Texte intégral
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Q - Monsieur Védrine, la situation au Proche-Orient est en train de devenir un enjeu de politique intérieure ; et c'est un euphémisme de dire que vos prises de positions en la matière ont souvent heurté la sensibilité des amis d'Israël en France, lesquels se plaignent de la ligne jugée trop partisane essentiellement pro-arabe et naturellement anti-israélienne du Quai d'Orsay. Alors, Monsieur le Ministre des Affaires étrangères, avant de vous demander de commenter l'actualité proche-orientale la plus brûlante, on aimerait bien savoir quelles sont vos impressions, vos sentiments et vos convictions intimes.
R - Je ne pense pas que ce soit le but principal de cet échange, je suis là en tant que ministre et chacun d'entre nous a ses convictions. D'abord, je voudrais vous remercier de cette invitation, à un moment qui est important et à un moment où l'opinion française, dans ses différentes composantes, est bouleversée par ce qui se passe au Proche-Orient. Pour moi, comme je crois pour tous les responsables français, c'est une priorité absolue qu'il y ait un vrai coupe-feu entre les deux. Il y a d'un côté, ce qui se passe au Proche-Orient, ce que nous ressentons, nos convictions et notre action pour la paix au Proche-Orient, et de l'autre côté, il y a ce qui se passe en France, où la paix civile doit être notre priorité absolue. Je vois ce trouble, nous recevons au ministère même de nombreuses lettres, des coups de téléphone, des messages sur Internet, de part et d'autre, qui nous reprochent d'en faire trop ou pas assez.
Dans tous les cas, il y a une chose qui me frappe, c'est que ce que nous disons sur ce sujet du Proche-Orient, nous ne le disons jamais seuls. Je ne parle pas de ce qui se passe en France, j'ai condamné systématiquement les actes anti-juifs et je pense qu'il y a des messages à adresser aux différentes communautés. Malheureusement, je regrette beaucoup quand les gens sont heurtés par cela ou parce qu'ils croient être incompris.
Mais ce sont des choses qui sont dites à Paris, qui sont dites dans beaucoup d'autres capitales en même temps. Il y a toujours une réaction " mais pourquoi la France a-t-elle ces positions" ? Alors qu'on retrouve les mêmes mots, les mêmes textes dans des déclarations du Conseil de sécurité, y compris dans les dernières résolutions votées maintenant par les Etats-Unis et dans des textes européens. D'autre part, quand nous sommes amenés à dire que la politique de pure répression ne peut pas régler le problème au fond, cela provoque une espèce de polémique. Quand je m'exprime dans l'autre sens, comme je le fais souvent et régulièrement, sur les défaillances de l'Autorité palestinienne, ce n'est pas répercuté et je voudrais bien savoir pourquoi.
Q - Il y a une déclaration de vous qui a été reprise la semaine dernière dans laquelle vous disiez que la politique israélienne conduit au fait que des milliers de kamikazes naissent tous les jours.
R - Vous pouvez trouver des dizaines de déclarations dans toute l'Europe, de Premiers ministres, de ministres ou de dirigeants politiques de tous les pays d'Europe et de beaucoup d'éditorialistes en Europe et même aux Etats-Unis, et même dans des journaux comme le New York Times, qui considèrent que cette politique fait finalement se dresser de nouvelles générations de martyrs. Cette démarche est terrifiante. Ecoutez cette phrase (je m'adressais à Yasser Arafat) : "Vous allez devoir décider de coexister vraiment avec l'Etat d'Israël, en éliminant du discours du projet palestinien toute ambiguïté sur les frontières, la sécurité, l'identité future. Préparez-vous, le monde entier va bientôt vous demander des garanties et des engagements précis".
Ce n'est pas Bush, c'est moi, c'est dans un article du "Monde", ce n'est pas une petite déclaration en passant, et c'était en novembre dernier. Régulièrement, j'ai également dit des choses sur l'Autorité palestinienne et j'ai participé, avec mes collègues européens, à l'élaboration de textes pour les Conseils européens de Barcelone et de Laeken, dans lesquels il était demandé des choses extraordinairement précises aux Palestiniens. Par exemple, le démantèlement des réseaux terroristes du Hamas et du Djihad, l'arrestation et les poursuites judiciaires de tous les suspects, un appel public, en langue arabe, à la fin de l'Intifada armée. Ce sont des textes que j'ai contribué à élaborer avec Joschka Fischer, avec Jack Straw, et d'autres.
Bien sûr, nous avons toujours dit en même temps que ce n'était pas une bonne politique d'affaiblir systématiquement l'Autorité palestinienne. Je suis heurté, je ne suis pas là pour en rajouter sur le fait d'être heurté, mais je ne comprends pas pourquoi ce que nous disons dans ce sens n'est jamais repris alors que la moindre interrogation ou critique sur la politique de ce gouvernement israélien est montée en épingle, comme si c'était intolérable que ce soit exprimé. Encore une fois, nous ne sommes pas du tout seuls.
Q - Il y a peut-être quelque chose d'irrationnel au niveau français, mais curieusement, les amis d'Israël en France se disent, qu'au sein du gouvernement il y a d'un côté le pro-israélien Jospin et de l'autre, il y a le pro-arabe Hubert Védrine, qui ne rate pas une occasion d'accuser Israël de tous les maux du monde.
R - C'est tellement caricatural comme présentation que...
Q - C'est pour cela que je vous pose la question, pour que vous puissiez répondre.
R - Ce que nous disons, encore une fois, est dit par de très nombreux gouvernements européens, profondément amis d'Israël, et viscéralement attachés à la sécurité d'Israël, dans des frontières sûres et reconnues, et donc à la solution du problème politique palestinien.
Nous pensons depuis très longtemps, depuis François Mitterrand à la Knesset en mars 1982, que la seule vraie solution de fond, c'est un Etat palestinien. Il faut évidemment qu'il soit viable, puisqu'on veut qu'il soit pacifique. S'il n'est pas viable, il ne sera pas pacifique, et on veut qu'il soit de plus en plus démocratique. Il y a là quelque chose de bizarre dans la communication parce que, franchement, ce que nous disons est soupesé, équilibré. Il n'y a pas un seul attentat en Israël qui n'ait été condamné solennellement par les autorités françaises, y compris par le Quai d'Orsay qui sert toujours un peu de bouc émissaire dans ce genre de choses, comme si le Quai d'Orsay disait la même chose qu'il y a dix ou vingt ans, ce qui n'est pas vrai.
Q - On dit que le Quai d'Orsay conduit la politique arabe de la France, qu'il donne le "la".
R - Je ne sais même pas ce que c'est que la politique arabe. Il y a trente-six politiques arabes. Vous ne pouvez pas avoir la même politique arabe avec l'Iraq, le Maroc, le Liban et l'Egypte. Il y a toutes sortes de situations. Le conflit du Proche-Orient est encore autre chose. Vous retrouvez ce que nous disons dans des résolutions du Conseil de sécurité également votées par les Américains - les trois dernières n'auraient pas pu être votées sans eux. Ils ont pris un tournant, ils acceptent les résolutions, maintenant -. Vous le retrouvez à Londres, à Madrid, à Rome, à Berlin, etc. Alors pourquoi dire à chaque fois "C'est honteux, c'est la France, c'est le Quai d'Orsay !" Il peut y avoir une discussion politique en disant : "vous avez tort de raisonner comme cela, vous sous-estimez la situation horrible en Israël du fait de la pression des terroristes...".
J'ai souvent dit, ce qui n'est pas tellement repris non plus, que je comprends, enfin je crois comprendre, la terreur que l'on ressent si on est une famille israélienne et si on se demande où sont les enfants, ou si le bus est en retard, etc. Ce doit être monstrueux. J'ajoute que l'accumulation des années et des années, fait que les Palestiniens vivent aussi dans des conditions abominables. Alors c'est choquant que je dise cela aussi. Il ne faut pas en retenir une partie ; cela fait partie d'une analyse d'ensemble, et je ne suis motivé que par une seule obsession : comment en sortir.
