Texte intégral
Conférence de presse conjointe du
Premier ministre, M. Edouard Balladur
et du Président de la Commission des
Communautés européennes, M. Jacques
Delors - Propos du Premier ministre
Affirmer l'identité de l'Europe
Je vous remercie, Monsieur le Président, de l'accueil que la Commission a bien voulu me réserver, à votre initiative, et de l'intérêt de l'échange de vues auquel nous avons procédé.
Il m'a, en effet, semblé utile de faire part à la Commission que vous présidez des intentions, des préoccupations et des suggestions du nouveau gouvernement français. Je les regrouperai toutes sous la même inspiration : nous sommes désireux que soit affirmée le plus possible l'identité de l'Europe. Notre continent -
comme le reste du monde d'ailleurs - traverse en ce moment une période de doutes et d'interrogations, doutes et interrogations qui se manifestent au sein des divers peuples européens et qu'il nous appartient de dissiper.
Cette identité de l'Europe, cette recherche de cette identité, cette affirmation de l'identité de l'Europe doit se poursuivre, me semble-t-il, dans trois directions :
- dans le domaine commercial tout d'abord puisque c'est le sujet du jour, si je puis dire ,
- dans le domaine de la réalisation, en second lieu, de l'Union monétaire,
- et dans le domaine, en troisième lieu, de la sécurité de l'Europe.
Ce sont ces trois problèmes qui ont fait l'essentiel de la discussion qui a été menée sous l'égide du Président
Delors.
Politique commerciale
Dans les affaires commerciales, je crois qu'il n'est pas utile que je vous redise très longuement ce qu'est l'état d'esprit du gouvernement français, état d'esprit qui est bien connu, qui a été repris dans un mémorandum qui a été largement diffusé. Mais je crois quand même qu'il faut que je vous indique quels sont les principes auxquels nous, nous tenons :
Accord au GATT
- Nous sommes, tout d'abord, en faveur d'une conclusion rapide du cycle d'Uruguay. Il faut que ce soit bien clair. Mais pas à n'importe quel prix. Première considération. Et pas à n'importe quelles conditions.
Emploi
- En second lieu, il faut bien prendre conscience du problème aujourd'hui : le problème aujourd'hui, c'est que les pays européens, et notamment les Douze, ont besoin d'emplois. Nous avons besoin de tout faire pour lutter contre le chômage. Et, à nos yeux, un accord commercial doit être inspiré, notamment et je dirais même principalement, de cette préoccupation.
Négociation multilatérale et équilibrée
- En troisième lieu, nous sommes favorables à une négociation qui soit multilatérale et qui soit équilibrée. Ce sont des mots et des formules qui ont un contenu. Multilatéral, cela veut dire qu'il ne faut pas que la négociation se résume à un dialogue euro-américain, et pas davantage qu'elle se résume à une discussion sur les problèmes agricoles. Equilibré, cela veut dire que tous les sujets doivent être traités : il y en a une quinzaine qui sont sur la table et il faut faire en sorte qu'ils soient tous traités de façon équitable et globale, et non pas au jour le jour ou à la semaine.
Croissance
- Enfin, quatrième principe. Je crois que cette négociation doit être pour l'Europe une occasion d'affirmer son identité et de s'ouvrir de nouvelles perspectives de croissance.
C'est le premier point de nos discussions, qui m'a permis de bien comprendre le point de vue de la Commission et des commissaires responsables. Et je pense que cette discussion leur a permis à eux-mêmes de bien connaître les intentions qui sont les nôtres.
Point des discussions Commission - USA - Japon
Quoi qu'il en soit, il a été clairement indiqué qu'un Conseil des ministres se tiendrait le 2 juillet, avant justement le Sommet du G7, pour que tous les pays membres de la Communauté aient connaissance des discussions qui se seront déroulées d'ici là entre l'Europe, les Etats-Unis et le Japon.
Je ne crois pas qu'il soit utile que j'en dise davantage sur ce premier point.
Politique économique et monétaire - rétablissement des équilibres financiers
Sur le second, qui est le problème économique et monétaire, nous pensons qu'en effet il faut que les pays européens s'attachent les uns et les autres à remettre de l'ordre dans leurs propres affaires. C'est ce que nous tentons nous-mêmes en France où les équilibres financiers ont été remis en cause, pour des tas de raisons dont évidemment le ralentissement de la croissance est peut-être la plus importante.
La France prend sa part - et prend toute sa part - de cet effort de redressement des équilibres financiers qui sont indispensables dans l'intérêt des pays eux-mêmes d'ailleurs. Il ne s'agit pas de sacrifier à je ne sais quel mythe qui serait inscrit dans un traité au respect duquel nous nous soumettrions inconditionnellement, même si ce n'était pas conforme à nos intérêts. C'est le contraire qui est vrai.
