Texte intégral
Le Point : Vous avez cité cette phrase de Michel Foucault " Rien n'est plus inconsistant qu'un régime politique qui est indifférent à la réalité ". Trouvez-vous que la vie politique française actuelle est indifférente à la réalité ? .
Nicole Notat. Je ne suis pas sûre que ce ne soit la situation des seuls acteurs politiques, mais c'est en tous cas, une réalité pour ces acteurs. La raison pour laquelle cette remarque me plait, c'est qu'il me semble qu'il n'y a pas de transformation possible de la réalité, si on ne commence pas par bien la lire, par bien la connaître.
Vous avez le sentiment que les politiques ne font pas cet effort ?
C'est une pente qui guette de nombreuses institutions dont les réactions relèvent davantage de la posture symbolique et politique que de la compréhension et du traitement des problèmes réels. Les actions des hommes ou des femmes politiques, risquent tout simplement d'être complètement déconnectées, quelles que soient les intentions qui les animent.
Est-ce que vous diriez aujourd'hui que l'on vit sur de faux clivages politiques artificiellement agités dans cette campagne ?
Ce qui me paraît évident aujourd'hui, c'est que les désaccords sur les vrais enjeux de demain traversent l'ensemble des partis. On aimerait retrouver du clivage là où il y a véritablement des raisons de le trouver, et ne pas l'agiter là où il semble complètement artificiel.
Les politiques restent-ils dans " leur bulle " par facilité ?
Je ne sais pas si c'est pas facilité. Est-ce que ce n'est pas le système et le fonctionnement de l'appareil d'État qui, d'une certaine manière, isolent, enferment La manière dont l'État a joué un rôle, en France, dans l'économie, à travers les privatisations, ou les nationalisations, par exemple, a imprimé l'idée que l'État devait finalement être toujours en première
Cela dure ...
Il est d'autant plus difficile de s'en départir que l'idée que l'État ne puisse plus être présent sur tout, partout, est vécu comme une forme de renoncement de l'intervention publique.
C'est à vouloir agir sur tout que l'État se perd ?
Oui, je crois. Et tout simplement parce qu'aujourd'hui, par rapport à des réalités et des demandes complexes et diverses, l'État a bien du mal à faire du sur-mesure.
Que faudrait-il faire tout de suite ?
Je commencerais par éviter l'énoncé d'une " la-grande-réforme-de-l'État ". Je crois qu'il faut commencer par prendre le temps de savoir de ce dont on parle. Que faut-il réformer ? Le fonctionnement de l'appareil d'État ? Le mode de décision de l'État ? Tout cela sans doute, un peu ou beaucoup : mais il faut diagnostiquer pourquoi le fonctionnement actuel trouve ses limites et doit être changé. C'est, me semble-t-il, un préalable pour montrer que la réforme n'est pas une remise en cause des acquis, n'est pas sacrificielle, n'est pas un renoncement à un vieil âge d'or ; mais qu'au contraire elle est ce qui va permettre à la puissance publique à laquelle nous sommes attachés, d'être plus et mieux efficace dans ses fonctions essentielles, demain. Une fois ce travail fait, il faut bien évidemment choisir ! Il y a des priorités à faire. Il y a sans doute aussi à choisir le terrain d'une réforme qui ne serait pas la plus difficile à réussir.
Vous pensez à quoi ?
Une réforme doit être, disons, " vendable ". Les réformes concernent les utilisateurs des services publics. La réforme de la protection sociale, par exemple, ça concerne les assurés. Il ne faut pas qu'ils soient les oubliés de la réforme ; il faut qu'ils en perçoivent les effets bénéfiques ; ou qu'en tous cas, ce qui peut apparaître comme une perte ponctuelle aujourd'hui sera un gain ou un bénéfice pour demain.
Ce qu'Alain Juppé n'a pas su faire en 1995...
