Interview de M. Denis Kessler, vice président délégué du MEDEF à LCI le 6 décembre 2001, sur les propositions du patronat dans le cadre des élections présidentielles de 2002, notamment pour les régimes de retraites et les 35 heures.

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Texte intégral

ANITA HAUSSER : Bonjour monsieur Kessler. C'est aujourd'hui que doit être présenté le rapport du Conseil d'orientation des retraites, on va en parler dans un instant, mais je voudrais qu'on revienne sur l'intervention de Lionel Jospin hier soir qui disait son optimisme à propos de la conjoncture et qui prévoit une croissance, un retour à une croissance de 3 % l'année prochaine. C'est raisonnable ?
DENIS KESSLER : Non, aujourd'hui, ce n'est pas raisonnable. Aujourd'hui, l'économie française, malheureusement, d'ailleurs, fonctionne au ralenti. Ca se voit par les dépenses d'investissement, ça se voit par les exportations. On peut tous espérer, évidemment, un rebond de l'économie française au cours de l'année 2002, mais je trouve, pour le moment, qu'il faut se garder d'être trop optimiste.
ANITA HAUSSER : Et il l'est ?
DENIS KESSLER : Je pense qu'il est un peu optimiste et ceci justifie d'ailleurs les choix budgétaires qui me semblent, en ce qui me concerne, un peu osés parce que, dans ces cas-là, on sous-estime le déficit public et on se retrouve avec des finances publiques dégradées.
ANITA HAUSSER : Quand vous dites que l'économie française ne va pas très bien, c'est à cause de... C'est de l'attentisme, c'est à cause des élections ou est-ce que c'est à cause des freins qui sont mis à l'embauche, enfin, toutes ces réglementations que vous combattez ?
DENIS KESSLER : Deux facteurs. Des facteurs externes, le ralentissement américain. L'économie américaine est en récession. Des facteurs comme le ralentissement du Japon et puis des grands voisins qui ne fonctionnent pas très bien. Par exemple l'Allemagne qui connaît à l'heure actuelle quasiment une stagnation. Et puis il y a ensuite des facteurs français et il est vrai qu'il y a un certain nombre de freins qui existent et qui empêchent par exemple le développement de l'investissement des entreprises. A ce titre, la loi d'aujourd'hui de modernisation sociale est encore un de ces signes négatifs qui conduisent plutôt à l'attentisme...
ANITA HAUSSER : ... Elle n'est pas encore en uvre.
DENIS KESSLER : Elle n'est pas encore en uvre mais c'est un signe donné à l'ensemble des entreprises de dire attention, ça va être très compliqué de gérer ses affaires en France. Et donc malheureusement, malheureusement, ceci va se traduire sans doute par moins d'investissements et des délocalisations d'activités industrielles. Donc nous sommes dans une situation dans laquelle nous tirons en permanence la sonnette d'alarme en disant : attention, il ne faut pas continuer à alourdir les contraintes qui pèsent aujourd'hui sur les entreprises françaises.
ANITA HAUSSER : Vous tirez la sonnette d'alarme de manière un peu bruyante j'allais dire. Vous faites compagne, une vraie campagne, c'est presque une campagne électorale, vous tenez des meetings en province, Ernest-Antoine Seillière s'exprime beaucoup. Le MEDEF est en campagne, est en campagne politique ?
DENIS KESSLER : Certainement pas. Nous n'avons aucune intention politique, nous ne voulons pas exercer le pouvoir, ça, c'est la responsabilité des politiques, mais nous voulons que les priorités des entreprises, que les problèmes que nous avons soient connus de l'ensemble des Français et de l'ensemble des forces politiques, de façon à ce qu'on cesse de prendre des décisions qui vont à l'encontre du développement des entreprises, donc de l'emploi, donc de la croissance. Regardez : deux grands projets emblématiques du gouvernement, c'est-à-dire les 35 heures et la loi de modernisation sociale, sont directement orientés contre les entreprises du secteur concurrentiel. C'est la raison pour laquelle nous avons un droit légitime à dire : ce type de projet, qui sert simplement à, j'allais dire, surfer sur le dos des entreprises, ce type de projet, nous n'en voulons plus. C'est la raison pour laquelle nous intervenons pour dire : attention, l'économie française doit pouvoir disposer d'un certain nombre de degrés de liberté pour continuer à prospérer et à se développer.
ANITA HAUSSER : Quand le Premier ministre dit : finalement, ce qui se passe chez nous, c'est la même chose que dans les autres pays européens, avancées sur le plan social.
DENIS KESSLER : Ce n'est pas vrai ! Prenons l'exemple des 35 heures. A ma connaissance, aucun pays européen ne s'est engagé dans la même voie que nous. Aucun pays européen ! Et en ce qui concerne les licenciements, ceci est faux ! Dans tous les autres pays, on fait confiance aux partenaires sociaux, c'est-à-dire que l'on laisse le dialogue s'installer entre les représentants des employeurs et les représentants des salariés. En France, une chose est sûre : c'est que pour le moment, on n'a jamais autant négligé les partenaires sociaux, on ne leur fait jamais confiance, on intervient systématiquement dans leur domaine...
ANITA HAUSSER : ... Marc Blondel l'a dit hier soir sur LCI...
