Texte intégral
A. Chabot Vous êtes à Doha, où s'ouvre aujourd'hui la grande Conférence ministérielle de l'OMC. Doha ne sera pas Seattle : la sécurité est prioritaire, les manifestations quasi-interdites et vous avez même eu du mal à arriver jusque là ?
- "Effectivement, jusqu'à hier midi je n'étais pas sûr de pouvoir entrer, parce que le gouvernement qatari me refusait le visa d'entrée, bien que je sois accrédité auprès de l'OMC. Il a fallu faire des pressions et utiliser le moyen le plus efficace, c'est-à-dire la télévision Al-Jazira, qui a passé en boucle, hier matin, le fait que j'étais interdit d'entré. Je pense que cela a décidé très rapidement le gouvernement qatari à revenir sur sa décision."
Al-Jazira est la télévision qui passe les messages de Ben Laden depuis le début des opérations en Afghanistan ?
- "Ce qui fait, semble-t-il, que Ben Laden a envoyé un message en disant qu'il y en avait assez de voir Bové sur Al-Jazira."
A Seattle, on se souvient que les manifestants et vous avaient fait pression sur les négociateurs. Cette fois vous êtes observateurs. Quelle sera votre utilité ?
- "Quand on arrive à Doha, on se rend compte que le centre de conférence et cette ville sont comme un porte-avions en plein milieu d'une mer de sable. Nous sommes entièrement encerclés par l'armée, par la police ; tous les déplacements se font dans des bus spéciaux, dans lesquels montent aussi les militaires. Les marges de manoeuvre sont très faibles et d'ailleurs, le nombre de mouvements qui ont pu faire le déplacement à Doha est très faible. Evidemment, il n'y aura pas à Doha de manifestations de masse comme on a pu le voir ailleurs. Par contre, nous allons faire pression sur les délégations, nous allons travailler avec les organisations des pays du Sud et interpeller le directeur général de l'OMC, mais aussi les représentants européens comme P. Lamy."
Le débat au fond est toujours le même : en face de vous, il y a tous ceux qui disent que l'OMC est une instance de régulation et que si elle n'était pas là, ce serait la loi de la jungle ?
- "En face de nous, on nous parle beaucoup moins de régulation aujourd'hui qu'ouverture de marché, nouveau round pour introduire d'autres domaines - les services par exemple -, pour parler des investissements. Aujourd'hui, la ligne directrice de cette rencontre ministérielle est vraiment l'élargissement du marché à des secteurs qui n'y étaient pas encore intégrés. On parle très peu de régulation, c'est-à-dire de règles contraignantes pour encadrer le marché. C'est ce que nous trouvons tous, ici, inquiétant au démarrage de cette réunion."
Et pourtant, tous les négociateurs - comme P. Lamy qui négocie au nom de l'Europe - disent : "On a compris depuis Seattle et on parle essentiellement de régulation et notamment de gestes en direction des pays les plus pauvres" ?
- "Quand on voit le texte qui a été rédigé la semaine passée par les Etats-Unis et par l'Europe pour servir de texte pour lancer ce round, qui pourrait être le texte signé à la fin de ces quatre jours de discussions, on se rend compte qu'il n'y a strictement rien pour les pays du Sud. Aujourd'hui, rien n'est fait en matière agricole, en matière d'environnement, en matière de dettes. Aujourd'hui, les pays du Sud ont l'impression d'être floués. D'ailleurs, ils n'ont pas participé à la rédaction de ce texte. On sent déjà dans un certain nombre de délégations de pays d'Asie, d'Afrique et du monde arabe une très grande colère, qui est en plus ravisée par la situation géopolitique en Afghanistan."
Est-ce que vous souhaitez, comme à Seattle, qu'il y ait échec de cette négociation ?
- "Aujourd'hui, ouvrir un nouveau round serait quelque chose de néfaste. Par contre, intégrer une audit pour la mise à plat du marché depuis 1995, depuis la création de l'OMC, est quelque chose qui serait important. Aujourd'hui, avec l'OMC telle qu'elle est, on peut avancer sans ouvrir un nouveau round."
A tous ceux qui disent qu'il y a une récession mondiale qui se dessine - elle commence aux Etats-Unis - et qu'au fond ouvrir un peu plus les marchés, ce serait relancer l'économie mondiale, est-ce que vous dites que c'est faux ?
