Texte intégral
F. Laborde Nous allons évoquer un projet qui fera date sans doute dans la vie des salariés et aussi dans celle des syndicats, puisqu'il s'agit de l'épargne salariale. Après la loi dite "Fabius" du 10 février 2001, quatre confédérations, sauf FO, ont signé, hier, un accord pour développer cette épargne qui ne concerne, aujourd'hui, qu'un salarié sur quatre. C'est une mini-révolution dans l'entreprise ?
- "Oui, l'épargne des salariés se développe. Mais elle se développe de manière inégalitaire. Elle se développe dans les grandes entreprises, mais pas du tout dans les petites et moyennes entreprises. L. Fabius a décidé de permettre une évolution de cette situation. Nous, les syndicats, nous disons que l'épargne des salariés est avant tout l'argent des salariés et donc cela nous intéresse. Nous allons tout simplement veiller à ce que cette épargne soit négociée du mieux possible, là où elle sera négociée. Nous allons veiller à ce qu'elle soit bien gérée. Nous allons dire à ceux qui gèrent au nom des salariés : "Attention, nous avons le souci de la sécurité pour les salariés". Et puis nous allons aller un peu plus loin et nous allons dire à ceux qui font des choix avec cette épargne d'affectation ou d'investissement, que nous n'avons pas envie qu'ils fassent n'importe quels choix. Nous souhaitons que les actionnaires et les investisseurs qui vont aller vers les entreprises ne regardent pas seulement la bonne gestion financière, la valorisation boursière mais aussi les pratiques sociales, la responsabilité sociale et environnementale des entreprises."
Rappelons quelques chiffres : la participation, qui est une forme d'épargne salariale, représente 6.200 francs en moyenne, avec des écarts très importants évidemment d'un salarié à l'autre. Cela représente parfois un douzième ou un treizième mois. Le plan d'épargne d'entreprise représente 90.000 francs en moyenne. C'est évidemment plus intéressant. Parlons d'abord des avantages très concrets pour le salarié. Est-ce que c'est une sorte d'augmentation de salaire déguisée ? Est-ce que c'est une sorte de retraite anticipée ? Comment pourriez-vous définir ceci de façon extrêmement simple et claire ?
- "C'est clair en tout cas pour les syndicats en question. Nous disons que l'épargne est en plus du salaire. Ce n'est évidemment pas un moyen de rabioter les niveaux d'augmentation des salaires. Nous restons sur l'augmentation des salaires d'une manière générale. A côté, et en plus de cela, il y a maintenant des possibilités d'élargir les revenus des salariés afin qu'ils aient d'autres moyens de rémunération que leur seul salaire. C'est la raison pour laquelle cela est tout à fait dans le champ d'intervention syndicale. Un champ nouveau bien sûr. Nous n'en avions pas l'habitude."
Vous n'aviez pas vocation à gérer des fonds financiers importants ?
- "Nous n'allons pas les gérer. Nous allons avoir l'oeil sur ceux qui les gèrent, sur la manière dont ils les gèrent et sur ce qu'ils font de l'épargne. Pour le salarié, c'est tout simplement un plus. C'est un plus individuel. Il garde sa liberté de choix, pour faire de cette épargne ce qu'il a envie d'en faire."
Justement, vous parlez de liberté de choix : dans certaines entreprises, l'épargne salariale est entièrement consacrée aux actions de l'entreprise. On a des tas d'exemples en tête, on ne va pas les citer. Les salariés sont absolument scotchés - si je puis dire - au cours de l'action de leur entreprise. Ils ont la peur au ventre, en priant pour que cela ne baisse pas.
- "Exactement. Et cela est un risque. Quand on est salarié d'une entreprise, qu'on a son emploi et son salaire dans une entreprise. Et si en plus l'avenir de l'épargne est conditionné à cette entreprise, vous voyez bien qu'il y a un risque. Cela fait justement partie des questions que nous poserons dans les négociations pour que l'épargne, même si elle est négociée dans une entreprise, puisse être investie et orientée dans d'autres secteurs de l'économie que la seule entreprise dont le salarié est issu."
Vous avez dit que vous alliez surveiller les fonds qui vont gérer ceci. Est-ce que cela veut dire que vous allez demander des critères sociaux ? Est-ce que vous allez demander des critères géographiques ? Est-ce que vous allez privilégier ou demander que ce soient des fonds franco-européens et non des fonds anglo-saxons ? Allez vous imposer des morales ou des fonds éthiques ?
- "La loi est française. Donc, dans l'immédiat, c'est vers des institutions qui gèrent l'argent français. Mais nous allons effectivement leur dire que pour qu'ils fassent leur choix d'investissements, il leur faut des critères sociaux, des critères qui vont définir si les entreprises se comportent bien à l'égard de leurs salariés, en matière de salaires, de conditions de travail, de formations, mais aussi sur le terrain de l'environnement - les risques industriels, la pollution par exemple, quand il s'agit de ces entreprises. Là, il faudra que ces institutions puissent avoir des références pour se faire une vraie idée sur la manière dont les entreprises se comportent. Ce sera aux actionnaires, réunis en assemblée générale, d'attirer l'attention des dirigeants des entreprises sur ces questions de responsabilités sociales. Finalement, il s'agit modestement d'un petit bout de la régulation de la mondialisation. Car ces entreprises, qui sont multinationales, investissent dans tous les coins de la planète. Vous voyez par exemple que les droits sociaux fondamentaux sont au coeur des critères qui devront être mis en avant. Nous avons donc là un nouveau moyen, un nouveau levier, pour faire accélérer la prise de responsabilité des entreprises partout dans le monde."
Cela veut dire aussi que la place du salarié évolue dans l'entreprise ? Parce que le salarié se trouve en même temps actionnaire. On a régulièrement des affaires où, pour plaire aux "actionnaires", on est obligé de sacrifier un peu sur la masse salariale. Il n'y a pas des risques de contradictions à l'intérieur de l'entreprise ou même dans la gestion syndicale, dans les rapports entre employeurs et employés ?
- "Je dirais que c'est justement le contraire. Aujourd'hui, le mélange des genres - être salarié et actionnaire en même temps - fait que le salarié est tout seul pour gérer cette dualité. A l'avenir, nous lui disons que dans l'entreprise, il y a l'action syndicale qui sait exactement ce qu'elle a à faire dans la relation avec le dirigeant. Par ailleurs, nous allons peser et infléchir, influencer aussi sur le champ des actionnaires, sur le champ des investisseurs, de manière tout à fait nette. Ce sont deux logiques qui ne s'opposent pas, mais qui ont vocation à produire des effets qui s'ajoutent l'un à l'autre."
Sur le plan financier, combien pèse l'épargne salariale ? On a une idée des sommes qui pourraient être gérées ou cogérées ?
- "On sait ce qui existe. Tout va dépendre maintenant de la manière dont cela va se développer. Pour le moment, il faut bien dire que la loi en est à ses balbutiements. L'annonce intersyndicale d'hier est aussi une occasion de faire accélérer le départ des négociations."