Q - Monsieur le Ministre, vous parliez du Hezbollah il y a quelques instants (...) Y a-t-il un prix à payer par la France pour ne pas subir d'attentats terroristes sur notre sol ? Plus précisément et plus récemment en décembre dernier, l'Europe a finalement décidé de citer nommément les organisations terroristes. Un débat a eu lieu pour savoir s'il convenait d'y inclure le Hezbollah. Or, on a pu constater que l'ensemble de la presse libanaise s'est répandu en éloge pour remercier la France et le cheikh Yassine pour sa position "équilibrée". Doit-on conclure qu'il s'agit ici des véritables amis de la France ?
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En ce qui concerne la question que vous me posiez, il faut dire les choses très simplement. Il y a une organisation qui s'appelle "Hezbollah", qui a deux aspects, deux branches. Il y a un côté militant, violent, y compris terroriste et d'autre part, il y a un côté organisation caritative et sociale qui joue un rôle considérable au Liban. Il y a des gens qui relèvent de cette branche politique et qui disent : "si vous nous mettez dans le même sac, vous risquez de faire exploser la situation au Liban qui est déjà épouvantable".
Q - Ils pourraient dire la même chose pour le Hamas.
R - Dans le côté branche politique du Hezbollah au Liban, il y a des gens qui sont représentés dans les institutions politiques ; au nom de cela, ce n'est pas tout à fait la même chose.
Q - Est-ce la branche politique ou la branche terroriste du Hezbollah qui tire sur Israël ?
R - Israël, compte tenu du problème de la frontière nord qui est théoriquement réglé mais qui n'est pas entièrement consolidé, n'a pas non plus directement intérêt à ce que le Liban soit à nouveau à feu et à sang, notamment dans cette région. C'est la seule raison pour laquelle il y a eu la recherche d'une distinction peut-être trop subtile, une distinction entre les deux éléments.
Q - Depuis 48 heures, le Hezbollah tire sur les positions israéliennes autour des fermes de Chebaa. Est-ce que vous redoutez un embrasement de la frontière sud-libanaise ?
R - Des incidents oui, un embrasement non. Parce que le rapport de force ne le permet pas.
Q - Que recherche le Hezbollah dans cette affaire ?
R - Les éléments du Hezbollah qui se sont livrés à ces actions, à mon avis, veulent profiter de la tension générale. L'ensemble du monde palestinien étant à bout de force, ivre de désespoir, de volonté de revanche, ils doivent penser que cela leur donne des leviers d'actions.
Q - Et vous condamnez...?
R - Je bannis toutes les formes de violence et il est donc, évident, que ce n'est pas comme cela qu'on va en sortir. J'ai bien expliqué, il y a quelques jours, sur Radio-Orient que les attentats suicides étaient monstrueux et totalement condamnables. Ces attentats qui se produisent au milieu des civils et contribuent à entretenir ce climat de peur en Israël et donc ce soutien croissant, à une politique de force et de répression, qui est à mon avis, à court terme, mais enfin c'est un soutien très fort. J'ai même expliqué que c'était une absurdité monstrueuse de la part des plus extrémistes des Palestiniens, de penser que cela puisse faire avancer leur cause d'un millimètre. Cela fait exactement l'inverse. Cela ne fait que braquer le monde entier contre cette démarche, alors qu'il y a une revendication palestinienne légitime d'avoir un Etat dans lequel ils puissent vivre normalement et que c'est cela le coeur du sujet.
Q - Il existe une thèse selon laquelle Israël n'existerait pas à moyen terme. C'est une thèse syrienne. Est-ce que vous confirmez ?
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R - Je crois qu'il faudrait parler un peu sérieusement du Quai d'Orsay. Parce que dans toutes ces affaires, il y a une sorte de bouc émissaire, qui peut d'ailleurs ne pas se défendre contre cela, puisque des fonctionnaires ne vont pas polémiquer dans les médias. Le Quai d'Orsay est le ministère des Affaires étrangères, c'est l'instrument de la politique étrangère de la France qui est conduit par les présidents de la République.
Depuis François Mitterrand, en 1982, cette dimension de la relation franco-israélienne qui était très forte autrefois, qui avait disparu entre-temps, a été complètement réintégrée. J'y ai moi-même beaucoup participé et depuis, nous n'avons jamais cessé d'avoir une relation très forte avec les gouvernements israéliens. Il y a des cas où on est plus d'accord que dans d'autres. Les politiques israéliennes peuvent être extraordinairement différentes. C'est toujours Israël mais ce n'est pas toujours le même gouvernement et les diplomates du Quai d'Orsay ont des contacts et des discussions avec leurs homologues israéliens, ici ou en Israël, qui intègrent les soucis d'Israël dans l'analyse des positions. Il me semble que ces critiques sont totalement injustes et en même temps totalement décalées. Il suffit de se souvenir de ce qui s'est passé en 2000 où il y avait un travail pour la paix, animé par Clinton, Barak et Arafat, qui a très malheureusement échoué, pour des tas de raisons. Nous étions complètement impliqués dans cette affaire, y compris le Quai d'Orsay, en contact permanent avec les Israéliens, les Américains, pour négocier. Nous étions peut-être le seul pays qui ne soit pas directement du Proche-Orient qui soit intégré à ce point dans le processus de paix, pour échanger des papiers, des idées et des suggestions. Cela n'a pas marché, c'est très malheureux mais nous étions de plein pied, il faudrait peut-être réactualiser ces visions.
Q - Il y a une thèse qui dit que le Quai d'Orsay a une volonté de se dédouaner de deux moments-clés de l'histoire, la Shoah ou la guerre d'Algérie : pour la Shoah du fait de la passivité voire la complicité de la France durant celle-ci en présentant les victimes d'hier comme les bourreaux d'aujourd'hui. Les Israéliens ne seraient pas meilleurs que nous et rétrospectivement, nous n'aurions rien à nous reprocher. Et d'un autre côté, sur la guerre d'Algérie, parce que soutenir les thèses arabes aujourd'hui, c'est faire oublier et se faire pardonner un passé pas très net. Qu'en pensez-vous ?
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R - Quel est le rapport entre le Quai d'Orsay et la guerre d'Algérie ?
Q - La France a eu un passé colonial et aujourd'hui, elle cherche à se faire pardonner.
R - Si c'était le cas, le Quai d'Orsay soutiendrait automatiquement les positions algériennes. Ce n'est évidemment pas le cas. Et on ne peut pas soutenir les positions arabes en général puisqu'il n'y a pas beaucoup de positions arabes en général. Nous essayons aujourd'hui, en 2002, en homme contemporain, d'avoir la politique algérienne la mieux adaptée, et ce n'est pas la même pour le Maroc. On parlait du Liban tout à l'heure, c'est encore un autre sujet. J'invite tous ceux qui se servent automatiquement de l'expression "Quai d'Orsay" à faire retour sur eux-mêmes et tenter d'être plus équitable. Je suis prêt à discuter lorsque l'on me dit que je me trompe dans mes critiques de Sharon parce qu'il n'a pas le choix. Et lorsque j'appelle à la recherche d'une solution politique avec autant d'énergie qu'à la lutte contre le terrorisme, je sais qu'il faut le faire à partir des données réelles de la politique israélienne d'aujourd'hui.
Q - Le prédécesseur de Sharon, M. Barak et également Shimon Pérès considèrent que Arafat a un double langage. Barak parle de la culture du double langage d'Arafat. Faites-vous le même constat ?
R - Dans l'article du "Monde" dont je vous ai parlé tout à l'heure, que j'ai écrit personnellement en novembre, je rappelle que j'avais appelé Arafat à éliminer du discours et du projet palestinien toute ambiguïté sur les frontières et préserver l'identité juive. Je suis d'accord qu'il y a un élément de double langage, il y en a eu.
