nous allons réussir à faire ouvrir des classes qui accueilleront les deux communautés. Mais, c'est vrai, ne nous faisons pas d'illusions. Cela va être difficile, la plaie reste ouverte entre les deux communautés et les violences continuent, malheureusement, et contre lesquelles nous n'avons pas toujours la possibilité de nous opposer, parce que même si la KFOR est là et qu'elle fait un travail remarquable, elle n'est pas toujours sur place quand il se déroule des incidents ou des violences, des assassinats, deux ou trois par jour encore, dans chacune des zones pratiquement. Les maisons brûlées, nous en avons vu brûler hier soir à Pec, montrent bien que la tension est encore extrême même si, et ça c'est la bonne nouvelle, on est frappé par la rapidité avec laquelle ces villes, qui étaient hier des champs de ruines, sont en train de renaître à la vie.
Q - Alors justement Monsieur Josselin, cela va nous permettre d'aborder le chantier de la reconstruction. On se réunit à Bruxelles pour en discuter. Il va falloir se répartir un peu la charge de cette reconstruction. Comment cela va se passer, quel va être le rôle de la France par exemple ?
R - Les donateurs ou les bailleurs de fonds sont conviés à Bruxelles pour faire d'abord l'évaluation des besoins. Aujourd'hui, c'est probablement autour de 2 milliards d'euros qu'on va arrêter l'estimation, même si cela reste à préciser, du coût de la reconstruction. Je rappelle qu'on considère que 60 % environ des habitations ont été ou endommagées ou détruites. C'est très inégal mais ça c'est la moyenne. Donc il faut des moyens de reconstruction qu'il faut mobiliser très vite car il est clair que les kits de secours qui ont été donnés aux réfugiés pour s'abriter pendant l'été ne sont évidemment pas appropriés pour qu'ils se protègent contre un hiver qui peut être très rigoureux dans cette région. Mais c'est aussi la remise en marche des services publics, c'est la remise en marche d'une administration car, aujourd'hui, c'est une sorte d'anarchie contre laquelle doit lutter Bernard Kouchner dans des conditions très très difficiles. Et moi je voudrais lui rendre hommage parce que les conditions, ne serait-ce que matérielles que sont les siennes aujourd'hui, sont dures.
Q - Est-ce que vous pensez que, raisonnablement, d'ici l'hiver, les choses seront réglées pour que les Albanais puissent avoir un toit et être sûrs d'être en sécurité ?
R - C'est l'objectif, néanmoins et sans attendre ces moyens financiers lourds qui vont se mettre en place dans les deux mois qui viennent, nous allons proposer de donner délégation de quelques crédits à l'armée française, qui est déjà capable sur le terrain, en utilisant ses propres moyens, de réaliser un certain nombre de travaux immédiats, de remise en état d'une école, d'un dispensaire et, en plus, permet de donner de l'armée française une image positive à la population, ce qui est tout à fait important. Et puis, dans le même temps, nous allons aussi donner quelques moyens supplémentaires à la cellule d'urgence pour qu'elle puisse, en mobilisant notamment les entreprises locales, à la fois faire du travail, mais commencer à recréer des emplois car c'est aussi de cela que ce pays a besoin. Puis, Il y a un gros dossier à Mitrovica, c'est une énorme usine qu'était un des fleurons de l'industrie yougoslave, l'usine métallurgique qui, actuellement, est arrêtée et qui faisait vivre 50 000 salariés. C'est dire l'importance de cet outil que nous allons essayer de remettre en marche, et Roger Fauroux qui m'accompagnait, ancien ministre, ancien grand industriel, qui est le président de la délégation interministérielle que Lionel Jospin a mis en place, va évidemment attacher une importance particulière à ce dossier./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 août 1999)
R - Pris à partie est un mot qui moi me paraît totalement inapproprié. J'en suis à me demander si le journaliste qui a rapporté, ne suivait pas la scène de très loin, avec des jumelles dont il avait oublié de nettoyer un peu les verres ! Le mieux c'est sans doute que je vous le raconte.
