Texte intégral
Q - Verra-t-on des Casques bleus français assurer la sécurité au Liban-Sud après le retrait de l'armée israélienne de la zone qu'elle occupe ? Le gouvernement israélien le souhaite et s'apprêterait à consentir des concessions territoriales supplémentaires aux Palestiniens alors que les négociations pour la paix avec la Syrie n'avancent plus. Quelle place la France tiendrait-elle dans cette nouvelle orientation ? Alain Richard, vous êtes de retour de Jérusalem. Verra-t-on la France jouer un rôle direct dans le protocole du processus de paix au Proche-Orient ?
R - Il est trop tôt pour le dire. C'est un sujet énorme avec encore plusieurs inconnues. Donc nous y allons à petits pas. Nous avons volontés :
- soutenir efficacement le processus de paix parce qu'il y a quand même des choses qui avancent ;
- donner un rôle à l'ONU pour fixer sa légitimité - ce qui a été souvent discuté par les acteurs sur le terrain, notamment par Israël - ;
- et se rapprocher d'une pleine souveraineté du Liban. Parce que, derrière, il y aussi cette question de la domination de la Syrie sur le Liban. Pour nous, le fromage et le dessert - si vous voulez - ce serait le retrait israélien qui est bien venu, qui est souhaitable et pour eux et pour la paix dans la région.
Q - Qui est programmé ?
R - Ah oui, c'est sûr ! Et en même temps un début au moins d'accord entre les protagonistes. Parce que le retrait d'Israël du Sud-Liban cela veut dire que l'Etat libanais, relativement faible et sous domination syrienne, va avoir à maintenir la sécurité dans sa zone Sud qui est immédiatement contiguë à Israël alors qu'il y a des groupes armés ou des groupes dissidents qui ne demanderaient qu'à être armés qui peuvent continuer à exercer des actions de combat contre Israël même en traversant la frontière avec des projectiles.
Q - Ce n'est pas une zone facile. Est-ce qu'Israël a vraiment envie qu'il y ait des Casques bleus français ?
R - Oui, c'est sûr ! Ils me l'ont dit avec franchise. Il nous faudra choisir entre les inconvénients. C'est cela la joyeuse condition du responsable. Si nous y allons sans qu'il y ait d'accord du tout, nous y allons dans une situation très instable avec par conséquent des risques sérieux pour les soldats français. Les risques vitaux bien sûr, mais aussi les risques de se trouver en position fausse si le mandat des Nations unies ne permettait pas de réagir aux violences. La situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui c'est qu'il y a bien un mandat des Nations unies, il y a une force à laquelle nous participons.
Q - Mais qui ne prévoit pas de riposte en cas...
R - Voilà ! Son mandat c'est de compter les coups.
Q - Vous dites que si les Casques bleus français vont là-bas il faut impérativement, qu'en cas d'attaque, ils aient le droit et la possibilité de se défendre ?
R - Oui, mais cela ne doit pas être une position de la France seule. C'est une décision à prendre par les Nations unies. Nous sommes en contact étroit avec Kofi Annan et l'équipe de ce qu'on appelle le Département des opérations de maintien de la paix à l'Onu, de manière à trouver une solution qui convienne à tout le monde. Ce sur quoi je veux insister c'est que, même si c'est modeste, même si c'est encore hésitant, on est dans une phase de progression du processus de paix - vous l'avez dit, cela avance avec les Palestiniens. Donc il faut essayer de faire que cela avance d'un pas de plus.
Q - Cela avance avec les Palestiniens mais cela ne bouge pas du tout côté syrien.
R - Non, là, il y a encore une difficulté. Ce qu'on disait à Tel Aviv c'est que pendant des années il y a eu de nombreux contacts exploratoires, de nombreux débuts de discussions avec la mouvance palestinienne, notamment l'OLP. Avec la Syrie, en réalité, il y a très peu de contacts. De temps en temps le président Assad rencontre ...
Q - Personnalité complexe ...
R - Exactement ! Et un régime quand même très refermé sur lui-même. Donc le président Assad rencontre un émissaire, mais les Israéliens sont sans doute beaucoup plus dans l'incertitude quant à ce que souhaite vraiment le pouvoir syrien. Ce que je redoute - pour dire les choses très franchement - c'est que le pouvoir syrien compte parmi ses atouts principaux d'avoir la domination sur le Liban. Par conséquent toute solution, même lui rendant son intégrité territoriale, mais qui aboutirait à remettre en question sa domination sur le Liban, ne lui convient pas.
Q - D'où la complexité du rôle que la France pourrait avoir à jouer dans cette partie-là ?