Q - Il y en a eu ou il y en a encore ?
R - Aujourd'hui, il n'a pas de double langage puisqu'il ne peut pas communiquer.
Q - Un langage qui va dans un seul sens ?
R - Aujourd'hui, c'est le silence auquel il est contraint à travers une politique que même les Américains ne soutiennent pas puisque le général Zinni a obtenu d'aller le voir, mais c'est un autre sujet. Il y a énormément de choses à demander à l'Autorité palestinienne, mais la question fondamentale n'est pas de savoir si les Israéliens apprécient Arafat ou si les Palestiniens apprécient Sharon. Vous imaginez quelle est la réponse dans l'un et l'autre cas. La question est de savoir ce qui peut aider à en sortir. Est-on dans une sorte de procès sans fin où il n'y a pas d'issue ? Ou essaie-t-on de remettre en marche des mécanismes pour en sortir ? On trouve forcément la lutte contre le terrorisme car il faut éradiquer cette menace et on trouve forcément aussi la recherche d'une solution politique. La divergence principale entre la politique menée par Sharon et celle de l'Europe et de la France, c'est la conviction que le problème israélien ne peut être réglé que par la répression. Même si aujourd'hui, les Israéliens sont tous derrière Sharon, parce qu'ils ont tellement souffert des attentats suicide, on aboutit à un tel chiffre de morts, c'est devenu tellement intolérable, qu'il en a fait une unité nationale.
Le monde entier leur dit qu'on peut comprendre cela mais qu'il faut relancer en même temps la recherche d'une solution de paix.
Q - Ce qui fait dire au camp de la paix en Israël que c'est Arafat qui a voté une première fois Netanyahou en 1996 et une seconde fois Sharon l'an dernier.
R - Il y a une responsabilité palestinienne très importante, de toute façon, mais qui est contestée par certains participants aux réunions de Camp David et de Taba. M. Pérès a dit plusieurs fois que c'était une erreur de dire que c'était l'accord pour une solution définitive parce que cela obligeait les Palestiniens à poser le problème de Jérusalem qui n'avait pas de solution à ce moment-là et à poser la question des réfugiés.
Sur Jérusalem, ils ne pouvaient pas trancher seuls. A l'époque, les pays arabes ne l'ont pas soutenu. Parce que s'ils avaient fait il y a un an et demi ce qu'ils ont fait il y a quelques semaines à Beyrouth en promettant la normalisation, cela changeait complètement l'équation d'après Camp David. Lorsque Arafat a fait le tour des capitales arabes pour demander un soutien, il n'a eu qu'un silence embarrassé. Il y a une vraie défaillance du monde arabe, ce n'est donc pas si simple. Il y a les erreurs stratégiques et tactiques évidentes d'Arafat, il y a peut-être eu des erreurs de négociation de Barak, il y a eu peut-être une erreur de Clinton sur cette idée de l'accord définitif.
Pourtant, aujourd'hui, je sais que, pour le camp de la paix, c'est de la faute d'Arafat. Il y a un rejet énorme, c'est peu de le dire puisque 20 % des Israéliens accepteraient qu'il soit éliminé. Je ne vois pas où, dans quel autre conflit on trouverait des réponses de ce type. Il ne faut pas désespérer des opinions publiques car lorsque l'on demande si le terrorisme est jugulé, - "accepterez-vous la reprise d'une négociation politique ?" - 70 % des Israéliens répondent oui. C'est donc une opinion ouverte et disponible.
Q - Très réactive ?
R - Mais c'est normal avec tous ces attentats.
Q - Sur ce plan, deux attentats sanglants ont été suivi par une véritable politique de retenue du gouvernement israélien, malgré cela, il n'y avait pas de perspective politique et finalement, il y a eu une prolifération des attentats. M. Sharon avait-il un autre choix et qu'aurait fait la France dans une situation similaire ?
R - Je peux comprendre la réaction de l'opinion israélienne, la réaction des gens et encore une fois, c'est une horreur de vivre sous cette menace des attentats suicide. Mais n'oubliez pas non plus dans quelles conditions vivent les Palestiniens. Trente-cinq années d'occupation, des conditions de vie décrites tous les jours qui rendent les gens fous. Mais, je pense que dans les attentats suicide, il y a aussi une politique de certaines organisations qui ne se cachent pas toujours d'avoir combattu le processus d'Oslo.
Contrairement à l'Autorité palestinienne, ils ne veulent pas un Etat palestinien à côté d'Israël mais à sa place et c'est d'ailleurs étonnant de voir à quel point la répression de l'armée israélienne épargne assez largement le système du Hamas.
Q - Ce serait à l'armée israélienne d'aller attaquer le Hamas ?
R - Mon travail est de relancer la négociation politique et de le faire avec autant d'énergie que la lutte contre le terrorisme car je pense que l'un ne va pas sans l'autre. Il n'y aura pas de débouchés uniquement par la politique de répression même si je comprends le mécanisme qui conduit les Israéliens, désespérés par l'échec des négociations de paix, à voter Sharon, et à soutenir l'opération de l'armée car ils ont l'espoir de la paix et de la sécurité. Lorsqu'ils réfléchiront, je ne pense pas qu'ils puissent approuver en majorité le programme de certains partenaires d'Ariel Sharon qui est un programme d'expulsion généralisé des Palestiniens.
Q - C'est marginal.
R - Je pense et j'espère que cela le restera et par conséquent, les gens en Israël se retrouveront sur le fait que l'on a rétabli plus de sécurité et qu'il faut parler pour trouver une solution politique. Vous avez parlé d'une période de retenue, il y a eu une période d'accalmie en décembre. Pendant trois semaines sans attentats, il ne s'est rien passé sur le plan politique du côté israélien. Compte tenu de l'équilibre politique interne, personne n'est en mesure de dire que l'on va tenter de reparler, même sur la base des plans Tenet ou Mitchell. Les occasions perdues sont nombreuses, malheureusement.
Q - D'après les contacts que vous avez eus hier, êtes-vous optimiste ?
R - Je pense qu'il ne faut jamais se décourager dans cette affaire du Proche-Orient. Je sais que la négociation reprendra sur des bases pas tellement différentes de l'esquisse de la fin 2000, même si ce n'était pas très clair. D'autre part, il y a une majorité d'Israéliens qui, même au cur de l'inquiétude et au paroxysme du soutien à l'opération militaire n'écarte pas l'hypothèse de la reprise des négociations. Ensuite, le président Bush a pris un vrai tournant, étant dans une politique de retrait depuis un an même si en pratique, il a donné carte blanche à l'action du gouvernement Sharon et de l'armée israélienne. Tout en tenant des propos très sévères à l'encontre d'Arafat, même lui s'exprime comme s'il considérait que la politique menée aujourd'hui ne conduit pas à une solution. Cela peut créer un climat différent, même aider Ariel Sharon à résister à la partie la plus extrémiste de sa coalition ou de son gouvernement. Cela peut permettre d'une certaine façon, d'habiller la reprise de discussions dans un contexte sécuritaire rétabli.
Pour l'Europe, tout le monde sait qu'elle est tout à fait homogène sur les grands principes, pas forcément d'accord dans l'urgence, mais d'accord sur les principes. Il peut donc se reconstituer une conjoncture acceptable par les dirigeants entre Etats-Unis et Europe sur la façon d'en sortir. C'est toujours la même obsession.
Q - On parle de signe et de symbole, pourquoi la France ne prendrait-elle pas une initiative si on se réfère aux accords de Camp David et de Taba, il y aurait une partition de Jérusalem. La France a toujours été favorable à la création d'un Etat palestinien avec Jérusalem-est pour capitale. Dans ces conditions, qu'est-ce qui empêche aujourd'hui la France de reconnaître Jérusalem-ouest comme capitale d'Israël ?
