Texte intégral
Q - Pierre Moscovici bonjour ! Dans votre livre "Au coeur de l'Europe", vous livrez des réflexions personnelles, des observations aussi. Il y a aussi une note pédagogique dans ce livre, vous estimez que l'Europe a besoin d'être expliquée.
R - C'est vrai que l'Europe reste une réalité complexe. On ne peut pas dire que l'Europe soit simple, on ne peut pas dire non plus que les Français, d'ailleurs les Européens en général, la comprennent bien et c'est peut-être une des explications du taux d'abstention lors des élections européennes. Je crois que oui : l'Europe a besoin d'une pédagogie, à la fois pour démystifier son fonctionnement, pour répondre à des peurs ou des angoisses que les Français peuvent éprouver, pour dire ce qu'elle est vraiment, comment elle marche. C'est cette pédagogie de l'Europe que j'ai voulu un petit peu tenter, en passant en revue ces différents aspects : comment on devient un Européen, comment l'Europe marche, les aspects de l'Europe économique et monétaire, l'Europe de la défense et puis le futur de l'Europe, avec l'adhésion future des pays de l'Europe centrale, orientale, ceux qu'on appelle les pays de l'Est.
Q - Alors dans cette Europe, quelle place pour la France ? Vous écrivez : "il faut être dans l'Europe et ne pas disparaître en tant que nation" et, en même temps, vous reconnaissez que l'Europe fait peur.
R - Oui, mais je crois que Lionel Jospin avait une bonne formule pendant la campagne des élections législatives de 97, il disait : "nous devons faire l'Europe sans défaire la France". Cela veut dire que pour moi, nous devons être résolument européens et résolument français. Il ne faut pas céder au tropisme, à l'illusion que la France seule peut s'en tirer. Nous avons besoin d'avoir une monnaie unique, qui seule peut faire face au dollar. Nous avons besoin d'une défense européenne qui seule peut faire en sorte que nous ne soyons pas totalement dépendants de l'OTAN. Nous avons besoin d'une identité politique pour que le système européen qui est de plus en plus important en Europe, soit contrôlé, soit reconnu, soit légitime. Nous avons besoin aussi davantage d'Europe sociale, parce que l'Europe peut-être un garde-fou et une protection. En même temps, cela ne doit pas se faire en démantelant le cadre national, en faisant en sorte qu'on ait l'impression que toutes les décisions sont prises ailleurs, par des anonymes ou pour des raisons qui échappent à nos intérêts propres. C'est cette combinaison subtile entre des éléments fédéraux ou fédéralistes et des éléments nationaux que l'on doit trouver à la fois dans les processus de décision et dans les politiques concrètes que l'on met en oeuvre.
Q - Alors vous estimez que l'Europe se construit par des compromis et que ce qui aide, ce sont aussi les relations personnelles entre les dirigeants. Dans ce contexte, comment expliquer ce manifeste sur la troisième voie qui a été lancé en pleine campagne électorale par Tony Blair et Gerhard Schröder, alors que les socialistes avaient un manifeste commun depuis le début ?
R - Je crois que le moment de cette publication n'était peut-être pas des plus opportuns et pour nous et pour eux. Je crois qu'il y a des explications de fond à la publication de ce manifeste, d'abord une conviction que peut avoir Tony Blair qu'il faut bouger, mais cela vient du fait que la Grande-Bretagne sort de 18 années de conservatisme. Ce n'est pas quelque chose qui est transposable à l'Europe. Ce n'est d'ailleurs pas transposable à l'Allemagne. Je pense qu'il y a là, de la part de nos amis allemands, peut-être une incompréhension ou un malaise dans la lecture. Tout cela ne change pas le fait que les relations personnelles entre les leaders sont bonnes, cela ne change pas le fait que nous appartenions à la même famille politique, cela traduit aussi que cette famille politique est diverse. Pour ce qui nous concerne, nous assumons tout à fait cette différence. D'ailleurs j'observe et c'est une petite réflexion ironique, que dimanche dernier, ce ne sont pas les "archaïques" que nous sommes, je mets des guillemets, dans l'esprit de certains, qui ont perdu les élections.
Q - Alors dimanche dernier, c'était donc l'élection au Parlement européen et je ne sais pas si c'est une provocation, mais vous écrivez : "le Parlement européen est un lieu plus intéressant que le Parlement français". Est-ce que c'est une idée facile à faire comprendre ?
R - Elle n'est pas facile. C'est vrai que pour un homme politique français, être un parlementaire national est important. Moi-même j'ai quitté le Parlement européen pour devenir député, puis ministre. Je ne nie donc pas l'importance du Parlement national, mais en même temps je parle de la vie concrète du parlementaire. J'ai un suppléant qui est député. Je parle souvent avec lui, je vois ce qu'il fait. J'ai été parlementaire européen, je pense que le parlementaire européen a plus de latitude, a plus de liberté. D'abord parce qu'au Parlement européen il n'y a pas de majorité toute faite, il faut trouver des majorités d'idées, ensuite parce qu'il y a plus d'initiatives parlementaires. Les rapports faits par les parlementaires européens jouent plus de rôle dans la décision, parce qu'il n'y a pas justement de gouvernement européen et puis, parce que le Parlement européen a des pouvoirs que n'a pas le Parlement français. Un pouvoir budgétaire beaucoup plus libre, un pouvoir législatif beaucoup plus étendu, des capacités de débat plus fortes et une capacité de contrôle plus importante. Aucun gouvernement n'a été renversé en France depuis 1962 et la Commission l'a été indirectement par le Parlement européen sortant. Tout cela fait que le Parlement européen est, à mon sens, une instance plus vivante, où le jeu parlementaire est plus réel que le Parlement national. C'est dans ce sens là que je disais que c'était plus intéressant. Mais ce sont deux investissements différents.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 juin 1999)
R - C'est vrai que l'Europe reste une réalité complexe. On ne peut pas dire que l'Europe soit simple, on ne peut pas dire non plus que les Français, d'ailleurs les Européens en général, la comprennent bien et c'est peut-être une des explications du taux d'abstention lors des élections européennes. Je crois que oui : l'Europe a besoin d'une pédagogie, à la fois pour démystifier son fonctionnement, pour répondre à des peurs ou des angoisses que les Français peuvent éprouver, pour dire ce qu'elle est vraiment, comment elle marche. C'est cette pédagogie de l'Europe que j'ai voulu un petit peu tenter, en passant en revue ces différents aspects : comment on devient un Européen, comment l'Europe marche, les aspects de l'Europe économique et monétaire, l'Europe de la défense et puis le futur de l'Europe, avec l'adhésion future des pays de l'Europe centrale, orientale, ceux qu'on appelle les pays de l'Est.
