Interview de M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, à Europe 1 le 3 juin 2002, sur le climat politique à la veille des élections législatives, la droite et la constitution de l'UMP (Union pour la majorité présidentielle) et les stratégies notamment face au Front national.

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Circonstance : Elections législatives les 9 et 16 juin 2002. Election présidentielle les 21 avril et 5 mai 2002

Média : Europe 1

Texte intégral

A. Chabot Dans une semaine, on commentera les résultats du premier tour des élections législatives. Vous êtes confiant, vous allez gagner ces élections ?
- "Je pense que les Français devraient être cohérents. Et comme ils ont donné une très large victoire à J. Chirac, ils devraient lui donner normalement les moyens d'accomplir sa politique."
Sauf que le deuxième tour était quand même assez exceptionnel. Il n'y pas 82 % des Français qui ont voté pour J. Chirac, ils ont voté pour celui qui incarnait effectivement les valeurs républicaines contre J.-M. Le Pen.
- "Naturellement, et c'est quand même une marque de confiance pour faire fonctionner la République et la protéger."
On a quand même l'impression qu'on est dans le climat qui précédait aussi le premier tour de l'élection présidentielle : une campagne morne, avec beaucoup d'interrogations, parce qu'il y a énormément de candidats à droite comme à gauche. Est-ce qu'on ne risque pas aussi d'avoir une surprise dimanche prochain ?
- "Il y a deux phénomènes. Premièrement, il me semble que les Français ont le sentiment que la bataille principale a eu lieu, s'est achevée par la victoire de J. Chirac et d'une certaine manière, ils anticipent ce qui va se passer, et ils considèrent qu'il doit avoir les moyens de gouverner parce qu'à six semaines ils n'entendent pas se déjuger, ils sont cohérents. Et d'autre part, il y a le phénomène du financement de la vie politique, qui est sans doute une loi un peu imparfaite, qui multiplie les candidatures pour des raisons parfois légitimes, quand il s'agit d'expression politique, mais aussi parfois à caractère commercial pur et simple, pour certains petits candidats."
Mais le risque d'éparpillement peut vous coûter cher ?
- "Je pense qu'il devrait coûter plus cher à la gauche qu'à nous, car elle est davantage divisée. Nous avons su quand même construire l'Union pour la majorité présidentielle. Et elle a en soi une dynamique qui devrait rassembler."
Il n'y aura pas de surprise du Front national, selon vous ?
- "Je ne fais plus de pronostics sur le Front national. Je n'avais pas vu arriver le premier tour de l'élection présidentielle, donc je suis modeste."
Pour que les choses soient claires avec le FN, dans le cas où il y aurait un duel entre un candidat du FN et un candidat de gauche pour le second tour, on fait quoi ?
- "Tout pour que le FN soit battu. Cela dit, j'attends la même chose de la gauche. Parce que je constate que la gauche nous interpelle constamment, en nous demandant ce qu'on fera précisément. Mais elle, qu'est-ce qu'elle fera aussi dans ce cas là ?"
Oui, mais si chacun dit : "J'attends de l'autre qu'il réponde à la question", on n'est pas sorti !
- "Non, nous sommes très clairs..."
Vous appellerez à voter pour le candidat de gauche contre celui du FN ?
- "Nous ferons tout pour battre le FN."
Et en cas de triangulaires, lorsque votre candidat sera arrivé troisième et qu'il y a un risque d'élection du FN, il se retirera ou pas ?
- "Nous apprécierons naturellement au cas par cas. Mais si le maintien de notre candidat pouvait avoir pour effet de favoriser le FN, nous en tirerions toutes les conséquences."
Et tous ceux qui essaieraient de passer des accords plus ou moins clandestins seront condamnés ?
- "Seront condamnés !"
Vraiment condamnés ?
- "Oui, condamnés publiquement, sans failles."
Vous disiez "qu'il faut que les Français soient cohérents avec le second tour de l'élection présidentielle", vous faites campagne contre la cohabitation. Mais au fond, on a l'impression que les Français n'auront jamais eu ce grand débat gauche-droite, programme contre programme, qu'ils ont été privés de ce débat...
- "Si, d'abord il a eu lieu au moment des élections présidentielles. Et au premier tour, à la fois, le bilan et le projet de L. Jospin ont été désavoués..."
Il n'y a pas eu une forte avance pour celui de J. Chirac...
- "Sans doute. Mais c'est la loi de l'élection. Sans doute l'écart n'était pas si important que ça. Mais il y avait quand même un écart significatif, parce que le score de Jospin était assez mince, et son projet a été pulvérisé. Donc, je comprends qu'aujourd'hui, la gauche dans cette campagne n'ait plus de projet."
Donc, quand on a 20 % à peu près, comme J. Chirac au premier tour, on peut dire "j'applique mon projet" ?