Intérêt de la France et de la CE
Nous avons intérêt les uns et les autres - et la France a intérêt - à ce que ces équilibres financiers soient rétablis. Et c'est ce qui inspire à la fois le nouveau statut de la Banque de France dont le Parlement délibère en ce moment et le projet de loi quinquennale sur la réduction des déficits que je transmettrai au Président Delors dans les heures qui viennent - d'ailleurs je confesse que je croyais qu'il l'avait déjà.
Projet français pour la stabilité en Europe - principes fondamentaux
Enfin, troisièmement, toujours cette même recherche, cette même affirmation de l'identité de l'Europe a conduit le gouvernement français à soumettre à ses partenaires aujourd'hui - puisque j'ai remis au Président Delors le texte comme je l'ai fait auprès de M. Dehaene, le Premier ministre de Belgique - une initiative en matière de sécurité de l'Europe.
Il s'agit pour nous de voir la Communauté là aussi affirmer son rôle, en débattant d'abord en son sein des principes auxquels la sécurité de notre continent devrait être soumise, ce qui pose trois questions :
- le problème des frontières et de leur inviolabilité,
- le problème des minorités et de leur garantie,
- le concours que la Communauté, par des mesures d'incitation ou d'accompagnement, peut accorder à ces
objectifs.
Conseil européen de Copenhague - PESC
Il est souhaité par la France - et je crois que c'est également le souhait du Président Delors - qu'il y ait un premier exposé, une première prise de contacts sur ce sujet lors de la prochaine réunion de Copenhague. J'en parlerai d'ailleurs ce soir avec le Premier ministre du Danemark, M. Rasmussen, qui est président en exercice de la Communauté et qui vient me voir à Paris en fin d'après-midi.
Après quoi, nous souhaitons que la Communauté affirme son rôle et qu'elle se livre - si je puis dire - à une première démonstration de sa volonté inscrite dans le traité d'Union européenne d'exister davantage sur le plan de la politique étrangère, que la Communauté s'attache à promouvoir cette idée.
Initiative des Douze en liaison avec les USA et le Canada
Il est bien vrai que le paysage européen est très compliqué, que les institutions si elles sont multiples parfois se croisent et qu'il y aura sans doute un effort de simplification, de clarification à faire. Mais l'objectif, il est clair : c'est que les Douze, en liaison avec les autres pays européens et avec les Etats-Unis et le Canada, aient un rôle d'initiative pour organiser mieux la sécurité et la stabilité du continent européen.
Voilà, Mesdames et Messieurs, les quelques explications générales que je voulais vous donner. Je suis à votre disposition, pour quelques minutes seulement - je vous demande de bien vouloir me le pardonner - pour répondre à telle ou telle des questions que vous pourriez avoir à me poser.
Volet agricole du GATT
Q - Monsieur le Premier ministre, je voudrais vous poser une question sur les problèmes commerciaux. En dépit du souhait de la France de parvenir à un accord multilatéral et global, il semble que l'obstacle principal pour aller de l'avant demeure l'obstacle agricole. Est-ce que vos conversations de ce matin vous ont permis de croire d'abord que la Commission et ensuite nos partenaires dans la Communauté seraient disposés à réouvrir cet arrangement de Blair House que vous n'acceptez pas dans sa forme actuelle ?
R - Je ne pense pas que l'on puisse dire que l'obstacle essentiel est l'obstacle agricole et tout l'effort du gouvernement français depuis que je le dirige est au contraire de faire en sorte qu'on cesse de dire de par le monde - avec plus ou moins de bonne foi d'ailleurs - que ce sont quelques centaines de milliers d'agriculteurs français qui empêchent la prospérité du reste du monde qui ne manquerait pas de survenir aussi automatiquement si on signait un accord sur le GATT. Nous avons pris sur le plan national un certain nombre de mesures en faveur de l'agriculture. D'autre part, la Communauté a bien voulu prendre conscience de son côté des problèmes que posait l'application de la PAC et elle a bien voulu procéder à un certain nombre d'adaptations, il y a une dizaine de jours.
Accord français sur les oléagineux dissocié du reste de l'accord de Blair House
Enfin, nous avons décidé, avant-hier, d'approuver l'accord sur les oléagineux mais qu'il soit bien précisé que c'était en demandant et en obtenant un certain nombre de garanties et en précisant bien qu'à nos yeux cela excluait l'accord sur le corn gluten feed et que cela ne voulait en rien dire que nous acceptions l'accord de Blair House sur l'agriculture si tant est que ce soit un accord ou un pré-accord, puisque je crois qu'on a le plus grand mal à s'en procurer le texte exact.