R - Mais aucun pays ne l'a fait, même pas les Etats-Unis.
Q - Mais ne serait-ce pas un bon signe que la France prenne une telle initiative ?
R - Non, parce que c'est l'élément d'un accord qu'on ne peut pas isoler. On retombe alors sur l'élément qui a contribué à faire échouer les négociations de l'an 2000. On ne peut pas régler le problème par morceaux. Il y a un ensemble dans lequel il y aura les frontières, la sécurité et je pense qu'il faudra des forces d'interposition ou de sécurité notamment américaines parce que les Israéliens l'exigeront. Et, à mon sens, ils auront raison quand il y aura un Etat palestinien.
Il y a la question de Jérusalem, les réfugiés : on sait bien que tout est lié. Nous ne voulons pas nous rendre intéressants en prenant des initiatives partielles sur des morceaux du sujet.
Q - Mais, vous n'êtes pas contre, le moment venu ?
R - Cela fait partie du règlement soit final, soit presque final selon la voie qui est reprise.
Q - Sur l'accord d'interposition, sur l'initiative qu'a reprise Lionel Jospin récemment de la force d'interposition. Est-ce que vous n'avez pas le sentiment qu'il puisse y avoir ici, un jeu où effectivement cette force interposition serait équipée pour faire face à une armée régulière et de l'autre côté, on se rappelle du "Drakkar", ne serait pas véritablement à même de faire face à des actions terroristes ?
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R - L'idée d'une présence internationale est de plus en plus acceptée. Puis, il peut y avoir des observations, des contrôles et éventuellement des interventions. Notre conviction est qu'une telle force aiderait à la mise en oeuvre des résolutions 1402 et 1403 et d'autre part elle augmenterait la sécurité des deux peuples. Mais là on entrerait dans une réflexion sur "comment faire en sorte que cela ne verrouille pas un seul côté". Il ne s'agit pas d'avoir une force qui empêcherait l'armée israélienne d'exercer des représailles contre des centres de commandement terroristes et qui, d'autre part, laisse passer les attentats suicides. Cela suppose de redémarrer un minimum de discussions pour que le gouvernement israélien dise "j'accepte dans telles conditions, je vais garder ma liberté de mouvement sur tel ou tel point" et que l'Autorité palestinienne dise "j'accepte, puisqu'on me reconnaît à nouveau un rôle légitime et qu'on arrête de détruire les moyens qui me permettraient de faire quelque chose, j'emploie toutes mes forces reconstituées dans cette tâche".
Q - Cette force d'interposition n'est pas pour tout de suite ?
R - Ce serait pour tout de suite, si tout le monde était d'accord. Il est évident qu'on ne veut pas que le système fonctionne en sens unique.
Q - Vous vouliez parler, tout à l'heure, des répercussions sur le sol français de ce conflit.
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R - Sur la situation en France, je voudrais vous dire que je suis inquiet de voir certains slogans qui commencent à monter de part et d'autre. Les juifs français sont des citoyens français de la République française. Les Français d'origine arabo-musulmane, sont de telle ou telle origine, mais ils sont citoyens français. Ce qui est important, c'est la République. Il est absolument intolérable qu'il y ait en France des actes anti-juifs, anti-synagogue ou contre des personnes qui se font insulter ou prendre à partie dans la rue ou cracher dessus. J'ai vu les listes des faits de ce genre. Cela est inacceptable. Il y a unanimité pour condamner ces actes. Cela appelle des conséquences judiciaires et pénales. C'est très important. Il faut que ce monde arabo-musulman français comprenne bien que les juifs de France ne sont pas responsables de la politique du gouvernement israélien. Ils sont citoyens français. Ils ne sont pas responsables de ce que fait ou pas l'armée israélienne dans les territoires. En sens inverse, il faut que les juifs de France comprennent que ces Français d'origine arabo-musulmanes ne sont pas responsables des attentats suicides. Ils ne sont pas responsables de la politique du Hamas...
Q - Les attaques des juifs de France contre les mosquées et contre des édifices..
R - J'ai parlé tout à l'heure d'actes anti-juifs, je n'ai pas parlé d'actes contre les mosquées, encore, qui est une sorte de racisme anti-arabe, dont il faut d'ailleurs se préoccuper. Il faut vraiment traiter cela de façon peut-être plus intense. Je voudrais que les communautés se parlent. Je n'aime pas le terme "communauté" mais il y en a pas de plus...
Q - Justement, sur ce thème, on a le sentiment que certains consciemment ou inconsciemment risquent d'attiser un nouveau type de haine, c'est une haine judéo-chrétienne. Le porte-parole du Quai d'Orsay a déclaré que "La France était outrée de l'offense à la conscience universelle, qu'avait provoqué l'encerclement de l'église de nativité par les forces israéliennes". Les pères franciscains qui gèrent les lieux saints, ont déclaré, il y a trois jours, que la situation avait été provoquée par des invasions violentes de Palestiniens armés à l'intérieur de l'église de la nativité, et d'ailleurs une journaliste de la RAI présente à ce moment près de l'église a déclaré qu'il y a des Palestiniens armés, et, parmi eux, certains responsables des actions sanglantes des dernières semaines.
Pourquoi la France ne proteste-t-elle pas contre l'utilisation inique d'un lieu saint par les terroristes palestiniens ?
R - Nous avons protesté. Dans l'affaire de Bethléem, nous avons réagi comme l'ont fait à peu près toutes les capitales européennes. Peut-être que ce n'est pas équilibré mais ce n'est pas spécifiquement français, pas spécialement Quai d'Orsay. Il y a une réaction plus large, très forte en Italie parce que Bethléem avec sa basilique est un symbole très fort et que c'est une terre d'asile depuis toujours. Mais il ne faut pas extraire une condamnation par rapport à toutes les autres. Ce jour-là, c'est la basilique qui faisait l'actualité, un autre jour, c'est autre chose. Ou bien alors, il vous faudrait rappeler des centaines de condamnations que nous faisons tout le temps ; pourquoi en extrait-on que certaines et pas les autres ?
Q - Ce sont celles qui heurtent le plus !
R - Oui, mais je vous assure que cette affaire sur la basilique a provoqué une émotion et à mon avis, cela a joué un rôle dans le mouvement du président Bush. Il paraît que les Israéliens entretiennent des relations avec le Vatican pour suivre cette affaire aujourd'hui. Ils essaient de contrebalancer les effets produits par l'attaque de la basilique.
Pour revenir à la France, je pense que dans la communauté arabo-musulmane de France et peut-être même dans le monde médiatique français, on sous-estime la pression psychologique terrible qu'exercent les attentats suicides sur l'opinion publique en Israël et je pense que l'on a sous-estimé l'inquiétude considérable qui s'est développée dans la communauté juive française à partir de ces actes qui apparaissaient au début comme isolés. Cela paraissait plutôt comme des actes imbéciles de jeunes destructurés, il faut prendre cela plus au sérieux. Tout le monde doit faire un effort.
Quelles que soient les positions politiques sur le Proche-Orient, je pense que la communauté juive de France doit faire un effort pour comprendre le calvaire que vit le monde palestinien. Il n'y a pas que des terroristes ni que le Hamas, ni que le double langage de tel ou tel responsable palestinien. Dans les vingt ou trente années d'efforts, de contacts israélo-arabes et israélo-palestiniens, pour rechercher la paix, il y a toujours eu un rôle étonnant, impressionnant de grandes personnalités juives françaises. Je crois qu'il y a une tradition qu'il ne faut pas laisser perdre, une sensibilité exprimée, qui devrait nous aider, en France, et tous ensemble. N'ayons pas une approche politicienne sur ce sujet. Il faut empêcher absolument toute contagion en France de cette tragédie du Proche-Orient et d'autre part, apporter la meilleure contribution possible au Proche-Orient pour retrouver le chemin de la construction de la paix.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 avril 2002)
Q - Monsieur Védrine, la situation au Proche-Orient est en train de devenir un enjeu de politique intérieure ; et c'est un euphémisme de dire que vos prises de positions en la matière ont souvent heurté la sensibilité des amis d'Israël en France, lesquels se plaignent de la ligne jugée trop partisane essentiellement pro-arabe et naturellement anti-israélienne du Quai d'Orsay. Alors, Monsieur le Ministre des Affaires étrangères, avant de vous demander de commenter l'actualité proche-orientale la plus brûlante, on aimerait bien savoir quelles sont vos impressions, vos sentiments et vos convictions intimes.
