Interview de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national et candidat à l'élection présidentielle de 2002, sur "France 2" le 5 avril 2002 notamment sur la question des 500 signatures et la situation au Proche - Orient.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral


F. Laborde -
Aujourd'hui, avec J.-M. Le Pen, démarre la campagne officielle proprement dite. Puisque, pour ceux qui ne le sauraient pas encore, c'est à partir d'aujourd'hui, d'après la recommandation du CSA, que démarre la campagne, avec l'égalité parfaite offerte à tous les candidats, aux 16 candidats, que nous retrouverons tous d'ici le premier tour de l'élection présidentielle et qui bénéficieront tous exactement du même temps.
Ces précisions étant données, monsieur Le Pen, le suspense des 500 signatures qui a quand même beaucoup occupé "la chronique" ces derniers jours, était-ce un vrai ou un faux suspense ?
- "Oui, c'est un vrai. Comme vous le savez, je suis un homme d'extrême droiture, et je n'ai pas menti sur ce sujet pas plus que sur les autres. D'ailleurs, les journalistes qui ont suivi pendant 15 jours notre quête un peu désespérée, il faut le dire, pourraient en témoigner. La vérité, la surprise que j'ai eue et qui a failli faire échouer ma candidature, c'est qu'il y a près de 150 maires qui m'avaient promis, par écrit, leur signature et qui, sans doute soumis à des pressions diverses, ont refusé d'exécuter leur promesse. Il a donc fallu retrouver 150 maires en l'espace de 15 jours ; il a fallu pour cela mobiliser l'ensemble du mouvement, l'ensemble du personnel, y compris les amis, les parents. Et nous avons passé la barre tout de même. Mais je dois dire que dans les derniers jours, je commençais un peu à m'inquiéter tout de même."
On voit que dans cette affaire-là, vous avez eu du mal à rassembler les 500 signatures et, en même temps, il n'y a jamais eu autant de candidats à l'élection présidentielle que cette année. Est-ce qu'il n'y pas quand même quelque chose qui ne marche pas totalement dans le système français et qu'il faudrait revoir ?
- "Oui, je crois que la loi a été pervertie, dévoyée, elle ne touche plus le but qu'elle voulait atteindre, c'est-à-dire sélectionner - en tout les cas, écarter - les candidats fantaisistes, et peut-être diminuer un peu leur nombre. En revanche, elle pouvait empêcher ce qu'on peut appeler un "grand candidat", puisque je suis troisième dans les sondages, à se présenter."
Alors que là, on a assisté presqu'au phénomène inverse, c'est-à-dire que les maires donnaient plus facilement leur signature à des candidats qu'ils ne connaissaient pas forcément, plutôt qu'à d'autres qui étaient plus marqués politiquement, comme vous ?
- "Oui, la perversité, c'est qu'en fait, le choix des maires est devenu politique, qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas. Et à partir du moment où il est politique, la publicité d'un choix, si vous voulez, est contraire à notre Constitution. Et c'est cette publicité des noms des maires qui les détournait de donner leur signature à des candidats, surtout à des candidats connus et engagés, quand ils n'étaient pas de leur parti, bien sûr. C'est pour ça que les petits candidats ont eu beaucoup plus de facilité à trouver des signatures que moi j'en ai eue."
Avec notamment trois candidats trotskystes... Alors, les thèmes de campagne que vous allez développer maintenant, que vous avez déjà commencé à développer, dans vos prochains meetings, sont fondés sur quoi ?
- "Je crois que je reste dans la ligne de l'élection présidentielle, ce qui n'est pas le cas ni des candidats ni des journalistes qui les interrogent. On assiste à l'ouverture, depuis déjà un certain temps, d'une campagne législative. Or, la campagne législative c'est dans deux mois. La campagne présidentielle doit répondre, selon moi, à un certain nombre de critères très précis. Ce sont les fonctions du président de la République qui doivent donner lieu à des questions et à des réponses. C'est la personnalité de celui qui va incarner à la fois le peuple et la nation. Et ce sont enfin les grandes orientations qu'il propose, les grandes réformes qu'il propose. Alors, dans ces grandes réformes, la première qu'il propose évidemment, c'est de reconquérir notre indépendance, notre pouvoir sur notre propre politique, alors que nous l'avons abandonnée très largement à l'Europe fédérale - ou "fédéralisante", si vous voulez. En effet, on ne peut pas par exemple, résoudre le problème de l 'immigration, si nous n'avons le contrôle de nos frontières. Or, nous n'avons plus de frontières avec l'Europe et par conséquent avec le monde. C'est la peine de mort : si on veut choisir de rétablir la peine de mort, on ne le peut pas, nous n'en avons pas le pouvoir. Il faut donc retrouver le pouvoir en se dégageant de l'emprise des traités, quitte à les renégocier, pour aboutir à une Europe des nations ou à une Europe des patries, mais où la France garderait son indépendance, resterait la France. Alors que pour l'instant, elle est en voie de disparition."