Parlons de 1995 S'il y a eu une réforme, c'est celle de l'assurance-maladie. De mon point de vue, on ne peut pas parler d'une réforme des retraites en 1995 alors que la seule mesure, concernait la retraite des régimes spéciaux qui consistait à passer de 37 ans 1/2 à 40 ans de cotisations. Ca ce n'est pas une réforme, c'est une modification sur un seul paramètre, tout restant égal par ailleurs.
Mais tout le monde est parti sur l'idée qu'on faisait une réforme !
Mais parce que ce mot de " réforme " est galvaudé et que, du même coup, il est vidé de son sens ! Réformer notre système de retraites, c'est le remettre à plat, sur la base des principes fondamentaux de solidarité entre les générations auxquels on tient, pour de nouveau le rendre efficace.
Quand vous entendez Dominique Strauss Kahn, après Raymond Barre ou Edouard Balladur dire que dans ce pays il est difficile de faire des réformes parce qu'on ne peut faire évoluer la société française que par à-coups...
Je voudrais bien qu'une fois on essaye simplement de réussir. Je connais deux réformes réussies : en 1993, la réforme des Postes et Télécoms, assumée malgré les conflits auxquels elle pouvait donner lieu. Il faut arrêter de rêver aux réformes consensuelles. La stratégie d'évitement par rapport du conflit ne peut tenir lieu de politique. Évidemment qu'il y a des tensions et des intérêts particuliers qui s'expriment, c'est naturel en démocratie. L'exercice consiste à construire de l'intérêt général. L'autre véritable réforme, c'est celle des Armées. Peut-on parler d'autres réformes ? La réforme de l'administration fiscale a échoué. Mais elle n'a jamais été présentée à l'opinion publique Si des contribuables ou des groupes sociaux avaient voulu porter ou soutenir cette réforme, ils n'en ont même jamais eu l'occasion ! A défaut de connaître tout l'intérêt pour chacun de mener à terme une réforme, nous, citoyens, usagers, sommes réduits au rôle du spectateur; et donc on regarde s'affronter un ministre et ses syndicats et ses agents sans pouvoir se faire une juste idée des enjeux de la réforme proposée.
Prenons encore la réforme de l'Education nationale. Je pense que Claude Allègre a réussi une réforme, celle de la déconcentration des mutations des personnels. Sur les autres questions, au risque que Claude Allègre me trouve sévère, je pense que le gouvernement a négligé la phase d'explication en direction de ceux qui étaient les principaux concernés : les élèves, les parents, la société en général. Présenter en priorité les enjeux d'une réforme à ses bénéficiaires potentiels ne conduit pas à négliger le dialogue entre un ministre et ses agents. Mail il s'agit d'intégrer ce dernier dans un débat plus large.
Quel est le gros ratage des dix dernières années ?
Le gros ratage, c'est peut-être ce à quoi on ne s'est pas attaqué. Cela fait quand même dix ans que Michel Rocard a fait un livre blanc sur les retraites
Lionel Jospin a-t-il raison d'expliquer aujourd'hui qu'il a renoncé pendant cinq ans à cause du traumatisme laissé par Alain Juppé ?
Il y a un point que je ne partage pas dans son argumentation : c'est celui qui consiste à dire que " nous avons le temps ". Nous aurions le temps parce que ce n'est qu'en 2005 qu'il commence à y avoir un premier déséquilibre financier. C'est toute la question de l'approche préventive ou chirurgicale ! On peut attendre le dernier moment pour se faire soigner d'une maladie dont on sait qu'on a les symptômes. On peut ne pas avoir envie de voir. Mais on sait qu'en général, les répercussions sont alors plus lourdes ! Je pense que l'attentisme relève de la crainte que les changements engendrent plus de risques politiques que l'immobilisme.
C'est la question du courage en politique...
Du courage ou de l'idée que l'on se fait tout simplement de la responsabilité qui doit être assumée à un moment donné.
Vous avez dit un jour que ce n'était pas tant la société qui était bloquée que la pensée politique La société pourrait évoluer beaucoup plus vite ?
