Texte intégral
F. Laborde
Pourquoi voulez-vous à nouveau être candidat à la présidence de la République alors que, si je puis dire, cela fait si longtemps que vous bourlinguez en politique et que peut-être il y a un moment où on se dit qu'on a fait le tour des plaisirs et des bonheurs de cette vie ?
- "Je ne le fais pas par distraction, je le fais comme un devoir, comme une obligation, d'autant plus forte que le pays est menacé dans ses structures, dans sa vitalité, dans sa survie. Par conséquent, tant que j'en ai les moyens - et je crois les avoir encore -, je me bats pour les idées qui sont les miennes, pas depuis avant hier matin comme un certain nombre de candidats, mais depuis déjà des décennies. Il y a des décennies que j'attire l'attention de notre pays et de notre peuple sur les dangers de l'immigration, sur ses conséquences que sont l'insécurité, le fiscalisme et la corruption. Maintenant, le pays s'en rend compte, parce qu'il subit directement les atteintes de ces fléaux. Par conséquent, j'espère beaucoup qu'il va demander et provoquer - parce que c'est lui le souverain - un changement de politique, en reconnaissant que les gens, tous les gens qui lui parlent aujourd'hui, sont des gens qui ont exercé le pouvoir et les responsabilités. On ne voit pas très bien comment ils pourraient faire demain ce qu'ils n'ont ni su ni voulu faire hier."
On a le sentiment dans cette campagne, que vous donnez une image de vous plus sereine, apaisée. On n'a pas encore entendu la "petite phrase qui tue", dont vous êtes parfois un spécialiste du genre. Alors, est-ce que cela veut dire que vous avez changé, que c'est la sérénité de l'âge ou que c'est le recul ?
- "En effet, il y a moins de petites phrases qui tuent, en particulier celles qui me visent. Alors, c'est peut-être cela qui explique qu'étant beaucoup moins violemment attaqué, je n'ai pas de réactions de défense, bien légitimes, mais qui évidemment étaient soulignées par mes adversaires en disant : "Voyez, voilà quelqu'un qui en plus se permet de répondre quand on l'attaque, rendez-vous compte!". La conjoncture générale du pays a fait se rendre compte aux observateurs politiques, aux journalistes, que ce que je disais n'était pas aussi extrême qu'on voulait bien le dire, que cela correspondait bien aux problèmes qui se posaient au pays et que les solutions que je propose - tout le monde reconnaissait que je posais les bons problèmes, les bonnes questions ..."
Avec des mauvaises réponses, disait L. Fabius...
- "Il pose de bonnes questions mais il n'apporte pas les bonnes réponses". Je constate simplement que depuis vingt ans, ils n'ont pas non plus apporté les bonnes réponses. Et je crois que les solutions que je propose sont des solutions qui sont viables et utiles."
Parmi les solutions que vous proposez, il y a cinq référendums en cinq ans, avec des thèmes aussi différents que proposer aux Français de sortir de l'euro, le rétablissement de la peine de mort, la suppression de l'avortement... Est-ce que ces questions sont en phase avec la société française aujourd'hui ?
- "Je crois tout à fait, elles correspondent en tous les cas..."
Parce que l'euro, ça marche, la peine de mort
- "Non, "ça marche", ça veut dire quoi ? Cela marche parce que les gens, contraints de le faire, ont échangé leurs francs contre des euros."
Mais il n'y a pas eu de manifestations dans les rues de gens pour réclamer le maintien du franc...
- "Non, nous saurons cela quand les conséquences de l'adoption de l'euro se feront sentir aux Français, quand, par exemple, contraints par les traités européens et n'ayant plus de monnaie nationale, nous n'aurons plus qu'une seule méthode en cas de crise, c'est de diminuer les salaires et de diminuer les traitements... Alors, on verra bien à ce moment là si les gens sont contents et d'accord."
Mais la réalité de l'économie internationale, est-ce qu'elle ne s'impose pas déjà à la France, avec ou sans monnaie européenne ?
- "Justement, c'est en cela que ma proposition est différente. Il y a un certain nombre de gens qui sont dans le fond peu ou prou euromondialistes, qui admettent que l'économie, d'abord, passe avant tout, y compris avant la politique et la morale. Je pense de façon inverse et je crois que la politique consiste justement à élaborer les digues nécessaires pour se protéger des inondations du marché, que ce soit en politique ou que ce soit en économie, et que les conséquences sociales de ces prises de positions peuvent être dramatiques pour notre pays, pour les retraités, pour les travailleurs, pour la santé aussi... Et c'est pourquoi je propose de défendre l'Etat nation, c'est-à-dire les structures dans lesquelles nous avons vécu et qui sont les seules, selon moi, capables d'assurer la sécurité, la prospérité, la liberté des Français. Je prends un exemple : tous les gens qui sont en campagne électorale - il est vrai que l'on ne parle que de deux ou trois d'entre eux..."