Je voudrais que l'on évoque la situation du Medef. On a beaucoup entendu ces derniers temps qu'il avance ses idées avant la campagne présidentielle. Est-ce que vous, à la CFDT, vous allez, non pas fabuliser un candidat, mais donner aussi un certain nombre de pistes de réflexions pour les candidats ou les interpeller directement ?
- "Bien sûr, ce n'est pas nouveau à la CFDT. Je dirais même que le Medef a la foi et le zèle des nouveaux convertis en la matière. Bien sûr, du point de vue des salariés, une série de questions concernant la Sécurité sociale, l'avenir des relations sociales dans les entreprises, va être au coeur et au centre du débat public. Nous avons, comme vous le savez, des propositions. Nous avons des demandes et des attentes. Par ce biais, nous allons les faire connaître. Nous allons interpeller les candidats. Bien évidemment, nous allons avoir l'oeil sur les orientations qui seront les leurs."
La CFDT préside la Cnam par le biais de J.-M. Spaeth. Le conflit continue en dépit des accords passés. Comment considérez-vous que le Gouvernement gère cette affaire ?
- "Pour l'heure, je crois qu'il faut regarder que dans ce contexte difficile, où les contentieux, les controverses, les contraintes étaient forts dans cette négociation, aujourd'hui, quelque soit l'appréciation des médecins - ils peuvent trouver que cela n'est pas assez ou que cela n'est déjà pas mal -, ils vont tous toucher du plus en matière de rémunération. Donc, l'accord apporte des choses concrètes en monnaie sonnante et trébuchante. Est-ce que l'accord, aujourd'hui, répond à tous les problèmes ? Non. C'est un point de départ qui appelle d'autres rendez-vous, qui appelle des suites, qui ont pour vocation d'assurer aussi des équilibres. Un équilibre entre bien sûr ce que les médecins souhaitent et les besoins des patients, pour une meilleure santé pour tous et un meilleur accès au soins pour tous. Là, il y a encore du travail à faire. Tout cela dans une bonne organisation du système de soins. Là aussi, il y a encore à faire."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 30 janvier 2002)
S. Paoli - Le capitalisme syndical commence-t-il d'exister ? Après que la CFDT, la CGT, la CFTC et la CGC se sont unis pour contrôler et orienter les fonds de l'épargne salariale, y aura-t-il bientôt un label accordé aux organismes orientant les capitaux vers les entreprises les plus vertueuses socialement ? L'affaire Enron, qui a ruiné nombre de retraités et de salariés américains, n'est-elle pas un accélérateur du principe des fonds labellisés ? Alors que le comité de l'intersyndicale pour l'épargne salariale va tenir aujourd'hui une conférence de presse, c'est une révolution madame : voilà donc des syndicats qui rentrent dans le champ des actionnaires ?
- "Une petite révolution, mais je dirais que c'est d'abord quelque chose qui intéresse les salariés. Se constituer une épargne, cela existe dans les grandes entreprises, un salarié sur quatre en bénéficie, ce qui veut dire que trois sur quatre n'en bénéficient pas. Et la loi Fabius permet justement la généralisation de l'accès à l'épargne salariale pour tous, petites et moyennes entreprises confondues, et permet surtout de négocier cette épargne pour les salariés en question. C'est cela aussi la petite révolution."
C'est bien ce que je dis: ce sont les syndicats qui accèdent à la gestion du capital.
- "Ce sont les syndicats qui s'occupent de tout ce qui concerne les salariés, qui sont désormais confrontés à des réalités nouvelles. Hier, les salariés avaient quasi pour unique rémunération, le salaire. C'est encore le cas pour beaucoup d'entre eux, mais dans beaucoup d'entreprises, il y a des compléments à cette rémunération par le travail. Il y a la participation, l'intéressement, il y a des plans d'épargne retraite qui existent dans les grandes entreprises. Ce sont des réalités dont on constate qu'elles sont un plus dans le pouvoir d'achat et la rémunération des salariés. Il faut donc s'en occuper, d'abord pour qu'elle soit bien gérée, d'abord pour qu'elle aille là où il est nécessaire qu'elle aille, et puis que cela n'accentue pas les inégalités entre les salariés des petites et des grandes entreprises."
Il y a eu débat au sein des syndicats. Par exemple, la CFDT était assez favorable au fait de contrôler directement cette épargne salariale et finalement, ce n'est pas tout à fait le système qui est mis en place ?
- "Nous allons la contrôler. Le débat que nous avons eu à la CFDT, et que nous avons écarté, c'était l'idée de savoir si, à l'image du Québec, il fallait que les syndicats - ce serait davantage utile au niveau européen que national d'ailleurs - constituent leur propre fonds d'épargne salariale soient donc directement gestionnaires des fonds. Ça, nous l'avons écarté tout simplement parce que la masse critique n'aurait pas été suffisante et qu'il y a aujourd'hui des opérateurs de gestion de cette épargne, avec lesquels il est sans doute plus utile de contrôler ce qu'ils font, de poser des conditions. Et c'est l'objet du comité qui se réunira tout à l'heure, qui consiste à faire connaître un cahier des charges à ces opérateurs de l'épargne. Pourquoi ? Nous voulons que cette épargne assure de bons services aux salariés, en termes de sécurité, en termes de rentabilité, mais nous voulons en plus que cette épargne, dans les choix d'investissements que ces opérateurs vont faire, aille vers des entreprises qui prennent en compte des pratiques sociales responsables, qui se préoccupent de la qualité de l'environnement."
Les fonds éthiques, le développement durable, l'environnement ?
- "Oui, voilà, exactement."
L'environnement aussi ?
- "Exactement, c'est l'idée que la performance d'une entreprise - en tout cas nous souhaitons que les actionnaires et les investisseurs portent cela - n'est pas seulement sa performance financière et boursière ; c'est aussi sa performance sociale, c'est aussi sa capacité à entretenir les compétences, les qualifications des salariés, on le sait. Bref, le choix de l'investissement social, nous le pensons, est également un ressort de la performance économique. Donc, il y a tout intérêt pour les entreprises aujourd'hui d'agir sur cet ensemble de tableaux et, à côté de l'action syndicale traditionnelle, que nous allons bien évidemment continuer à l'intérieur de l'entreprise, il y a là un moyen que les actionnaires, les investisseurs, effectivement du côté des choix d'investissements qu'ils font dans les entreprises, portent aussi cette préoccupation et fassent progresser, au cas où les entreprises n'en seraient pas encore complètement convaincues, cette idée que la responsabilité sociale et écologique fait partie intégrante de leurs responsabilités tout court."
Ce qui est intéressant c'est que cette concurrence, puisque vous allez mettre en concurrence, au fond, des organismes, pour prendre celui qui est le meilleur à vos yeux...
- "Bien sûr."
Cette concurrence est un outil de régulation d'un certain point de vue.