R - On a des contacts confiants avec les différents partenaires. Simplement, il faut qu'ils fassent les uns et les autres des sacrifices par rapport à leurs intérêts privilégiés.
Q - Puisque cela marque le pas avec la Syrie, est-ce que du coup MM. Ehud Barak et Yasser Arafat qui, chacun de son côté ont un peu des difficultés, vont vouloir presser le pas pour aboutir à des accords ensemble.
R - Je l'espère, donc je ne suis pas objectif, mais je le crois. Au sein du cabinet israélien, il y avait visiblement des opinions partagées. Certains disant qu'il vaut mieux commencer par la Syrie - parce que c'est une puissance qui a un certain poids, qui peut être une menace, etc. - et d'autres qui disaient : on est "chaud" - si j'ose dire - pour la discussion avec les Palestiniens et il vaut mieux aller le plus loin possible avec les Palestiniens parce que c'est quand même cela le cur de la difficulté pour le Proche-Orient. Je crois que c'est progressivement cette deuxième tendance qui prend le dessus.
Q - Quand pensez-vous que la création d'un Etat palestinien pourra être annoncée ?
R - Dans l'esprit des dirigeants israéliens cela partie d'un deal global. Cela veut dire qu'il faut aussi que les dirigeants de cet Etat palestinien prennent un certain nombre d'engagements quant aux rapports réciproques, quant à leur propre gestion, etc. Mais je pense que c'est vraiment, maintenant, tout à fait sur le haut de la pile des priorités.
Q - On va avoir des informations assez vite puisque le ministre des Affaires étrangères israélien, M. Levy, est aujourd'hui à Paris. Il rencontre le président de la République et M. Védrine.
Alors le Kosovo : C'est important parce que demain c'est la prise de fonction de l'Eurocorps au Kosovo.
R - Vous faites bien de le mentionner. L'Europe de la défense cela avance là aussi par petits bonds successifs. S'il y a deux ou trois ans, on nous avait dit que c'était une force européenne qui allait prendre la tête d'une opération majeure de maintien de la paix on aurait un peu souri en disant : "Vous croyez au Père-Noël". C'est en train de se faire et je fais souvent remarquer que cela s'est fait quand même avec le consentement des Etats-Unis. C'est-à-dire que même s'il y a des maugréments, même s'il y a des petites phrases vaches - qui n'en a pas fait un jour ou l'autre - pour dire : "Ah les Européens on ne sait pas très bien ce qu'ils veulent", les Etats-Unis avaient le choix au sein de l'Alliance en décembre-janvier de dire : "Eh bien non, cela ne nous arrange pas que ce soit l'Eurocorps qui dirige la force du Kosovo !". Finalement cela c'est fait. Le challenge n'est pas facile parce que la situation au Kosovo est encore instable. On a affaire à toute une gamme de provocateurs divers et variés qui ne souhaitent pas l'établissement de rapports démocratiques normaux au Kosovo parce qu'ils ne seraient pas favorables à leurs intérêts de boutique. Donc, il faudra les tenir à distance respectueuse. Cela dit, vous avez sûrement remarqué que depuis trois semaines maintenant il n'y a plus de titres sur le Kosovo. C'est un indicateur comme un autre. Quand les choses commencent à aller mieux, c'est-à-dire qu'on revient sur ce que je crois être la tendance longue d'aller vers le rétablissement de rapports normaux au Kosovo et le début d'une croissance démocratique si j'ose dire, eh bien on en parle moins. Mais c'est en train de se faire.
()
Q - Ce n'est pas joué non plus là-bas. Entre Liban-Sud et Kosovo, on est engagé dans des zones qui sont complexes à chaque fois.
R - Vous vous rappelez les controverses - j'y ai pris ma petite part - sur l'histoire des tribunaux internationaux. Nous sommes - c'est ce que je disais à M. Kofi Annan l'autre jour et au président de la Croix-Rouge - minoritaires parce que dans les pays démocratiques vraiment respectueux des Droits de l'Homme, nous sommes un des rares pays qui acceptent de retrousser vraiment les manches, c'est-à-dire de participer aux forces de maintien de la paix quand cela "cartonne", si vous me passez l'expression. Donc nous avons une liste de conditions - je vous parlais tout à l'heure du mandat au Liban-Sud - pour ne pas finir de manière discréditante, de manière finalement décourageante pour les partisans du maintien de la paix. Donc nous disons : "Nous, nous y allons si...". C'est ce qui fait, par exemple, notre réticence aujourd'hui sur l'affaire de la République démocratique du Congo, parce que nous considérons que cet accord de paix n'est pas très crédible et que ceux qui vont essayer de l'appliquer sur le terrain risquent de se trouver dans un bourbier. L'affaire du tribunal c'est un peu la même chose. Moi, je fais attention à ce que les soldats du maintien de la paix qui sont quand même là pour prendre des coups de tous les côtés ne se retrouvent pas en position d'accusés en raison des manuvres judiciaires des suspects que l'on a réussi à amener devant le tribunal. (...).
