Interview de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national et candidat à l'élection présidentielle de 2002, sur "LCI" le 12 février 2002, sur ses rencontres avec Jacques Chirac en 1998 et sur les annonces de candidature de Lionel Jospin et de Jacques Chirac.

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Média : La Chaine de l'Info - LCI - Télévision

Texte intégral


A. Hausser -
Vous souhaitiez que les candidats sortent de leur bunker. Pour J. Chirac, c'est fait maintenant. Et vous attaquez "très fort", puisque hier, vous l'avez traité de "menteur", de "diffamateur", à propos de la rencontre qui aurait eu lieu, n'a pas eu lieu, entre vous et lui. On aimerait bien en savoir un peu plus...
- "Il a fait une entrée "fracassantesque" dans la campagne électorale, mais malheureusement pour lui, en se prenant les pieds dans le tapis. Et le mensonge réitéré sur les rencontres qu'il a eues avec moi..."
"Les" rencontres ? Vous pouvez nous dire exactement combien il y en a eu ?
- "[Le mensonge] éclaire tout son discours. Autrement dit, j'ai la certitude et je jure sur l'honneur que j'ai bien rencontré J. Chirac deux fois en 1988, dans le cadre des élections présidentielles. La rencontre dont il parle et où il m'aurait tancé, comme si j'avais le physique et le mental de me faire tancer par monsieur Chirac, a duré une seconde : il m'a serré la main, point final. Et là, il y a cinq témoins. Mais s'il m'a donc infligé un pensum, c'est donc qu'il m'a rencontré. Il se contredit. D'ailleurs, visiblement, il était très mal à l'aise. Il s'est réfugié non pas derrière son affirmation, mais derrière l'affirmation de l'Elysée. C'est son cabinet qui pense pour lui, et qui, en l'occurrence, lui a fait faire, à mon avis, une boulette. En Amérique, on sait qu'il faut avouer à un moment donné. Mais si on était aux Etats-Unis et qu'on faisait prêter serment sur cette affaire à monsieur Chirac, il serait frappé d'impeachment, comme le furent un certain nombre de présidents, en tout cas au moins un président de la République américaine, monsieur Nixon."
Il dit qu'il vous a tancé. Est-ce que vous dites que vous avez négocié ?
- "Non, on n'a pas négocié. Je venais demander à Chirac, en particulier entre les deux tours, s'il conservait la voie de 1986 du RPR, c'est-à-dire la réforme du code de la nationalité et la restriction de l'immigration, ou si au contraire, il allait continuer dans la voie de la trahison de ce programme, qu'il avait appliqué de 1986 à 1988. C'est bien celle-là qu'il avait l'intention de continuer. Car c'est bien le fond du problème secret qui sépare J. Chirac de J.-M. le Pen et du Front national. Il n'a jamais donné les raisons pour lesquelles il nous a mis au ban de la République, en notant que c'est cette mise au ban qui a permis l'arrivée au pouvoir des socialistes. Sans cela, les socialistes ne seraient jamais arrivés au pouvoir, ni à la présidentielle ni aux législatives."

En 1981, déjà ?
- "Absolument. En 1981, il m'a empêché d'être candidat en retirant les maires RPR qui m'avaient donné leur parrainage. Ce qui est important, c'est que ce président de la République, qui prétend être le président de tous les Français, n'a pas hésité, depuis des années, depuis plus de quinze ans, à mettre à l'écart 4,5 millions et plus [de Français], 15 % de l'opinion française. Tout son discours, il le rend caduc."
Le Front national a fait battre un certain nombre de candidats de droite aux législatives de 1997...
- "Ils se sont battus eux-mêmes. Ils ont fait ce que J. Chirac a fait hier. On peut tout faire avec une baïonnette, sauf s'asseoir dessus. La majorité RPR a fait exactement la même chose. Nous mettant à l'écart de la nation, j'espère qu'elle ne prétendait pas en plus obtenir nos voix, à genoux, en chemise et la corde au cou. Et puis quoi encore ?"
Qu'allez-vous faire cette année ? On a cru comprendre que vous ne ferez pas voter pour J. Chirac au deuxième tour, si vous n'y figurez pas...
- "Je pense qu'après la prestation d'hier, monsieur J. Chirac s'est probablement éliminé lui-même du deuxième tour. Pour ma part, je ne crains pas d'affronter un deuxième tour, ni contre Chirac ni contre Jospin ni contre un candidat qui s'autoproclame le troisième, avec l'aide des médias et d'un certain nombre d'autres forces plus ou moins secrètes."
Je vois ce que vous voulez dire... Je vous pose la question plus clairement : est-ce que vous croyez à un deuxième tour Jospin - Chevènement ?
- "Non, je n'y crois pas. La gauche est minoritaire dans ce pays. Je vous rappelle qu'aux dernières élections présidentielles, les candidats de gauche tous unis, ont fait 41 %. Par conséquent, cela m'étonnerait beaucoup qu'ils aient beaucoup progressé après cinq ans de gouvernement socialo-communiste. J'ai entendu hier J. Chirac parler de "passion" et cela m'a ramené un petit peu à mes études littéraires. C'est la passion de Bartolo pour Rosine. C'est la passion du Barbon. L'amour n'est pas la passion. La passion, c'est fugitif. Et cette passion pour la France et pour les Français, qui prend J. Chirac à 69 ans, a quelque chose de très inquiétant. A moins que dans cette passion, il ait entendu une autre acception, qui serait celle du Golgotha."
Cela promet... Quel accueil réserverez-vous à L. Jospin, quand il se déclarera ?
- "J'attends qu'il se déclare. Il est pour moi le Premier ministre qui a gouverné la France avec une majorité socialo-communiste pendant cinq ans. Et il est bien évident que je le combattrai, visant évidemment à l'éliminer. Je crois au contraire que les deux candidats de gauche pourraient s'éliminer l'un l'autre, s'empaler l'un l'autre. Si vous enlevez la gauche radicale - Hue, Laguiller et tout le reste - qui fait plus de 20 %, si vous donnez 12 % à monsieur Chevènement, que reste-t-il à monsieur Jospin ? Ils peuvent très bien faire un [inaudible] éliminatoire. C'est personnellement la solution que je préférerais. Car je pense que la France aurait un choix, à ce moment-là, alternatif entre la politique de l'établissement, telle qu'elle a été suivie depuis sept ans, et sur laquelle on aurait aimé entendre J. Chirac se prononcer. Car J. Chirac, président de la République, a un certain nombre de fonctions qui lui sont propres : chef de l'Etat, chef des armées, premier magistrat de France, président de la République. Il n'a pas du tout parlé de ces fonctions-là. Et c'est sur ses fonctions que nous attendons un compte-rendu de mandat : qu'il nous dise ce qu'il a fait ou ce qu'il n'a pas fait."
Plus que des propositions ?
- "Les propositions, c'est dans le cadre de la campagne. Cette pré-campagne, à mon avis, devrait servir en tous les cas, aux deux sortants, à se justifier de leur action aux yeux des Français. C'est ce qu'ils ne font pas et sans doute ne feront pas. Et J. Chirac nous a avertis : n'importe comment, il ne débattra avec personne. Il entend bien faire des monologues, si possible longs à la télévision, et ainsi être jugés par d'autres gens que par ses pairs."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 février 2002)