R - Je ne pense pas que ce soit le but principal de cet échange, je suis là en tant que ministre et chacun d'entre nous a ses convictions. D'abord, je voudrais vous remercier de cette invitation, à un moment qui est important et à un moment où l'opinion française, dans ses différentes composantes, est bouleversée par ce qui se passe au Proche-Orient. Pour moi, comme je crois pour tous les responsables français, c'est une priorité absolue qu'il y ait un vrai coupe-feu entre les deux. Il y a d'un côté, ce qui se passe au Proche-Orient, ce que nous ressentons, nos convictions et notre action pour la paix au Proche-Orient, et de l'autre côté, il y a ce qui se passe en France, où la paix civile doit être notre priorité absolue. Je vois ce trouble, nous recevons au ministère même de nombreuses lettres, des coups de téléphone, des messages sur Internet, de part et d'autre, qui nous reprochent d'en faire trop ou pas assez.
Dans tous les cas, il y a une chose qui me frappe, c'est que ce que nous disons sur ce sujet du Proche-Orient, nous ne le disons jamais seuls. Je ne parle pas de ce qui se passe en France, j'ai condamné systématiquement les actes anti-juifs et je pense qu'il y a des messages à adresser aux différentes communautés. Malheureusement, je regrette beaucoup quand les gens sont heurtés par cela ou parce qu'ils croient être incompris.
Mais ce sont des choses qui sont dites à Paris, qui sont dites dans beaucoup d'autres capitales en même temps. Il y a toujours une réaction " mais pourquoi la France a-t-elle ces positions" ? Alors qu'on retrouve les mêmes mots, les mêmes textes dans des déclarations du Conseil de sécurité, y compris dans les dernières résolutions votées maintenant par les Etats-Unis et dans des textes européens. D'autre part, quand nous sommes amenés à dire que la politique de pure répression ne peut pas régler le problème au fond, cela provoque une espèce de polémique. Quand je m'exprime dans l'autre sens, comme je le fais souvent et régulièrement, sur les défaillances de l'Autorité palestinienne, ce n'est pas répercuté et je voudrais bien savoir pourquoi.
Q - Il y a une déclaration de vous qui a été reprise la semaine dernière dans laquelle vous disiez que la politique israélienne conduit au fait que des milliers de kamikazes naissent tous les jours.
R - Vous pouvez trouver des dizaines de déclarations dans toute l'Europe, de Premiers ministres, de ministres ou de dirigeants politiques de tous les pays d'Europe et de beaucoup d'éditorialistes en Europe et même aux Etats-Unis, et même dans des journaux comme le New York Times, qui considèrent que cette politique fait finalement se dresser de nouvelles générations de martyrs. Cette démarche est terrifiante. Ecoutez cette phrase (je m'adressais à Yasser Arafat) : "Vous allez devoir décider de coexister vraiment avec l'Etat d'Israël, en éliminant du discours du projet palestinien toute ambiguïté sur les frontières, la sécurité, l'identité future. Préparez-vous, le monde entier va bientôt vous demander des garanties et des engagements précis".
Ce n'est pas Bush, c'est moi, c'est dans un article du "Monde", ce n'est pas une petite déclaration en passant, et c'était en novembre dernier. Régulièrement, j'ai également dit des choses sur l'Autorité palestinienne et j'ai participé, avec mes collègues européens, à l'élaboration de textes pour les Conseils européens de Barcelone et de Laeken, dans lesquels il était demandé des choses extraordinairement précises aux Palestiniens. Par exemple, le démantèlement des réseaux terroristes du Hamas et du Djihad, l'arrestation et les poursuites judiciaires de tous les suspects, un appel public, en langue arabe, à la fin de l'Intifada armée. Ce sont des textes que j'ai contribué à élaborer avec Joschka Fischer, avec Jack Straw, et d'autres.
Bien sûr, nous avons toujours dit en même temps que ce n'était pas une bonne politique d'affaiblir systématiquement l'Autorité palestinienne. Je suis heurté, je ne suis pas là pour en rajouter sur le fait d'être heurté, mais je ne comprends pas pourquoi ce que nous disons dans ce sens n'est jamais repris alors que la moindre interrogation ou critique sur la politique de ce gouvernement israélien est montée en épingle, comme si c'était intolérable que ce soit exprimé. Encore une fois, nous ne sommes pas du tout seuls.
Q - Il y a peut-être quelque chose d'irrationnel au niveau français, mais curieusement, les amis d'Israël en France se disent, qu'au sein du gouvernement il y a d'un côté le pro-israélien Jospin et de l'autre, il y a le pro-arabe Hubert Védrine, qui ne rate pas une occasion d'accuser Israël de tous les maux du monde.
R - C'est tellement caricatural comme présentation que...
Q - C'est pour cela que je vous pose la question, pour que vous puissiez répondre.
R - Ce que nous disons, encore une fois, est dit par de très nombreux gouvernements européens, profondément amis d'Israël, et viscéralement attachés à la sécurité d'Israël, dans des frontières sûres et reconnues, et donc à la solution du problème politique palestinien.
Nous pensons depuis très longtemps, depuis François Mitterrand à la Knesset en mars 1982, que la seule vraie solution de fond, c'est un Etat palestinien. Il faut évidemment qu'il soit viable, puisqu'on veut qu'il soit pacifique. S'il n'est pas viable, il ne sera pas pacifique, et on veut qu'il soit de plus en plus démocratique. Il y a là quelque chose de bizarre dans la communication parce que, franchement, ce que nous disons est soupesé, équilibré. Il n'y a pas un seul attentat en Israël qui n'ait été condamné solennellement par les autorités françaises, y compris par le Quai d'Orsay qui sert toujours un peu de bouc émissaire dans ce genre de choses, comme si le Quai d'Orsay disait la même chose qu'il y a dix ou vingt ans, ce qui n'est pas vrai.
Q - On dit que le Quai d'Orsay conduit la politique arabe de la France, qu'il donne le "la".
R - Je ne sais même pas ce que c'est que la politique arabe. Il y a trente-six politiques arabes. Vous ne pouvez pas avoir la même politique arabe avec l'Iraq, le Maroc, le Liban et l'Egypte. Il y a toutes sortes de situations. Le conflit du Proche-Orient est encore autre chose. Vous retrouvez ce que nous disons dans des résolutions du Conseil de sécurité également votées par les Américains - les trois dernières n'auraient pas pu être votées sans eux. Ils ont pris un tournant, ils acceptent les résolutions, maintenant -. Vous le retrouvez à Londres, à Madrid, à Rome, à Berlin, etc. Alors pourquoi dire à chaque fois "C'est honteux, c'est la France, c'est le Quai d'Orsay !" Il peut y avoir une discussion politique en disant : "vous avez tort de raisonner comme cela, vous sous-estimez la situation horrible en Israël du fait de la pression des terroristes...".
J'ai souvent dit, ce qui n'est pas tellement repris non plus, que je comprends, enfin je crois comprendre, la terreur que l'on ressent si on est une famille israélienne et si on se demande où sont les enfants, ou si le bus est en retard, etc. Ce doit être monstrueux. J'ajoute que l'accumulation des années et des années, fait que les Palestiniens vivent aussi dans des conditions abominables. Alors c'est choquant que je dise cela aussi. Il ne faut pas en retenir une partie ; cela fait partie d'une analyse d'ensemble, et je ne suis motivé que par une seule obsession : comment en sortir.