- "Mais il y a le deuxième tour. Et malgré tout, même si dans le deuxième tour, il y a un caractère "défense de la République" et des gens qui n'ont pas adhéré au projet de J. Chirac, il y en a aussi beaucoup qui, au deuxième tour, ont voté en adhérant à son projet."
Les socialistes disent qu'il n'est pas souhaitable au fond que vous ayez tous les pouvoirs, c'est-à-dire l'Elysée, Matignon, l'Assemblée, le Sénat et j'en passe. Et de plus, on pourrait ajouter même, constitution d'un parti unique, l'UMP. C'est vrai que ça fait beaucoup, non ?
- "Enfin, eux, ça ne les a pas dérangé pendant dix ans ! De 1981 à 1986, ils ont eu la majorité absolue dans tous les domaines ; et de 1988 à 1993, encore une deuxième fois. Donc, dix ans en tout, ça ne les a pas du tout troublés. Donc, quand c'est à nous que ça arrive pour une fois, depuis 20 ans... Nous avons eu deux ans de plénitude d'exercice des responsabilités, de 1995 à 1997, deux petites années dans ces dix dernières années, et cette fois-ci, ça va peut-être nous arriver. Il n'y a pas de scandale !".
Mais le parti unique, c'est vrai que ça fait peur, même à droite...
- "Ce n'est pas "un parti unique". C'est un grand parti. Il peut y avoir et il y a de la place pour d'autres formations à droite. Nous voulons nous rassembler. C'est extraordinaire d'ailleurs ce débat sur le grand mouvement de la droite. Parce que plusieurs formations ont décidé de se regrouper et de vivre ensemble. En quoi cela a-t-il une vocation hégémonique ?"
Oui, mais on a l'impression que c'est un peu militaire cette affaire. Donc, à chaque fois, on dit : on entre dedans, on se dissout, on renonce à tout, sinon...
- "Ce n'est pas "militaire", simplement nous sommes conscients que notre électorat, depuis 15 ans, réclame cela et que, jusqu'à maintenant, on s'est plutôt moqué de lui. Deuxièmement, on s'aperçoit bien que c'est entre les élections présidentielles et les élections législatives qu'on peut le faire. Après, on n'y arrivera pas : cela fait six semaines, ce n'est pas beaucoup, donc il faut aller à marche forcée."
Donc, il y aura des courants, une organisation démocratique, quand il se constituera ?
- "Bien entendu."
Après ces élections, le Gouvernement devra quand même gouverner. Quand on voit les médecins qui disent : "Consultations à 20 euros" avec une Journée morte demain, les restaurateurs qui disent : "On applique déjà la baisse de la TVA promise par J. Chirac". Si on ajoute toutes les promesses aussi de la campagne de J. Chirac, à commencer par les baisses d'impôts, vous allez pouvoir tenir face à tout ça ?
- "Je crois qu'on va arriver à tenir, bien que l'héritage socialiste ne soit pas très favorable..."
On fait toujours le coup de l'héritage ! Mais il y a des promesses aussi...
- "On fait le coup de l'héritage, mais enfin, c'est quand même vrai qu'ils nous ont laissés plutôt des déficits et des caisses vides, alors qu'ils ont eu la chance d'avoir une croissance exceptionnelle. Mais cette politique de baisse des charges sociales, d'un certain nombre d'impôts injustes, elle n'est pas destinée à récompenser ou à faire plaisir à telle ou telle catégorie sociale. Elle est destinée à relancer la machine économique, à la rendre plus compétitive et donc à produire de la croissance. Et je crois que nous allons réussir à financer ça, en relançant l'activité et en permettant..."
C'est le miracle de la croissance ?
- "La croissance existe quand même ! D'ailleurs, les socialistes en ont profité pourquoi nous on n'en profiterait pas..."
Ce n'est pas "une politique pour les privilégiés", comme disait L. Fabius hier ?
- "Non, c'est une politique d'attractivité sur le territoire national. Nous voulons que l'activité, la création d'emplois, se passe en France et non pas ailleurs, en Europe, comme l'a fait Renault par exemple, en installant sa holding en Hollande. L'Etat socialiste lui-même étant porté à considérer que son propre pays, avec son propre système fiscale, ne permet pas la compétitivité."
Vous êtes ministres des Libertés locales ; c'est une manière élégante de dire "décentralisation", j'imagine ?
- "La décentralisation, c'est une liberté naturellement. Il s'agit de redonner de l'énergie et une capacité d'initiative aux communes, qui sont proches des gens, aux départements, au régions..."
Cela veut dire un projet de loi pour vous, à l'automne ?
- "Cela veut dire une réforme constitutionnelle au mois d'octobre-novembre. Réforme institutionnelle importante, qui va leur donner des garanties à ces collectivités territoriales. Et cela veut dire aussi derrière, toute une série de mesures qui transfèrent des compétences au plus près des citoyens, afin que les gens qui ont un problème aient quelqu'un en face à qui ils puissent s'adresser, leur parler."
"La France d'en bas qui parlera à la France d'en haut" ... C'est agréable d'être appelé "monsieur le ministre" ?
- "Cela n'a vraiment aucune importance. En 1789, on a aboli les titres. Moi, je ne trouve aucun intérêt à les rétablir."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 juin 2002)