Pas d'accord autre que global
J'ai précisé devant le Collège des commissaires quelle était la position de notre pays, reprenant d'ailleurs par là les déclarations multiples du gouvernement français depuis quelques jours. Alors votre question consiste finalement à me dire : "Est-ce qu'en prenant cette position vous ne rendez pas plus difficile la conclusion d'un accord sur les quatorze autres sujets puisqu'il y en a quinze". Je suppose que c'était le sens de votre question, Monsieur ?
Q - Pas exactement, Monsieur le Premier ministre. Le sens de ma question est plutôt de savoir comment la Commission a accueilli vos demandes, votre propos. Et à votre avis de quelle manière nos partenaires au sein de la Communauté, puis ensuite les Etats-Unis vont accueillir cette demande de réouvrir cette négociation agricole. En d'autres termes, est-ce que vous pensez qu'une évolution possible sur ce dossier agricole est vraisemblable ?
R - Je le crois possible et puisque c'est possible cela doit être vraisemblable. En tout cas, notre position est très claire. Nous sommes pour un accord global et nous n'acceptons aucun accord partiel sur aucun sujet tant que nous n'avons pas les résultats de la négociation globale. Je ne voudrais pas commettre d'indiscrétion
mais c'est ce qui a permis à l'un des commissaires de dire qu'il n'y aurait d'accord sur rien tant qu'il n'y aurait pas d'accord sur tout. C'est exactement la position du gouvernement français. Or, sur tout, cela veut dire sur tout y compris l'agriculture. Eh bien, C'est tout ce que je peux vous répondre. Mais nous souhaitons que l'on aboutisse à un accord, bien entendu.
France - UEM
Q - J'ai une question pour M. le Premier ministre et pour le Président de la Commission. Monsieur le Premier ministre, vous avez mentionné les discussions que vous avez eues sur l'Union monétaire. Hier à Londres, au Parlement britannique, M. Major a dit que le timetable pour l'Union monétaire - certainement 1997 et aussi selon lui 1999 - en réalité est mort. Est-ce-que vous acceptez cette perspective pessimiste du Premier ministre Major. Si non pourquoi pas ?
R - Ecoutez, le propre des traités est de fournir un cadre à l'évolution de l'histoire qui s'annonce. Parfois la réalité ne se conforme pas nécessairement à ce que l'on avait prévu. Il est bien évident que le traité sur l'Union européenne a été discuté et mis sur pied à une époque où les conditions économiques, financières et monétaires n'étaient pas celles d'aujourd'hui. Mais je vous signale que le gouvernement français - je le disais tout à l'heure - s'est doté ou est en train de se doter de deux moyens qui permettront pour ce qui le concerne de respecter le calendrier. Le premier, c'est l'autonomie de la Banque de France, le second c'est le projet de loi quinquennale sur le retour progressif à une gestion budgétaire plus équilibrée, puisque nous avons fixé comme perspective de réduire notre déficit à 2,5 % du PIB en 1997. Voilà ce que sont les intentions du gouvernement français et je n'ai pas de commentaires à faire sur ce qu'a déclaré l'un de nos partenaires au sein de la Communauté.
Emploi en Europe
Q - Monsieur le Premier ministre, vous avez souvent expliqué que le monde avait besoin du GATT mais que l'Europe avait besoin d'emplois. Est-ce que la Commission vous a paru attentive au problème de l'emploi en Europe, à la montée du chômage ? Est-ce qu'elle est prête à modifier certaines règles du jeu en matière de commerce international et d'ouverture de ses frontières ?
R - J'ai exposé, en effet, à la Commission ce qu'étaient les préoccupations du gouvernement français qui sont toutes entières fondées sur la nécessité de retrouver une croissance plus forte et de lutter contre la dégradation de la situation de l'emploi et de l'accroissement du chômage qui est le fait à la fois d'une activité trop faible et de mouvements de délocalisation qui pourraient, s'ils se poursuivaient à ce rythme, être dangereux. J'ai trouvé effectivement la Commission tout à fait sensible à ces préoccupations. Comment aurait-elle pu ne pas l'être ?
CE - accord global
Mais nous avons surtout insisté, je le répète, dans la partie commerciale de notre discussion, sur les principes et les méthodes qui devaient inspirer la négociation - je dois dire et je le répète car cela me paraît important - qu'il a été bien dit par le commissaire compétent que tant qu'il n'y aurait pas d'accord sur tout, il n'y aurait d'accord sur rien. Sur ce principe, il y a je crois, n'est ce pas Monsieur le Président, un accord total entre la Commission et le gouvernement français que je représente aujourd'hui.
