Conférence de presse de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, sur l'adaptation nécessaire de l'Otan au nouvel environnement stratégique et le développement des capacités militaires des pays de l'Alliance, l'approfondissement de la relation Otan-Russie, l'élargissement de l'Otan, Reykjavik le 14 mai 2002.

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Circonstance : Réunion ministérielle de l'Alliance atlantique, à Reykjavik les 14 et 15 mai 2002

Texte intégral

Après le Conseil Affaires générales de l'Union européenne, j'ai donc participé aujourd'hui pour la première fois à une session du Conseil atlantique.
Cette réunion m'a offert l'occasion de rencontrer ceux de mes collègues que je n'avais pas vus hier à Bruxelles et en particulier MM. Ivanov et Powell avec lesquels j'ai eu des entretiens approfondis et amicaux.
Avec M. Ivanov, j'ai notamment insisté sur l'importance que nous accordions au développement d'une relation entre l'OTAN et la Russie, une relation équilibrée d'égal à égal. A mon sens, cette relation doit aller de pair avec le développement de liens substantiels entre l'Union européenne et la Russie.
Avec Colin Powell, j'ai souligné notre volonté de développer une relation fondée sur la confiance et le contact direct. J'ai d'ailleurs déjà abordé avec lui les questions sur lesquelles nous travaillons ensemble, notamment, le Proche-Orient.
Avant de répondre à vos questions, permettez-moi d'abord quelques mots.
Comme le président de la République et le Premier ministre, je réaffirme la détermination de la France, et nous l'avons rappelé aujourd'hui, à lutter contre le terrorisme. Cette détermination, vous la connaissez, ne date pas d'hier. Dès le 11 septembre, la France avait manifesté sa totale solidarité avec les Etats-Unis dans l'épreuve. Solidarité politique mais aussi, bien sûr, solidarité militaire puisqu'elle a engagé ses forces en Afghanistan. L'odieux attentat de Karachi n'a fait que renforcer notre détermination.
Ensuite, je voudrais exprimer ma conviction que, dans cette lutte, l'Alliance doit jouer tout son rôle comme elle le fait d'ailleurs en adaptant ses structures au caractère nouveau de la menace.
Enfin, je me dois de rappeler que la lutte contre le terrorisme n'est pas essentiellement militaire. Elle doit mobiliser toutes les institutions internationales afin de s'attaquer non seulement aux réseaux terroristes, mais aussi aux racines profondes, politiques, économiques et culturelles, de cette menace.
Je ne peux qu'être satisfait de la session du Conseil. D'abord parce que s'est manifestée la solidarité avec notre pays dans l'épreuve qu'il a traversée. Ensuite parce que nos alliés sont convaincus de la nécessité d'une adaptation nécessaire de l'Alliance et veulent comme nous approfondir la relation avec la Russie dans le prolongement de ce qui avait été décidé à Paris, en 1997, par nos chefs d'Etat et de gouvernement.
Enfin parce que nos alliés soutiennent désormais l'idée d'un grand élargissement. Je vous rappelle que le président de la République a toujours demandé que l'élargissement de l'OTAN ne crée pas de nouvelles fractures en Europe. La décision finale de cet élargissement, vous le savez, sera prise à Prague.
Voilà nous sommes prêts pour répondre à vos questions.
Q - Que peut-on faire pour le dialogue des cultures ?
R - Le président de la République, dans un discours récent à l'UNESCO, a eu l'occasion d'aborder cette question du dialogue des cultures et de la compréhension des différents modèles culturels. Il est évident que le monde dans lequel nous vivons est un monde instable, où le choc des cultures est évidemment très important et conduit à des adaptations difficiles. Il peut y avoir des incertitudes dans ce monde, un certain nombre de réactions de peur, d'inquiétudes, de fuites en avant qui peuvent peser sur les comportements et nourrir des cycles de violence, de haine, qu'il nous appartient d'essayer de mieux comprendre et de traiter évidemment pour empêcher que les racines de ce mal ne se développent.
Q - Est-ce que vous pouvez nous guider sur la question qui concerne l'élargissement de l'OTAN ?
R - Sur l'élargissement, vous savez que nous y sommes bien évidemment favorables. C'est une perspective importante.
Sur le point particulier de la Roumanie, vous savez que nous avons été les premiers à plaider en ce sens. Nous ne pouvons donc que soutenir ce processus et le changement de gouvernement en France ne peut évidemment rien changer. Nous avons le même président de la République, je tiens à vous le rappeler.
Sur l'élargissement, j'ajoute juste un point. C'est que nous avons toujours plaidé et pensé que l'élargissement devait d'abord être traité sous un angle politique. C'est toujours une analyse que nous avons faite et il est également important que cet élargissement soit utile sur le plan militaire et s'accompagne des efforts de modernisation et de transformation nécessaires.
Q - Concernant le développement des capacités militaires des pays de l'Alliance, est-ce que le gouvernement Raffarin a l'intention de faire plus. Je vous rappelle que le président Chirac avait reproché au gouvernement Jospin de ne pas faire assez en la matière ?
