Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle, à Europe 1 le 10 avril 2002, sur le climat de la campagne électorale et sur la sécurité.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach - "Comment une kalachnikov se retrouve-t-elle entre les mains d'un cinglé breton ?", avez-vous demandé dès hier soir. Comment ? Qui doit l'empêcher ? Et de quelle manière ?
- "On a vu à Nanterre le drame que représentait le fait que des armes de guerre se retrouvent entre les mains de déséquilibrés. On revoit cela à Vannes et on ne peut pas s'empêcher de penser : comment se fait-il qu'en France les armes circulent comme cela ?"

Comme vous êtes candidat, comment répondez-vous ?
- "C'est le travail de l'Etat de lutter contre ce trafic. C'est le travail de l'Etat d'aller chercher les caches d'armes. C'est le travail de l'Etat de ne pas donner de permis de détention à des déséquilibrés."

On ne sait pas toujours qu'il s'agit de déséquilibrés. Il parait qu'il y aurait en France entre 10 et 20 millions d'armes.
- "A Nanterre, il avait déjà fait deux tentatives de suicides et une agression contre une psychiatre à mains armées. Et vous trouvez qu'on ne peut pas savoir ? Le problème est qu'on est dans une société dans laquelle on n'a pas introduit la notion de responsabilités. Autrement, naturellement - je reprends le cas de Nanterre, car je connais moins celui de Vannes -, un psychiatre attaqué, ou son service, aurait dû, immédiatement, signaler à l'Etat et à la police qu'il fallait retirer le permis de détention d'armes, pour être exact."

A Strasbourg, il y a eu un incident - je le raconterai tout à l'heure - : vous avez dit : "C'est à nous, les modérés, d'assumer la fermeté de la réponse à la délinquance, sinon les extrémistes vont s'en charger". Vous pensiez à qui ?
- "Cela n'a aucune importance. Vous voyez bien qu'il y a des extrémistes partout dans la société française. Il y a l'extrême droite en particulier, dont on connaît le jeu sur cette affaire. C'est aux modérés, c'est-à-dire aux gens d'équilibre, à ceux qui savent qu'on ne doit pas jouer avec l'extrémisme, c'est à ceux-là d'assumer la fermeté."

Vous ne parlez pas que des centristes ? Vous allez plus loin ?
- "Tous ceux qui sont dans la société française des gens d'équilibre, mais qui veulent simplement, maintenant, une politique de fermeté. C'est la fermeté qui est la plus généreuse. Pendant longtemps, on a cru que la générosité s'opposait à la fermeté. Moi, je dis que la fermeté est la clé de la générosité."

Est-ce que vous voulez dire qu'il y a urgence à une réaction organisée, volontaire massive contre la délinquance ? Par exemple, aller déloger dans leurs immeubles, dans leurs quartiers, les bandes qui sont en armes, les dealers, les mafias, chez eux ?
- "Oui. Vous dites qu'il y a "urgence". Le mot est faible. Il y a des centaines de quartiers en France qui sont totalement abandonnés à la loi des bandes et dans lesquels même la police n'ose pas mettre le pied. On n'y a pas vu un uniforme dans ces cités depuis dix ans ! Cela ne peut pas durer comme cela. C'est une urgence nationale. Moi, je dis que ce n'est même plus une affaire de droite ou de gauche, ce n'est même plus une affaire de majorité ou d'opposition, c'est toute la société française, dans son ensemble et avec toute ces forces, qui doit dire que nous n'en voulons plus. Ce sera difficile, cela demandera de gros efforts, y compris de gros moyens, mais on ne peut pas laisser des quartiers entièrement livrés aux chaos et à la loi du plus fort et du plus violent."

Il faut que la peur change de camp et que les délinquants aient peur. Mais est-ce que cela veut dire que la société vous semble, aujourd'hui, prête, pour avoir enfin l'ordre et la paix, à assumer des risques de casses et de bavures ?
- "Il faut éviter autant qu'on peut les bavures mais, de toute manière, il faut, désormais que cet ordre-là, qui est l'ordre des républicains, l'ordre de la République, s'impose et soit respecté et que tout ceux qui - surtout les pauvres - sortent de leur immeuble puissent avoir l'esprit tranquille et ne pas se demander de quelle manière ils vont être attaqués, par quel pittbull ou par quelle bande. C'est extraordinaire que cela paraisse étrange ou qu'on ait besoin de le répéter. Cela devrait être simple comme bonjour."

Est-ce que je peux dire que vous avez découvert personnellement dans les banlieues de Strasbourg, avant hier, des réserves de violences prêtes à exploser ?
- ""Découvert" n'est pas le bon mot."

