Texte intégral
Après avoir souligné le grand intérêt des propos qui viennent d'être tenus, j'aimerais rappeler, mais chacun ici s'en souvient, que le processus d'élargissement de l'Alliance atlantique résulte d'un accord politique engageant la France qui a été conclu, en notre nom, par le chef de l'Etat, voilà un peu moins d'un an, lors du sommet de Madrid. C'est de cela que nous discutons en cet instant.
Répondant notamment à M. About, j'insisterai sur le fait que l'adhésion à l'Alliance atlantique correspond à une volonté déterminée des trois pays concernés. Aussi est-il un peu vain d'affirmer à cette tribune qu'ils se trompent, d'autant que, même indépendamment de la plus élémentaire courtoisie diplomatique, il n'y a aucune raison de penser que les dirigeants de ces trois pays, et leurs oppositions respectives, font preuve d'une totale myopie sur la sécurité européenne et que quiconque ici sait mieux qu'eux quelles garanties et quelles alliances politiques ils doivent conclure pour assurer leur sécurité et leur avenir.Je veux ajouter un argument à ceux qui ont été exprimés, souvent sur un ton très amical, en faveur de ces trois pays. Dans les facteurs qui ont présidé à leur choix en faveur de l'adhésion à l'OTAN, le souvenir de quarante et quelques années de souveraineté limitée a sans doute été déterminant. Pour certains, de surcroît, des siècles de déchirements font que le sentiment ou la réalité de la souveraineté limitée remontent loin dans l'histoire.
On comprend qu'ils aient eu pour motivation profonde le souci de ne pas s'exposer à nouveau à un tel risque. A ce moment-là, monsieur About, le risque se calcule non pas sur dix ans mais sur une beaucoup plus longue durée.
Monsieur Chaumont, même si tous les parlements des pays alliés ne se sont pas encore prononcés, les Européens n'ont pas jusqu'à présent mesuré leur assentiment sur cet élargissement. Ainsi, contrairement à ce que j'ai pu entendre, le Sénat italien s'est-il déjà prononcé en faveur de l'élargissement, et à la quasi-unanimité.
Nous avons notre place à prendre dans un processus d'évolution de l'Alliance qui ne doit pas être considérée comme un moindre mal, comme une concession nécessaire, comme, au fond, la réaction un peu sceptique à une mode passagère. Nous souhaitons sincèrement accueillir ces nouveaux alliés et nous entendons aussi poursuivre l'élargissement de l'Alliance atlantique à d'autres pays qui sont candidats.
Quant à la signification de notre rapport stratégique aux Etats-Unis, sur laquelle, je pense, nous reviendrons, je voudrais rappeler, parce que cela n'a pas encore été fait, que le Sénat américain a débattu d'un amendement tendant à l'introduction d'un moratoire dont l'adoption aurait eu pour effet de bloquer pour trois années tout nouvel élargissement de l'Alliance à d'autres pays européens. Cet amendement a été repoussé sans ambiguïté par le Sénat américain, l'administration américaine ayant également nettement pris position contre. Je ne crois donc pas que la poursuite de l'élargissement de l'Alliance, au cours des mois ou des années qui viennent, soit une bataille perdue. Nombre de nos alliés savent que ce sera l'un des sujets clés du sommet de Washington, qui se tiendra l'année prochaine. Par conséquent, sur ce sujet, la France ne court aucun risque d'isolement au sein de l'Alliance.
Il m'apparaît judicieux de revenir un instant sur les discussions avec la Russie en relation avec ce processus d'élargissement. Il est vrai que, en Russie, les pouvoirs publics, au sens large, affichent une certaine réticence, voire une opposition à cet élargissement. Il faut, toutefois, faire la différence entre certains propos tenus dans le cadre du débat démocratique en Russie et qui, à ce titre, sont respectables mais n'engagent pas les autorités russes, et le comportement extrêmement responsable et mesuré du président et du gouvernement russes, en fait des gouvernements russes successifs.
Certes, quand tout se passe bien, cela ne fait pas l'actualité. A nous donc d'aller un peu plus loin, ce que le Sénat, notamment sa commission des affaires étrangères, fait avec beaucoup de discernement. Mais enfin, depuis que les textes sur l'Acte fondateur entre la Russie et l'OTAN ont été signés, ils ne sont pas restés lettre morte. A chaque activité de l'Alliance, à chaque réunion s'instaure un véritable partenariat avec la Russie, ce qui veut dire que les autorités de ce pays en voient tout l'intérêt. Il y a eu non pas gel des relations entre les pays de l'Alliance atlantique et la Russie en matière de sécurité dans la région Europe au sens large depuis le début du processus d'élargissement, mais, au contraire, dynamisation.