- "Oui, si vous voulez. Quatre syndicats en France, qui se tournent vers ces organismes pour leur dire : "Voilà nos conditions, vous les prenez, très bien, nous recommanderons à nos négociateurs d'orienter votre épargne chez vous. Vous ne les prenez pas, eh bien, écoutez tant pis ! Ce sera pour ceux qui vont davantage dans le sens de nos orientations". Autre avantage à cela. Vous parliez d'Enron tout à l'heure : vous voyez bien que l'enjeu, c'est lorsque l'épargne des salariés est réinvestie en actions dans sa propre entreprise, il y a un risque. Le risque est que le jour où ça va mal, non seulement on perd son emploi, mais en plus on perd son épargne. Donc, une des idées qui est mise en avant, c'est que cette épargne constituée dans une entreprise ou autour de plusieurs entreprises, aille vers des fonds qui soient extérieurs à l'entreprise."
Cette épargne est mobile ?
- "Des fonds interprofessionnels qui pourront diversifier les investissements dans plusieurs secteurs, dans plusieurs entreprises, de façon à sécuriser davantage cette épargne, autrement dit à diversifier les risques."
Mais c'est une épargne mondialisée, un peu comme l'ont d'ailleurs fait les Américains ? Est-ce que, je ne sais pas, travaillant dans une entreprise française, on va pouvoir épargner dans une entreprise allemande, américaine, japonaise ?
- "Bien évidemment, les opérateurs français aujourd'hui ne se limitent pas à investir dans les entreprises françaises : au minimum européennes évidemment et mondiales ensuite."
Comment cela va se passer ? Vous dites une petite révolution, mais je trouve que cela va plus loin que ça. Comment cela va-t-il se passer au sein même de l'entreprise ? Parce qu'il va falloir négocier, avec les patrons. Quand les patrons vont se rendre que, tout d'un coup, les syndicats, sur le capital même de l'entreprise, ont tout d'un coup un vrai bras de levier, comment allez-vous faire ?
- "Oui, ce n'est pas dans les grandes entreprises que ce sera le plus nouveau, je vous le dis, parce qu'il y a déjà dans ces grandes entreprises des plans d'épargne qui sont souvent déjà négociés avec les syndicats, mais avec des limites."
Mais c'est peu, cela ne fait pas beaucoup d'entreprises...
- "Un salarié sur quatre, cela veut dire que dans ces entreprises, très souvent, cette épargne est réinvestie dans la même entreprise. C'est là qu'il va peut-être y avoir un petit débat, puisque nous allons suggérer dans ces entreprises de renégocier cette épargne de telle manière que l'on assure davantage de sécurité, une diversification de l'investissement, pas seulement dans sa propre entreprise."
Mais il y a un petit côté refondation sociale, dans ce que vous décrivez. Je dis cela sans ironie, c'est parce que d'un seul coup, en effet, dans le fonctionnement même de l'entreprise, il y a de la cogestion aussi dans cette définition.
- "Il y a de la négociation. Vous dites qu'il y a de la refondation : en tout cas, il y a l'idée que, sur un certain nombre de questions nouvelles auxquelles les salariés sont confrontés, oui, nous avons l'intention de nous en occuper sérieusement du côté syndical, dans la confrontation avec le patronat. Et la petite révolution est aussi du côté syndical français. Que n'avons-nous entendu dire sur ce mouvement syndical français, infoutu de s'entendre, infoutu de coopérer, toujours prêt à se diviser, à être toujours en retard sur toutes les évolutions..."
Presque tous : Force ouvrière ne vous a pas suivi...
- "Oui. Après beaucoup de temps de réflexion et de débat bien sûr, car nous n'avons pas au départ forcément la même philosophie, sur l'appréciation qu'il convient de porter sur ces choses. Nous avons été capables d'aller vers ce qui pouvait être fait ensemble et là, nous allons en particulier interpeller les opérateurs financiers, créer ce comité intersyndical de l'épargne, qui suivra attentivement, régulièrement, la manière dont les choses se déroulent, la manière dont les opérateurs s'acquittent de leurs responsabilités et de leurs engagements. Et, je le redis : en particulier de la manière dont ils investissent dans les entreprises avec des critères d'investissements socialement responsables."
Vous qui allez partir bientôt, en mai prochain, vous quitterez le secrétariat général de la CFDT. Est-ce que prendre la tête d'un organisme européen qui gérerait cela, ça vous plairait, dans vos projets ?
- "Honnêtement, je ne me vois pas gestionnaire de fonds d'épargne ! Il y a plein de gens professionnels et compétents pour faire cela. Vous savez que je n'ai pas, à ce stade, encore de position et de propositions totalement arrêtées et définies sur ce que je ferai demain. J'y réfléchis, j'ai souhaité prendre mon temps. Je continue, mais le moment viendra où je serai capable de vous dire vers quoi je m'orienterai."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 février 2002)
Stéphanne Paoli. Le capitalisme syndical commence-t-il d'exister ? Après que la CFDT, la CGT, la CFTC et la CGC se sont unis pour contrôler et orienter les fonds de l'épargne salariale, y aura-t-il bientôt un label accordé aux organismes orientant les capitaux vers les entreprises les plus vertueuses socialement ? L'affaire Enron, qui a ruiné nombre de retraités et de salariés américains, n'est-elle pas un accélérateur du principe des fonds labellisés ? Alors que le comité de l'intersyndicale pour l'épargne salariale va tenir aujourd'hui une conférence de presse, l'invitée de " Questions directes " est , secrétaire générale de la CFDT, bonjour.
Nicole Notat. Bonjour.
C'est une révolution madame Notat, voilà donc des syndicats qui rentrent dans le champ des actionnaires.
Une petite révolution, mais je dirais que c'est d'abord quelque chose qui intéresse les salariés. Se constituer une épargne, ça existe dans les grandes entreprises, un salarié sur quatre en bénéficie, ce qui veut dire que trois sur quatre n'en bénéficient pas. Et la loi Fabius permet justement la généralisation de l'accès à l'épargne salariale pour tous, petites et moyennes entreprises confondues, et permet surtout de négocier cette épargne pour les salariés en question. Ça, c'est aussi une petite révolution.
C'est bien ce que je dis, ce sont les syndicats qui accèdent à la gestion du capital.
Ce sont les syndicats qui s'occupent de tout ce qui concerne les salariés, qui sont désormais confrontés à des réalités nouvelles. Hier, les salariés avaient quasi pour unique rémunération, le salaire, c'est encore le cas pour beaucoup d'entre eux, mais dans beaucoup d'entreprises, il y a des compléments à cette rémunération par le travail. Il y a, la participation, l'intéressement, il y a des plans d'épargne retraite qui existent dans les grandes entreprises. Eh bien, ce sont des réalités dont on constate qu'elles sont un plus dans le pouvoir d'achat et la rémunération des salariés, il faut donc s'en occuper d'abord pour qu'elle soit bien gérée, d'abord pour qu'elle aille là où il est nécessaire qu'elle aille, et puis que ça n'accentue pas les inégalités entre les salariés des petites et des grandes entreprises.
Il y a eu débat au sein des syndicats, vous, par exemple la CFDT, vous étiez assez favorable au fait de contrôler directement cette épargne salariale, et finalement ce n'est pas tout à fait le système qui est mis en place.