- "C'est une illusion totale. C'est un discours de propagande. D'ailleurs, ce n'est pas en ouvrant encore plus les frontières des pays du Sud qu'on va régler le problème. Car si certains discours nous disent qu'on va permettre à des produits du Sud de rentrer dans les pays occidentaux, aujourd'hui nous savons très bien que ce n'est pas cela le rééquilibrage. Le rééquilibrage est d'essayer de réduire les entrées dans les pays du Sud et notamment de protéger les secteurs les plus vulnérables des pays du Sud, comme l'agriculture."
Parlons justement d'agriculture : hier, le Gouvernement français a rappelé sa position. Une position extrêmement ferme : pas question de toucher, même indirectement, à la PAC et au système de subventions qui est contesté évidemment par certains pays du Sud. D'accord avec la position française ?
- "La Confédération paysanne n'est absolument pas d'accord avec la position française. Nous avons dit très clairement que nous étions pour le démantèlement de toutes les subventions aux exportations, pour la remise à plat de la politique agricole commune, parce qu'aujourd'hui, on trompe les pays du Sud en leur disant que les subventions à l'agriculture, telle qu'elles nous sont versées en Europe, ne sont pas les subventions à l'exportation. Ce sont des subventions déguisées à l'exportation. C'est pour cela qu'il y a une nécessité de remettre l'ensemble du processus d'aide à l'agriculture à plat. Cela ne veut pas dire que nous sommes pour la suppression des aides agricoles, mais ces aides doivent être déconnectées de la logique du marché. C'est pour cela que nous préconisons que l'Europe ne soit plus exportatrice de matières premières telles que les céréales, la viande ou le lait, qui sont des produits de dumping sur le marché mondial."
On sait que le problème n'est pas simple, car lorsque l'Europe augmente ses quotas, par exemple d'importations de textiles, et notamment du Pakistan, les industriels français sont inquiets. Ils se disent à terme que ce sont des usines qui ferment et c'est du chômage.
- "Aujourd'hui, la question du textile est une question tout à fait complexe, car en 1995, quand les accords de Marrakech créant l'OMC ont été signés, il était stipulé que les pays du Nord devaient ouvrir leurs marchés au textile du Sud. En réalité, six ans plus tard, ce qui avait été adopté à Marrakech n'est toujours pas en application et les pays du Sud aujourd'hui demandent pourquoi ils sont de ce refus. En même temps, ce qui est paradoxal, c'est qu'en parallèle, beaucoup d'entreprises françaises, européennes ou américaines ont délocalisé leurs productions de textile dans ces pays du Sud. Donc, ces pays travaillent souvent en sous-traitance pour l'industrie française. Il y a une véritable escroquerie dans ce débat, qui est tout à fait malsain, mais qui est tout à fait révélateur du climat et du marché aujourd'hui."
Beaucoup disent qu'après les attentats aux Etats-Unis, la position américaine va un peu s'assouplir. Vous y croyez ?
- "Aujourd'hui, quand on voit l'attitude des Etats-Unis sur la question qui les a opposés au groupe pharmaceutique Bayer, pour les traitements de l'Anthrax, on s'aperçoit qu'il y a deux poids, deux mesures. Quand ce sont des multinationales pharmaceutiques américaines qui vendent de produits de traitement du sida en Afrique, les Etats-Unis attaquent l'Afrique du Sud, parce qu'elle veut faire des médicaments génériques, dans lesquels il n'y a pas de royalties pour les multinationales. Mais quand ce sont les Etats-Unis qui achètent des produits de traitement pour l'Anthrax, ils font pression sur le groupe pharmaceutique Bayer pour leur dire de réduire leurs royalties. Aujourd'hui, l'attitude des Etats-Unis est tout à fait ambigüe. C'est une attitude à deux vitesses. La position des Etats-Unis est de dire toujours - et là dessus, ils n'ont pas changé - qu'ils sont les premiers, qu'ils défendent leurs intérêts et que tout ce qui va contre leurs intérêts, ils s'y opposent."
On s'est beaucoup interrogés sur l'attitude des mouvements antimondialisation. Est-ce que ce attentats changent un peu votre méthode d'action, votre mode d'intervention ou votre d'expression vis-à-vis des Etats-Unis ?
- "Le combat qui a été mené et qui a symboliquement émergé à Seattle a bien montré que le mouvement n'était pas un mouvement anti-américain, mais bien contre une logique économique."
Dans les jours qui viennent, qu'allez-vous faire ? Allez-vous être sur le dos des négociateurs tous les jours ?