Il faut avoir la lucidité de reconnaître aujourd'hui que ce sujet de l'élargissement, pour ceux qui conduisent effectivement la politique étrangère et de sécurité de la Russie, est derrière nous, derrière eux, et que l'on parle d'autre chose. Donc, je ne crois pas que l'élargissement puisse aujourd'hui être perçu comme une pomme de discorde qui contrarierait tout développement de coopération et de politique négociée entre la Russie et les pays européens, notamment le nôtre. J'ai, au contraire, la conviction que, à travers le développement du partenariat avec la Russie, cela sera un facteur de dynamisme. Bien sûr, nous gardons l'originalité de notre position au sein de l'Alliance. Il est logique que, dans une assemblée pluraliste comme la vôtre, riche de nombreux experts en politique internationale, s'expriment des visions quelque peu variées, voire contrastées, sur cette position.
Je voudrais souligner mon accord avec le rapporteur, M. André Dulait, qui a finement décrit la position actuelle de la France au sein de l'Alliance. Cette position est dynamique et, comme le suggérait le président de Villepin, nous sommes en train, en effet, de créer de nouvelles habitudes de dialogue et d'initiatives communes au sein de l'Alliance, qui préservent notre souci d'autonomie stratégique et qui ne nous empêchent pas d'être partie prenante, avec nos alliés, dans des actions contribuant à la sécurité européenne.
Ce n'est pas simplement de la théorie, c'est ce que nous faisons chaque jour en Bosnie. Ce n'est pas simplement par complaisance que tous nos alliés, qu'ils soient américains ou européens, soulignent l'importance de l'apport français au dispositif de la force de stabilisation en Bosnie. Nous y avons réussi. Tout en gardant notre position distincte par rapport à l'organisation militaire, nos hommes ont démontré, sur le terrain, la capacité de la France d'être côte à côte, efficace pour lutter contre des dangers et surmonter une crise, dans un théâtre difficile comme la Bosnie.
De même, nous sommes partie prenante dans le nouveau concept des groupes de forces interarmées multinationales, les GFIM, qui sont, en réalité, des esquisses d'états-majors de crise correspondant à des zones de troubles en Europe. L'accord politique pour le traitement de crises sous l'autorité de l'UEO avec les structures de commandement de l'OTAN est, à nos yeux, un acquis important de la dynamique européenne au sein de l'Alliance, et nous participons au travail de mise en oeuvre de cet accord.
S'agissant de la place de l'Europe, globalement, dans l'Alliance, on peut bien sûr accumuler les témoignages d'insatisfaction ; j'y reviendrai. Je centrerai plutôt mon propos sur l'état des discussions au sein de l'Alliance sur un certain nombre de sujets concrets et sur la disponibilité des différents partenaires.
Bien entendu, il peut y avoir des différends sur le concept stratégique, heureusement ! Le concept stratégique amène l'ensemble des pays de l'Alliance à s'intéresser aux problèmes de sécurité et de crises possibles dans leur environnement, et d'abord sur leur continent, au cours des dix ou vingt années à venir. C'est un vrai sujet de débat, qui s'est d'ailleurs engagé dès cette année.
Sur de nombreux sujets, les positions des Européens sont contrastées. Ce serait caricaturer et s'adonner à un pessimisme finalement générateur d'inaction que de croire que tous les Européens, hors la France, sont d'avance alignés sur toutes les propositions des Etats-Unis et n'ont plus aucune capacité d'initiative politique. Au contraire, cela donnera à la France une capacité créative mais ne la placera en aucun cas dans une position d'isolement, en situation de prêcher dans le désert. Le débat sur le concept stratégique de l'Alliance sera riche et varié, et les positions ne sont pas écrites à l'avance. C'est déjà une façon de reconnaître que l'Europe y tiendra une place significative.
Il est vrai que, aujourd'hui, aucun Etat ne s'est engagé. Certains préconisent un élargissement, difficilement contrôlable, des capacités d'initiative de l'Alliance dans la gestion des crises. Ils se heurtent à la position très stricte que la France a adoptée et qui tend à préserver la primauté du Conseil de sécurité à l'égard de tout mandat politique de traitement d'une crise en dehors de l'article 5, c'est-à-dire du territoire des pays concernés. Nous ne serons pas non plus isolés sur ce sujet et plusieurs pays européens, même s'ils ne sont pas nécessairement membres permanents du Conseil de sécurité, par souci de préserver l'équilibre mondial et de ne pas voir l'Europe s'isoler, notamment des continents voisins, défendront une position analogue.
