Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle, à France 2 le 8 avril 2002 sur la situation au Proche-Orient, les violences antsémites et les manifestations en France et sur la décision prise au Conseil eurpéen de Barcelone sur l'âge de la retraite.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde - D'abord un mot sur la situation internationale : ce qui se passe en Israël, en dépit des demandes de plus en plus pressantes du président G. Bush - A. Sharon déclare qu'il faut "finir le travail", pour employer son expression, et il y avait encore des combats ce matin autour de la Basilique de la Nativité à Bethléem -, cela veut dire que plus personne ne peut faire pression sur Israël ?
- "Cela veut dire qu'en tout cas, les acteurs qui sont pour l'instant sur la scène, ne sont pas suffisamment forts pourtant les Etats-Unis sont une grande puissance, mais je pense que les Etats-Unis sont trop seuls. Si l'Europe existait et faisait son travail, probablement une voix complémentaire à celle des Etats-Unis serait utile. Je suis frappé de voir ce qu'est le silence de l'Europe et je me demande pourquoi les dirigeants français, le Premier ministre et le Président de la République ne demandent pas la convocation d'urgence d'un sommet européen, que les dirigeants de l'Europe se mettent d'accord sur un message - ils ont les moyens de faire entendre ce message."

Mais il faudrait quoi, par exemple ? Quand le président en exercice de l'Union européenne, M. Aznar, qui dit qu'il était prêt à aller en Israël, il aurait fallu que J. Chirac dise : "Eh bien, d'accord je vous accompagne", que L. Jospin dise ... ?
- "Il aurait fallu que tous les dirigeants européens disent : "Nous le soutenons". Et s'ils l'avaient dit, les choses auraient été différentes. Il y a en Europe des liens si forts avec le Proche Orient, les deux belligérants, côté arabe, côté palestinien et côté israélien, il y a des liens si forts, que naturellement, la parole d'une Europe qui s'entendrait serait forcément plus entendue."

C'est l'effet de la campagne présidentielle, à votre avis, qui fait qu'effectivement, les deux candidats Chirac et Jospin sont en la matière un peu prudents, pour ne pas s'aliéner peut-être une partie de l'électorat en France ?
- "Oui, il y a quelque chose de cela. Leur voix n'est pas entendue comme elle devrait l'être ou en tout cas, ils ne s'expriment pas comme ils devraient s'exprimer - c'est le cas aussi d'ailleurs pour la situation en France."

Vous, vous êtes allé en Israël...
- "Oui."

Il n'y a pas très longtemps, en pleine campagne électorale...
- "Et à Ramallah..."

Pourquoi avez-vous fait cette démarche ? Parce qu'indépendamment de la campagne électorale, il y a effectivement des voyages qu'il faut faire ?
- "Je suis allé à Jérusalem et à Ramallah, parce que je voyais bien qu'il y avait là une bombe qui était sur le point d'exploser et que la campagne électorale présidentielle est une élection où on doit faire entendre en matière de politique étrangère et de politique européenne, une ligne. J'y suis donc allé, j'ai rencontré tous les dirigeants israéliens et palestiniens, pour manifester l'inquiétude qui devrait être celle de tous les dirigeants. Je suis rentré et j'ai écrit au Président de la République, comme Président de la République, en lui disant qu'il fallait qu'il fasse en sorte que l'Europe s'exprime, qu'il faut qu'il demande une expression européenne, parce que tout montrait qu'entre Sharon et Arafat, les gouvernements israéliens, le gouvernement palestinien, le soupçon était si fort, qu'on allait droit dans le mur. Hélas, on y est."