Q - Alors dans cette Europe, quelle place pour la France ? Vous écrivez : "il faut être dans l'Europe et ne pas disparaître en tant que nation" et, en même temps, vous reconnaissez que l'Europe fait peur.
R - Oui, mais je crois que Lionel Jospin avait une bonne formule pendant la campagne des élections législatives de 97, il disait : "nous devons faire l'Europe sans défaire la France". Cela veut dire que pour moi, nous devons être résolument européens et résolument français. Il ne faut pas céder au tropisme, à l'illusion que la France seule peut s'en tirer. Nous avons besoin d'avoir une monnaie unique, qui seule peut faire face au dollar. Nous avons besoin d'une défense européenne qui seule peut faire en sorte que nous ne soyons pas totalement dépendants de l'OTAN. Nous avons besoin d'une identité politique pour que le système européen qui est de plus en plus important en Europe, soit contrôlé, soit reconnu, soit légitime. Nous avons besoin aussi davantage d'Europe sociale, parce que l'Europe peut-être un garde-fou et une protection. En même temps, cela ne doit pas se faire en démantelant le cadre national, en faisant en sorte qu'on ait l'impression que toutes les décisions sont prises ailleurs, par des anonymes ou pour des raisons qui échappent à nos intérêts propres. C'est cette combinaison subtile entre des éléments fédéraux ou fédéralistes et des éléments nationaux que l'on doit trouver à la fois dans les processus de décision et dans les politiques concrètes que l'on met en oeuvre.
Q - Alors vous estimez que l'Europe se construit par des compromis et que ce qui aide, ce sont aussi les relations personnelles entre les dirigeants. Dans ce contexte, comment expliquer ce manifeste sur la troisième voie qui a été lancé en pleine campagne électorale par Tony Blair et Gerhard Schröder, alors que les socialistes avaient un manifeste commun depuis le début ?
R - Je crois que le moment de cette publication n'était peut-être pas des plus opportuns et pour nous et pour eux. Je crois qu'il y a des explications de fond à la publication de ce manifeste, d'abord une conviction que peut avoir Tony Blair qu'il faut bouger, mais cela vient du fait que la Grande-Bretagne sort de 18 années de conservatisme. Ce n'est pas quelque chose qui est transposable à l'Europe. Ce n'est d'ailleurs pas transposable à l'Allemagne. Je pense qu'il y a là, de la part de nos amis allemands, peut-être une incompréhension ou un malaise dans la lecture. Tout cela ne change pas le fait que les relations personnelles entre les leaders sont bonnes, cela ne change pas le fait que nous appartenions à la même famille politique, cela traduit aussi que cette famille politique est diverse. Pour ce qui nous concerne, nous assumons tout à fait cette différence. D'ailleurs j'observe et c'est une petite réflexion ironique, que dimanche dernier, ce ne sont pas les "archaïques" que nous sommes, je mets des guillemets, dans l'esprit de certains, qui ont perdu les élections.
Q - Alors dimanche dernier, c'était donc l'élection au Parlement européen et je ne sais pas si c'est une provocation, mais vous écrivez : "le Parlement européen est un lieu plus intéressant que le Parlement français". Est-ce que c'est une idée facile à faire comprendre ?
R - Elle n'est pas facile. C'est vrai que pour un homme politique français, être un parlementaire national est important. Moi-même j'ai quitté le Parlement européen pour devenir député, puis ministre. Je ne nie donc pas l'importance du Parlement national, mais en même temps je parle de la vie concrète du parlementaire. J'ai un suppléant qui est député. Je parle souvent avec lui, je vois ce qu'il fait. J'ai été parlementaire européen, je pense que le parlementaire européen a plus de latitude, a plus de liberté. D'abord parce qu'au Parlement européen il n'y a pas de majorité toute faite, il faut trouver des majorités d'idées, ensuite parce qu'il y a plus d'initiatives parlementaires. Les rapports faits par les parlementaires européens jouent plus de rôle dans la décision, parce qu'il n'y a pas justement de gouvernement européen et puis, parce que le Parlement européen a des pouvoirs que n'a pas le Parlement français. Un pouvoir budgétaire beaucoup plus libre, un pouvoir législatif beaucoup plus étendu, des capacités de débat plus fortes et une capacité de contrôle plus importante. Aucun gouvernement n'a été renversé en France depuis 1962 et la Commission l'a été indirectement par le Parlement européen sortant. Tout cela fait que le Parlement européen est, à mon sens, une instance plus vivante, où le jeu parlementaire est plus réel que le Parlement national. C'est dans ce sens là que je disais que c'était plus intéressant. Mais ce sont deux investissements différents.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 juin 1999)