Interviews de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national et candidat à l'élection présidentielle de 2002, dans "La Nouvelle République" le 27 mars, à "RTL" le 28 mars, dans "L'Union" , dans "Le Figaro" et dans "Paris Normandie" le 29 mars 2002, sur les difficultés à réunir les 500 signatures nécessaires à sa candidature, et sur sa réaction à la présence de personnalités politiques sur les lieux du drame de Nanterre.

Prononcé le

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Emission L'Invité de RTL - Journal de l'Union interparlementaire - L'Union - La Nouvelle République du Centre Ouest - Le Figaro - Paris Normandie - RTL

Texte intégral


RTL - 7h50
Le 28 mars 2002
Ruth Elkrief -
Nous reparlons de cette tuerie de Nanterre. Votre première réaction, hier, parlant de J. Chirac, a été de dire : "Il arrive toujours entre le Samu et la télévision". C'est une déclaration qui a choqué. Ne trouvez-vous pas indigne de parler ainsi du président de la République qui se rend sur les lieux d'un drame atroce ?
- "Je suis à peu près certain tout de même que s'il n'y avait pas de télévision, il y aurait eu beaucoup moins d'hommes politiques et de candidats..."
Le Président et le Premier ministre ?
- "Oui... Ecoutez, je pense que les hommes politiques ont des devoirs d'Etat. Je ne crois pas qu'il soit sain ni décent qu'en toutes circonstances, les uns ou les autres, arguant de leur fonction - ambiguë d'ailleurs, car on ne sait pas si c'est le candidat J. Chirac ou le Président J. Chirac qui..."
C'est normal que le Président soit sur les lieux d'un drame atroce. Non ?
- "Je ne crois pas."
Ah bon !
- "Sincèrement, non, je ne crois pas. Je pense qu'aux obsèques officielles, il y a une représentation en effet des autorités. Mais je ne crois pas que cette implication personnelle, et évidemment à but médiatique, soit raisonnable. Voilà, c'est mon sentiment. Je ne vois pas ce qu'il y a d'indigne dans ce que je dis. Je constate simplement que depuis que je connais J. Chirac, il arrive toujours sur le lieu de ces incidents entre le Samu et la télévision, l'un ou l'autre."
Vous le répétez complètement ce matin...
- "Je l'ai répété et je le répète, voilà, c'est comme ça. C'est mon opinion."
Pourtant les Français sont peut-être touchés par la solidarité, la présence d'un Président et d'un Premier ministre...
- "Mais quelle solidarité ? Tout ça c'est de l'hypocrisie. La vérité ... Il y a un drame qui s'est produit, il s'en produit malheureusement très souvent, et je pense que les hommes politiques ont autre chose à faire que des démonstrations de style affectif de ce genre. C'est mon sentiment."
On a aussi le sentiment, quand on observe un peu votre campagne, que vous avez cette haine personnelle pour J. Chirac, qui est devenu un peu le ressort de votre campagne ?
- "Je n'ai pas de haine pour J. Chirac. La haine ça se mérite. Je peux avoir du mépris pour lui mais pas de haine. Je constate que J. Chirac a persécuté le mouvement que je préside depuis 20 ans, et qu'à ce titre, il est l'unique responsable de la présence au pouvoir, aussi bien présidentiel que gouvernemental, de la gauche. C'est en excluant de la majorité de droite les 15 % de voix du Front national, d'une façon systématique, que J. Chirac a fait le jeu des socialistes. Et quand il déclare que j'ai partie liée avec les socialistes depuis 20 ans, c'est un gag, c'est un mensonge supplémentaire. "Supermenteur" ! c'est bien normal."
Je vous vois très énervé quand même !
- "Non, je ne suis pas énervé du tout, madame. Mais j'ai une conviction, moi : quand je fais de la politique, quand je parle politique, je ne fais pas seulement un exercice mécanique."
Vous dites, si vous n'avez pas les signatures, et on va y revenir dans un instant, que vos militants iront dire leur fait aux candidats RPR dans les meetings. C'est des menaces ou quoi ?
- "Pourquoi chacun de mes gestes est toujours interprété de façon négative par les commentateurs ? Je pense qu'il faudrait essayer d'avoir une certaine objectivité quand on juge de ces problèmes. Je considère que c'est normal. Il y a un véritable complot RPR mené par J. Chirac pour essayer de m'empêcher d'avoir les signatures. Mais je n'ai pas assez de temps ici pour vous l'expliquer. Mais tout le monde reconnaît..."
Vous avez des preuves ?
- "... qu'il y a un dysfonctionnement de la loi. Or, il y a quatre personnes qui auraient pu rectifier cela : c'est le président de la République, le président du Sénat, le président du Conseil constitutionnel, le président de l'Association des maires. Pas de chance, ils sont tous les quatre RPR. Comme c'est drôle !"
Pourtant, on peut se demander aussi si ce n'est pas assez logique finalement que vous ayez peut-être plus de problèmes que pour vos précédentes candidatures, car votre parti a été divisé depuis. Il y a B. Mégret qui en a pris un certain nombre, il a des parrainages que vous auriez pu avoir. On se rend compte que les maires s'abstiennent, ils sont beaucoup plus timorés, ils n'ont pas très envie de s'engager et ça concerne tous les autres candidats. Donc, finalement, ce n'est peut-être pas tellement un complot ?
- "On n'a pas le temps de parler de tout cela ici. Il est bien évident que "la grève des maires" - entre guillemets - est quelque chose de tout à fait anormal. Cette formalité est administrative et non pas politique, et si elle était politique, il faudrait à ce moment-là évidemment, impérativement, supprimer son caractère public, parce que la publicité est contraire à nos règles de droit et à nos règles constitutionnelles quand il s'agit du choix d'une personne. Alors, je crois que les maires ont encore quelques jours pour se rendre compte que la fonction qui leur a été confiée par la loi est impérative. Ils n'ont pas la possibilité de faire autre chose que ce que la loi..."