Il y a une démonstration qui vient d'être faite : c'est le passage réussi à l'euro, dans la quasi-allégresse, preuve de l'envie des citoyens d'être européens. Voilà, ce n'est pas vrai que la société est incapable de bouger, incapable de changer. Elle veut savoir pourquoi bouger et vers quoi bouger.
Vous vous êtes souvent plainte de l'ignorance dans laquelle Lionel Jospin tenait les partenaires sociaux ?
Il faut reconnaître que depuis quatre ans, si j'en juge par ce que nous avons nous-même dû assumer, nous avons été au paroxysme d'une conception qui réduit la démocratie au fonctionnement des institutions publiques. Mais il faut toujours garder un brin d'optimisme et je pense qu'à toute chose malheur est bon. Aujourd'hui, personne ne peut plus éluder la question de la relation entre le pouvoir politique, le pouvoir économique et le contre-pouvoir ou contrepoids social. Quel aura été le mérite de la refondation sociale ? On pourra raconter ce qu'on voudra : cette question est désormais présente dans le débat. Quelles sont les meilleures voies pour réussir les réformes à venir ? Cette question va désormais s'imposer dans les méthodes de gouvernement quels que soient les gouvernements qui sortiront des élections.
Comment expliquez-vous l'attitude de Lionel Jospin ?
Lionel Jospin illustre une conception de la suprématie du politique sur tout le reste et donc une forme de conduite de l'action publique qui place les équilibres politiques internes à sa majorité au centre de ses choix. Cela conduit les acteurs à privilégier le rapport de forces pour être entendu.
Quand Chirac reprend les thèmes de la refondation sociale, vous pensez qu'il a progressé ?
La place des partenaires sociaux et de la négociation collective sont des préoccupations anciennes pour Jacques Chirac, et qui correspondent vraisemblablement à une vraie conviction. Pour être crédible, le discours à droite doit aussi se traduire dans des engagements et des pratiques politiques concrets.
Quand certains, à gauche bien sûr, mais aussi quelquefois à droite, jugent que le programme de l'opposition est celui du Medef...
Je pense que cela ne fait rien avancer ! Parce que c'est à nouveau la tentation de lire les prises de position des acteurs économiques et sociaux à travers le prisme de la lecture politique politicienne. Et de cela, on en crève ! Il faut qu'on comprenne que les acteurs économiques et sociaux peuvent, sans que cela implique d'autres arrière-pensées, avoir une posture qui leur soit propre. On a eu notre dose nous aussi, à la CFDT : combien de fois nous a-t-on taxés de faire de la politique quand nous intervenions sur autre chose que le bulletin de paie des salariés
Aujourd'hui, on ne vous reproche plus d'être trop proche du PS, ce serait presque le contraire !
Le Medef a besoin de se colleter, un jour, à un gouvernement de droite pour être reconnu comme un acteur complètement indépendant
Aujourd'hui, que faudrait-il pour que la France réussisse ?
D'abord la France réussit ! J'en suis persuadée. Simplement, elle réussit parce que, au total, des actes qui sont posés, des décisions qui sont prises lui permettent d'avancer, de bouger et de s'adapter. Mais avec un discours qui, lui, ne permet pas de capitaliser ces évolutions. En France, on appelle les salariés à s'adapter tous les jours, mais on encourage volontiers le citoyen à protester ! Et l'on n'ose pas assumer les succès.
Percevez-vous dans la campagne un clivage entre réformateurs et conservateurs ?
Oui mais pour le coup, il traverse tous les camps.
Est-ce que vous comprenez Christian Blanc quand il dit qu'il serait disponible pour servir ce pays, quel que soit le président élu ?
C'est d'abord un choix personnel. Au-delà, c'est, j'imagine, l'idée d'un rassemblement politique dans un futur gouvernement qui dépasse les clivages traditionnels droite/gauche. Une idée qui est peu prisée en France.
Et vous, cela ne vous tente pas ?
Non, ça ne me tente pas. Toujours pas. J'ai le sentiment que l'on peut oeuvrer pour la chose publique à partir de la société civile aussi.
Propos recueillis par Catherine Pégard pour Le Point, édition du 22 mars 2002.