Q - Monsieur le Ministre, vous parliez du Hezbollah il y a quelques instants (...) Y a-t-il un prix à payer par la France pour ne pas subir d'attentats terroristes sur notre sol ? Plus précisément et plus récemment en décembre dernier, l'Europe a finalement décidé de citer nommément les organisations terroristes. Un débat a eu lieu pour savoir s'il convenait d'y inclure le Hezbollah. Or, on a pu constater que l'ensemble de la presse libanaise s'est répandu en éloge pour remercier la France et le cheikh Yassine pour sa position "équilibrée". Doit-on conclure qu'il s'agit ici des véritables amis de la France ?
(...)
En ce qui concerne la question que vous me posiez, il faut dire les choses très simplement. Il y a une organisation qui s'appelle "Hezbollah", qui a deux aspects, deux branches. Il y a un côté militant, violent, y compris terroriste et d'autre part, il y a un côté organisation caritative et sociale qui joue un rôle considérable au Liban. Il y a des gens qui relèvent de cette branche politique et qui disent : "si vous nous mettez dans le même sac, vous risquez de faire exploser la situation au Liban qui est déjà épouvantable".
Q - Ils pourraient dire la même chose pour le Hamas.
R - Dans le côté branche politique du Hezbollah au Liban, il y a des gens qui sont représentés dans les institutions politiques ; au nom de cela, ce n'est pas tout à fait la même chose.
Q - Est-ce la branche politique ou la branche terroriste du Hezbollah qui tire sur Israël ?
R - Israël, compte tenu du problème de la frontière nord qui est théoriquement réglé mais qui n'est pas entièrement consolidé, n'a pas non plus directement intérêt à ce que le Liban soit à nouveau à feu et à sang, notamment dans cette région. C'est la seule raison pour laquelle il y a eu la recherche d'une distinction peut-être trop subtile, une distinction entre les deux éléments.
Q - Depuis 48 heures, le Hezbollah tire sur les positions israéliennes autour des fermes de Chebaa. Est-ce que vous redoutez un embrasement de la frontière sud-libanaise ?
R - Des incidents oui, un embrasement non. Parce que le rapport de force ne le permet pas.
Q - Que recherche le Hezbollah dans cette affaire ?
R - Les éléments du Hezbollah qui se sont livrés à ces actions, à mon avis, veulent profiter de la tension générale. L'ensemble du monde palestinien étant à bout de force, ivre de désespoir, de volonté de revanche, ils doivent penser que cela leur donne des leviers d'actions.
Q - Et vous condamnez...?
R - Je bannis toutes les formes de violence et il est donc, évident, que ce n'est pas comme cela qu'on va en sortir. J'ai bien expliqué, il y a quelques jours, sur Radio-Orient que les attentats suicides étaient monstrueux et totalement condamnables. Ces attentats qui se produisent au milieu des civils et contribuent à entretenir ce climat de peur en Israël et donc ce soutien croissant, à une politique de force et de répression, qui est à mon avis, à court terme, mais enfin c'est un soutien très fort. J'ai même expliqué que c'était une absurdité monstrueuse de la part des plus extrémistes des Palestiniens, de penser que cela puisse faire avancer leur cause d'un millimètre. Cela fait exactement l'inverse. Cela ne fait que braquer le monde entier contre cette démarche, alors qu'il y a une revendication palestinienne légitime d'avoir un Etat dans lequel ils puissent vivre normalement et que c'est cela le coeur du sujet.
Q - Il existe une thèse selon laquelle Israël n'existerait pas à moyen terme. C'est une thèse syrienne. Est-ce que vous confirmez ?
(...)
R - Je crois qu'il faudrait parler un peu sérieusement du Quai d'Orsay. Parce que dans toutes ces affaires, il y a une sorte de bouc émissaire, qui peut d'ailleurs ne pas se défendre contre cela, puisque des fonctionnaires ne vont pas polémiquer dans les médias. Le Quai d'Orsay est le ministère des Affaires étrangères, c'est l'instrument de la politique étrangère de la France qui est conduit par les présidents de la République.
Depuis François Mitterrand, en 1982, cette dimension de la relation franco-israélienne qui était très forte autrefois, qui avait disparu entre-temps, a été complètement réintégrée. J'y ai moi-même beaucoup participé et depuis, nous n'avons jamais cessé d'avoir une relation très forte avec les gouvernements israéliens. Il y a des cas où on est plus d'accord que dans d'autres. Les politiques israéliennes peuvent être extraordinairement différentes. C'est toujours Israël mais ce n'est pas toujours le même gouvernement et les diplomates du Quai d'Orsay ont des contacts et des discussions avec leurs homologues israéliens, ici ou en Israël, qui intègrent les soucis d'Israël dans l'analyse des positions. Il me semble que ces critiques sont totalement injustes et en même temps totalement décalées. Il suffit de se souvenir de ce qui s'est passé en 2000 où il y avait un travail pour la paix, animé par Clinton, Barak et Arafat, qui a très malheureusement échoué, pour des tas de raisons. Nous étions complètement impliqués dans cette affaire, y compris le Quai d'Orsay, en contact permanent avec les Israéliens, les Américains, pour négocier. Nous étions peut-être le seul pays qui ne soit pas directement du Proche-Orient qui soit intégré à ce point dans le processus de paix, pour échanger des papiers, des idées et des suggestions. Cela n'a pas marché, c'est très malheureux mais nous étions de plein pied, il faudrait peut-être réactualiser ces visions.
Q - Il y a une thèse qui dit que le Quai d'Orsay a une volonté de se dédouaner de deux moments-clés de l'histoire, la Shoah ou la guerre d'Algérie : pour la Shoah du fait de la passivité voire la complicité de la France durant celle-ci en présentant les victimes d'hier comme les bourreaux d'aujourd'hui. Les Israéliens ne seraient pas meilleurs que nous et rétrospectivement, nous n'aurions rien à nous reprocher. Et d'un autre côté, sur la guerre d'Algérie, parce que soutenir les thèses arabes aujourd'hui, c'est faire oublier et se faire pardonner un passé pas très net. Qu'en pensez-vous ?
(...)
R - Quel est le rapport entre le Quai d'Orsay et la guerre d'Algérie ?
Q - La France a eu un passé colonial et aujourd'hui, elle cherche à se faire pardonner.
R - Si c'était le cas, le Quai d'Orsay soutiendrait automatiquement les positions algériennes. Ce n'est évidemment pas le cas. Et on ne peut pas soutenir les positions arabes en général puisqu'il n'y a pas beaucoup de positions arabes en général. Nous essayons aujourd'hui, en 2002, en homme contemporain, d'avoir la politique algérienne la mieux adaptée, et ce n'est pas la même pour le Maroc. On parlait du Liban tout à l'heure, c'est encore un autre sujet. J'invite tous ceux qui se servent automatiquement de l'expression "Quai d'Orsay" à faire retour sur eux-mêmes et tenter d'être plus équitable. Je suis prêt à discuter lorsque l'on me dit que je me trompe dans mes critiques de Sharon parce qu'il n'a pas le choix. Et lorsque j'appelle à la recherche d'une solution politique avec autant d'énergie qu'à la lutte contre le terrorisme, je sais qu'il faut le faire à partir des données réelles de la politique israélienne d'aujourd'hui.
Q - Le prédécesseur de Sharon, M. Barak et également Shimon Pérès considèrent que Arafat a un double langage. Barak parle de la culture du double langage d'Arafat. Faites-vous le même constat ?
R - Dans l'article du "Monde" dont je vous ai parlé tout à l'heure, que j'ai écrit personnellement en novembre, je rappelle que j'avais appelé Arafat à éliminer du discours et du projet palestinien toute ambiguïté sur les frontières et préserver l'identité juive. Je suis d'accord qu'il y a un élément de double langage, il y en a eu.
