Interview de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière et candidate à l'élection présidentielle de 2002, à "La Chaîne Info" le 10 avril 2002, sur les intentions de vote qui lui sont créditées dans les sondages, sur les consignes de vote qu'elle entend donner entre les deux tours, sur la plainte en diffamation qu'elle a déposé contre les frères Cohn-Bendit.,

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral


A. Hausser -
Les scores dont vous êtes créditée dans les sondages suscitent beaucoup de convoitises. En ce moment, vous faites l'objet de nombreuses attaques. Hier, R. Hue a dit : "Mon ennemi n'est pas A. Laguiller, c'est la droite". Cela vous rassure ?
- "R. Hue dit beaucoup de choses sur moi depuis le début de la campagne. Ce qui m'intéresse finalement, c'est de défendre un programme que le Parti communiste a abandonné depuis longtemps. Il l'a abandonné parce que finalement, il a participé à un Gouvernement, qui n'est que le conseil d'administration de la bourgeoisie. A ce titre-là, il a cautionné toutes les mesures anti-ouvrières du Gouvernement."
Vous défendez un programme, mais vous refusez de participer... Vous ne donnez pas de consignes de vote pour le deuxième tour, vous ne vous associez pas à une forme de gouvernement...
- "Si participer, c'est avoir des strapontins ministériels et se retrouver à cautionner un certain nombre de mesures qui ne sont pas favorables aux travailleurs, je ne vois pas l'intérêt. Je l'ai dit : je ne donnerai pas de consigne de vote. Je n'appelle ni à l'abstention ni évidemment à voter J. Chirac ni à voter L. Jospin. Je l'ai dit depuis le début de la campagne. Ce qui me paraît important, c'est que si les scores que me prêtent les sondages aujourd'hui se maintiennent le 21 avril, aux alentours de 8, 9, 10 %, je pense que cela renforcera le camp des travailleurs, parce qu'on a bien besoin nous, le camp des travailleurs, de retrouver le moral pour des luttes que nous allons avoir à mener, quel que soit l'élu, quel que soit le gouvernement qui sera formé ensuite."
Cela renforcera le camp de ceux qui défendent les travailleurs au gouvernement...
- "Ceux qui défendent les travailleurs au gouvernement, je n'en vois pas beaucoup justement. Et malheureusement, avec des ministres communistes, on a privatisé plus finalement que sous la droite avant. Et même un ministre qui se dit communiste, comme J.-C. Gayssot, a signé plusieurs privatisations - la dernière en date, les autoroutes, la Snecma, sans parler de l'ouverture du capital d'Air France."
Cela ne vous fait rien de laisser vos électeurs un peu orphelins finalement...?
- "Orphelins de quoi ?"
Vous les laissez s'éparpiller après le deuxième tour...
- "L'électorat, ce n'est pas une armée qui obéit à des consignes. Si une partie de mes électeurs vote L. Jospin, c'est parce qu'ils en auront envie. Et ceux qui ne le feront pas, c'est qu'ils n'auront pas envie de le faire. En tout cas, L. Jospin, lui, c'est aux travailleurs qu'il a à s'adresser, s'il a des choses à dire. Or, je remarque que si depuis quelque temps, devant mes bons sondages, L. Jospin a gauchi son langage, il n'y a aucune mesure nouvelle de nature à lutter contre les licenciements. Or moi, je réclame l'interdiction des licenciements sous peine d'ailleurs de réquisition des entreprises qui ne le feraient pas, et que ces entreprises continuent à fonctionner sous le contrôle de la collectivité. Je n'entends, ni de la part de J. Chirac ni de la part de L. Jospin, aucune mesure dans cette campagne pour lutter contre cette vague de licenciements qui touche des milliers de travailleurs en ce moment dans le pays."
C'est uniquement contre les vagues de licenciements ou pour l'augmentation des salaires que vous luttez également ?