Q - Monsieur le Premier ministre, est-ce que je vous ai bien compris ? Le problème du gouvernement français, avec l'accord de Blair House, n'est pas tellement le contenu de cet accord ou pré-accord mais est le fait , comme vous venez de le dire, qu'il y a seulement sur un des quinze sujets un pré-accord. Est ce que si, dans les prochains mois, il y avait un accord sur les autres sujets, le gouvernement pourrait souscrire au contenu de l'accord de Blair House ?
Pas de concessions françaises sur l'accord de Blair House
R - Non, Monsieur, j'ai le regret de vous dire - et c'est probablement de ma faute, j'ai dû mal m'exprimer - que vous m'avez mal compris.
Ce pré-accord de Blair House ne nous satisfait pas et nous ne l'acceptons pas. Et nous ne sommes pas décidés à entrer dans une discussion où on nous demanderait d'accepter d'un côté ce qui nous semble inacceptable pour, de l'autre, nous voir faire des concessions dans un autre domaine. C'est une affaire qui, pour nous, est importante à la fois sur le plan du contenu et de la méthode. Je crois que la Commission et le Président Delors en sont tout à fait conscients et je m'en réjouis beaucoup. Je suis un peu préoccupé que vous puissiez me poser cette question car je croyais avoir été clair. Mais, je le répète encore une fois, l'accord de Blair House ne nous satisfait ni quant au fond, ni quant à son contenu.
USA - mémorandum français sur le GATT
Q - Monsieur le Premier ministre, vous êtes venu à Bruxelles exposer la position française devant la Commission. Comptez-vous en faire autant avec les Américains. Comptez-vous aller à Washington et si oui quand ?
R - Il se trouve que le Président Clinton m'a hier invité à aller le voir mardi prochain. Bien entendu, c'est avec plaisir que je me rendrai à cette invitation et que je verrai le Président des Etats-Unis mardi prochain si la chose est confirmée.
France - GATT - concurrence loyale dans l'intérêt de la CE
Qu'il n'y ait pas d'équivoque sur l'attitude du gouvernement français, nous sommes partisans de la conclusion de l'accord sur le GATT. Nous souhaitons que le commerce mondial puisse s'épanouir, mais nous considérons que cela ne peut pas se faire à n'importe quelle condition et en oubliant que la Communauté est le marché du monde le plus ouvert et le moins protégé. Ne nous plaignons pas mais que les autres fassent un effort comparable. C'est cela qui me parait important. Et que tout le monde soit soumis aux mêmes règles du jeu. Nous ne demandons aucun privilège. Nous ne demandons aucune protection. Nous demandons simplement un minimum d'équité car nous avons aussi à défendre les intérêts des Européens. En prenant la position qu'il prend, le gouvernement français a le sentiment de ne pas se borner à défendre les intérêts des entreprises européennes qu'elles soient commerciales, agricoles, industrielles ou financières. Il a le sentiment - j'espère qu'il n'est pas présomptueux - de défendre aussi les intérêts de l'ensemble des entreprises européennes. C'est cela que nous devons tenter de faire comprendre à nos partenaires.
Défense commerciale européenne
Q - Vous dites dans vos déclarations que vous pensez que la Communauté européenne devrait avoir des mécanismes de défense qui seraient plus renforcés. Je voudrais savoir ce qu'en pense la Commission. Est-ce que c'est quelque chose que vous acceptez et quel genre de politique de défense renforcée voudriez-vous avoir ?
R - Avec l'autorisation du Président Delors qui veut bien accepter que je dise quelques mots avant qu'il ne réponde, je crois Madame, que ce n'est pas exactement cela la position du gouvernement français. Nous demandons à être traités sur un pied d'égalité. Si les autres ont des instruments de défense que nous n'avons pas, nous devons avoir les mêmes si nous ne les avons pas. Et nous ne les avons pas. Si en revanche, les autres veulent abandonner leurs instruments de défense, nous ne demandons pas à en avoir de nouveaux et de supplémentaires. Là aussi c'est un principe d'égalité, d'équité, de globalité et d'équilibre. Voilà exactement de qu'est la demande du gouvernement français.
Quand je disais tout à l'heure s'il m'est permis d'ajouter quelque chose, qu'il fallait que la négociation soit globale, c'est à cela aussi que je pensais. Il faut que tout soit mis sur la table et que tout soit traité et que tout soit résolu avant que l'on décide si l'on donne ou si l'on ne donne pas un accord.