Source : entretien reproduit avec l'aimable autorisation du Point.
(Source http://www.cfdt.fr, le 27 mars 2002)
Nicole Notat. Je ne suis pas sûre que ce ne soit la situation des seuls acteurs politiques, mais c'est en tous cas, une réalité pour ces acteurs. La raison pour laquelle cette remarque me plait, c'est qu'il me semble qu'il n'y a pas de transformation possible de la réalité, si on ne commence pas par bien la lire, par bien la connaître.
Vous avez le sentiment que les politiques ne font pas cet effort ?
C'est une pente qui guette de nombreuses institutions dont les réactions relèvent davantage de la posture symbolique et politique que de la compréhension et du traitement des problèmes réels. Les actions des hommes ou des femmes politiques, risquent tout simplement d'être complètement déconnectées, quelles que soient les intentions qui les animent.
Est-ce que vous diriez aujourd'hui que l'on vit sur de faux clivages politiques artificiellement agités dans cette campagne ?
Ce qui me paraît évident aujourd'hui, c'est que les désaccords sur les vrais enjeux de demain traversent l'ensemble des partis. On aimerait retrouver du clivage là où il y a véritablement des raisons de le trouver, et ne pas l'agiter là où il semble complètement artificiel.
Les politiques restent-ils dans " leur bulle " par facilité ?
Je ne sais pas si c'est pas facilité. Est-ce que ce n'est pas le système et le fonctionnement de l'appareil d'État qui, d'une certaine manière, isolent, enferment La manière dont l'État a joué un rôle, en France, dans l'économie, à travers les privatisations, ou les nationalisations, par exemple, a imprimé l'idée que l'État devait finalement être toujours en première
Cela dure ...
Il est d'autant plus difficile de s'en départir que l'idée que l'État ne puisse plus être présent sur tout, partout, est vécu comme une forme de renoncement de l'intervention publique.
C'est à vouloir agir sur tout que l'État se perd ?
Oui, je crois. Et tout simplement parce qu'aujourd'hui, par rapport à des réalités et des demandes complexes et diverses, l'État a bien du mal à faire du sur-mesure.
Que faudrait-il faire tout de suite ?
Je commencerais par éviter l'énoncé d'une " la-grande-réforme-de-l'État ". Je crois qu'il faut commencer par prendre le temps de savoir de ce dont on parle. Que faut-il réformer ? Le fonctionnement de l'appareil d'État ? Le mode de décision de l'État ? Tout cela sans doute, un peu ou beaucoup : mais il faut diagnostiquer pourquoi le fonctionnement actuel trouve ses limites et doit être changé. C'est, me semble-t-il, un préalable pour montrer que la réforme n'est pas une remise en cause des acquis, n'est pas sacrificielle, n'est pas un renoncement à un vieil âge d'or ; mais qu'au contraire elle est ce qui va permettre à la puissance publique à laquelle nous sommes attachés, d'être plus et mieux efficace dans ses fonctions essentielles, demain. Une fois ce travail fait, il faut bien évidemment choisir ! Il y a des priorités à faire. Il y a sans doute aussi à choisir le terrain d'une réforme qui ne serait pas la plus difficile à réussir.
Vous pensez à quoi ?
Une réforme doit être, disons, " vendable ". Les réformes concernent les utilisateurs des services publics. La réforme de la protection sociale, par exemple, ça concerne les assurés. Il ne faut pas qu'ils soient les oubliés de la réforme ; il faut qu'ils en perçoivent les effets bénéfiques ; ou qu'en tous cas, ce qui peut apparaître comme une perte ponctuelle aujourd'hui sera un gain ou un bénéfice pour demain.
Ce qu'Alain Juppé n'a pas su faire en 1995...
Parlons de 1995 S'il y a eu une réforme, c'est celle de l'assurance-maladie. De mon point de vue, on ne peut pas parler d'une réforme des retraites en 1995 alors que la seule mesure, concernait la retraite des régimes spéciaux qui consistait à passer de 37 ans 1/2 à 40 ans de cotisations. Ca ce n'est pas une réforme, c'est une modification sur un seul paramètre, tout restant égal par ailleurs.