Mais non, puisque vous êtes là !
- "Ah, oui, c'est vrai, alors cela efface tout ! Ca efface 40 minutes sur TF1, 30 minutes sur Antenne 2..."
On ne peut pas être responsable de ce qui se passe à TF1 !
- "Non, d'accord, mais je veux dire que je suis là un petit peu, quoi..."
Je suis désolée, c'est une petite émission !
- "Je suis comme le petit chien de l'évangile ..."
Pas du tout, pas du tout !
- " ... J'ai droit, comme ça, à quelques miettes qui tombent de la table. Mais quand c'est vous qui les lancez, je suis d'accord pour les manger. Merci."
Est-ce que aujourd'hui, avec deux candidats au premier tour qui sont aussi proches en termes d'intentions de vote que J. Chirac, L. Jospin, est-ce que cela ne pénalise pas les autres ? Est-ce qu'il n'y aura pas une sorte de réflexe de vote utile au premier tour, qui fera effectivement que votre score sera peut-être moins bon que celui dont on vous crédite dans les sondages ?
- "Ce sera meilleur. Vous savez que les deux fois où j'étais crédité de 8 % au mois de janvier, j'ai fait plus de 15 % au mois d'avril. Non, ce n'est pas cela. Ce que les Français doivent savoir, c'est la dernière fois qu'ils votent dans un cadre français. Et M. Barnier nous l'a dit l'autre jour, dans un article qui s'appelait " Le grand secret " : les Français doivent savoir que le président de la République qu'ils vont élire, n'a pas les pouvoirs qu'il croit et qu'il doit les partager avec l'Europe. Or, je pense qu'il faut que la France retrouve son indépendance. Cela n'exclut pas une coopération avec l'Europe, dans le cadre de l'Europe des Nations, mais cela exclut en tous les cas l'Europe fédérale, dans laquelle nous ne deviendrions plus qu'un Etat comme le Nebraska ou la Floride aux Etats-Unis. Ce n'est pas cela que veulent les Français et ils doivent savoir que c'est cela, subrepticement, qu'on veut leur proposer. J'ajoute que Jospin et Chirac sont convenus de ne pas parler d'un certain nombre de sujets : on ne parlera pas des affaires, on ne parlera pas de l'immigration, on ne parlera pas des sujets qui fâchent... Or, justement, la campagne électorale est faite pour parler des sujets qui fâchent les Français."
Vous n'avez pas exactement répondu à ma question : est-ce que vous pensez que le fait que les deux soient si proches dans les intentions de vote peut pénaliser ? Est-ce que vous pensez que vous avez une chance - vous allez me dire oui, forcément -, d'être présent au second tour, compte tenu justement du rapprochement des deux principaux candidats ?
- "En fait, la cohabitation a fait d'eux des candidats pratiquement interchangeables. C'est Jospin et Chirac ou " Josrac" et "Chispin", comme disent les auteurs. Leur programme étant le même, ma proposition est alternative : c'est une autre politique, c'est une politique différente, c'est une politique nationale, dont le slogan pourrait être : "La France et les Français d'abord" - ce qui ne veut pas dire "seulement"", mais cela veut dire "d'abord". Or, tout le monde en France a le sentiment que les Français sont uniquement bons pour voter ou pour payer des impôts."
Est-ce que, si vous n'êtes pas au deuxième tour, ce qui est une hypothèse que l'on peut envisager, vous donnerez des consignes de vote ?
- "Peut-être, mais à ce moment là on verra bien..."
Mais on a le sentiment que vous avez tendance à dire plutôt Jospin que Chirac ?
- "Non, j'ai dit qu'il ne m'étonnait pas que M. Jospin, homme de gauche, fasse une politique de gauche ; je ne trouvais pas cela immoral, je trouvais cela détestable - mais pas immoral. En revanche, je trouve que le fait, par Chirac, d'avoir trahi pratiquement tous les engagements qu'il avait pris auprès de ses électeurs, je crois que c'est immoral et cela devrait être sanctionné."
Mais vous pourriez appeler à voter Chirac au deuxième tour ?
- "Non, c'est à voir, on verra bien. Je sais que par métier vous voulez toujours anticiper l'événement et savoir ce qui va se passer après-demain. Ce que je souhaite, c'est savoir ce qui va se passer demain. Et demain, c'est une élection décisive pour les Français. Alors, je leur dis que s'ils sont d'accord avec ce qui s'est fait, s'ils sont heureux, s'ils sont contents, s'ils trouvent que cela marche, qu'ils n'hésitent, ils ont le choix, ils peuvent "Chispin" ou "Josrac", c'est à peu près la même chose. Mais dans le cas contraire, vous n'avez qu'une seule possibilité, c'est de voter pour un candidat comme moi, dont la rigueur, dont la volonté, dont le courage, dont la fidélité à ses idées, sont constantes. Je crois qu'ils ne seront pas trompés."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 1e mars 2002)