Si la France se retire de l'Europe, totalement ou pour partie comme vous le préconisez, est-ce qu'elle ne s'affaiblit pas naturellement dans le concert des nations ?
- "Non, elle ne se retirera pas de l'Europe, elle y est fixée, si j'ose dire, par la géographie et par la géopolitique. Mais elle aura d'autres relations avec ses voisins et avec le reste du monde. Elle permettra une politique française. Il ne faut pas oublier que nous avons un immense espace mondial, sous-marin, grâce à nos îles. Et tout ceci doit permettre à la France de jouer un rôle. La France ne peut pas se permettre de n'être simplement qu'un des cantons de l'Europe."
Concrètement, on voit au Proche-Orient la situation, l'état de guerre est là pratiquement. Une délégation européenne s'y rend, elle ne peut pas rencontrer Arafat, elle refuse de rencontrer A. Sharon. Finalement, l'Europe ne peut pas se faire entendre. Vous pensez que la France, individuellement, aurait pu se faire entendre davantage ?
- "Non, mais l'Europe et la France sont sur la touche. A partir du moment où elles ont remis, pratiquement depuis plusieurs années, leur politique étrangère et leur défense aux Américains, ce sont ces derniers qui décident pour tout le monde ... "
Que faut-il faire au Proche-Orient ?
- "... c'est précisément ce que je ne souhaite pas. Au Proche-Orient, la situation est terrible, tragique, elle touche tous les hommes et en particulier tous les chrétiens au coeur, puisqu'il s'agit des lieux saints. Les batailles se déroulent dans les lieux saints. Mais ce que je crois, c'est que c'est l'ONU qui a pris l'initiative de l'installation d'Israël et du partage de la Palestine. C'est à l'ONU de prendre l'initiative capable de rétablir la paix ou alors, ce qui serait beaucoup plus souhaitable, je crois, et plus utile, plus efficace, peut-être que les deux adversaires consentent à devenir deux partenaires en tête-à-tête, en-dehors des puissances."
Un certain nombre d'actions antisémites ont eu lieu en France, et on a vu que sur ce thème, J. Chirac et L. Jospin n'engageaient pas la polémique, qu'il y avait au contraire des thèmes qui, semble-t-il, échappaient à la polémique. J. Chirac a même dit : "Quand un synagogue est incendiée, c'est la France qui est attaquée". Est-ce une déclaration à laquelle vous souscrivez ?
- "Bien évidemment. J'y souscris, puisque l'attaque de lieux religieux est une désintégration en quelque sorte de l'unité nationale. Et qu'il y ait là un consensus général, il n'y a rien d'étonnant. Il y a tout de même, Dieu merci, des points sur lesquels les hommes politiques peuvent être d'accord. Pour le reste, en campagne électorale, ils font beaucoup plus semblant d'être en désaccord que de l'être en réalité..."
Vous avez quelques meetings à venir avant le premier tour ? Vous allez circuler en France, dans les DOM-TOM, à l'étranger ?
- "Oui. J'en ai beaucoup faits déjà, puisque je suis parti en campagne depuis le 1er mai de l'année dernière. Mais je dois aller à Strasbourg, où j'ai un grand banquet, puis un très grand meeting à Marseille et un très grand meeting à Paris, dans la semaine qui précède l'élection. Je ne sais pas si on en rendra compte, puisqu'à cause de l'affaire..."
Le temps de parole complique singulièrement les choses !
- "... du problème du temps de parole, je ne sais pas si ceux qui se sont donnés le mal de faire de grands meetings seront entendus."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 avril 2002)