Merci, Mesdames et Messieurs, de nous avoir écoutés.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 juillet 2004)
Premier ministre, M. Edouard Balladur
et du Président de la Commission des
Communautés européennes, M. Jacques
Delors - Propos du Premier ministre
Affirmer l'identité de l'Europe
Je vous remercie, Monsieur le Président, de l'accueil que la Commission a bien voulu me réserver, à votre initiative, et de l'intérêt de l'échange de vues auquel nous avons procédé.
Il m'a, en effet, semblé utile de faire part à la Commission que vous présidez des intentions, des préoccupations et des suggestions du nouveau gouvernement français. Je les regrouperai toutes sous la même inspiration : nous sommes désireux que soit affirmée le plus possible l'identité de l'Europe. Notre continent -
comme le reste du monde d'ailleurs - traverse en ce moment une période de doutes et d'interrogations, doutes et interrogations qui se manifestent au sein des divers peuples européens et qu'il nous appartient de dissiper.
Cette identité de l'Europe, cette recherche de cette identité, cette affirmation de l'identité de l'Europe doit se poursuivre, me semble-t-il, dans trois directions :
- dans le domaine commercial tout d'abord puisque c'est le sujet du jour, si je puis dire ,
- dans le domaine de la réalisation, en second lieu, de l'Union monétaire,
- et dans le domaine, en troisième lieu, de la sécurité de l'Europe.
Ce sont ces trois problèmes qui ont fait l'essentiel de la discussion qui a été menée sous l'égide du Président
Delors.
Politique commerciale
Dans les affaires commerciales, je crois qu'il n'est pas utile que je vous redise très longuement ce qu'est l'état d'esprit du gouvernement français, état d'esprit qui est bien connu, qui a été repris dans un mémorandum qui a été largement diffusé. Mais je crois quand même qu'il faut que je vous indique quels sont les principes auxquels nous, nous tenons :
Accord au GATT
- Nous sommes, tout d'abord, en faveur d'une conclusion rapide du cycle d'Uruguay. Il faut que ce soit bien clair. Mais pas à n'importe quel prix. Première considération. Et pas à n'importe quelles conditions.
Emploi
- En second lieu, il faut bien prendre conscience du problème aujourd'hui : le problème aujourd'hui, c'est que les pays européens, et notamment les Douze, ont besoin d'emplois. Nous avons besoin de tout faire pour lutter contre le chômage. Et, à nos yeux, un accord commercial doit être inspiré, notamment et je dirais même principalement, de cette préoccupation.
Négociation multilatérale et équilibrée
- En troisième lieu, nous sommes favorables à une négociation qui soit multilatérale et qui soit équilibrée. Ce sont des mots et des formules qui ont un contenu. Multilatéral, cela veut dire qu'il ne faut pas que la négociation se résume à un dialogue euro-américain, et pas davantage qu'elle se résume à une discussion sur les problèmes agricoles. Equilibré, cela veut dire que tous les sujets doivent être traités : il y en a une quinzaine qui sont sur la table et il faut faire en sorte qu'ils soient tous traités de façon équitable et globale, et non pas au jour le jour ou à la semaine.
Croissance
- Enfin, quatrième principe. Je crois que cette négociation doit être pour l'Europe une occasion d'affirmer son identité et de s'ouvrir de nouvelles perspectives de croissance.
C'est le premier point de nos discussions, qui m'a permis de bien comprendre le point de vue de la Commission et des commissaires responsables. Et je pense que cette discussion leur a permis à eux-mêmes de bien connaître les intentions qui sont les nôtres.
Point des discussions Commission - USA - Japon
Quoi qu'il en soit, il a été clairement indiqué qu'un Conseil des ministres se tiendrait le 2 juillet, avant justement le Sommet du G7, pour que tous les pays membres de la Communauté aient connaissance des discussions qui se seront déroulées d'ici là entre l'Europe, les Etats-Unis et le Japon.
Je ne crois pas qu'il soit utile que j'en dise davantage sur ce premier point.
Politique économique et monétaire - rétablissement des équilibres financiers
Sur le second, qui est le problème économique et monétaire, nous pensons qu'en effet il faut que les pays européens s'attachent les uns et les autres à remettre de l'ordre dans leurs propres affaires. C'est ce que nous tentons nous-mêmes en France où les équilibres financiers ont été remis en cause, pour des tas de raisons dont évidemment le ralentissement de la croissance est peut-être la plus importante.
La France prend sa part - et prend toute sa part - de cet effort de redressement des équilibres financiers qui sont indispensables dans l'intérêt des pays eux-mêmes d'ailleurs. Il ne s'agit pas de sacrifier à je ne sais quel mythe qui serait inscrit dans un traité au respect duquel nous nous soumettrions inconditionnellement, même si ce n'était pas conforme à nos intérêts. C'est le contraire qui est vrai.