Nous allons la contrôler. Le débat que nous avons eu à la CFDT, et que nous avons écarté, c'était l'idée de savoir si, à l'image du Québec, il fallait que les syndicats, ce serait davantage utile au niveau européen que national d'ailleurs, constituent leur propre fonds d'épargne salariale, et donc soient directement gestionnaires des fonds. Ça, nous l'avons écarté tout simplement parce que la masse critique n'aurait pas été suffisante et qu'il y a aujourd'hui des opérateurs de gestion de cette épargne avec lesquels il est sans doute plus utile de contrôler ce qu'ils font, de poser des conditions. C'est l'objet du comité qui se réunira tout à l'heure, qui consiste à faire connaître un cahier des charges à ces opérateurs de l'épargne. Pourquoi ? Nous voulons que cette épargne assure de bons services aux salariés, en termes de sécurité, en termes de rentabilité, mais nous voulons en plus que cette épargne, dans les choix d'investissements que ces opérateurs vont faire, aille vers des entreprises qui prennent en compte des pratiques sociales responsables, qui se préoccupent de la qualité de l'environnement.
Les fonds éthiques, le développement durable, l'environnement ?
Oui, voilà, exactement.
L'environnement aussi ?
Exactement, c'est l'idée que la performance d'une entreprise, en tout cas nous souhaitons que les actionnaires et les investisseurs portent cela, la performance d'une entreprise ce n'est pas seulement sa performance financière et boursière, c'est aussi sa performance sociale, c'est aussi sa capacité à entretenir les compétences, les qualifications des salariés, on le sait. Bref, le choix de l'investissement social, nous le pensons, est également un ressort de la performance économique. Donc il y a tout intérêt pour les entreprises aujourd'hui, d'agir sur cet ensemble de tableaux. Et à côté de l'action syndicale traditionnelle, que nous allons bien évidemment continuer à mener à l'intérieur de l'entreprise, il y a là un moyen que les actionnaires, les investisseurs, effectivement du côté des choix d'investissements qu'ils font dans les entreprises, portent aussi cette préoccupation et fassent progresser au cas où les entreprises n'en seraient pas encore complètement convaincues, cette idée que la responsabilité sociale et écologique fait partie intégrante de leurs responsabilités tout court.
Ce qui est intéressant c'est que cette concurrence, puisque vous allez mettre en concurrence au fond des organismes pour prendre, à vos yeux, celui qui est le meilleur, celui qui
Bien sûr.
Cette concurrence, c'est un outil de régulation d'un certain point de vue aussi !
Oui, si vous voulez, quatre syndicats en France, qui se tournent vers ces organismes pour leur dire, voilà nos conditions, vous les prenez, très bien, nous recommanderons à nos négociateurs d'orienter votre épargne chez vous. Vous ne les prenez pas, eh bien écoutez tant pis ! Ce sera pour ceux qui vont davantage dans le sens de nos orientations. Autre avantage à ça. Vous parliez d'Enron tout à l'heure, vous voyez bien que l'enjeu là, c'est lorsque l'épargne des salariés est réinvestie en actions dans sa propre entreprise, il y a un risque, le risque que le jour où ça va mal, non seulement on perd son emploi, mais en plus on perd son épargne. Donc une des idées qui est mise en avant, là, c'est que cette épargne constituée dans une entreprise ou autour de plusieurs entreprises, aille vers des fonds qui soient extérieurs à l'entreprise.
Elle est mobile, cette épargne.
Des fonds interprofessionnels qui pourront diversifier les investissements dans plusieurs secteurs, dans plusieurs entreprises, de façon à sécuriser davantage cette épargne, autrement dit à diversifier les risques.
Mais c'est une épargne mondialisée, un peu comme l'ont fait d'ailleurs les Américains ? Est-ce que, je ne sais pas moi, travaillant dans une entreprise française on va pouvoir épargner dans une entreprise allemande, américaine, japonaise ?
Bien évidemment, les opérateurs français aujourd'hui ne se limitent pas à investir dans les entreprises françaises, au minimum européennes évidemment et mondiales ensuite.
Comment ça va se passer ? Parce que c'est quand même, alors vraiment, vous dites une petite révolution, moi je trouve que ça va plus loin que ça. Comment ça va se passer au sein même de l'entreprise ? Parce qu'il va falloir négocier, avec les patrons. Quand les patrons vont se rendre que, tout d'un coup, les syndicats sur le capital même de l'entreprise ont tout d'un coup un vrai bras de levier, comment vous allez faire ?
Oui, c'est pas dans les grandes entreprises que ce sera le plus nouveau, je vous le dis, parce qu'il y a déjà dans ces grandes entreprises des plans d'épargne qui sont souvent déjà négociés avec les syndicats, mais avec des limites.
Mais c'est peu hein ! Ça ne fait pas beaucoup d'entreprises quand même.
Un salarié sur quatre, ça veut dire que dans ces entreprises, très souvent, cette épargne est réinvestie dans la même entreprise. C'est là qu'il va peut-être y avoir un petit débat puisque nous allons suggérer dans ces entreprises de renégocier cette épargne de telle manière que l'on assure davantage de sécurité, une diversification de l'investissement, pas seulement dans sa propre entreprise.
Mais il y a un petit côté refondation sociale, là dans ce que vous décrivez. Je dis ça sans ironie, c'est parce que d'un seul coup en effet, le fonctionnement même de l'entreprise, il y a de la cogestion aussi dans cette définition que vous nous donnez là !
Il y a de la négociation, je crois que, vous dites il y a de la refondation, en tout cas il y a l'idée que, sur un certain nombre de questions nouvelles auxquelles les salariés sont confrontés, oui, nous avons l'intention de nous en occuper sérieusement du côté syndical, dans la confrontation avec le patronat. Et puis la petite révolution, elle est aussi du côté syndical français. Que n'avons-nous entendu dire sur ce mouvement syndical français, infoutu de s'entendre, infoutu de coopérer, toujours prêt à se diviser, à être toujours en retard sur toutes les évolutions, eh bien là
Presque tous, Force Ouvrière ne vous a pas suivi.
Oui. Après beaucoup de temps de réflexion et de débat bien sûr, car nous n'avons pas au départ forcément la même philosophie, sur l'appréciation qu'il convient de porter sur ces choses là, nous avons, je crois, été capables d'aller vers ce qui pouvait être fait ensemble et là, nous allons en particulier interpeller les opérateurs financiers, créer ce comité intersyndical de l'épargne, qui suivra attentivement régulièrement, eh bien la manière dont les choses se déroulent, la manière dont les opérateurs s'acquittent de leurs responsabilités et de leurs engagements, et je le redis, en particulier de la manière dont ils investissent dans les entreprises avec des critères d'investissements socialement responsables.
Et vous, madame Notat, vous qui allez partir bientôt, en mai prochain vous quitterez le secrétariat général de la CFDT, est-ce que prendre la tête, je ne sais pas moi, d'un organisme européen qui gérerait, ça vous plairait ça, dans vos projets ?