Mais tout le monde est parti sur l'idée qu'on faisait une réforme !
Mais parce que ce mot de " réforme " est galvaudé et que, du même coup, il est vidé de son sens ! Réformer notre système de retraites, c'est le remettre à plat, sur la base des principes fondamentaux de solidarité entre les générations auxquels on tient, pour de nouveau le rendre efficace.
Quand vous entendez Dominique Strauss Kahn, après Raymond Barre ou Edouard Balladur dire que dans ce pays il est difficile de faire des réformes parce qu'on ne peut faire évoluer la société française que par à-coups...
Je voudrais bien qu'une fois on essaye simplement de réussir. Je connais deux réformes réussies : en 1993, la réforme des Postes et Télécoms, assumée malgré les conflits auxquels elle pouvait donner lieu. Il faut arrêter de rêver aux réformes consensuelles. La stratégie d'évitement par rapport du conflit ne peut tenir lieu de politique. Évidemment qu'il y a des tensions et des intérêts particuliers qui s'expriment, c'est naturel en démocratie. L'exercice consiste à construire de l'intérêt général. L'autre véritable réforme, c'est celle des Armées. Peut-on parler d'autres réformes ? La réforme de l'administration fiscale a échoué. Mais elle n'a jamais été présentée à l'opinion publique Si des contribuables ou des groupes sociaux avaient voulu porter ou soutenir cette réforme, ils n'en ont même jamais eu l'occasion ! A défaut de connaître tout l'intérêt pour chacun de mener à terme une réforme, nous, citoyens, usagers, sommes réduits au rôle du spectateur; et donc on regarde s'affronter un ministre et ses syndicats et ses agents sans pouvoir se faire une juste idée des enjeux de la réforme proposée.
Prenons encore la réforme de l'Education nationale. Je pense que Claude Allègre a réussi une réforme, celle de la déconcentration des mutations des personnels. Sur les autres questions, au risque que Claude Allègre me trouve sévère, je pense que le gouvernement a négligé la phase d'explication en direction de ceux qui étaient les principaux concernés : les élèves, les parents, la société en général. Présenter en priorité les enjeux d'une réforme à ses bénéficiaires potentiels ne conduit pas à négliger le dialogue entre un ministre et ses agents. Mail il s'agit d'intégrer ce dernier dans un débat plus large.
Quel est le gros ratage des dix dernières années ?
Le gros ratage, c'est peut-être ce à quoi on ne s'est pas attaqué. Cela fait quand même dix ans que Michel Rocard a fait un livre blanc sur les retraites
Lionel Jospin a-t-il raison d'expliquer aujourd'hui qu'il a renoncé pendant cinq ans à cause du traumatisme laissé par Alain Juppé ?
Il y a un point que je ne partage pas dans son argumentation : c'est celui qui consiste à dire que " nous avons le temps ". Nous aurions le temps parce que ce n'est qu'en 2005 qu'il commence à y avoir un premier déséquilibre financier. C'est toute la question de l'approche préventive ou chirurgicale ! On peut attendre le dernier moment pour se faire soigner d'une maladie dont on sait qu'on a les symptômes. On peut ne pas avoir envie de voir. Mais on sait qu'en général, les répercussions sont alors plus lourdes ! Je pense que l'attentisme relève de la crainte que les changements engendrent plus de risques politiques que l'immobilisme.
C'est la question du courage en politique...
Du courage ou de l'idée que l'on se fait tout simplement de la responsabilité qui doit être assumée à un moment donné.
Vous avez dit un jour que ce n'était pas tant la société qui était bloquée que la pensée politique La société pourrait évoluer beaucoup plus vite ?
Il y a une démonstration qui vient d'être faite : c'est le passage réussi à l'euro, dans la quasi-allégresse, preuve de l'envie des citoyens d'être européens. Voilà, ce n'est pas vrai que la société est incapable de bouger, incapable de changer. Elle veut savoir pourquoi bouger et vers quoi bouger.