Q - Il y en a eu ou il y en a encore ?
R - Aujourd'hui, il n'a pas de double langage puisqu'il ne peut pas communiquer.
Q - Un langage qui va dans un seul sens ?
R - Aujourd'hui, c'est le silence auquel il est contraint à travers une politique que même les Américains ne soutiennent pas puisque le général Zinni a obtenu d'aller le voir, mais c'est un autre sujet. Il y a énormément de choses à demander à l'Autorité palestinienne, mais la question fondamentale n'est pas de savoir si les Israéliens apprécient Arafat ou si les Palestiniens apprécient Sharon. Vous imaginez quelle est la réponse dans l'un et l'autre cas. La question est de savoir ce qui peut aider à en sortir. Est-on dans une sorte de procès sans fin où il n'y a pas d'issue ? Ou essaie-t-on de remettre en marche des mécanismes pour en sortir ? On trouve forcément la lutte contre le terrorisme car il faut éradiquer cette menace et on trouve forcément aussi la recherche d'une solution politique. La divergence principale entre la politique menée par Sharon et celle de l'Europe et de la France, c'est la conviction que le problème israélien ne peut être réglé que par la répression. Même si aujourd'hui, les Israéliens sont tous derrière Sharon, parce qu'ils ont tellement souffert des attentats suicide, on aboutit à un tel chiffre de morts, c'est devenu tellement intolérable, qu'il en a fait une unité nationale.
Le monde entier leur dit qu'on peut comprendre cela mais qu'il faut relancer en même temps la recherche d'une solution de paix.
Q - Ce qui fait dire au camp de la paix en Israël que c'est Arafat qui a voté une première fois Netanyahou en 1996 et une seconde fois Sharon l'an dernier.
R - Il y a une responsabilité palestinienne très importante, de toute façon, mais qui est contestée par certains participants aux réunions de Camp David et de Taba. M. Pérès a dit plusieurs fois que c'était une erreur de dire que c'était l'accord pour une solution définitive parce que cela obligeait les Palestiniens à poser le problème de Jérusalem qui n'avait pas de solution à ce moment-là et à poser la question des réfugiés.
Sur Jérusalem, ils ne pouvaient pas trancher seuls. A l'époque, les pays arabes ne l'ont pas soutenu. Parce que s'ils avaient fait il y a un an et demi ce qu'ils ont fait il y a quelques semaines à Beyrouth en promettant la normalisation, cela changeait complètement l'équation d'après Camp David. Lorsque Arafat a fait le tour des capitales arabes pour demander un soutien, il n'a eu qu'un silence embarrassé. Il y a une vraie défaillance du monde arabe, ce n'est donc pas si simple. Il y a les erreurs stratégiques et tactiques évidentes d'Arafat, il y a peut-être eu des erreurs de négociation de Barak, il y a eu peut-être une erreur de Clinton sur cette idée de l'accord définitif.
Pourtant, aujourd'hui, je sais que, pour le camp de la paix, c'est de la faute d'Arafat. Il y a un rejet énorme, c'est peu de le dire puisque 20 % des Israéliens accepteraient qu'il soit éliminé. Je ne vois pas où, dans quel autre conflit on trouverait des réponses de ce type. Il ne faut pas désespérer des opinions publiques car lorsque l'on demande si le terrorisme est jugulé, - "accepterez-vous la reprise d'une négociation politique ?" - 70 % des Israéliens répondent oui. C'est donc une opinion ouverte et disponible.
Q - Très réactive ?
R - Mais c'est normal avec tous ces attentats.
Q - Sur ce plan, deux attentats sanglants ont été suivi par une véritable politique de retenue du gouvernement israélien, malgré cela, il n'y avait pas de perspective politique et finalement, il y a eu une prolifération des attentats. M. Sharon avait-il un autre choix et qu'aurait fait la France dans une situation similaire ?
R - Je peux comprendre la réaction de l'opinion israélienne, la réaction des gens et encore une fois, c'est une horreur de vivre sous cette menace des attentats suicide. Mais n'oubliez pas non plus dans quelles conditions vivent les Palestiniens. Trente-cinq années d'occupation, des conditions de vie décrites tous les jours qui rendent les gens fous. Mais, je pense que dans les attentats suicide, il y a aussi une politique de certaines organisations qui ne se cachent pas toujours d'avoir combattu le processus d'Oslo.
Contrairement à l'Autorité palestinienne, ils ne veulent pas un Etat palestinien à côté d'Israël mais à sa place et c'est d'ailleurs étonnant de voir à quel point la répression de l'armée israélienne épargne assez largement le système du Hamas.
Q - Ce serait à l'armée israélienne d'aller attaquer le Hamas ?
R - Mon travail est de relancer la négociation politique et de le faire avec autant d'énergie que la lutte contre le terrorisme car je pense que l'un ne va pas sans l'autre. Il n'y aura pas de débouchés uniquement par la politique de répression même si je comprends le mécanisme qui conduit les Israéliens, désespérés par l'échec des négociations de paix, à voter Sharon, et à soutenir l'opération de l'armée car ils ont l'espoir de la paix et de la sécurité. Lorsqu'ils réfléchiront, je ne pense pas qu'ils puissent approuver en majorité le programme de certains partenaires d'Ariel Sharon qui est un programme d'expulsion généralisé des Palestiniens.
Q - C'est marginal.
R - Je pense et j'espère que cela le restera et par conséquent, les gens en Israël se retrouveront sur le fait que l'on a rétabli plus de sécurité et qu'il faut parler pour trouver une solution politique. Vous avez parlé d'une période de retenue, il y a eu une période d'accalmie en décembre. Pendant trois semaines sans attentats, il ne s'est rien passé sur le plan politique du côté israélien. Compte tenu de l'équilibre politique interne, personne n'est en mesure de dire que l'on va tenter de reparler, même sur la base des plans Tenet ou Mitchell. Les occasions perdues sont nombreuses, malheureusement.
Q - D'après les contacts que vous avez eus hier, êtes-vous optimiste ?
R - Je pense qu'il ne faut jamais se décourager dans cette affaire du Proche-Orient. Je sais que la négociation reprendra sur des bases pas tellement différentes de l'esquisse de la fin 2000, même si ce n'était pas très clair. D'autre part, il y a une majorité d'Israéliens qui, même au cur de l'inquiétude et au paroxysme du soutien à l'opération militaire n'écarte pas l'hypothèse de la reprise des négociations. Ensuite, le président Bush a pris un vrai tournant, étant dans une politique de retrait depuis un an même si en pratique, il a donné carte blanche à l'action du gouvernement Sharon et de l'armée israélienne. Tout en tenant des propos très sévères à l'encontre d'Arafat, même lui s'exprime comme s'il considérait que la politique menée aujourd'hui ne conduit pas à une solution. Cela peut créer un climat différent, même aider Ariel Sharon à résister à la partie la plus extrémiste de sa coalition ou de son gouvernement. Cela peut permettre d'une certaine façon, d'habiller la reprise de discussions dans un contexte sécuritaire rétabli.
Pour l'Europe, tout le monde sait qu'elle est tout à fait homogène sur les grands principes, pas forcément d'accord dans l'urgence, mais d'accord sur les principes. Il peut donc se reconstituer une conjoncture acceptable par les dirigeants entre Etats-Unis et Europe sur la façon d'en sortir. C'est toujours la même obsession.
Q - On parle de signe et de symbole, pourquoi la France ne prendrait-elle pas une initiative si on se réfère aux accords de Camp David et de Taba, il y aurait une partition de Jérusalem. La France a toujours été favorable à la création d'un Etat palestinien avec Jérusalem-est pour capitale. Dans ces conditions, qu'est-ce qui empêche aujourd'hui la France de reconnaître Jérusalem-ouest comme capitale d'Israël ?