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 avril 2000)
R - Il est trop tôt pour le dire. C'est un sujet énorme avec encore plusieurs inconnues. Donc nous y allons à petits pas. Nous avons volontés :
- soutenir efficacement le processus de paix parce qu'il y a quand même des choses qui avancent ;
- donner un rôle à l'ONU pour fixer sa légitimité - ce qui a été souvent discuté par les acteurs sur le terrain, notamment par Israël - ;
- et se rapprocher d'une pleine souveraineté du Liban. Parce que, derrière, il y aussi cette question de la domination de la Syrie sur le Liban. Pour nous, le fromage et le dessert - si vous voulez - ce serait le retrait israélien qui est bien venu, qui est souhaitable et pour eux et pour la paix dans la région.
Q - Qui est programmé ?
R - Ah oui, c'est sûr ! Et en même temps un début au moins d'accord entre les protagonistes. Parce que le retrait d'Israël du Sud-Liban cela veut dire que l'Etat libanais, relativement faible et sous domination syrienne, va avoir à maintenir la sécurité dans sa zone Sud qui est immédiatement contiguë à Israël alors qu'il y a des groupes armés ou des groupes dissidents qui ne demanderaient qu'à être armés qui peuvent continuer à exercer des actions de combat contre Israël même en traversant la frontière avec des projectiles.
Q - Ce n'est pas une zone facile. Est-ce qu'Israël a vraiment envie qu'il y ait des Casques bleus français ?
R - Oui, c'est sûr ! Ils me l'ont dit avec franchise. Il nous faudra choisir entre les inconvénients. C'est cela la joyeuse condition du responsable. Si nous y allons sans qu'il y ait d'accord du tout, nous y allons dans une situation très instable avec par conséquent des risques sérieux pour les soldats français. Les risques vitaux bien sûr, mais aussi les risques de se trouver en position fausse si le mandat des Nations unies ne permettait pas de réagir aux violences. La situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui c'est qu'il y a bien un mandat des Nations unies, il y a une force à laquelle nous participons.
Q - Mais qui ne prévoit pas de riposte en cas...
R - Voilà ! Son mandat c'est de compter les coups.
Q - Vous dites que si les Casques bleus français vont là-bas il faut impérativement, qu'en cas d'attaque, ils aient le droit et la possibilité de se défendre ?
R - Oui, mais cela ne doit pas être une position de la France seule. C'est une décision à prendre par les Nations unies. Nous sommes en contact étroit avec Kofi Annan et l'équipe de ce qu'on appelle le Département des opérations de maintien de la paix à l'Onu, de manière à trouver une solution qui convienne à tout le monde. Ce sur quoi je veux insister c'est que, même si c'est modeste, même si c'est encore hésitant, on est dans une phase de progression du processus de paix - vous l'avez dit, cela avance avec les Palestiniens. Donc il faut essayer de faire que cela avance d'un pas de plus.
Q - Cela avance avec les Palestiniens mais cela ne bouge pas du tout côté syrien.
R - Non, là, il y a encore une difficulté. Ce qu'on disait à Tel Aviv c'est que pendant des années il y a eu de nombreux contacts exploratoires, de nombreux débuts de discussions avec la mouvance palestinienne, notamment l'OLP. Avec la Syrie, en réalité, il y a très peu de contacts. De temps en temps le président Assad rencontre ...
Q - Personnalité complexe ...
R - Exactement ! Et un régime quand même très refermé sur lui-même. Donc le président Assad rencontre un émissaire, mais les Israéliens sont sans doute beaucoup plus dans l'incertitude quant à ce que souhaite vraiment le pouvoir syrien. Ce que je redoute - pour dire les choses très franchement - c'est que le pouvoir syrien compte parmi ses atouts principaux d'avoir la domination sur le Liban. Par conséquent toute solution, même lui rendant son intégrité territoriale, mais qui aboutirait à remettre en question sa domination sur le Liban, ne lui convient pas.
Q - D'où la complexité du rôle que la France pourrait avoir à jouer dans cette partie-là ?
R - On a des contacts confiants avec les différents partenaires. Simplement, il faut qu'ils fassent les uns et les autres des sacrifices par rapport à leurs intérêts privilégiés.
Q - Puisque cela marque le pas avec la Syrie, est-ce que du coup MM. Ehud Barak et Yasser Arafat qui, chacun de son côté ont un peu des difficultés, vont vouloir presser le pas pour aboutir à des accords ensemble.
