Interview de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière et candidate à l'élection présidentielle de 2002, sur "France Inter" le 18 avril 2002 sur ses rapports avec le PCF, la LCR et sur le bilan de la politique gouvernementale.

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Média : France Inter

Texte intégral


S. Paoli -
E si A. Laguiller faisait mieux que R. Hue ? Quels enjeux pour la gauche au deuxième tour, quels reports de voix, quelle stratégie ou quels accords ? Et l'ancien projet d'un nouveau Parti communiste retrouve-t-il du crédit ?
Les derniers sondages vous créditent de 7 % et donnent 5,5 % à R. Hue. Pensez-vous que cette fois, vous serez devant lui ?
- "Mon objectif n'est pas de battre R. Hue. Il est d'imposer dans cette campagne un certain nombre de mesures propres à défendre le camp des travailleurs. D'abord, inverser la courbe du chômage, en interdisant les licenciements collectifs et d'abord dans tous ces grands groupes, ces grandes entreprises, ces trusts qui font du profit et qui, en ce moment même, licencient par centaines ou par milliers des travailleurs. Je n'ai pas traversé une seule région sans trouver des travailleurs qui viennent me trouver à mes meetings pour m'exposer leur cas. Hier soir, encore, à Angers, [j'ai rencontré] 21 travailleurs d'un groupe de 1.300 personnes, complètement laissées à l'écart parce qu'on n'a même pas proposé à un repreneur de les reprendre, sans salaire, sans savoir ce qu'ils vont devenir. Je suis sûre que ce soir à Lyon, où je tiens mon dernier meeting, il y aura encore des travailleurs pour venir m'exposer leur colère devant la situation qui leur est faite. C'est cela que je demande, finalement, d'approuver dans ma campagne en votant pour ma candidature."
Vous êtes là, j'allais dire dans votre discours habituel, c'est normal, c'est votre projet politique. Mais il y a une situation nouvelle, et j'y reviens, je voudrais que vous me répondiez là-dessus : c'est celle de la stratégie politique. Si, en effet, vous étiez devant R. Hue, se poserait à vous la question des alliances, des reports de voix. Comment y répondriez-vous ? C'est un élément nouveau pour vous ?
- "Je n'ai pas de problème de report de voix par rapport à R. Hue, puisque je ne crois pas qu'il soit au deuxième tour évidemment - ni moi-même d'ailleurs. Mais, la question que vous me posez, c'est : est-ce que l'affaiblissement du Parti communiste sur le plan électoral pose une nouvelle donne ? Peut-être, sans doute. Ce sera aux militants du PC, effectivement, de voir ce qu'ils veulent. Je sais que beaucoup de ses militants sont déboussolés, démoralisés, de voir que leur parti finalement paye son soutien à un gouvernement - le gouvernement Jospin - qui a pris des mesures anti-ouvrières, en tout cas qui a continué ce que faisait la droite, pas parce qu'il est pire, mais parce que, comme la droite, il est au service du patronat et des financiers. Les mesures Balladur sur les retraites, c'est le gouvernement Jospin qui les a appliquées ; le plan Juppé sur la santé, le gouvernement Jospin l'a appliqué ; les privatisations des services publiques, ce gouvernement en a fait un certain nombre, plus encore paraît-il, que Balladur et Juppé réunis. Donc, je crois que c'est cette caution à ces mesures-là et le fait surtout que ce Gouvernement n'a jamais empêché un seul plan de licenciement... Depuis que L. Jospin est arrivé au pouvoir, il y a eu d'abord Renault Vilvorde : il a dit qu'il n'y pouvait rien. Il y a eu des licenciements chez Michelin : il a dit qu'il n'y pouvait rien ; il y a eu Moulinex, il y a eu Bata, il y a eu Valéo, des centaines d'autres et jamais rien n'est fait par ce Gouvernement. Forcément, en participant à ce gouvernement, le PC est en train, lui aussi peut-être, de payer le prix de sa participation gouvernementale."
Mais vous sentez-vous, aujourd'hui, une responsabilité particulière, au-delà de la gauche de la gauche, pour la gauche tout court et pour le deuxième tour ? Encore une fois, compte tenu de l'importance de la place que vous occupez maintenant dans le débat politique, est-ce que vous vous sentez une responsabilité particulière ? A la limite, c'est peut-être vous qui allez faire basculer d'un côté ou de l'autre...
- "Moi, je me sens une responsabilité vis-à-vis du monde du travail. Ce qu'on voit en Italie en ce moment où, par centaines de milliers, dans toutes les villes italiennes, les travailleurs sont descendues dans la rue et ont manifesté, montre la force de la classe ouvrière dès lors qu'elle rentre en mouvement, dès lors qu'elle se bat, pas chacun le dos au mur, mais tous ensemble dans les entreprises et dans la rue. Et moi, ce que j'espère en faisant un bon score, le meilleur possible bien sûr, c'est justement de redonner du moral et de la combativité au monde du travail, parce que je pense que quel que soit l'élu du deuxième tour, quel que soit le Gouvernement qui sera formé, il va falloir nous battre, nous la classe ouvrière, contre les licenciements, contre les menaces sur la retraite, contre les bas salaires. Bien sûr, on parlait de l'Algérie tout à l'heure et de la situation catastrophique de ce pays. Mais il ne faut pas oublier que dans ce pays, la France, qui est un des pays les plus riches, les plus industrialisés du monde, 6 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté, 9 millions ont moins de 4.200 francs pour vivre, pas seulement les handicapés, bien sûr, dont les allocations sont trop basses, tous ceux qui vivent des minima sociaux, et même ce qu'on