R - Vous avez raison. Le président de la République s'est engagé à accroître l'effort de défense de la France, notamment en matière d'équipements, et il a l'intention d'annoncer très prochainement des orientations notamment sur les moyens de la défense nationale.
Nous avons toujours été favorable à l'adaptation et à une plus grande flexibilité des capacités de l'OTAN. Nous appuyons donc toutes les avancées possibles dans ces domaines, dès lors qu'elles correspondent à des besoins clairement définis pour l'OTAN.
Q - Monsieur le Ministre, les relations entre l'OTAN et l'Union européenne sont actuellement dans l'impasse à cause du refus grec d'accepter effectivement le compromis d'Ankara. On voit bien que M. Simitis a des raisons politiques et des raisons électorales fortes de ne pas bouger. Est-ce que devant cette obstination, n'est-il pas temps que les Européens et les signataires de ce compromis d'Ankara envisagent une renégociation de ce texte pour essayer d'aboutir à un accord ?
R - Il faut effectivement un accord sur ce sujet difficile entre l'Union européenne et l'OTAN. Actuellement, on y travaille ; vous savez que Javier Solana déploie beaucoup d'énergie en ce sens, ainsi que la Présidence espagnole.
Q - Est-ce que la France et les autres pays européens sont prêts à mettre l'argent nécessaire dans les domaines militaires ?
R - Nous sommes bien conscients de l'importance, dans le monde où nous vivons, de ces questions de sécurité et de défense. Nous sommes donc très soucieux de faire en sorte que nos moyens de défense soient capables de répondre à ces exigences de sécurité, que ce soit dans le cadre national, dans le cadre européen ou dans le cadre de l'OTAN et ceci pour assurer l'indépendance et la sécurité indispensables. Nous pensons donc effectivement que l'effort ne doit pas être relâché dans ce domaine.
Q - Quel est le risque de faire ressortir une nouvelle relation spéciale Washington/Moscou par-dessus la tête des Européens ?
R - Je crois d'abord qu'il faut rappeler que nous n'en sommes pas là. Aujourd'hui, on franchit une étape importante qui est le développement d'une relation étroite entre l'OTAN et la Russie et c'est un pas qu'il faut saluer. Ce pas correspond à la nouvelle donne internationale qui résulte de la fin de la guerre froide et de la disparition de la menace soviétique.
Vous savez que la France a soutenu ce processus, puisque nous avons été parmi les inspirateurs de l'acte fondateur qui a été signé en mai 1997, à Paris. Nous nous réjouissons donc de la création d'un nouveau forum à 20 qui permet à la fois un changement sur la forme et sur le fond dans les relations entre l'OTAN et la Russie.
Changement sur le fond parce que nous pouvons maintenant intensifier notre dialogue, imaginer des opérations comme nous n'avons pas pu le faire jusqu'à présent. Changement aussi dans notre façon de travailler. Nous nous retrouvons à vingt sur un pied d'égalité avec les mêmes droits et des décisions prises par consensus. Je pense qu'il y a là une perspective favorable. Il faut que chacun prenne sa part, ses responsabilités dans l'évolution, dans la transformation, dans la modernisation des structures. Je crois que chacun est désireux, effectivement, de garder un équilibre et de permettre à nos partenaires de jouer tout leur rôle dans ce cadre.
Pour répondre plus avant à la question que vous exprimez quant aux perspectives de l'élargissement, je crois qu'il est important que, parallèlement à cet élargissement, le travail d'évolution, de modernisation soit fait à l'intérieur même de l'Alliance pour justement corriger ces inquiétudes, prendre en compte les difficultés qui ne manqueront pas de surgir. J'ai été très frappé aujourd'hui de la prise de conscience de la part de l'ensemble des membres, des parties prenantes, de la volonté d'aller de l'avant, d'imaginer des solutions nouvelles, d'essayer de dégager un esprit nouveau pour aborder cette perspective d'avenir.
Je crois qu'il y a là un esprit qui permettra de faire face et de répondre à ces risques.
Q - Sur le rôle de l'OTAN depuis le début de la guerre en Afghanistan ?
R - L'opération qui est actuellement menée en Afghanistan rassemble plusieurs Etats mais n'est pas conduite sous l'autorité de l'OTAN. On peut donc comprendre que certains aient pu se poser des questions.
La question d'une implication de l'OTAN en tant que telle ne s'est à aucun moment posée. Je ne crois pas qu'il y ait véritablement de liens à faire entre les questions qui sont liées à l'adaptation à un monde nouveau. Je crois que, dans les questions que se pose aujourd'hui l'Alliance, en particulier le défi du terrorisme, il y a davantage la prise en compte de changements profonds plutôt que telle ou telle situation de crise particulière qui pourrait expliquer les états d'âme ou les interrogations. Je crois que c'est le changement du monde, c'est l'évolution du monde qui implique que l'on s'adapte et que l'on prenne en compte les nouveaux défis.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 mai 2002)