Intérêt de la France et de la CE
Nous avons intérêt les uns et les autres - et la France a intérêt - à ce que ces équilibres financiers soient rétablis. Et c'est ce qui inspire à la fois le nouveau statut de la Banque de France dont le Parlement délibère en ce moment et le projet de loi quinquennale sur la réduction des déficits que je transmettrai au Président Delors dans les heures qui viennent - d'ailleurs je confesse que je croyais qu'il l'avait déjà.
Projet français pour la stabilité en Europe - principes fondamentaux
Enfin, troisièmement, toujours cette même recherche, cette même affirmation de l'identité de l'Europe a conduit le gouvernement français à soumettre à ses partenaires aujourd'hui - puisque j'ai remis au Président Delors le texte comme je l'ai fait auprès de M. Dehaene, le Premier ministre de Belgique - une initiative en matière de sécurité de l'Europe.
Il s'agit pour nous de voir la Communauté là aussi affirmer son rôle, en débattant d'abord en son sein des principes auxquels la sécurité de notre continent devrait être soumise, ce qui pose trois questions :
- le problème des frontières et de leur inviolabilité,
- le problème des minorités et de leur garantie,
- le concours que la Communauté, par des mesures d'incitation ou d'accompagnement, peut accorder à ces
objectifs.
Conseil européen de Copenhague - PESC
Il est souhaité par la France - et je crois que c'est également le souhait du Président Delors - qu'il y ait un premier exposé, une première prise de contacts sur ce sujet lors de la prochaine réunion de Copenhague. J'en parlerai d'ailleurs ce soir avec le Premier ministre du Danemark, M. Rasmussen, qui est président en exercice de la Communauté et qui vient me voir à Paris en fin d'après-midi.
Après quoi, nous souhaitons que la Communauté affirme son rôle et qu'elle se livre - si je puis dire - à une première démonstration de sa volonté inscrite dans le traité d'Union européenne d'exister davantage sur le plan de la politique étrangère, que la Communauté s'attache à promouvoir cette idée.
Initiative des Douze en liaison avec les USA et le Canada
Il est bien vrai que le paysage européen est très compliqué, que les institutions si elles sont multiples parfois se croisent et qu'il y aura sans doute un effort de simplification, de clarification à faire. Mais l'objectif, il est clair : c'est que les Douze, en liaison avec les autres pays européens et avec les Etats-Unis et le Canada, aient un rôle d'initiative pour organiser mieux la sécurité et la stabilité du continent européen.
Voilà, Mesdames et Messieurs, les quelques explications générales que je voulais vous donner. Je suis à votre disposition, pour quelques minutes seulement - je vous demande de bien vouloir me le pardonner - pour répondre à telle ou telle des questions que vous pourriez avoir à me poser.
Volet agricole du GATT
Q - Monsieur le Premier ministre, je voudrais vous poser une question sur les problèmes commerciaux. En dépit du souhait de la France de parvenir à un accord multilatéral et global, il semble que l'obstacle principal pour aller de l'avant demeure l'obstacle agricole. Est-ce que vos conversations de ce matin vous ont permis de croire d'abord que la Commission et ensuite nos partenaires dans la Communauté seraient disposés à réouvrir cet arrangement de Blair House que vous n'acceptez pas dans sa forme actuelle ?
R - Je ne pense pas que l'on puisse dire que l'obstacle essentiel est l'obstacle agricole et tout l'effort du gouvernement français depuis que je le dirige est au contraire de faire en sorte qu'on cesse de dire de par le monde - avec plus ou moins de bonne foi d'ailleurs - que ce sont quelques centaines de milliers d'agriculteurs français qui empêchent la prospérité du reste du monde qui ne manquerait pas de survenir aussi automatiquement si on signait un accord sur le GATT. Nous avons pris sur le plan national un certain nombre de mesures en faveur de l'agriculture. D'autre part, la Communauté a bien voulu prendre conscience de son côté des problèmes que posait l'application de la PAC et elle a bien voulu procéder à un certain nombre d'adaptations, il y a une dizaine de jours.
Accord français sur les oléagineux dissocié du reste de l'accord de Blair House
Enfin, nous avons décidé, avant-hier, d'approuver l'accord sur les oléagineux mais qu'il soit bien précisé que c'était en demandant et en obtenant un certain nombre de garanties et en précisant bien qu'à nos yeux cela excluait l'accord sur le corn gluten feed et que cela ne voulait en rien dire que nous acceptions l'accord de Blair House sur l'agriculture si tant est que ce soit un accord ou un pré-accord, puisque je crois qu'on a le plus grand mal à s'en procurer le texte exact.