- "On ne va pas les lâcher d'une semelle. Notre objectif est de faire pression, de se faire comprendre par les délégations. Nous n'allons pas ménager notre peine pour faire passer le message."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 23 novembre 2001)
- "Effectivement, jusqu'à hier midi je n'étais pas sûr de pouvoir entrer, parce que le gouvernement qatari me refusait le visa d'entrée, bien que je sois accrédité auprès de l'OMC. Il a fallu faire des pressions et utiliser le moyen le plus efficace, c'est-à-dire la télévision Al-Jazira, qui a passé en boucle, hier matin, le fait que j'étais interdit d'entré. Je pense que cela a décidé très rapidement le gouvernement qatari à revenir sur sa décision."
Al-Jazira est la télévision qui passe les messages de Ben Laden depuis le début des opérations en Afghanistan ?
- "Ce qui fait, semble-t-il, que Ben Laden a envoyé un message en disant qu'il y en avait assez de voir Bové sur Al-Jazira."
A Seattle, on se souvient que les manifestants et vous avaient fait pression sur les négociateurs. Cette fois vous êtes observateurs. Quelle sera votre utilité ?
- "Quand on arrive à Doha, on se rend compte que le centre de conférence et cette ville sont comme un porte-avions en plein milieu d'une mer de sable. Nous sommes entièrement encerclés par l'armée, par la police ; tous les déplacements se font dans des bus spéciaux, dans lesquels montent aussi les militaires. Les marges de manoeuvre sont très faibles et d'ailleurs, le nombre de mouvements qui ont pu faire le déplacement à Doha est très faible. Evidemment, il n'y aura pas à Doha de manifestations de masse comme on a pu le voir ailleurs. Par contre, nous allons faire pression sur les délégations, nous allons travailler avec les organisations des pays du Sud et interpeller le directeur général de l'OMC, mais aussi les représentants européens comme P. Lamy."
Le débat au fond est toujours le même : en face de vous, il y a tous ceux qui disent que l'OMC est une instance de régulation et que si elle n'était pas là, ce serait la loi de la jungle ?
- "En face de nous, on nous parle beaucoup moins de régulation aujourd'hui qu'ouverture de marché, nouveau round pour introduire d'autres domaines - les services par exemple -, pour parler des investissements. Aujourd'hui, la ligne directrice de cette rencontre ministérielle est vraiment l'élargissement du marché à des secteurs qui n'y étaient pas encore intégrés. On parle très peu de régulation, c'est-à-dire de règles contraignantes pour encadrer le marché. C'est ce que nous trouvons tous, ici, inquiétant au démarrage de cette réunion."
Et pourtant, tous les négociateurs - comme P. Lamy qui négocie au nom de l'Europe - disent : "On a compris depuis Seattle et on parle essentiellement de régulation et notamment de gestes en direction des pays les plus pauvres" ?
- "Quand on voit le texte qui a été rédigé la semaine passée par les Etats-Unis et par l'Europe pour servir de texte pour lancer ce round, qui pourrait être le texte signé à la fin de ces quatre jours de discussions, on se rend compte qu'il n'y a strictement rien pour les pays du Sud. Aujourd'hui, rien n'est fait en matière agricole, en matière d'environnement, en matière de dettes. Aujourd'hui, les pays du Sud ont l'impression d'être floués. D'ailleurs, ils n'ont pas participé à la rédaction de ce texte. On sent déjà dans un certain nombre de délégations de pays d'Asie, d'Afrique et du monde arabe une très grande colère, qui est en plus ravisée par la situation géopolitique en Afghanistan."
Est-ce que vous souhaitez, comme à Seattle, qu'il y ait échec de cette négociation ?
- "Aujourd'hui, ouvrir un nouveau round serait quelque chose de néfaste. Par contre, intégrer une audit pour la mise à plat du marché depuis 1995, depuis la création de l'OMC, est quelque chose qui serait important. Aujourd'hui, avec l'OMC telle qu'elle est, on peut avancer sans ouvrir un nouveau round."
A tous ceux qui disent qu'il y a une récession mondiale qui se dessine - elle commence aux Etats-Unis - et qu'au fond ouvrir un peu plus les marchés, ce serait relancer l'économie mondiale, est-ce que vous dites que c'est faux ?
- "C'est une illusion totale. C'est un discours de propagande. D'ailleurs, ce n'est pas en ouvrant encore plus les frontières des pays du Sud qu'on va régler le problème. Car si certains discours nous disent qu'on va permettre à des produits du Sud de rentrer dans les pays occidentaux, aujourd'hui nous savons très bien que ce n'est pas cela le rééquilibrage. Le rééquilibrage est d'essayer de réduire les entrées dans les pays du Sud et notamment de protéger les secteurs les plus vulnérables des pays du Sud, comme l'agriculture."