Il y a, au centre de Mitrovica, un pont qui est très emblématique de la coupure entre la population serbe, qui est au Nord de cette ville. Je rappelle d'ailleurs que, pour l'essentiel, les Serbes, au Kosovo, sont désormais dans cette région de Mitrovica, ce qui explique aussi que l'armée française, qui a en charge cette région, ait une tâche beaucoup plus difficile que les autres contingents, qui sont dans des secteurs où les Serbes sont pratiquement absents aujourd'hui. Et puis il y a, au Sud de ce pont, la zone albanaise, dirons-nous, de Mitrovica. J'ai volontairement voulu franchir à pied ce pont, je suis donc allé vers la zone serbe où de nombreux Serbes désoeuvrés se sont rassemblés à cette occasion et un dialogue s'est engagé avec eux. Un dialogue assez vif, ils ont voulu savoir qui j'étais, j'étais entouré de militaires, j'ai expliqué pourquoi, j'ai aussi expliqué le sens de l'action de la France et si le ton a été, je le répète, un peu fort, il ne l'était pas plus que celui que j'ai eu parfois avec des délégations dans d'autres villes, avec des délégations syndicales, voire des militants. J'ai fait le mouvement inverse en direction des Albanais où, là encore, les Albanais me voyant, s'étaient rassemblés, il y a eu un échange avec les Albanais peut-être un peu plus vif. Ceux-ci me voyant revenir de la partie serbe m'ont interpellé en particulier sur les difficultés qu'ils avaient à franchir ce pont pour aller eux-mêmes, pour certains d'entre eux, dans des maisons qui sont, aujourd'hui, dans la zone serbe et auxquelles ils n'ont pas accès. Nous avons alors pris nos dispositions pour que l'armée française puisse accompagner ceux qui le souhaitaient vers leurs maisons qui sont actuellement dans la zone serbe. Voilà ce qui s'est passé. Mais cela illustre en effet les tensions extrêmes qui existent entre les deux communautés et la difficulté qu'a la France parfois à expliquer le rôle d'intermédiaire, en quelque sorte, qu'elle veut jouer entre les communautés qui vivent au Kosovo et auxquelles il faut réapprendre à vivre ensemble.
Q - Et vous pensez savoir comment on peut y parvenir, puisque en fait là, la France est un peu accusée, soit de faire le jeu des Albanais, soit de faire le jeu des Serbes. En fait, c'est très difficile de faire passer le message dans ces conditions.
R - C'est difficile et il faut, je crois, sur le terrain, donner des preuves que si les deux volontés se réunissent, c'est possible. Un exemple : l'hôpital de Mitrovica, qui a été pris en charge en quelque sorte par la cellule d'urgence humanitaire du ministère des Affaires étrangères français. Je rends hommage au travail considérable qui est fait et, notamment, d'une directrice qui était, il y a encore quelques jours, sous-directrice à Villejuif et qui est maintenant directrice de cet hôpital, qui a été laissé pendant des années dans un état de délabrement extraordinaire, où les équipements manquent mais où, aujourd'hui, les femmes albanaises, ou les femmes d'origine albanaise, ou les femmes d'origine serbe, viennent les unes et les autres, se faire accoucher, par exemple. Et j'ai rencontré des femmes des deux communautés qui sont dans le même hôpital, un hôpital où les médecins sont serbes, pour l'essentiel, payés encore par Belgrade et où les personnels infirmiers sont Albanais et pour lesquels il n'y a pas de moyens de rémunérations, et cela fonctionne. D'où d'ailleurs la participation de la France à ce fonds qui est mis en place pour assurer les salaires de ces Albanais qui, évidemment, n'ayant pas de relations avec Belgrade, eux, ne sont pas payés.
Q - Et vous comptez justement sur la mise en place de moyens pour que le Kosovo retrouve, petit à petit, une normalité, c'est là dessus que vous comptez pour assurer la continuation...