Pas d'accord autre que global
J'ai précisé devant le Collège des commissaires quelle était la position de notre pays, reprenant d'ailleurs par là les déclarations multiples du gouvernement français depuis quelques jours. Alors votre question consiste finalement à me dire : "Est-ce qu'en prenant cette position vous ne rendez pas plus difficile la conclusion d'un accord sur les quatorze autres sujets puisqu'il y en a quinze". Je suppose que c'était le sens de votre question, Monsieur ?
Q - Pas exactement, Monsieur le Premier ministre. Le sens de ma question est plutôt de savoir comment la Commission a accueilli vos demandes, votre propos. Et à votre avis de quelle manière nos partenaires au sein de la Communauté, puis ensuite les Etats-Unis vont accueillir cette demande de réouvrir cette négociation agricole. En d'autres termes, est-ce que vous pensez qu'une évolution possible sur ce dossier agricole est vraisemblable ?
R - Je le crois possible et puisque c'est possible cela doit être vraisemblable. En tout cas, notre position est très claire. Nous sommes pour un accord global et nous n'acceptons aucun accord partiel sur aucun sujet tant que nous n'avons pas les résultats de la négociation globale. Je ne voudrais pas commettre d'indiscrétion
mais c'est ce qui a permis à l'un des commissaires de dire qu'il n'y aurait d'accord sur rien tant qu'il n'y aurait pas d'accord sur tout. C'est exactement la position du gouvernement français. Or, sur tout, cela veut dire sur tout y compris l'agriculture. Eh bien, C'est tout ce que je peux vous répondre. Mais nous souhaitons que l'on aboutisse à un accord, bien entendu.
France - UEM
Q - J'ai une question pour M. le Premier ministre et pour le Président de la Commission. Monsieur le Premier ministre, vous avez mentionné les discussions que vous avez eues sur l'Union monétaire. Hier à Londres, au Parlement britannique, M. Major a dit que le timetable pour l'Union monétaire - certainement 1997 et aussi selon lui 1999 - en réalité est mort. Est-ce-que vous acceptez cette perspective pessimiste du Premier ministre Major. Si non pourquoi pas ?
R - Ecoutez, le propre des traités est de fournir un cadre à l'évolution de l'histoire qui s'annonce. Parfois la réalité ne se conforme pas nécessairement à ce que l'on avait prévu. Il est bien évident que le traité sur l'Union européenne a été discuté et mis sur pied à une époque où les conditions économiques, financières et monétaires n'étaient pas celles d'aujourd'hui. Mais je vous signale que le gouvernement français - je le disais tout à l'heure - s'est doté ou est en train de se doter de deux moyens qui permettront pour ce qui le concerne de respecter le calendrier. Le premier, c'est l'autonomie de la Banque de France, le second c'est le projet de loi quinquennale sur le retour progressif à une gestion budgétaire plus équilibrée, puisque nous avons fixé comme perspective de réduire notre déficit à 2,5 % du PIB en 1997. Voilà ce que sont les intentions du gouvernement français et je n'ai pas de commentaires à faire sur ce qu'a déclaré l'un de nos partenaires au sein de la Communauté.
Emploi en Europe
Q - Monsieur le Premier ministre, vous avez souvent expliqué que le monde avait besoin du GATT mais que l'Europe avait besoin d'emplois. Est-ce que la Commission vous a paru attentive au problème de l'emploi en Europe, à la montée du chômage ? Est-ce qu'elle est prête à modifier certaines règles du jeu en matière de commerce international et d'ouverture de ses frontières ?
R - J'ai exposé, en effet, à la Commission ce qu'étaient les préoccupations du gouvernement français qui sont toutes entières fondées sur la nécessité de retrouver une croissance plus forte et de lutter contre la dégradation de la situation de l'emploi et de l'accroissement du chômage qui est le fait à la fois d'une activité trop faible et de mouvements de délocalisation qui pourraient, s'ils se poursuivaient à ce rythme, être dangereux. J'ai trouvé effectivement la Commission tout à fait sensible à ces préoccupations. Comment aurait-elle pu ne pas l'être ?
CE - accord global
Mais nous avons surtout insisté, je le répète, dans la partie commerciale de notre discussion, sur les principes et les méthodes qui devaient inspirer la négociation - je dois dire et je le répète car cela me paraît important - qu'il a été bien dit par le commissaire compétent que tant qu'il n'y aurait pas d'accord sur tout, il n'y aurait d'accord sur rien. Sur ce principe, il y a je crois, n'est ce pas Monsieur le Président, un accord total entre la Commission et le gouvernement français que je représente aujourd'hui.