Parlons justement d'agriculture : hier, le Gouvernement français a rappelé sa position. Une position extrêmement ferme : pas question de toucher, même indirectement, à la PAC et au système de subventions qui est contesté évidemment par certains pays du Sud. D'accord avec la position française ?
- "La Confédération paysanne n'est absolument pas d'accord avec la position française. Nous avons dit très clairement que nous étions pour le démantèlement de toutes les subventions aux exportations, pour la remise à plat de la politique agricole commune, parce qu'aujourd'hui, on trompe les pays du Sud en leur disant que les subventions à l'agriculture, telle qu'elles nous sont versées en Europe, ne sont pas les subventions à l'exportation. Ce sont des subventions déguisées à l'exportation. C'est pour cela qu'il y a une nécessité de remettre l'ensemble du processus d'aide à l'agriculture à plat. Cela ne veut pas dire que nous sommes pour la suppression des aides agricoles, mais ces aides doivent être déconnectées de la logique du marché. C'est pour cela que nous préconisons que l'Europe ne soit plus exportatrice de matières premières telles que les céréales, la viande ou le lait, qui sont des produits de dumping sur le marché mondial."
On sait que le problème n'est pas simple, car lorsque l'Europe augmente ses quotas, par exemple d'importations de textiles, et notamment du Pakistan, les industriels français sont inquiets. Ils se disent à terme que ce sont des usines qui ferment et c'est du chômage.
- "Aujourd'hui, la question du textile est une question tout à fait complexe, car en 1995, quand les accords de Marrakech créant l'OMC ont été signés, il était stipulé que les pays du Nord devaient ouvrir leurs marchés au textile du Sud. En réalité, six ans plus tard, ce qui avait été adopté à Marrakech n'est toujours pas en application et les pays du Sud aujourd'hui demandent pourquoi ils sont de ce refus. En même temps, ce qui est paradoxal, c'est qu'en parallèle, beaucoup d'entreprises françaises, européennes ou américaines ont délocalisé leurs productions de textile dans ces pays du Sud. Donc, ces pays travaillent souvent en sous-traitance pour l'industrie française. Il y a une véritable escroquerie dans ce débat, qui est tout à fait malsain, mais qui est tout à fait révélateur du climat et du marché aujourd'hui."
Beaucoup disent qu'après les attentats aux Etats-Unis, la position américaine va un peu s'assouplir. Vous y croyez ?
- "Aujourd'hui, quand on voit l'attitude des Etats-Unis sur la question qui les a opposés au groupe pharmaceutique Bayer, pour les traitements de l'Anthrax, on s'aperçoit qu'il y a deux poids, deux mesures. Quand ce sont des multinationales pharmaceutiques américaines qui vendent de produits de traitement du sida en Afrique, les Etats-Unis attaquent l'Afrique du Sud, parce qu'elle veut faire des médicaments génériques, dans lesquels il n'y a pas de royalties pour les multinationales. Mais quand ce sont les Etats-Unis qui achètent des produits de traitement pour l'Anthrax, ils font pression sur le groupe pharmaceutique Bayer pour leur dire de réduire leurs royalties. Aujourd'hui, l'attitude des Etats-Unis est tout à fait ambigüe. C'est une attitude à deux vitesses. La position des Etats-Unis est de dire toujours - et là dessus, ils n'ont pas changé - qu'ils sont les premiers, qu'ils défendent leurs intérêts et que tout ce qui va contre leurs intérêts, ils s'y opposent."
On s'est beaucoup interrogés sur l'attitude des mouvements antimondialisation. Est-ce que ce attentats changent un peu votre méthode d'action, votre mode d'intervention ou votre d'expression vis-à-vis des Etats-Unis ?
- "Le combat qui a été mené et qui a symboliquement émergé à Seattle a bien montré que le mouvement n'était pas un mouvement anti-américain, mais bien contre une logique économique."
Dans les jours qui viennent, qu'allez-vous faire ? Allez-vous être sur le dos des négociateurs tous les jours ?
- "On ne va pas les lâcher d'une semelle. Notre objectif est de faire pression, de se faire comprendre par les délégations. Nous n'allons pas ménager notre peine pour faire passer le message."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 23 novembre 2001)