Le coût économique global de l'adhésion, sur lequel le Gouvernement s'est engagé en informant le Sénat, est de 9 milliards de francs. Il sera réparti entre l'ensemble des partenaires ; vous connaissez la clé de répartition. Après une période qui, comme l'a laissé entendre M. le rapporteur, était un peu pittoresque en matière d'évaluation des coûts de l'élargissement, on est aujourd'hui en possession de chiffres très réalistes. La position française, partagée par plusieurs de nos alliés européens, selon laquelle ce coût peut être absorbé par redéploiements, est crédible. C'est certainement celle qui sera appliquée.
Pour les pays adhérents, cela suppose, bien sûr, par rapport à la situation actuelle, une augmentation de leur effort financier en matière de défense. Voilà dix ans ou douze ans, la comparaison n'aurait peut-être pas été dans le même sens. En effet, dans le cadre du Pacte de Varsovie, ces pays étaient soumis à un très lourd effort financier de défense. Aujourd'hui, dans leur réorganisation économique, ce coût est réduit.
Je voudrais souligner, cela a d'ailleurs été dit par plusieurs d'entre vous, que ces pays connaissent, dans le même temps, une croissance rapide. Nous savons tous, en égrenant année après année les discussions budgétaires, que lorsqu'un pays est en situation de croissance il dispose de marges pour renforcer certaines de ses capacités budgétaires, qui peuvent bénéficier à la défense comme à d'autres fonctions collectives.
Certes, ces pays vont constituer des marchés de défense nouveaux. Dans les discussions que nous avons avec les représentants des trois pays nouvellement adhérents, nous percevons bien que la charge de modernisation de certains de leurs équipements, notamment des plus lourds, va être étalée dans le temps. D'ailleurs, les normes de l'OTAN permettent de garder pendant une assez longue période certains matériels qui font aujourd'hui partie des équipements de défense de ces pays.
Donc, je ne crois pas que, par rapport à ce que représentent globalement les marchés de défense européens, l'introduction de la Pologne, de la Hongrie et de la République tchèque dans des marchés de renouvellement change radicalement la donne. Si on doit faire preuve de vigilance à l'égard des pays européens qui achètent du matériel américain, cela ne concerne pas uniquement les trois pays nouvellement adhérents à l'Alliance, car c'est le cas de beaucoup de pays alliés, et depuis longtemps.
Nous avons, au contraire, la conviction que les trois pays regardent avec beaucoup d'attention et de vigilance non seulement les coûts, mais aussi les dépendances technologiques que peuvent entraîner leurs décisions en matière de renouvellement de matériels. Au côté d'autres alliés européens, je pense que nous pourrons faire des propositions de renouvellement d'équipements de défense à ces pays qui ne tourneront pas nécessairement à la confusion pour les entreprises européennes.
Je voudrais m'associer aux propos du président de Villepin et de M. Estier sur la nécessité de progresser dans l'organisation d'une industrie de défense européenne. Mais, vous le constatez, nous sommes en train de prendre des initiatives et de réaliser des avancées en ce domaine.
Pour que, à l'avenir, l'équilibre des forces dans l'Alliance atlantique soit plus compatible avec nos souhaits, il faudrait une volonté européenne accrue. Je crois, comme M. Hoeffel, que cette volonté doit être partagée. J'ai entendu avec beaucoup d'intérêt et de sympathie l'expression de la tradition gaulliste telle que l'a prononcée tout à l'heure M. Jacques Chaumont, mais alors il faut parler de partages de souveraineté. Si nous voulons une vraie Europe de la défense, cela suppose que nous acceptions de franchir le pas des partages de souveraineté.
Si, dans la comparaison d'efficacité, que M. Bécart a évoquée tout à l'heure, entre l'OTAN et l'OSCE, au début des années quatre-vingt-dix, les pays concernés ont eu le sentiment d'opter pour la crédibilité et la sécurité en choisissant l'OTAN, c'est parce que l'Alliance atlantique, même si elle n'est pas équilibrée entre les différentes puissances, est un véritable lieu de partage de souveraineté.
Si l'Europe pense pouvoir progressivement prendre plus d'importance et d'autonomie dans la définition de ses objectifs et de ses moyens de défense au sein d'un ensemble euro-atlantique, il faut que tous ses membres, nous y compris, soient disposés à des partages de souveraineté. Cette idée fait, me semble-t-il, son chemin, grâce à l'euro, grâce aux politiques économiques de plus en plus partagées et grâce à des volontés politiques qui s'expriment notamment face aux crises. Le conflit en Bosnie a certainement fait prendre conscience à nombre d'Européens de la nécessité de s'engager ensemble et, par conséquent, de ne pas être sûrs d'avoir raison seul contre tous les autres Européens. Nous sommes donc en bonne voie pour aller vers ce rééquilibrage.
