Texte intégral
Monsieur le Ministre, cher Günter,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
C'est un grand plaisir pour moi de vous accueillir ici, à l'occasion de la remise du 13ème prix franco-allemand de journalisme.
Je veux tout d'abord vous faire part des regrets d'Hubert Védrine, qui devait remettre ce prix mais que l'actualité à conduit à se rendre à Pristina aujourd'hui même. Je le supplée volontiers, aux côtés de mon collègue et ami Günter Verheugen.
Avant de saluer les lauréats de cette année, qui me semblent constituer un "cru" particulièrement remarquable, je voudrais saisir l'occasion qui m'est donnée de dire quelques mots de la relation franco-allemande, dont vous êtes tous, à un titre ou à un autre, des acteurs et des promoteurs convaincus et efficaces.
La relation entre nos deux pays connaît depuis plusieurs années une phase importante et délicate, qu'il appartient à nos gouvernements d'aborder avec soin mais aussi, et c'est tout le sens de manifestations telles que celle qui nous réunit ce soir, que les acteurs de nos sociétés civiles doivent animer avec toujours plus de ferveur et d'imagination.
La période est importante à la fois parce que l'Europe va faire face, au cours des années à venir, au défi de son élargissement à l'ensemble du continent et de sa transformation d'un espace économique et financier unique en un véritable espace politique et citoyen et, d'autre part, parce que les données propres à chacun de nos deux pays ont sans doute plus évolué au cours de la décennie qui s'achève qu'elles ne l'avaient fait depuis la dernière guerre.
Il ne s'agit ni de méconnaître ces évolutions, ni de verser dans une nostalgie hors de propos, mais, au contraire, d'analyser avec lucidité ces transformations, ensemble, afin de donner à la relation franco-allemande toute sa pertinence face aux défis du siècle nouveau.
Oui, les données de la relation franco-allemande ont changé et les Français éprouvent peut-être quelque difficulté à tourner la page. Oui, l'Allemagne a changé. La réunification, la nouvelle dimension économique du pays, le déplacement de son centre de gravité vers l'est et, l'année dernière, l'alternance politique et l'arrivée des nouvelles générations à la tête du gouvernement fédéral ont modifié le paysage.
Les dirigeants allemands sont parfaitement légitimés, alors qu'ils s'apprêtent à rejoindre cette grande métropole allemande et européenne, ce lieu d'histoire et de culture qu'est Berlin, à considérer que les rapports entre nos deux pays ne peuvent plus reposer uniquement et automatiquement sur le désir de dépasser ensemble les fractures de l'Histoire.
De la même façon, la place du "couple" franco-allemand au sein de l'Europe a évolué et évoluera encore. Son poids respectif au sein de l'Union diminuera au fur et à mesure des prochains élargissements, en même temps que ceux-ci replaceront l'Allemagne au coeur géographique de l'Europe.
Dans ce contexte, quel peut être l'avenir de la France et de l'Allemagne, ensemble, en Europe ?
En premier lieu, il nous faut rejeter toute nostalgie d'un "bon vieux temps" des relations franco-allemandes des années 70 ou 80, qui non seulement ne peut pas nous faire progresser, mais qui, surtout, revient à travestir une histoire qui a certes été riche en avancées décisives mais qui n'a jamais été exempte de moments de tensions ou d'affrontements.
Dès lors, il revient à chaque partenaire de moderniser sa vision de l'autre afin, ensemble, de refonder notre relation. A nous, d'abord, de voir et d'accepter l'Allemagne telle qu'elle est aujourd'hui, plus jeune, plus ambitieuse. A nous de ne plus considérer que le poids de l'histoire nous donne un crédit perpétuel sur l'Allemagne d'aujourd'hui et, a fortiori, de demain.
A nos amis allemands, de leur côté, de considérer les profondes évolutions économiques et sociales qu'a connues notre pays depuis quinze ans, la modernisation de ses structures, qui en font aujourd'hui un moteur de la croissance européenne, loin des caricatures qui peuvent encore persister, ici ou là, sur un prétendu archaïsme français.
Que les nostalgiques me pardonnent, mais j'ai la conviction que, si nous prenons conscience de ces mutations, il sera plus facile d'avancer vers l'Europe de la croissance, vers l'Europe de la citoyenneté et des libertés, vers un élargissement à l'Est réussi et maîtrisé, avec les dirigeants d'aujourd'hui plutôt qu'avec ceux d'hier.
Nous avons commencé de le démontrer pendant la présidence allemande de l'Union européenne, qui s'achève dans quelques jours. Dans un contexte difficile, alors que la nouvelle majorité allemande venait d'arriver aux responsabilités, le travail accompli a été remarquable, du succès de la difficile négociation de l'Agenda 2000 jusqu'aux chantiers ouverts lors du Conseil européen de Cologne. Je tiens à en féliciter les autorités allemandes et, en particulier, à exprimer à nouveau toute ma reconnaissance à Günter, qui a été dans ces moments parfois délicats, un partenaire irremplaçable et auquel l'Europe doit beaucoup.
Mais pour avancer, la relation franco-allemande a besoin d'un effort permanent de la part de tous, et doit largement dépasser le seul cadre des relations officielles. Or, le décalage demeure entre l'intensité des relations officielles et une certaine indifférence au sein de chacun de nos deux peuples à l'égard de son voisin.
La manifestation d'aujourd'hui est donc une occasion heureuse de témoigner de la reconnaissance par les gouvernements français et allemand du rôle éminent que jouent les journalistes dans ce processus visant à rapprocher nos deux peuples, à leur permettre de mieux se comprendre, de mieux s'apprécier. Que ses organisateurs soient vivement remerciés.
(...)
Permettez-moi de conclure sur quelques impressions personnelles, tirées de mon expérience de partenaire engagé de nos amis allemands. Cette relation franco-allemande est unique et irremplacable pour faire l'Europe ; je le repète et nous en sommes tous conscients. Mais elle tire aussi sa personnalité intime des grandes questions qu'elle renvoie à chacun de nos peuples, sur le sens de l'Histoire et de l'identité face à un avenir à construire ensemble. De nos liens, le grand public ne retient souvent qu'une dramaturgie, dont les journalistes et les décideurs politiques sont en partie responsables, par exemple lors des sommets bilatéraux. Cette perception occulte la chair qui donne corps à notre relation. Les grands professionnels que nous honorons aujourd'hui ont contribué à incarner nos liens vivants. Tel est la valeur profonde, à mes yeux, de cette initiative qui illustre la force de notre destin européen.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 juin 1999)