Honnêtement, je ne me vois pas gestionnaire de fonds d'épargne ! Il y a plein de gens professionnels et compétents pour faire cela, vous savez que je n'ai pas, à ce stade, encore de position et de propositions totalement arrêtées et définies sur ce que je ferai demain, j'ai réfléchi, j'ai souhaité prendre mon temps, je continue, mais le moment viendra où je serai capable de vous dire vers quoi je m'orienterai.n
(Source http://www.cfdt.fr, le 15 janvier 2003)
- "Oui, l'épargne des salariés se développe. Mais elle se développe de manière inégalitaire. Elle se développe dans les grandes entreprises, mais pas du tout dans les petites et moyennes entreprises. L. Fabius a décidé de permettre une évolution de cette situation. Nous, les syndicats, nous disons que l'épargne des salariés est avant tout l'argent des salariés et donc cela nous intéresse. Nous allons tout simplement veiller à ce que cette épargne soit négociée du mieux possible, là où elle sera négociée. Nous allons veiller à ce qu'elle soit bien gérée. Nous allons dire à ceux qui gèrent au nom des salariés : "Attention, nous avons le souci de la sécurité pour les salariés". Et puis nous allons aller un peu plus loin et nous allons dire à ceux qui font des choix avec cette épargne d'affectation ou d'investissement, que nous n'avons pas envie qu'ils fassent n'importe quels choix. Nous souhaitons que les actionnaires et les investisseurs qui vont aller vers les entreprises ne regardent pas seulement la bonne gestion financière, la valorisation boursière mais aussi les pratiques sociales, la responsabilité sociale et environnementale des entreprises."
Rappelons quelques chiffres : la participation, qui est une forme d'épargne salariale, représente 6.200 francs en moyenne, avec des écarts très importants évidemment d'un salarié à l'autre. Cela représente parfois un douzième ou un treizième mois. Le plan d'épargne d'entreprise représente 90.000 francs en moyenne. C'est évidemment plus intéressant. Parlons d'abord des avantages très concrets pour le salarié. Est-ce que c'est une sorte d'augmentation de salaire déguisée ? Est-ce que c'est une sorte de retraite anticipée ? Comment pourriez-vous définir ceci de façon extrêmement simple et claire ?
- "C'est clair en tout cas pour les syndicats en question. Nous disons que l'épargne est en plus du salaire. Ce n'est évidemment pas un moyen de rabioter les niveaux d'augmentation des salaires. Nous restons sur l'augmentation des salaires d'une manière générale. A côté, et en plus de cela, il y a maintenant des possibilités d'élargir les revenus des salariés afin qu'ils aient d'autres moyens de rémunération que leur seul salaire. C'est la raison pour laquelle cela est tout à fait dans le champ d'intervention syndicale. Un champ nouveau bien sûr. Nous n'en avions pas l'habitude."
Vous n'aviez pas vocation à gérer des fonds financiers importants ?
- "Nous n'allons pas les gérer. Nous allons avoir l'oeil sur ceux qui les gèrent, sur la manière dont ils les gèrent et sur ce qu'ils font de l'épargne. Pour le salarié, c'est tout simplement un plus. C'est un plus individuel. Il garde sa liberté de choix, pour faire de cette épargne ce qu'il a envie d'en faire."
Justement, vous parlez de liberté de choix : dans certaines entreprises, l'épargne salariale est entièrement consacrée aux actions de l'entreprise. On a des tas d'exemples en tête, on ne va pas les citer. Les salariés sont absolument scotchés - si je puis dire - au cours de l'action de leur entreprise. Ils ont la peur au ventre, en priant pour que cela ne baisse pas.
- "Exactement. Et cela est un risque. Quand on est salarié d'une entreprise, qu'on a son emploi et son salaire dans une entreprise. Et si en plus l'avenir de l'épargne est conditionné à cette entreprise, vous voyez bien qu'il y a un risque. Cela fait justement partie des questions que nous poserons dans les négociations pour que l'épargne, même si elle est négociée dans une entreprise, puisse être investie et orientée dans d'autres secteurs de l'économie que la seule entreprise dont le salarié est issu."
Vous avez dit que vous alliez surveiller les fonds qui vont gérer ceci. Est-ce que cela veut dire que vous allez demander des critères sociaux ? Est-ce que vous allez demander des critères géographiques ? Est-ce que vous allez privilégier ou demander que ce soient des fonds franco-européens et non des fonds anglo-saxons ? Allez vous imposer des morales ou des fonds éthiques ?
- "La loi est française. Donc, dans l'immédiat, c'est vers des institutions qui gèrent l'argent français. Mais nous allons effectivement leur dire que pour qu'ils fassent leur choix d'investissements, il leur faut des critères sociaux, des critères qui vont définir si les entreprises se comportent bien à l'égard de leurs salariés, en matière de salaires, de conditions de travail, de formations, mais aussi sur le terrain de l'environnement - les risques industriels, la pollution par exemple, quand il s'agit de ces entreprises. Là, il faudra que ces institutions puissent avoir des références pour se faire une vraie idée sur la manière dont les entreprises se comportent. Ce sera aux actionnaires, réunis en assemblée générale, d'attirer l'attention des dirigeants des entreprises sur ces questions de responsabilités sociales. Finalement, il s'agit modestement d'un petit bout de la régulation de la mondialisation. Car ces entreprises, qui sont multinationales, investissent dans tous les coins de la planète. Vous voyez par exemple que les droits sociaux fondamentaux sont au coeur des critères qui devront être mis en avant. Nous avons donc là un nouveau moyen, un nouveau levier, pour faire accélérer la prise de responsabilité des entreprises partout dans le monde."
Cela veut dire aussi que la place du salarié évolue dans l'entreprise ? Parce que le salarié se trouve en même temps actionnaire. On a régulièrement des affaires où, pour plaire aux "actionnaires", on est obligé de sacrifier un peu sur la masse salariale. Il n'y a pas des risques de contradictions à l'intérieur de l'entreprise ou même dans la gestion syndicale, dans les rapports entre employeurs et employés ?
- "Je dirais que c'est justement le contraire. Aujourd'hui, le mélange des genres - être salarié et actionnaire en même temps - fait que le salarié est tout seul pour gérer cette dualité. A l'avenir, nous lui disons que dans l'entreprise, il y a l'action syndicale qui sait exactement ce qu'elle a à faire dans la relation avec le dirigeant. Par ailleurs, nous allons peser et infléchir, influencer aussi sur le champ des actionnaires, sur le champ des investisseurs, de manière tout à fait nette. Ce sont deux logiques qui ne s'opposent pas, mais qui ont vocation à produire des effets qui s'ajoutent l'un à l'autre."
Sur le plan financier, combien pèse l'épargne salariale ? On a une idée des sommes qui pourraient être gérées ou cogérées ?
- "On sait ce qui existe. Tout va dépendre maintenant de la manière dont cela va se développer. Pour le moment, il faut bien dire que la loi en est à ses balbutiements. L'annonce intersyndicale d'hier est aussi une occasion de faire accélérer le départ des négociations."
Je voudrais que l'on évoque la situation du Medef. On a beaucoup entendu ces derniers temps qu'il avance ses idées avant la campagne présidentielle. Est-ce que vous, à la CFDT, vous allez, non pas fabuliser un candidat, mais donner aussi un certain nombre de pistes de réflexions pour les candidats ou les interpeller directement ?