Vous vous êtes souvent plainte de l'ignorance dans laquelle Lionel Jospin tenait les partenaires sociaux ?
Il faut reconnaître que depuis quatre ans, si j'en juge par ce que nous avons nous-même dû assumer, nous avons été au paroxysme d'une conception qui réduit la démocratie au fonctionnement des institutions publiques. Mais il faut toujours garder un brin d'optimisme et je pense qu'à toute chose malheur est bon. Aujourd'hui, personne ne peut plus éluder la question de la relation entre le pouvoir politique, le pouvoir économique et le contre-pouvoir ou contrepoids social. Quel aura été le mérite de la refondation sociale ? On pourra raconter ce qu'on voudra : cette question est désormais présente dans le débat. Quelles sont les meilleures voies pour réussir les réformes à venir ? Cette question va désormais s'imposer dans les méthodes de gouvernement quels que soient les gouvernements qui sortiront des élections.
Comment expliquez-vous l'attitude de Lionel Jospin ?
Lionel Jospin illustre une conception de la suprématie du politique sur tout le reste et donc une forme de conduite de l'action publique qui place les équilibres politiques internes à sa majorité au centre de ses choix. Cela conduit les acteurs à privilégier le rapport de forces pour être entendu.
Quand Chirac reprend les thèmes de la refondation sociale, vous pensez qu'il a progressé ?
La place des partenaires sociaux et de la négociation collective sont des préoccupations anciennes pour Jacques Chirac, et qui correspondent vraisemblablement à une vraie conviction. Pour être crédible, le discours à droite doit aussi se traduire dans des engagements et des pratiques politiques concrets.
Quand certains, à gauche bien sûr, mais aussi quelquefois à droite, jugent que le programme de l'opposition est celui du Medef...
Je pense que cela ne fait rien avancer ! Parce que c'est à nouveau la tentation de lire les prises de position des acteurs économiques et sociaux à travers le prisme de la lecture politique politicienne. Et de cela, on en crève ! Il faut qu'on comprenne que les acteurs économiques et sociaux peuvent, sans que cela implique d'autres arrière-pensées, avoir une posture qui leur soit propre. On a eu notre dose nous aussi, à la CFDT : combien de fois nous a-t-on taxés de faire de la politique quand nous intervenions sur autre chose que le bulletin de paie des salariés
Aujourd'hui, on ne vous reproche plus d'être trop proche du PS, ce serait presque le contraire !
Le Medef a besoin de se colleter, un jour, à un gouvernement de droite pour être reconnu comme un acteur complètement indépendant
Aujourd'hui, que faudrait-il pour que la France réussisse ?
D'abord la France réussit ! J'en suis persuadée. Simplement, elle réussit parce que, au total, des actes qui sont posés, des décisions qui sont prises lui permettent d'avancer, de bouger et de s'adapter. Mais avec un discours qui, lui, ne permet pas de capitaliser ces évolutions. En France, on appelle les salariés à s'adapter tous les jours, mais on encourage volontiers le citoyen à protester ! Et l'on n'ose pas assumer les succès.
Percevez-vous dans la campagne un clivage entre réformateurs et conservateurs ?
Oui mais pour le coup, il traverse tous les camps.
Est-ce que vous comprenez Christian Blanc quand il dit qu'il serait disponible pour servir ce pays, quel que soit le président élu ?
C'est d'abord un choix personnel. Au-delà, c'est, j'imagine, l'idée d'un rassemblement politique dans un futur gouvernement qui dépasse les clivages traditionnels droite/gauche. Une idée qui est peu prisée en France.
Et vous, cela ne vous tente pas ?
Non, ça ne me tente pas. Toujours pas. J'ai le sentiment que l'on peut oeuvrer pour la chose publique à partir de la société civile aussi.
Propos recueillis par Catherine Pégard pour Le Point, édition du 22 mars 2002.
Source : entretien reproduit avec l'aimable autorisation du Point.
(Source http://www.cfdt.fr, le 27 mars 2002)