Je voudrais, au nom du Gouvernement, démentir les propos un peu pessimistes selon lesquels on est plus loin que jamais de l'Europe de la défense. Je ne crois pas que ce soit le cas.
Ce qui est en jeu aujourd'hui, c'est la confirmation de notre lien d'amitié et de confiance avec les trois pays qui ont souhaité et négocié cette adhésion à l'Alliance. A cet égard, la commission a bien fait, en plus de tout le travail de préparation qu'elle a accompli, de souligner l'importance de cet engagement en demandant un scrutin public sur le choix qui va maintenant intervenir. C'est une décision politique majeure. Le Parlement se prononcera ainsi en toute responsabilité sur cette évolution significative de l'architecture de la défense européenne..
Répondant à la suggestion de M. Estier, je dirai que le Gouvernement entend poursuivre le dialogue avec les deux chambres du Parlement sur la suite de l'évolution de l'Alliance atlantique, parce qu'il en va en effet de nos intérêts en matière de sécurité et de notre participation au nouvel équilibre mondial. Comme aujourd'hui, le Sénat continuera à faire du bon travail en réfléchissant sur ce sujet.
(Source http://www.senat.fr, le 9 novembre 2001)
Répondant notamment à M. About, j'insisterai sur le fait que l'adhésion à l'Alliance atlantique correspond à une volonté déterminée des trois pays concernés. Aussi est-il un peu vain d'affirmer à cette tribune qu'ils se trompent, d'autant que, même indépendamment de la plus élémentaire courtoisie diplomatique, il n'y a aucune raison de penser que les dirigeants de ces trois pays, et leurs oppositions respectives, font preuve d'une totale myopie sur la sécurité européenne et que quiconque ici sait mieux qu'eux quelles garanties et quelles alliances politiques ils doivent conclure pour assurer leur sécurité et leur avenir.Je veux ajouter un argument à ceux qui ont été exprimés, souvent sur un ton très amical, en faveur de ces trois pays. Dans les facteurs qui ont présidé à leur choix en faveur de l'adhésion à l'OTAN, le souvenir de quarante et quelques années de souveraineté limitée a sans doute été déterminant. Pour certains, de surcroît, des siècles de déchirements font que le sentiment ou la réalité de la souveraineté limitée remontent loin dans l'histoire.
On comprend qu'ils aient eu pour motivation profonde le souci de ne pas s'exposer à nouveau à un tel risque. A ce moment-là, monsieur About, le risque se calcule non pas sur dix ans mais sur une beaucoup plus longue durée.
Monsieur Chaumont, même si tous les parlements des pays alliés ne se sont pas encore prononcés, les Européens n'ont pas jusqu'à présent mesuré leur assentiment sur cet élargissement. Ainsi, contrairement à ce que j'ai pu entendre, le Sénat italien s'est-il déjà prononcé en faveur de l'élargissement, et à la quasi-unanimité.
Nous avons notre place à prendre dans un processus d'évolution de l'Alliance qui ne doit pas être considérée comme un moindre mal, comme une concession nécessaire, comme, au fond, la réaction un peu sceptique à une mode passagère. Nous souhaitons sincèrement accueillir ces nouveaux alliés et nous entendons aussi poursuivre l'élargissement de l'Alliance atlantique à d'autres pays qui sont candidats.
Quant à la signification de notre rapport stratégique aux Etats-Unis, sur laquelle, je pense, nous reviendrons, je voudrais rappeler, parce que cela n'a pas encore été fait, que le Sénat américain a débattu d'un amendement tendant à l'introduction d'un moratoire dont l'adoption aurait eu pour effet de bloquer pour trois années tout nouvel élargissement de l'Alliance à d'autres pays européens. Cet amendement a été repoussé sans ambiguïté par le Sénat américain, l'administration américaine ayant également nettement pris position contre. Je ne crois donc pas que la poursuite de l'élargissement de l'Alliance, au cours des mois ou des années qui viennent, soit une bataille perdue. Nombre de nos alliés savent que ce sera l'un des sujets clés du sommet de Washington, qui se tiendra l'année prochaine. Par conséquent, sur ce sujet, la France ne court aucun risque d'isolement au sein de l'Alliance.