DENIS KESSLER : ... Mais tout le monde le dit. Encore une fois, ceci concerne aussi bien les syndicats de salariés que les représentants des employeurs. Les partenaires sociaux en France sont systématiquement tenus à distance, à l'écart, on ne leur fait jamais confiance, et la loi s'immisce dans tout. Nous considérons que l'Etat ferait bien mieux de s'occuper de ses affaires : la sécurité, le fonctionnement des services publics, par exemple les problèmes de retraite des fonctionnaires...
ANITA HAUSSER : ... On va y venir...
DENIS KESSLER : ... Plutôt que de passer son temps à vouloir administrer les entreprises du secteur concurrentiel qui n'ont pas besoin de l'Etat pour, à l'heure actuelle, se développer.
ANITA HAUSSER : Alors, vous avez entendu Lionel Jospin. Il a dit que le dossier des retraites avait été plombé par Alain Juppé, mais que lui prendrait ce dossier à bras le corps, sous-entendu, s'il est élu, bien entendu. La question de l'alignement de la durée des cotisations du public sur le privé viendra inéluctablement ?
DENIS KESSLER : On l'espère, parce que pourquoi ? Le problème essentiel des retraites en France, c'est le régime des fonctionnaires et les régimes spéciaux du secteur public, EDF, GDF, SNCF et autres. C'est là où il y a un coût exorbitant des conditions de départ à la retraite qu'aucun salarié du secteur privé n'a. Et donc nous avons là véritablement une charge payée par les contribuables. Cette année, dans le Budget de l'Etat, il y a 209 milliards de cotisations, simplement pour équilibrer ces régimes de retraite de la Fonction publique ! L'Etat employeur doit prendre des décisions, de façon à réformer ces régimes de retraite, alors que nous, comme vous le savez, dans le secteur concurrentiel, la réforme a été introduite en 1993, comme vous le savez, les régimes complémentaires, Agirc et Arrco ont été réformés par les partenaires sociaux. Et donc, je ne vois pas à l'heure actuelle pourquoi attendre. Il aurait fallu traiter le problème des régimes spéciaux.
ANITA HAUSSER : Ca n'a pas été fait. Il y a des accords sur l'échéance parce que Lionel Jospin dit : finalement, il y a de l'argent dans les caisses, on a constitué un fonds de réserve, ça ne va pas si mal. Vous, vous tirez la sonnette d'alarme. Qu'est-ce qui va se passer ?
DENIS KESSLER : Attendez, fonds de réserve. On met quelques dizaines de milliards de francs de côté...
ANITA HAUSSER : ... Quelques centaines dit-il...
DENIS KESSLER : ... Oui, non, non, pas du tout, nous n'en sommes pas là, pas du tout. A l'heure actuelle, on ne sait pas d'ailleurs, ce qui prouve bien que le montant reste faible. A notre avis, il devrait y avoir, effectivement, de l'ordre de 20 milliards dans le fonds de réserve. Quand bien même ça serait 50 milliards, dans la même période, la dette publique a augmenté de plus de 500 milliards. Donc la dette des générations futures a augmenté de 500 milliards et on leur laisse, j'allais dire, 20 à 50 milliards pour faire face. Non, ce n'est pas sérieux, le fonds de réserve ne résout pas le problème. Il faut traiter le problème de la Fonction publique et des régimes spéciaux et très honnêtement, c'est sans doute là où, en ce qui me concerne, je crois qu'il y a défaillance de l'Etat employeur et de l'Etat régulateur qui aurait dû prendre ces décisions.
ANITA HAUSSER : Vous, vous dites qu'il y sera acculé quand ?
DENIS KESSLER : Oh, écoutez, là aussi, il y a une petite contradiction dans ce que j'ai pu entendre puisque l'on dit : le problème des retraites, c'est dans 10 à 15 ans. Ce n'est pas vrai. C'est en 2005 que le système apparaît dans toute son ampleur, dans toute sa gravité. Et l'on dit : il faudra faire ça après les élections, c'est sans doute une priorité du prochain gouvernement. Alors, si c'est 2015, ce n'est pas la peine de faire ça immédiatement après. Et la question : pourquoi faire immédiatement après les élections alors que depuis 5 ans, on pouvait le faire. Je dis très honnêtement qu'il aurait fallu faire cette réforme. Tous les autres pays européens l'ont fait. Sans exception. De l'Italie à la Belgique, de l'Allemagne à l'Espagne. Nous sommes en retard dans ces réformes et malheureusement, ceci se fait au détriment des futures générations.
ANITA HAUSSER : Je voudrais que vous me répondiez, très brièvement, est-ce que vous trouvez normal que, après avoir travaillé pendant 40 ans, un salarié qui n'a pas atteint l'âge de 60 ans, ne puisse pas faire valoir ses droits à la retraite ?
DENIS KESSLER : La situation à l'heure actuelle, c'est que chacun doit pouvoir partir quand il le souhaite à la retraite. C'est la proposition du MEDEF, c'est ce que l'on appelle la retraite à la carte, c'est une idée très forte, de façon à ce que chacun puisse, en fonction de son état de santé, du travail du conjoint, de l'intérêt qu'il a au travail, de la pénibilité, de l'âge auquel il a commencé, de pouvoir partir. Je suis pour la liberté du départ à la retraite. Et cette idée-là, on peut la mettre en uvre. Il n'est pas besoin une nouvelle fois d'attendre.
ANITA HAUSSER : Denis Kessler merci.
(Source http://www.medef.fr, le 7 décembre 2001)