On voit qu'il y a des manifestations de plus en plus importantes - manifestations dans les pays arabes, notamment au Maroc hier, des manifestations en France qui parfois sont un peu tendues, à l'appel de différentes organisations juives... Est ce qu'il peut y avoir une irruption de ce conflit dans la vie française ? Tout le monde dit maintenant : "Attention, halte au communautarisme". Est-ce que ce n'est pas déjà un peu tard ?
- "De toute façon, ce conflit a des conséquences directes sur la vie nationale française et c'est d'ailleurs ça la tristesse et le drame. La France, c'est un pays dans lequel tous les citoyens doivent se trouver protégés, rassurés et tranquilles. Et je suis, pour ma part, profondément navré, choqué de ce que la communauté juive se sente pour la première fois, depuis 50 ans, hélas, inquiète, menacée ; de nouveau, les mots d'autrefois reviennent. Eh bien, le rôle des dirigeants, le rôle du Président de la République ou le rôle du Premier ministre devrait être de s'adresser à ces Français inquiets pour leur dire : "Vous avez droit à la protection de l'Etat et vous avez droit à notre sollicitude, nous sommes là pour empêcher que la France n'explose sous cette forme". Ce n'est pas bien que dans un pays comme le nôtre, on ait des manifestations d'un bord, des manifestations de l'autre, et que toute une partie de la France - en l'occurrence c'est bien de la communauté juive qu'il s'agit - soit aujourd'hui si profondément inquiète."

Vous parliez de l'Europe il y a un instant. Vous avez débusqué dans les conclusions du sommet de Barcelone une clause sur laquelle ni L. Jospin ni J. Chirac ne s'étaient beaucoup expliqués, qui consiste...
- "Ah, ils n'en avaient pas dit un mot, c'était plus simple !"

Oui, en effet ! Sur l'âge de la retraite. Alors, d'abord comment cela s'explique qu'effectivement, on puisse voter des textes comme ça, sans que ça passe ? Et est-ce que cet allongement de l'âge des départs de la retraite, vous y souscririez ?
- "Ca s'explique parce que L. Jospin et J. Chirac ont une forme de gouvernement qui n'est pas une forme de gouvernement dirigée vers les citoyens dans la transparence. Et ils ont beau dire à chaque élection qu'il n'en sera plus ainsi, on voit dans leur pratique que ce n'est pas le cas. Enfin, songez qu'on a décidé à Barcelone, ils ont signé au nom de la France un texte qui dit : "nous allons prolonger la durée des années pendant lesquelles il faut cotiser pour avoir une retraite, la durée de cotisation, de cinq ans, faisant passer l'âge moyen de 58 ans de départ à la retraite à 63 ans". Ils ont signé cela, ils n'en ont pas dit un mot".


Cela veut dire que tout ce qu'on a dit avant sur la réforme des retraites, le grand chantier etc. C'est déjà fait, ça y est c'est signé, c'est acté, maintenant, c'est 63 ans !
- "Ils n'ont pas dit un mot aux Français de la décision qu'ils avaient prise, ils n'ont pas daigné même les informer dans la conférence de presse après cette réunion, ils n'en ont pas dit un mot."

Il faudra sans doute que les Français travaillent plus, parce que les régimes de retraite sont largement en déficit.
- "Oui, mais voulez-vous qu'on distingue la décision de fond qu'il faudra un jour sans doute prendre ou avoir un débat sur ce point ?"

Les deux disent d'ailleurs qu'il faudra faire une grande conférence sociale...
- "De la démocratie élémentaire à laquelle les citoyens français ont droit..."

Vous voulez dire qu'il n'y a aucune espèce de prise en considération de dialogue social, ni de l'un ni de l'autre ?
- "Je veux dire que c'est un mépris absolu pour les citoyens que sont tous les Français. L'idée qu'on puisse signer une décision comme celle là sans même leur en dire un mot est une idée pour moi absolument inacceptable..."

Mais est-ce que c'est révélateur ?
- "Eh bien, c'est révélateur de ce qu'ils sont, c'est révélateur de la conception du pouvoir qui est la leur. L'idée qu'ils se font du pouvoir, c'est qu'on décide en haut et que pour l'essentiel, on obéit en bas. Eh bien, ça n'est plus une idée acceptable."

Dans le sondage du Figaro, votre cote de confiance a gagné 9 points, à 35%, mais c'est une cote de confiance ; ça ne se retrouve pas dans les intentions de vote dans les derniers sondages...
- "La confiance fait forcément des voix. Si confiance il y a, elle fait forcément des voix. Le 21 avril est la date cruciale, la date-clef pour le changement, si les Français, comme je le crois, veulent un changement profond de la politique."

(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 avril 2002)