- "Bien sûr, ce n'est pas nouveau à la CFDT. Je dirais même que le Medef a la foi et le zèle des nouveaux convertis en la matière. Bien sûr, du point de vue des salariés, une série de questions concernant la Sécurité sociale, l'avenir des relations sociales dans les entreprises, va être au coeur et au centre du débat public. Nous avons, comme vous le savez, des propositions. Nous avons des demandes et des attentes. Par ce biais, nous allons les faire connaître. Nous allons interpeller les candidats. Bien évidemment, nous allons avoir l'oeil sur les orientations qui seront les leurs."
La CFDT préside la Cnam par le biais de J.-M. Spaeth. Le conflit continue en dépit des accords passés. Comment considérez-vous que le Gouvernement gère cette affaire ?
- "Pour l'heure, je crois qu'il faut regarder que dans ce contexte difficile, où les contentieux, les controverses, les contraintes étaient forts dans cette négociation, aujourd'hui, quelque soit l'appréciation des médecins - ils peuvent trouver que cela n'est pas assez ou que cela n'est déjà pas mal -, ils vont tous toucher du plus en matière de rémunération. Donc, l'accord apporte des choses concrètes en monnaie sonnante et trébuchante. Est-ce que l'accord, aujourd'hui, répond à tous les problèmes ? Non. C'est un point de départ qui appelle d'autres rendez-vous, qui appelle des suites, qui ont pour vocation d'assurer aussi des équilibres. Un équilibre entre bien sûr ce que les médecins souhaitent et les besoins des patients, pour une meilleure santé pour tous et un meilleur accès au soins pour tous. Là, il y a encore du travail à faire. Tout cela dans une bonne organisation du système de soins. Là aussi, il y a encore à faire."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 30 janvier 2002)
S. Paoli - Le capitalisme syndical commence-t-il d'exister ? Après que la CFDT, la CGT, la CFTC et la CGC se sont unis pour contrôler et orienter les fonds de l'épargne salariale, y aura-t-il bientôt un label accordé aux organismes orientant les capitaux vers les entreprises les plus vertueuses socialement ? L'affaire Enron, qui a ruiné nombre de retraités et de salariés américains, n'est-elle pas un accélérateur du principe des fonds labellisés ? Alors que le comité de l'intersyndicale pour l'épargne salariale va tenir aujourd'hui une conférence de presse, c'est une révolution madame : voilà donc des syndicats qui rentrent dans le champ des actionnaires ?
- "Une petite révolution, mais je dirais que c'est d'abord quelque chose qui intéresse les salariés. Se constituer une épargne, cela existe dans les grandes entreprises, un salarié sur quatre en bénéficie, ce qui veut dire que trois sur quatre n'en bénéficient pas. Et la loi Fabius permet justement la généralisation de l'accès à l'épargne salariale pour tous, petites et moyennes entreprises confondues, et permet surtout de négocier cette épargne pour les salariés en question. C'est cela aussi la petite révolution."
C'est bien ce que je dis: ce sont les syndicats qui accèdent à la gestion du capital.
- "Ce sont les syndicats qui s'occupent de tout ce qui concerne les salariés, qui sont désormais confrontés à des réalités nouvelles. Hier, les salariés avaient quasi pour unique rémunération, le salaire. C'est encore le cas pour beaucoup d'entre eux, mais dans beaucoup d'entreprises, il y a des compléments à cette rémunération par le travail. Il y a la participation, l'intéressement, il y a des plans d'épargne retraite qui existent dans les grandes entreprises. Ce sont des réalités dont on constate qu'elles sont un plus dans le pouvoir d'achat et la rémunération des salariés. Il faut donc s'en occuper, d'abord pour qu'elle soit bien gérée, d'abord pour qu'elle aille là où il est nécessaire qu'elle aille, et puis que cela n'accentue pas les inégalités entre les salariés des petites et des grandes entreprises."
Il y a eu débat au sein des syndicats. Par exemple, la CFDT était assez favorable au fait de contrôler directement cette épargne salariale et finalement, ce n'est pas tout à fait le système qui est mis en place ?
- "Nous allons la contrôler. Le débat que nous avons eu à la CFDT, et que nous avons écarté, c'était l'idée de savoir si, à l'image du Québec, il fallait que les syndicats - ce serait davantage utile au niveau européen que national d'ailleurs - constituent leur propre fonds d'épargne salariale soient donc directement gestionnaires des fonds. Ça, nous l'avons écarté tout simplement parce que la masse critique n'aurait pas été suffisante et qu'il y a aujourd'hui des opérateurs de gestion de cette épargne, avec lesquels il est sans doute plus utile de contrôler ce qu'ils font, de poser des conditions. Et c'est l'objet du comité qui se réunira tout à l'heure, qui consiste à faire connaître un cahier des charges à ces opérateurs de l'épargne. Pourquoi ? Nous voulons que cette épargne assure de bons services aux salariés, en termes de sécurité, en termes de rentabilité, mais nous voulons en plus que cette épargne, dans les choix d'investissements que ces opérateurs vont faire, aille vers des entreprises qui prennent en compte des pratiques sociales responsables, qui se préoccupent de la qualité de l'environnement."
Les fonds éthiques, le développement durable, l'environnement ?
- "Oui, voilà, exactement."
L'environnement aussi ?
- "Exactement, c'est l'idée que la performance d'une entreprise - en tout cas nous souhaitons que les actionnaires et les investisseurs portent cela - n'est pas seulement sa performance financière et boursière ; c'est aussi sa performance sociale, c'est aussi sa capacité à entretenir les compétences, les qualifications des salariés, on le sait. Bref, le choix de l'investissement social, nous le pensons, est également un ressort de la performance économique. Donc, il y a tout intérêt pour les entreprises aujourd'hui d'agir sur cet ensemble de tableaux et, à côté de l'action syndicale traditionnelle, que nous allons bien évidemment continuer à l'intérieur de l'entreprise, il y a là un moyen que les actionnaires, les investisseurs, effectivement du côté des choix d'investissements qu'ils font dans les entreprises, portent aussi cette préoccupation et fassent progresser, au cas où les entreprises n'en seraient pas encore complètement convaincues, cette idée que la responsabilité sociale et écologique fait partie intégrante de leurs responsabilités tout court."
Ce qui est intéressant c'est que cette concurrence, puisque vous allez mettre en concurrence, au fond, des organismes, pour prendre celui qui est le meilleur à vos yeux...
- "Bien sûr."
Cette concurrence est un outil de régulation d'un certain point de vue.
- "Oui, si vous voulez. Quatre syndicats en France, qui se tournent vers ces organismes pour leur dire : "Voilà nos conditions, vous les prenez, très bien, nous recommanderons à nos négociateurs d'orienter votre épargne chez vous. Vous ne les prenez pas, eh bien, écoutez tant pis ! Ce sera pour ceux qui vont davantage dans le sens de nos orientations". Autre avantage à cela. Vous parliez d'Enron tout à l'heure : vous voyez bien que l'enjeu, c'est lorsque l'épargne des salariés est réinvestie en actions dans sa propre entreprise, il y a un risque. Le risque est que le jour où ça va mal, non seulement on perd son emploi, mais en plus on perd son épargne. Donc, une des idées qui est mise en avant, c'est que cette épargne constituée dans une entreprise ou autour de plusieurs entreprises, aille vers des fonds qui soient extérieurs à l'entreprise."