- "Bien sûr, les salaires ont pris du retard depuis vingt ans, et pas seulement les salaires : les pensions de retraite ont pris du retard. On a aujourd'hui 2.500.000 retraités qui vivent avec environ 3.500 francs par mois, ce qui est vraiment une misère. Et puis il faudrait aussi augmenter les minima sociaux, les allocations chômage et puis tous ceux qui ne vivent que des minima sociaux, dont les handicapés par exemple."
Vous avez non pas de nouveaux ennemis qui se sont faits connaître, qui se sont rappelés à votre bon souvenir. Ce sont les frères Cohn-Bendit, qui ont publié une tribune dans Libération, intitulée "Arlette n'est pas une sainte", dans laquelle ils expliquent que Lutte ouvrière n'est qu'une secte politique, dirigée par un gourou, auquel les militants seraient entièrement dévoués. Et vous avez porté plainte en diffamation contre eux. Eux-mêmes vous ont répondu, avant même le procès : "Merci Arlette, cela permet de continuer le débat. Continuons le combat". On dit souvent que Lutte ouvrière est une secte. Vous et Cohn-Bendit, c'est une vieille histoire...
- "Il ne vaudrait mieux pas que vous le disiez parce que je serais obligée de vous attaquer aussi en diffamation... D'abord, les frères Cohn-Bendit ont tenu des propos phallocrates à mon égard, mais surtout, ils traînent dans la boue mon organisation, mes militants, ils nous diffament. Et nous n'allons pas nous laisser faire. C'est pourquoi effectivement je les attaque sur le plan juridique. Quant au grand débat que propose D. Cohn-Bendit avec moi, ce débat se fera le 21 avril. Ce sont les électeurs qui trancheront, ce sera le tribunal du peuple qui tranchera le 21 avril."
Et non pas la 17ème chambre...?
- "Elle aura son mot à dire sur le plan juridique. Quant au débat qu'il propose, non vraiment. Débattre avec quelqu'un qui diffame autant Lutte ouvrière, certainement pas."
Vous irez vous-même au tribunal ?
- "Non, je serai occupée à l'enregistrement de la campagne officielle, mais je serai très bien représentée par mes avocats.
C'est "non" au débat avec Cohn-Bendit ou "non" au débat au général ?
- "Je suis pour le débat mais apparemment, dans ce premier tour, peu de débats sont organisés entre les candidats. On peut même dire qu'il n'y a pas vraiment de débat organisé avec les candidats."
Ce n'est pas très facile d'organiser un débat à seize personnes...
- "Peut-être, mais enfin, après tout pourquoi pas ?"
Après le 21 avril, qu'est-ce que vous allez faire ?
- "D'abord, je vais voir ce que j'aurai à faire en fonction du résultat du 21 avril. J'aurai à m'adresser à mes électeurs et à voir avec ceux qui ont envie de nous aider à continuer, à construire le parti de défense des intérêts politiques et sociaux des travailleurs que nous voulons. Et puis nous avons décidé, à notre dernier congrès, de nous engager aussi dans la bataille des législatives, où nous présenterons des candidats et bien sûr des candidates, puisqu'il faut la parité dans toutes les circonscriptions."
Vous défendez les travailleurs mais il y a un autre candidat qui est en train de faire une percée ; il défend la ruralité, les laissés-pour-compte de l'aménagement du territoire : c'est J. Saint-Josse. Vous avez quelque chose de commun avec lui, en dehors du fait que vous êtes tous les deux parlementaire européen ?"
- "Je ne suis pas du tout chasseuse, ça, c'est sûr ! Et les chasseurs se défendent eux-mêmes, ils n'ont certainement pas besoin de moi. Qu'est-ce que j'ai de commun avec J. Saint-Josse ? Je défends les services publics et quand J. Saint-Josse dit qu'on ferme des bureaux de poste de proximité ou qu'on réduit les horaires d'ouverture des bureaux de poste, je dis la même chose. D'ailleurs, ce n'est pas seulement dans les communes rurales, c'est aussi dans les banlieues des villes."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 avril 2002)