Vous êtes allés visiter des quartiers. La maire UDF, F. Keller, qui est une femme énergique et dynamique à Strasbourg, paraissait même désarmée et désarçonnée comme si, en plus, elle ne pouvait pas entrer dans les quartiers, dans les banlieues de sa propre ville.
- "Nous sommes allés - F. Keller m'y avait invité - visiter une mairie de quartier qu'elle vient d'ouvrir. A côté de cette mairie, dans le même immeuble, il y a un commissariat annexe qu'elle a ouvert. Le commissariat annexe a brûlé la semaine dernière sous les coups d'une voiture bélier et de cocktails Molotov. Nous sommes entrés dans la mairie annexe. Aussitôt, les vitres ont volé en éclats sous les pierres. On est sortis..."

Vous vous êtes fait injurier. Vous vous êtes fait traiter de "juif"...
- "Oui, parce que j'essaye d'expliquer à ces jeunes qu'insulter les juifs, c'est s'exposer, demain, à ce que les musulmans soient insultés. On ne peut pas toucher à un Français juif parce que, demain, on touchera à un Français musulman. Et je leur ai dit avec vigueur. Et voilà, cela a chauffé un peu."

Et on a vu un gamin de dix ans qui a fouillé, à un moment donné, dans vos poches et vous lui avez donné une gifle. Est-ce que vous pensez que c'est une manière de répondre ? Que c'est cela l'autorité et que c'est la sanction qui doit être instantanée ?
- "Je suis un père de famille, alors évidemment... Franchement, mettre dans sa main dans sa poche et découvrir qu'il y a une main d'un enfant dans votre poche, comme si tout cela était normal.... Je dis qu'il faut que, désormais, une fermeté s'exprime qui ne doit pas être dénuée, [comme dans le cas de cet enfant], de bienveillance. On fait attention. Mais, en même temps, ferme et réponse immédiate."

Vous confirmez l'argument des principaux candidats à l'élection principale : sus à l'insécurité !
- "Je confirme l'argument, mais je dis : pourquoi ne l'avez-vous pas fait ? Ils sont en place depuis des années : l'un sept ans et l'autre cinq ans. Que ne sont-ils venus à la télévision pour dire : "Voilà la priorité de notre action" ? Que n'ont-ils fait ce dont ils parlent aujourd'hui ?"

D'après un sondage Express - Louis Harris, 79 % des Français estiment que dans la campagne, on ne parle pas assez d'emplois...
- "Ils ont raison."

La priorité, c'est l'emploi ou la sécurité ?
- "La priorité est que la société française retrouve son équilibre élémentaire. Pour cet équilibre élémentaire il faut que l'on puisse sortir dans la rue sans avoir peur d'être agressé. Il faut qu'il y ait du travail, en tout cas, plus qu'il n'y en a aujourd'hui, pour tous ceux qui veulent travailler. Pourquoi n'y a-t-il pas de travail ? Parce que les charges sont trop lourdes en France ? Tout le monde le sait : il faut agir contre en baissant les charges."

Au Figaro, vous disiez hier : "La droite a besoin de changement". Mais pourquoi le changement dont la droite a besoin, ce serait vous ?
- "Parce que je le propose. Les autres sont en place depuis des années et on voit bien que s'ils demeurent en place, cela sera forcément les mêmes habitudes, les mêmes attitudes, les mêmes discours et les mêmes choix. Quand on veut assumer le changement profond dont la France a besoin, il faut de nouvelles équipes."

Le candidat de gauche, le candidat de droite ou inversement sont, paraît-il, en train de préparer le deuxième tour. Ce qui parait d'ailleurs logique. Et on dit que vous avez déjà des contacts avec des proches de J. Chirac. Est-ce que des rencontres sont en cours et pouvez-vous le confirmer ?
- "Si cela était vrai, cela ne serait pas une honte, mais je suis décidé à ne parler du deuxième tour que quand le premier aura eu lieu. Je pense que le tour décisif est le premier. Je vous dis que pour moi, je n'ai aucun contact et aucune préparation de cet ordre. Je mobilise tous mes efforts sur le premier tour. Parce que les Français, s'ils veulent une surprise, comme je crois qu'ils doivent l'obtenir, c'est au premier tour qu'ils l'obtiendront."

Comme vous l'avez dit, ce n'est pas une honte. Il parait que certains UDF disent que, depuis que vous n'y croyez plus pour l'Elysée, vous êtes meilleur et que vous montez dans les sondages : c'est vrai ?
- "Que je monte dans les sondages, oui ! Que je sois meilleur, c'est vous qui le direz ! Mais je crois, tout au contraire, que ce que les Français veulent, c'est changer le paysage. Ils ne pourront le changer qu'à partir du moment où, le 21 avril, ils émettront un vote différent de celui qu'on attend. C'est cela qui se prépare."

Julie vous donnera la jonquille que vous avez oublié de porter, parce qu'il paraît que vous en portez tout le temps !
- "C'est la fleur du printemps !"

(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 avril 2002)