Cette épargne est mobile ?
- "Des fonds interprofessionnels qui pourront diversifier les investissements dans plusieurs secteurs, dans plusieurs entreprises, de façon à sécuriser davantage cette épargne, autrement dit à diversifier les risques."
Mais c'est une épargne mondialisée, un peu comme l'ont d'ailleurs fait les Américains ? Est-ce que, je ne sais pas, travaillant dans une entreprise française, on va pouvoir épargner dans une entreprise allemande, américaine, japonaise ?
- "Bien évidemment, les opérateurs français aujourd'hui ne se limitent pas à investir dans les entreprises françaises : au minimum européennes évidemment et mondiales ensuite."
Comment cela va se passer ? Vous dites une petite révolution, mais je trouve que cela va plus loin que ça. Comment cela va-t-il se passer au sein même de l'entreprise ? Parce qu'il va falloir négocier, avec les patrons. Quand les patrons vont se rendre que, tout d'un coup, les syndicats, sur le capital même de l'entreprise, ont tout d'un coup un vrai bras de levier, comment allez-vous faire ?
- "Oui, ce n'est pas dans les grandes entreprises que ce sera le plus nouveau, je vous le dis, parce qu'il y a déjà dans ces grandes entreprises des plans d'épargne qui sont souvent déjà négociés avec les syndicats, mais avec des limites."
Mais c'est peu, cela ne fait pas beaucoup d'entreprises...
- "Un salarié sur quatre, cela veut dire que dans ces entreprises, très souvent, cette épargne est réinvestie dans la même entreprise. C'est là qu'il va peut-être y avoir un petit débat, puisque nous allons suggérer dans ces entreprises de renégocier cette épargne de telle manière que l'on assure davantage de sécurité, une diversification de l'investissement, pas seulement dans sa propre entreprise."
Mais il y a un petit côté refondation sociale, dans ce que vous décrivez. Je dis cela sans ironie, c'est parce que d'un seul coup, en effet, dans le fonctionnement même de l'entreprise, il y a de la cogestion aussi dans cette définition.
- "Il y a de la négociation. Vous dites qu'il y a de la refondation : en tout cas, il y a l'idée que, sur un certain nombre de questions nouvelles auxquelles les salariés sont confrontés, oui, nous avons l'intention de nous en occuper sérieusement du côté syndical, dans la confrontation avec le patronat. Et la petite révolution est aussi du côté syndical français. Que n'avons-nous entendu dire sur ce mouvement syndical français, infoutu de s'entendre, infoutu de coopérer, toujours prêt à se diviser, à être toujours en retard sur toutes les évolutions..."
Presque tous : Force ouvrière ne vous a pas suivi...
- "Oui. Après beaucoup de temps de réflexion et de débat bien sûr, car nous n'avons pas au départ forcément la même philosophie, sur l'appréciation qu'il convient de porter sur ces choses. Nous avons été capables d'aller vers ce qui pouvait être fait ensemble et là, nous allons en particulier interpeller les opérateurs financiers, créer ce comité intersyndical de l'épargne, qui suivra attentivement, régulièrement, la manière dont les choses se déroulent, la manière dont les opérateurs s'acquittent de leurs responsabilités et de leurs engagements. Et, je le redis : en particulier de la manière dont ils investissent dans les entreprises avec des critères d'investissements socialement responsables."
Vous qui allez partir bientôt, en mai prochain, vous quitterez le secrétariat général de la CFDT. Est-ce que prendre la tête d'un organisme européen qui gérerait cela, ça vous plairait, dans vos projets ?
- "Honnêtement, je ne me vois pas gestionnaire de fonds d'épargne ! Il y a plein de gens professionnels et compétents pour faire cela. Vous savez que je n'ai pas, à ce stade, encore de position et de propositions totalement arrêtées et définies sur ce que je ferai demain. J'y réfléchis, j'ai souhaité prendre mon temps. Je continue, mais le moment viendra où je serai capable de vous dire vers quoi je m'orienterai."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 février 2002)
Stéphanne Paoli. Le capitalisme syndical commence-t-il d'exister ? Après que la CFDT, la CGT, la CFTC et la CGC se sont unis pour contrôler et orienter les fonds de l'épargne salariale, y aura-t-il bientôt un label accordé aux organismes orientant les capitaux vers les entreprises les plus vertueuses socialement ? L'affaire Enron, qui a ruiné nombre de retraités et de salariés américains, n'est-elle pas un accélérateur du principe des fonds labellisés ? Alors que le comité de l'intersyndicale pour l'épargne salariale va tenir aujourd'hui une conférence de presse, l'invitée de " Questions directes " est , secrétaire générale de la CFDT, bonjour.
Nicole Notat. Bonjour.
C'est une révolution madame Notat, voilà donc des syndicats qui rentrent dans le champ des actionnaires.
Une petite révolution, mais je dirais que c'est d'abord quelque chose qui intéresse les salariés. Se constituer une épargne, ça existe dans les grandes entreprises, un salarié sur quatre en bénéficie, ce qui veut dire que trois sur quatre n'en bénéficient pas. Et la loi Fabius permet justement la généralisation de l'accès à l'épargne salariale pour tous, petites et moyennes entreprises confondues, et permet surtout de négocier cette épargne pour les salariés en question. Ça, c'est aussi une petite révolution.
C'est bien ce que je dis, ce sont les syndicats qui accèdent à la gestion du capital.
Ce sont les syndicats qui s'occupent de tout ce qui concerne les salariés, qui sont désormais confrontés à des réalités nouvelles. Hier, les salariés avaient quasi pour unique rémunération, le salaire, c'est encore le cas pour beaucoup d'entre eux, mais dans beaucoup d'entreprises, il y a des compléments à cette rémunération par le travail. Il y a, la participation, l'intéressement, il y a des plans d'épargne retraite qui existent dans les grandes entreprises. Eh bien, ce sont des réalités dont on constate qu'elles sont un plus dans le pouvoir d'achat et la rémunération des salariés, il faut donc s'en occuper d'abord pour qu'elle soit bien gérée, d'abord pour qu'elle aille là où il est nécessaire qu'elle aille, et puis que ça n'accentue pas les inégalités entre les salariés des petites et des grandes entreprises.
Il y a eu débat au sein des syndicats, vous, par exemple la CFDT, vous étiez assez favorable au fait de contrôler directement cette épargne salariale, et finalement ce n'est pas tout à fait le système qui est mis en place.