Q - Monsieur le Premier ministre, est-ce que je vous ai bien compris ? Le problème du gouvernement français, avec l'accord de Blair House, n'est pas tellement le contenu de cet accord ou pré-accord mais est le fait , comme vous venez de le dire, qu'il y a seulement sur un des quinze sujets un pré-accord. Est ce que si, dans les prochains mois, il y avait un accord sur les autres sujets, le gouvernement pourrait souscrire au contenu de l'accord de Blair House ?
Pas de concessions françaises sur l'accord de Blair House
R - Non, Monsieur, j'ai le regret de vous dire - et c'est probablement de ma faute, j'ai dû mal m'exprimer - que vous m'avez mal compris.
Ce pré-accord de Blair House ne nous satisfait pas et nous ne l'acceptons pas. Et nous ne sommes pas décidés à entrer dans une discussion où on nous demanderait d'accepter d'un côté ce qui nous semble inacceptable pour, de l'autre, nous voir faire des concessions dans un autre domaine. C'est une affaire qui, pour nous, est importante à la fois sur le plan du contenu et de la méthode. Je crois que la Commission et le Président Delors en sont tout à fait conscients et je m'en réjouis beaucoup. Je suis un peu préoccupé que vous puissiez me poser cette question car je croyais avoir été clair. Mais, je le répète encore une fois, l'accord de Blair House ne nous satisfait ni quant au fond, ni quant à son contenu.
USA - mémorandum français sur le GATT
Q - Monsieur le Premier ministre, vous êtes venu à Bruxelles exposer la position française devant la Commission. Comptez-vous en faire autant avec les Américains. Comptez-vous aller à Washington et si oui quand ?
R - Il se trouve que le Président Clinton m'a hier invité à aller le voir mardi prochain. Bien entendu, c'est avec plaisir que je me rendrai à cette invitation et que je verrai le Président des Etats-Unis mardi prochain si la chose est confirmée.
France - GATT - concurrence loyale dans l'intérêt de la CE
Qu'il n'y ait pas d'équivoque sur l'attitude du gouvernement français, nous sommes partisans de la conclusion de l'accord sur le GATT. Nous souhaitons que le commerce mondial puisse s'épanouir, mais nous considérons que cela ne peut pas se faire à n'importe quelle condition et en oubliant que la Communauté est le marché du monde le plus ouvert et le moins protégé. Ne nous plaignons pas mais que les autres fassent un effort comparable. C'est cela qui me parait important. Et que tout le monde soit soumis aux mêmes règles du jeu. Nous ne demandons aucun privilège. Nous ne demandons aucune protection. Nous demandons simplement un minimum d'équité car nous avons aussi à défendre les intérêts des Européens. En prenant la position qu'il prend, le gouvernement français a le sentiment de ne pas se borner à défendre les intérêts des entreprises européennes qu'elles soient commerciales, agricoles, industrielles ou financières. Il a le sentiment - j'espère qu'il n'est pas présomptueux - de défendre aussi les intérêts de l'ensemble des entreprises européennes. C'est cela que nous devons tenter de faire comprendre à nos partenaires.
Défense commerciale européenne
Q - Vous dites dans vos déclarations que vous pensez que la Communauté européenne devrait avoir des mécanismes de défense qui seraient plus renforcés. Je voudrais savoir ce qu'en pense la Commission. Est-ce que c'est quelque chose que vous acceptez et quel genre de politique de défense renforcée voudriez-vous avoir ?
R - Avec l'autorisation du Président Delors qui veut bien accepter que je dise quelques mots avant qu'il ne réponde, je crois Madame, que ce n'est pas exactement cela la position du gouvernement français. Nous demandons à être traités sur un pied d'égalité. Si les autres ont des instruments de défense que nous n'avons pas, nous devons avoir les mêmes si nous ne les avons pas. Et nous ne les avons pas. Si en revanche, les autres veulent abandonner leurs instruments de défense, nous ne demandons pas à en avoir de nouveaux et de supplémentaires. Là aussi c'est un principe d'égalité, d'équité, de globalité et d'équilibre. Voilà exactement de qu'est la demande du gouvernement français.
Quand je disais tout à l'heure s'il m'est permis d'ajouter quelque chose, qu'il fallait que la négociation soit globale, c'est à cela aussi que je pensais. Il faut que tout soit mis sur la table et que tout soit traité et que tout soit résolu avant que l'on décide si l'on donne ou si l'on ne donne pas un accord.
Merci, Mesdames et Messieurs, de nous avoir écoutés.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 juillet 2004)