Ils sont obligés, selon vous, de parrainer ?
- "Ils n'ont pas une autre possibilité que celle que leur laisse la loi de contrôler que les candidats ne sont pas des candidats fantaisistes ou commerciaux. C'est tout. A partir du moment où ils le constatent, ils doivent, comme pour un permis de construire, donner leur signature. C'est aussi simple que ça. Et ceci s'est transformé en parcours du combattant..."
Apparemment, ils ne sont plus d'accord.
- "Un parcours exigeant beaucoup d'efforts, beaucoup d'argent pour essayer de parcourir..."
Mais pour vous comme pour les autres ! Ici, à votre place, il y a eu beaucoup d'autres candidats qui nous l'ont dit !
- "Oui, mais madame, ce n'est pas parce que cette difficulté est rencontrée par mes concurrents qu'elle est pour autant quelque chose de normal. C'est anormal. Et qu'il y ait 60 % ou 70 % de maires qui se refusent à remplir la fonction que la loi leur a fixée est quelque chose de choquant. Il faut qu'ils réagissent, ils ont encore quelques jours pour réagir. "
A combien en êtes-vous, là, à cette heure-ci ?
- "Je trouve normal que les citoyens s'adressent à leur maire, au téléphone, ou en se rendant à la mairie, pour leur demander de faire ce pour quoi ils ont été désignés."
Qu'ils fassent pression sur leur maire ?
- "Oui, bien sûr, mais c'est ça la démocratie. A quoi riment les manifestations dans les rues autrement, alors !"
Monsieur Le Pen, vous en avez combien à cette heure-ci, aujourd'hui ?
- "Je ne sais pas... Il m'en manque encore une trentaine, trente-huit, je crois hier soir. Ca devient une obsession, c'est dérisoire. Autrement dit, un candidat qui a fait deux fois 4,5 millions de voix, qui est troisième dans les sondages, serait - pourrait être - éliminé alors que des candidats qui font O,1 ou 0,2 les ont trouvées très facilement. Il y aura trois trotskistes, un communiste, et il n'y aurait pas de candidat représentant le courant national."
Peut-être B. Mégret ?
- "Tout le monde, ou la plupart des gens, trouvent ça choquant, sauf, bien sûr, ceux qui, à gauche et à droite, se réjouissent de voir éliminé un adversaire autrement que par le vote populaire."
On a quand même le sentiment que la position de victime est une de vos positions favorites et que finalement ça vous arrange ?
- "Mais c'est parce que je suis persécuté ! En effet, ma position de victime, malheureusement, elle est très souvent la mienne parce que, justement, je suis un peu le mouton noir de la politique. Je ne participe pas de cette espèce de communauté assez nauséabonde d'ailleurs, il faut bien le dire, par les "affaires", que constitue la classe politique française."
Dernière question : les Français apparemment ont une image et une idée de leur candidat qui serait un homme de 48 ans, 55 ans. Qu'en pensez-vous ?
- "A mon avis, il faudrait fabriquer un robot. Ca correspondrait exactement à ce que veut l'opinion. Il ne pourrait plus bouger, parce que comme il y aurait la moitié qui voudrait qu'il aille à droite et la moitié qui voudrait qu'il aille à gauche, la moitié qui voudrait devant et la moitié qui voudrait qu'il aille derrière, c'est parfaitement absurde. C'est un jeu, d'accord, je le reconnais. On a parlé beaucoup de question d'âge, ça a choqué d'ailleurs. Dès qu'un candidat égratigne un peu son adversaire, il ne se borne pas à faire des caresses de gants sur le ring, on crie au scandale. Moi, je ne cache pas mon âge. J'ai l'âge qu'avait Clémenceau en 1914. Je crois que la France n'a pas eu à s'en plaindre."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 mars 2002)