Nous allons la contrôler. Le débat que nous avons eu à la CFDT, et que nous avons écarté, c'était l'idée de savoir si, à l'image du Québec, il fallait que les syndicats, ce serait davantage utile au niveau européen que national d'ailleurs, constituent leur propre fonds d'épargne salariale, et donc soient directement gestionnaires des fonds. Ça, nous l'avons écarté tout simplement parce que la masse critique n'aurait pas été suffisante et qu'il y a aujourd'hui des opérateurs de gestion de cette épargne avec lesquels il est sans doute plus utile de contrôler ce qu'ils font, de poser des conditions. C'est l'objet du comité qui se réunira tout à l'heure, qui consiste à faire connaître un cahier des charges à ces opérateurs de l'épargne. Pourquoi ? Nous voulons que cette épargne assure de bons services aux salariés, en termes de sécurité, en termes de rentabilité, mais nous voulons en plus que cette épargne, dans les choix d'investissements que ces opérateurs vont faire, aille vers des entreprises qui prennent en compte des pratiques sociales responsables, qui se préoccupent de la qualité de l'environnement.
Les fonds éthiques, le développement durable, l'environnement ?
Oui, voilà, exactement.
L'environnement aussi ?
Exactement, c'est l'idée que la performance d'une entreprise, en tout cas nous souhaitons que les actionnaires et les investisseurs portent cela, la performance d'une entreprise ce n'est pas seulement sa performance financière et boursière, c'est aussi sa performance sociale, c'est aussi sa capacité à entretenir les compétences, les qualifications des salariés, on le sait. Bref, le choix de l'investissement social, nous le pensons, est également un ressort de la performance économique. Donc il y a tout intérêt pour les entreprises aujourd'hui, d'agir sur cet ensemble de tableaux. Et à côté de l'action syndicale traditionnelle, que nous allons bien évidemment continuer à mener à l'intérieur de l'entreprise, il y a là un moyen que les actionnaires, les investisseurs, effectivement du côté des choix d'investissements qu'ils font dans les entreprises, portent aussi cette préoccupation et fassent progresser au cas où les entreprises n'en seraient pas encore complètement convaincues, cette idée que la responsabilité sociale et écologique fait partie intégrante de leurs responsabilités tout court.
Ce qui est intéressant c'est que cette concurrence, puisque vous allez mettre en concurrence au fond des organismes pour prendre, à vos yeux, celui qui est le meilleur, celui qui
Bien sûr.
Cette concurrence, c'est un outil de régulation d'un certain point de vue aussi !
Oui, si vous voulez, quatre syndicats en France, qui se tournent vers ces organismes pour leur dire, voilà nos conditions, vous les prenez, très bien, nous recommanderons à nos négociateurs d'orienter votre épargne chez vous. Vous ne les prenez pas, eh bien écoutez tant pis ! Ce sera pour ceux qui vont davantage dans le sens de nos orientations. Autre avantage à ça. Vous parliez d'Enron tout à l'heure, vous voyez bien que l'enjeu là, c'est lorsque l'épargne des salariés est réinvestie en actions dans sa propre entreprise, il y a un risque, le risque que le jour où ça va mal, non seulement on perd son emploi, mais en plus on perd son épargne. Donc une des idées qui est mise en avant, là, c'est que cette épargne constituée dans une entreprise ou autour de plusieurs entreprises, aille vers des fonds qui soient extérieurs à l'entreprise.
Elle est mobile, cette épargne.
Des fonds interprofessionnels qui pourront diversifier les investissements dans plusieurs secteurs, dans plusieurs entreprises, de façon à sécuriser davantage cette épargne, autrement dit à diversifier les risques.
Mais c'est une épargne mondialisée, un peu comme l'ont fait d'ailleurs les Américains ? Est-ce que, je ne sais pas moi, travaillant dans une entreprise française on va pouvoir épargner dans une entreprise allemande, américaine, japonaise ?
Bien évidemment, les opérateurs français aujourd'hui ne se limitent pas à investir dans les entreprises françaises, au minimum européennes évidemment et mondiales ensuite.
Comment ça va se passer ? Parce que c'est quand même, alors vraiment, vous dites une petite révolution, moi je trouve que ça va plus loin que ça. Comment ça va se passer au sein même de l'entreprise ? Parce qu'il va falloir négocier, avec les patrons. Quand les patrons vont se rendre que, tout d'un coup, les syndicats sur le capital même de l'entreprise ont tout d'un coup un vrai bras de levier, comment vous allez faire ?
Oui, c'est pas dans les grandes entreprises que ce sera le plus nouveau, je vous le dis, parce qu'il y a déjà dans ces grandes entreprises des plans d'épargne qui sont souvent déjà négociés avec les syndicats, mais avec des limites.
Mais c'est peu hein ! Ça ne fait pas beaucoup d'entreprises quand même.
Un salarié sur quatre, ça veut dire que dans ces entreprises, très souvent, cette épargne est réinvestie dans la même entreprise. C'est là qu'il va peut-être y avoir un petit débat puisque nous allons suggérer dans ces entreprises de renégocier cette épargne de telle manière que l'on assure davantage de sécurité, une diversification de l'investissement, pas seulement dans sa propre entreprise.
Mais il y a un petit côté refondation sociale, là dans ce que vous décrivez. Je dis ça sans ironie, c'est parce que d'un seul coup en effet, le fonctionnement même de l'entreprise, il y a de la cogestion aussi dans cette définition que vous nous donnez là !
Il y a de la négociation, je crois que, vous dites il y a de la refondation, en tout cas il y a l'idée que, sur un certain nombre de questions nouvelles auxquelles les salariés sont confrontés, oui, nous avons l'intention de nous en occuper sérieusement du côté syndical, dans la confrontation avec le patronat. Et puis la petite révolution, elle est aussi du côté syndical français. Que n'avons-nous entendu dire sur ce mouvement syndical français, infoutu de s'entendre, infoutu de coopérer, toujours prêt à se diviser, à être toujours en retard sur toutes les évolutions, eh bien là
Presque tous, Force Ouvrière ne vous a pas suivi.
Oui. Après beaucoup de temps de réflexion et de débat bien sûr, car nous n'avons pas au départ forcément la même philosophie, sur l'appréciation qu'il convient de porter sur ces choses là, nous avons, je crois, été capables d'aller vers ce qui pouvait être fait ensemble et là, nous allons en particulier interpeller les opérateurs financiers, créer ce comité intersyndical de l'épargne, qui suivra attentivement régulièrement, eh bien la manière dont les choses se déroulent, la manière dont les opérateurs s'acquittent de leurs responsabilités et de leurs engagements, et je le redis, en particulier de la manière dont ils investissent dans les entreprises avec des critères d'investissements socialement responsables.
Et vous, madame Notat, vous qui allez partir bientôt, en mai prochain vous quitterez le secrétariat général de la CFDT, est-ce que prendre la tête, je ne sais pas moi, d'un organisme européen qui gérerait, ça vous plairait ça, dans vos projets ?
Honnêtement, je ne me vois pas gestionnaire de fonds d'épargne ! Il y a plein de gens professionnels et compétents pour faire cela, vous savez que je n'ai pas, à ce stade, encore de position et de propositions totalement arrêtées et définies sur ce que je ferai demain, j'ai réfléchi, j'ai souhaité prendre mon temps, je continue, mais le moment viendra où je serai capable de vous dire vers quoi je m'orienterai.n
(Source http://www.cfdt.fr, le 15 janvier 2003)