R - Tout à fait. L'hôpital est un exemple, mais les écoles en sont un autre. Il y a eu une école maternelle qui a été ouverte, qui est d'ores et déjà fréquentée par les enfants des deux communautés et nous espérons bien, qu'à la rentrée scolaire, c'est un des objectifs prioritaires pour nous, nous allons réussir à faire ouvrir des classes qui accueilleront les deux communautés. Mais, c'est vrai, ne nous faisons pas d'illusions. Cela va être difficile, la plaie reste ouverte entre les deux communautés et les violences continuent, malheureusement, et contre lesquelles nous n'avons pas toujours la possibilité de nous opposer, parce que même si la KFOR est là et qu'elle fait un travail remarquable, elle n'est pas toujours sur place quand il se déroule des incidents ou des violences, des assassinats, deux ou trois par jour encore, dans chacune des zones pratiquement. Les maisons brûlées, nous en avons vu brûler hier soir à Pec, montrent bien que la tension est encore extrême même si, et ça c'est la bonne nouvelle, on est frappé par la rapidité avec laquelle ces villes, qui étaient hier des champs de ruines, sont en train de renaître à la vie.
Q - Alors justement Monsieur Josselin, cela va nous permettre d'aborder le chantier de la reconstruction. On se réunit à Bruxelles pour en discuter. Il va falloir se répartir un peu la charge de cette reconstruction. Comment cela va se passer, quel va être le rôle de la France par exemple ?
R - Les donateurs ou les bailleurs de fonds sont conviés à Bruxelles pour faire d'abord l'évaluation des besoins. Aujourd'hui, c'est probablement autour de 2 milliards d'euros qu'on va arrêter l'estimation, même si cela reste à préciser, du coût de la reconstruction. Je rappelle qu'on considère que 60 % environ des habitations ont été ou endommagées ou détruites. C'est très inégal mais ça c'est la moyenne. Donc il faut des moyens de reconstruction qu'il faut mobiliser très vite car il est clair que les kits de secours qui ont été donnés aux réfugiés pour s'abriter pendant l'été ne sont évidemment pas appropriés pour qu'ils se protègent contre un hiver qui peut être très rigoureux dans cette région. Mais c'est aussi la remise en marche des services publics, c'est la remise en marche d'une administration car, aujourd'hui, c'est une sorte d'anarchie contre laquelle doit lutter Bernard Kouchner dans des conditions très très difficiles. Et moi je voudrais lui rendre hommage parce que les conditions, ne serait-ce que matérielles que sont les siennes aujourd'hui, sont dures.
Q - Est-ce que vous pensez que, raisonnablement, d'ici l'hiver, les choses seront réglées pour que les Albanais puissent avoir un toit et être sûrs d'être en sécurité ?
R - C'est l'objectif, néanmoins et sans attendre ces moyens financiers lourds qui vont se mettre en place dans les deux mois qui viennent, nous allons proposer de donner délégation de quelques crédits à l'armée française, qui est déjà capable sur le terrain, en utilisant ses propres moyens, de réaliser un certain nombre de travaux immédiats, de remise en état d'une école, d'un dispensaire et, en plus, permet de donner de l'armée française une image positive à la population, ce qui est tout à fait important. Et puis, dans le même temps, nous allons aussi donner quelques moyens supplémentaires à la cellule d'urgence pour qu'elle puisse, en mobilisant notamment les entreprises locales, à la fois faire du travail, mais commencer à recréer des emplois car c'est aussi de cela que ce pays a besoin. Puis, Il y a un gros dossier à Mitrovica, c'est une énorme usine qu'était un des fleurons de l'industrie yougoslave, l'usine métallurgique qui, actuellement, est arrêtée et qui faisait vivre 50 000 salariés. C'est dire l'importance de cet outil que nous allons essayer de remettre en marche, et Roger Fauroux qui m'accompagnait, ancien ministre, ancien grand industriel, qui est le président de la délégation interministérielle que Lionel Jospin a mis en place, va évidemment attacher une importance particulière à ce dossier./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 août 1999)