Interviews de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à France Inter et à l'émission Soir 3 sur France 3 le 13 mars 2002, sur la résolution 1397 de l'Onu adoptée à l'initiative des Américains sur la question du Proche-Orient.

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Média : France 3 - France Inter - Télévision

Texte intégral

(Interview à France Inter à Paris, le 13 mars 2002) :
Q - (Sur la résolution 1397)
R - Elle très importante parce que la proposition adoptée émane des Etats-Unis. Or, ces derniers mois, les Etats-Unis s'opposaient systématiquement à ce que le Conseil de sécurité soit saisi de la question du Proche-Orient, même sur des textes anodins. Il est donc très important que cela vienne d'eux.
Deuxièmement, c'est très important parce que le contenu est bon puisqu'il se réfère à un Etat de Palestine vivant en paix et en sécurité à côté de l'Etat d'Israël. Ce texte important, qui était inattendu, qui confirme je crois un infléchissement de la politique américaine qui était très souhaité, très attendu, nous donne une base de travail pour essayer de sortir le Proche-Orient de la tragédie dans lequel il est en train de s'enfoncer
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 mars 2002)
(Interview à Soir 3 sur France 3 à Paris, le 13 mars 2002) :
Q - Bonsoir, la résolution votée la nuit dernière, à l'initiative des Américains, est-elle, selon vous, un revirement de la politique américaine à l'égard d'Israël ?
R - J'espère que c'est un infléchissement, en tout cas, un changement, non pas par rapport à Israël mais par rapport à la façon de traiter le problème israélo-palestinien et donc par rapport à la paix.
Il y a longtemps que les Etats-Unis bloquaient toute initiative au Conseil de sécurité car ils ne voulaient pas que le Conseil devienne un lieu à partir duquel on traitait le Proche-Orient. D'autre part, le texte de la résolution est très important parce qu'il comporte l'idée d'Etat de Palestine, que le président Bush avait exprimée une fois, en novembre dernier. Mais il avait toujours refusé que ce soit dans une résolution du Conseil de sécurité, c'est donc très important.
Je rappelle que, pour la France, c'est une position qui date de mars 1982 et pour les Européens, une position datée de 1999.
Q - Dans, le passé, d'autres résolutions n'ont jamais été suivies d'effets ; celle-ci se traduira-t-elle dans les faits ?
R - A partir du moment où les Américains, à travers ce vote, montrent un changement dans la façon de traiter le conflit du Proche-Orient dans sa phase actuelle, nous pouvons espérer pouvoir commencer à travailler sur des bases plus solides. Cela permet notamment aux Européens et aux Américains de travailler ensemble, dans la même direction. Et comme cela coïncide avec deux ou trois décisions ou déclarations de la part de M. Sharon, qui sont encore insuffisantes pour parler d'un vrai changement mais qui montrent également un infléchissement, on peut espérer que les choses sont en train de bouger.
Q - Aujourd'hui il y a une situation d'une extrême violence. Qui porte la responsabilité de ce bain de sang selon vous ?
R - Ce n'est pas le problème, je ne suis pas un juge. Nous ne sommes pas en train de faire un colloque d'historiens, nous sommes dans l'action, à chaud. Ce qui est important pour nous est de savoir ce que nous devons faire. Que peut-on faire pour en sortir ?
Il ne faut donc pas demander la même chose aux deux parties car elles ne sont pas dans la même situation. Il faut demander aux Israéliens et aux Palestiniens des choses qu'ils peuvent faire, par rapport à leurs responsabilités d'aujourd'hui. Il est donc très important que le gouvernement israélien accepte l'idée qu'il faut rechercher une solution politique avec la même énergie qu'il met à lutter contre le terrorisme. Et, ensuite, il y a des choses à demander aux Palestiniens bien entendu, pour que le processus de négociations n'avorte pas aussitôt, à peine aurait-il recommencé.
Mais, nous n'en sommes pas là, il faut relancer un processus de négociations complètement abandonné depuis un an ; la volonté de traiter le problème uniquement par la répression a échoué. C'est manifeste. Aujourd'hui, il ne faut pas attendre qu'une sécurité illusoire soit complètement rétablie avant de recommencer à parler. C'est l'urgence d'aujourd'hui.
Q - La France et l'Europe ne sont-elles pas condamnées à regarder ces initiatives américaines de loin ?
R - Pas du tout, c'est plutôt l'inverse. Ces derniers temps, ce sont plutôt des idées européennes qui ont contribuées à faire bouger les choses, des idées françaises même et quelques autres idées européennes précisément concernant la solution politique qui avait été abandonnée. Alors que les Américains campaient sur une position tout à fait différente en disant qu'il fallait la sécurité préalable d'abord avant de parler d'autres choses.
Dans la résolution de cette nuit, ils ne parlent pas simplement de la mise en uvre des conclusions de la Commission Mitchell et du rapport Tenet mais ils disent qu'elles doivent déboucher sur la relance d'une négociation politique. Des idées saoudiennes ont également contribué à faire évoluer les choses. Beaucoup d'idées sont venues d'ailleurs, et je crois que, pour la suite, il faut une conjonction d'idées. Mais, les Européens ne peuvent pas régler le problème seuls et de toute façon, c'est un problème israélo-palestinien, c'est donc aux Israéliens d'accepter de recommencer à parler et aux deux parties, d'avancer ensemble dans la négociation. S'ils le font à nouveau, le monde entier les aidera, Américains, Européens, le monde arabe dont j'espère qu'il soutiendra à fond la proposition saoudienne.
Espérons, agissons.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 mars 2002)