R - Je l'espère, donc je ne suis pas objectif, mais je le crois. Au sein du cabinet israélien, il y avait visiblement des opinions partagées. Certains disant qu'il vaut mieux commencer par la Syrie - parce que c'est une puissance qui a un certain poids, qui peut être une menace, etc. - et d'autres qui disaient : on est "chaud" - si j'ose dire - pour la discussion avec les Palestiniens et il vaut mieux aller le plus loin possible avec les Palestiniens parce que c'est quand même cela le cur de la difficulté pour le Proche-Orient. Je crois que c'est progressivement cette deuxième tendance qui prend le dessus.
Q - Quand pensez-vous que la création d'un Etat palestinien pourra être annoncée ?
R - Dans l'esprit des dirigeants israéliens cela partie d'un deal global. Cela veut dire qu'il faut aussi que les dirigeants de cet Etat palestinien prennent un certain nombre d'engagements quant aux rapports réciproques, quant à leur propre gestion, etc. Mais je pense que c'est vraiment, maintenant, tout à fait sur le haut de la pile des priorités.
Q - On va avoir des informations assez vite puisque le ministre des Affaires étrangères israélien, M. Levy, est aujourd'hui à Paris. Il rencontre le président de la République et M. Védrine.
Alors le Kosovo : C'est important parce que demain c'est la prise de fonction de l'Eurocorps au Kosovo.
R - Vous faites bien de le mentionner. L'Europe de la défense cela avance là aussi par petits bonds successifs. S'il y a deux ou trois ans, on nous avait dit que c'était une force européenne qui allait prendre la tête d'une opération majeure de maintien de la paix on aurait un peu souri en disant : "Vous croyez au Père-Noël". C'est en train de se faire et je fais souvent remarquer que cela s'est fait quand même avec le consentement des Etats-Unis. C'est-à-dire que même s'il y a des maugréments, même s'il y a des petites phrases vaches - qui n'en a pas fait un jour ou l'autre - pour dire : "Ah les Européens on ne sait pas très bien ce qu'ils veulent", les Etats-Unis avaient le choix au sein de l'Alliance en décembre-janvier de dire : "Eh bien non, cela ne nous arrange pas que ce soit l'Eurocorps qui dirige la force du Kosovo !". Finalement cela c'est fait. Le challenge n'est pas facile parce que la situation au Kosovo est encore instable. On a affaire à toute une gamme de provocateurs divers et variés qui ne souhaitent pas l'établissement de rapports démocratiques normaux au Kosovo parce qu'ils ne seraient pas favorables à leurs intérêts de boutique. Donc, il faudra les tenir à distance respectueuse. Cela dit, vous avez sûrement remarqué que depuis trois semaines maintenant il n'y a plus de titres sur le Kosovo. C'est un indicateur comme un autre. Quand les choses commencent à aller mieux, c'est-à-dire qu'on revient sur ce que je crois être la tendance longue d'aller vers le rétablissement de rapports normaux au Kosovo et le début d'une croissance démocratique si j'ose dire, eh bien on en parle moins. Mais c'est en train de se faire.
()
Q - Ce n'est pas joué non plus là-bas. Entre Liban-Sud et Kosovo, on est engagé dans des zones qui sont complexes à chaque fois.
R - Vous vous rappelez les controverses - j'y ai pris ma petite part - sur l'histoire des tribunaux internationaux. Nous sommes - c'est ce que je disais à M. Kofi Annan l'autre jour et au président de la Croix-Rouge - minoritaires parce que dans les pays démocratiques vraiment respectueux des Droits de l'Homme, nous sommes un des rares pays qui acceptent de retrousser vraiment les manches, c'est-à-dire de participer aux forces de maintien de la paix quand cela "cartonne", si vous me passez l'expression. Donc nous avons une liste de conditions - je vous parlais tout à l'heure du mandat au Liban-Sud - pour ne pas finir de manière discréditante, de manière finalement décourageante pour les partisans du maintien de la paix. Donc nous disons : "Nous, nous y allons si...". C'est ce qui fait, par exemple, notre réticence aujourd'hui sur l'affaire de la République démocratique du Congo, parce que nous considérons que cet accord de paix n'est pas très crédible et que ceux qui vont essayer de l'appliquer sur le terrain risquent de se trouver dans un bourbier. L'affaire du tribunal c'est un peu la même chose. Moi, je fais attention à ce que les soldats du maintien de la paix qui sont quand même là pour prendre des coups de tous les côtés ne se retrouvent pas en position d'accusés en raison des manuvres judiciaires des suspects que l'on a réussi à amener devant le tribunal. (...).
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 avril 2000)