R - Mais aucun pays ne l'a fait, même pas les Etats-Unis.
Q - Mais ne serait-ce pas un bon signe que la France prenne une telle initiative ?
R - Non, parce que c'est l'élément d'un accord qu'on ne peut pas isoler. On retombe alors sur l'élément qui a contribué à faire échouer les négociations de l'an 2000. On ne peut pas régler le problème par morceaux. Il y a un ensemble dans lequel il y aura les frontières, la sécurité et je pense qu'il faudra des forces d'interposition ou de sécurité notamment américaines parce que les Israéliens l'exigeront. Et, à mon sens, ils auront raison quand il y aura un Etat palestinien.
Il y a la question de Jérusalem, les réfugiés : on sait bien que tout est lié. Nous ne voulons pas nous rendre intéressants en prenant des initiatives partielles sur des morceaux du sujet.
Q - Mais, vous n'êtes pas contre, le moment venu ?
R - Cela fait partie du règlement soit final, soit presque final selon la voie qui est reprise.
Q - Sur l'accord d'interposition, sur l'initiative qu'a reprise Lionel Jospin récemment de la force d'interposition. Est-ce que vous n'avez pas le sentiment qu'il puisse y avoir ici, un jeu où effectivement cette force interposition serait équipée pour faire face à une armée régulière et de l'autre côté, on se rappelle du "Drakkar", ne serait pas véritablement à même de faire face à des actions terroristes ?
(...)
R - L'idée d'une présence internationale est de plus en plus acceptée. Puis, il peut y avoir des observations, des contrôles et éventuellement des interventions. Notre conviction est qu'une telle force aiderait à la mise en oeuvre des résolutions 1402 et 1403 et d'autre part elle augmenterait la sécurité des deux peuples. Mais là on entrerait dans une réflexion sur "comment faire en sorte que cela ne verrouille pas un seul côté". Il ne s'agit pas d'avoir une force qui empêcherait l'armée israélienne d'exercer des représailles contre des centres de commandement terroristes et qui, d'autre part, laisse passer les attentats suicides. Cela suppose de redémarrer un minimum de discussions pour que le gouvernement israélien dise "j'accepte dans telles conditions, je vais garder ma liberté de mouvement sur tel ou tel point" et que l'Autorité palestinienne dise "j'accepte, puisqu'on me reconnaît à nouveau un rôle légitime et qu'on arrête de détruire les moyens qui me permettraient de faire quelque chose, j'emploie toutes mes forces reconstituées dans cette tâche".
Q - Cette force d'interposition n'est pas pour tout de suite ?
R - Ce serait pour tout de suite, si tout le monde était d'accord. Il est évident qu'on ne veut pas que le système fonctionne en sens unique.
Q - Vous vouliez parler, tout à l'heure, des répercussions sur le sol français de ce conflit.
(...)
R - Sur la situation en France, je voudrais vous dire que je suis inquiet de voir certains slogans qui commencent à monter de part et d'autre. Les juifs français sont des citoyens français de la République française. Les Français d'origine arabo-musulmane, sont de telle ou telle origine, mais ils sont citoyens français. Ce qui est important, c'est la République. Il est absolument intolérable qu'il y ait en France des actes anti-juifs, anti-synagogue ou contre des personnes qui se font insulter ou prendre à partie dans la rue ou cracher dessus. J'ai vu les listes des faits de ce genre. Cela est inacceptable. Il y a unanimité pour condamner ces actes. Cela appelle des conséquences judiciaires et pénales. C'est très important. Il faut que ce monde arabo-musulman français comprenne bien que les juifs de France ne sont pas responsables de la politique du gouvernement israélien. Ils sont citoyens français. Ils ne sont pas responsables de ce que fait ou pas l'armée israélienne dans les territoires. En sens inverse, il faut que les juifs de France comprennent que ces Français d'origine arabo-musulmanes ne sont pas responsables des attentats suicides. Ils ne sont pas responsables de la politique du Hamas...
Q - Les attaques des juifs de France contre les mosquées et contre des édifices..
R - J'ai parlé tout à l'heure d'actes anti-juifs, je n'ai pas parlé d'actes contre les mosquées, encore, qui est une sorte de racisme anti-arabe, dont il faut d'ailleurs se préoccuper. Il faut vraiment traiter cela de façon peut-être plus intense. Je voudrais que les communautés se parlent. Je n'aime pas le terme "communauté" mais il y en a pas de plus...
Q - Justement, sur ce thème, on a le sentiment que certains consciemment ou inconsciemment risquent d'attiser un nouveau type de haine, c'est une haine judéo-chrétienne. Le porte-parole du Quai d'Orsay a déclaré que "La France était outrée de l'offense à la conscience universelle, qu'avait provoqué l'encerclement de l'église de nativité par les forces israéliennes". Les pères franciscains qui gèrent les lieux saints, ont déclaré, il y a trois jours, que la situation avait été provoquée par des invasions violentes de Palestiniens armés à l'intérieur de l'église de la nativité, et d'ailleurs une journaliste de la RAI présente à ce moment près de l'église a déclaré qu'il y a des Palestiniens armés, et, parmi eux, certains responsables des actions sanglantes des dernières semaines.
Pourquoi la France ne proteste-t-elle pas contre l'utilisation inique d'un lieu saint par les terroristes palestiniens ?
R - Nous avons protesté. Dans l'affaire de Bethléem, nous avons réagi comme l'ont fait à peu près toutes les capitales européennes. Peut-être que ce n'est pas équilibré mais ce n'est pas spécifiquement français, pas spécialement Quai d'Orsay. Il y a une réaction plus large, très forte en Italie parce que Bethléem avec sa basilique est un symbole très fort et que c'est une terre d'asile depuis toujours. Mais il ne faut pas extraire une condamnation par rapport à toutes les autres. Ce jour-là, c'est la basilique qui faisait l'actualité, un autre jour, c'est autre chose. Ou bien alors, il vous faudrait rappeler des centaines de condamnations que nous faisons tout le temps ; pourquoi en extrait-on que certaines et pas les autres ?
Q - Ce sont celles qui heurtent le plus !
R - Oui, mais je vous assure que cette affaire sur la basilique a provoqué une émotion et à mon avis, cela a joué un rôle dans le mouvement du président Bush. Il paraît que les Israéliens entretiennent des relations avec le Vatican pour suivre cette affaire aujourd'hui. Ils essaient de contrebalancer les effets produits par l'attaque de la basilique.
Pour revenir à la France, je pense que dans la communauté arabo-musulmane de France et peut-être même dans le monde médiatique français, on sous-estime la pression psychologique terrible qu'exercent les attentats suicides sur l'opinion publique en Israël et je pense que l'on a sous-estimé l'inquiétude considérable qui s'est développée dans la communauté juive française à partir de ces actes qui apparaissaient au début comme isolés. Cela paraissait plutôt comme des actes imbéciles de jeunes destructurés, il faut prendre cela plus au sérieux. Tout le monde doit faire un effort.
Quelles que soient les positions politiques sur le Proche-Orient, je pense que la communauté juive de France doit faire un effort pour comprendre le calvaire que vit le monde palestinien. Il n'y a pas que des terroristes ni que le Hamas, ni que le double langage de tel ou tel responsable palestinien. Dans les vingt ou trente années d'efforts, de contacts israélo-arabes et israélo-palestiniens, pour rechercher la paix, il y a toujours eu un rôle étonnant, impressionnant de grandes personnalités juives françaises. Je crois qu'il y a une tradition qu'il ne faut pas laisser perdre, une sensibilité exprimée, qui devrait nous aider, en France, et tous ensemble. N'ayons pas une approche politicienne sur ce sujet. Il faut empêcher absolument toute contagion en France de cette tragédie du Proche-Orient et d'autre part, apporter la meilleure contribution possible au Proche-Orient pour retrouver le chemin de la construction de la paix.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 avril 2002)