appelle aujourd'hui les "travailleurs pauvres", parce que peut-être que le chômage a un peu régressé, mais ce qui l'a remplacé, c'est le travail précaire, où on gagne moins que le Smic, à peine plus que le RMI, et 4 millions de salariés sont considérés aujourd'hui comme des travailleurs pauvres. C'est cette situation-là qu'à la fois je veux exprimer et, en même temps, dire qu'il faut prendre des mesures. D'abord je pense qu'il faudrait la transparence sur tous les comptes de ces grandes entreprises dont on ne sait pas ce qu'elles font de l'argent. Est-ce qu'elles le réinvestissent ? Où cela ? Dans la production, dans la spéculation ? C'est une des mesures-phares que je défends dans cette campagne et je demande aux travailleurs d'approuver ces mesures et peut-être, demain, si nous sommes assez forts, d'obliger le patronat, le gouvernement quel qu'il soit, à les appliquer."
Mais les travailleurs, ils sont sûrement comme beaucoup de Français, en se demandant, à l'heure où nous parlons, comment ils vont voter ? Quand vous entendez un L. Jospin, hier soir à Rennes, remettre la barre plus à gauche qu'il ne l'a fait jusqu'ici, vous considérez qu'il est redevenu un homme de gauche ou pas ?
- "Non, je crois qu'il emploie les mots que P. Mauroy lui a conseillés, de parler de travailleurs, de parler d'ouvriers. Mais il a clairement dit d'ailleurs dans une interview qu'il a donnée récemment, cette semaine, au Parisien, que les votes en faveur d'A. Laguiller ne lui feraient absolument pas changer son programme. Et dans son programme, il n'y a rien qui protège les travailleurs contre les licenciements, contre les bas salaires, contre la précarité."
Oui, mais enfin, vous êtes une femme de gauche, il est un homme de gauche. Se présente un enjeu politique essentiel. Encore une fois, et pardonnez-moi d'insister, mais c'est très important : comment vous allez faire avec cela ? Comment vous allez composer avec cette donne politique-là ? Parce que, qu'on le veuille ou non, il y a quand même encore une droite et une gauche dans ce pays ?
- "Moi, ce que j'espère, c'est que si les sondages dont on me crédite actuellement - entre 7-8- 9 % selon les instituts -, j'espère que cela se traduire réellement bien sûr dans les urnes, mais que surtout parmi ces électeurs, il va se trouver quelques dizaines de milliers de travailleurs, de jeunes, d'intellectuels pour rejoindre LO et le parti que j'essaye de construire maintenant depuis un certain nombre d'années, parce que je pense que c'est cela qui pourrait effectivement changer la donne politique ..."
Un nouveau Parti communiste ?
- "Un nouveau Parti communiste qui ne brade pas ses voix, pour quelques strapontins ministériels, voilà ce que j'espère créer. C'est un espoir."
Mais avec qui ? Avec par exemple la LCR - parce que O. Besancenot, plusieurs fois, vous a tendu la main, y compris dans ce studio il n'y a pas si longtemps. A. Krivine lui-même, ces jours-ci, est revenu sur la question. Avec qui vous le construiriez ce nouveau Parti communiste ?
- "Je ne crois pas que si des dizaines de milliers de travailleurs ne nous rejoignaient pas, comme je le souhaite, cela changerait grand chose pour construire un parti que les quelques milliers de militants de la LCR et de LO s'unissent. D'ailleurs, je crois qu'on perdrait sans doute plus de temps à discuter à l'intérieur plutôt que d'être tourné vers l'extérieur, parce que nous avons de réelles divergences. Finalement, la seule chose qui pourrait faire que ce parti existe avec toutes les composantes de l'extrême gauche, c'est qu'il y ait vraiment un apport de dizaines de milliers de personnes qui, finalement, tranchent entre les positions des uns et des autres, parce que nous sommes de courants trotskystes séparés depuis très longtemps, qui menons, bien sûr, quelquefois, des actions ponctuelles ensemble - et heureusement -, mais qui n'avons pas la même conception sans doute ni de la construction du parti, ni des forces auxquelles il faut s'adresser en priorité, par exemple."
Un petit mot de conclusion. Vous avez mené plusieurs campagnes présidentielles. Là, on est à trois jours du vote du premier tour. Quel regard vous portez sur la campagne qui vient de se terminer ? Quand on vous dit que les Français se sont un peu ennuyés, vous comprenez cela ou vous vous inscrivez en faux ?
- "Moi, je ne me suis pas en tout cas ennuyée, parce que j'ai eu beaucoup de monde dans mes meetings. J'ai rencontré, je crois de l'ordre de 40.000 et 50.000 personnes, au travers de cette campagne et de mes 80 meetings, le dernier étant ce soir. Et je crois que les mesures que j'avance dans cette campagne font l'objet de discussions, touchent le monde du travail auquel je veux m'adresser, et quand je parle du monde du travail, bien qu'on m'ait souvent caricaturée, ce n'est pas seulement les ouvriers, les employés, ce sont tous ceux qui vivent de leur travail sans exploiter personne, y compris les petits paysans, les petits commerçants, les artisans. Tous ceux-là sont venus nombreux dans mes meetings. Je ne sais pas s'ils iront jusqu'à voter pour ma candidature. Mais moi, j'ai trouvé un intérêt pour les idées dans cette campagne et je dirais, peut-être un peu moins, à l'heure des périodes des vacances scolaires, ce qui m'a quand même frappée, c'est la participation importante des jeunes dans mes meetings, et de jeunes curieux justement de se faire une opinion, et c'est peut-être un bon réconfort pour la militante que je suis."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 18 avril 2002)