Il m'apparaît judicieux de revenir un instant sur les discussions avec la Russie en relation avec ce processus d'élargissement. Il est vrai que, en Russie, les pouvoirs publics, au sens large, affichent une certaine réticence, voire une opposition à cet élargissement. Il faut, toutefois, faire la différence entre certains propos tenus dans le cadre du débat démocratique en Russie et qui, à ce titre, sont respectables mais n'engagent pas les autorités russes, et le comportement extrêmement responsable et mesuré du président et du gouvernement russes, en fait des gouvernements russes successifs.
Certes, quand tout se passe bien, cela ne fait pas l'actualité. A nous donc d'aller un peu plus loin, ce que le Sénat, notamment sa commission des affaires étrangères, fait avec beaucoup de discernement. Mais enfin, depuis que les textes sur l'Acte fondateur entre la Russie et l'OTAN ont été signés, ils ne sont pas restés lettre morte. A chaque activité de l'Alliance, à chaque réunion s'instaure un véritable partenariat avec la Russie, ce qui veut dire que les autorités de ce pays en voient tout l'intérêt. Il y a eu non pas gel des relations entre les pays de l'Alliance atlantique et la Russie en matière de sécurité dans la région Europe au sens large depuis le début du processus d'élargissement, mais, au contraire, dynamisation.
Il faut avoir la lucidité de reconnaître aujourd'hui que ce sujet de l'élargissement, pour ceux qui conduisent effectivement la politique étrangère et de sécurité de la Russie, est derrière nous, derrière eux, et que l'on parle d'autre chose. Donc, je ne crois pas que l'élargissement puisse aujourd'hui être perçu comme une pomme de discorde qui contrarierait tout développement de coopération et de politique négociée entre la Russie et les pays européens, notamment le nôtre. J'ai, au contraire, la conviction que, à travers le développement du partenariat avec la Russie, cela sera un facteur de dynamisme. Bien sûr, nous gardons l'originalité de notre position au sein de l'Alliance. Il est logique que, dans une assemblée pluraliste comme la vôtre, riche de nombreux experts en politique internationale, s'expriment des visions quelque peu variées, voire contrastées, sur cette position.
Je voudrais souligner mon accord avec le rapporteur, M. André Dulait, qui a finement décrit la position actuelle de la France au sein de l'Alliance. Cette position est dynamique et, comme le suggérait le président de Villepin, nous sommes en train, en effet, de créer de nouvelles habitudes de dialogue et d'initiatives communes au sein de l'Alliance, qui préservent notre souci d'autonomie stratégique et qui ne nous empêchent pas d'être partie prenante, avec nos alliés, dans des actions contribuant à la sécurité européenne.
Ce n'est pas simplement de la théorie, c'est ce que nous faisons chaque jour en Bosnie. Ce n'est pas simplement par complaisance que tous nos alliés, qu'ils soient américains ou européens, soulignent l'importance de l'apport français au dispositif de la force de stabilisation en Bosnie. Nous y avons réussi. Tout en gardant notre position distincte par rapport à l'organisation militaire, nos hommes ont démontré, sur le terrain, la capacité de la France d'être côte à côte, efficace pour lutter contre des dangers et surmonter une crise, dans un théâtre difficile comme la Bosnie.
De même, nous sommes partie prenante dans le nouveau concept des groupes de forces interarmées multinationales, les GFIM, qui sont, en réalité, des esquisses d'états-majors de crise correspondant à des zones de troubles en Europe. L'accord politique pour le traitement de crises sous l'autorité de l'UEO avec les structures de commandement de l'OTAN est, à nos yeux, un acquis important de la dynamique européenne au sein de l'Alliance, et nous participons au travail de mise en oeuvre de cet accord.
S'agissant de la place de l'Europe, globalement, dans l'Alliance, on peut bien sûr accumuler les témoignages d'insatisfaction ; j'y reviendrai. Je centrerai plutôt mon propos sur l'état des discussions au sein de l'Alliance sur un certain nombre de sujets concrets et sur la disponibilité des différents partenaires.
Bien entendu, il peut y avoir des différends sur le concept stratégique, heureusement ! Le concept stratégique amène l'ensemble des pays de l'Alliance à s'intéresser aux problèmes de sécurité et de crises possibles dans leur environnement, et d'abord sur leur continent, au cours des dix ou vingt années à venir. C'est un vrai sujet de débat, qui s'est d'ailleurs engagé dès cette année.
Sur de nombreux sujets, les positions des Européens sont contrastées. Ce serait caricaturer et s'adonner à un pessimisme finalement générateur d'inaction que de croire que tous les Européens, hors la France, sont d'avance alignés sur toutes les propositions des Etats-Unis et n'ont plus aucune capacité d'initiative politique. Au contraire, cela donnera à la France une capacité créative mais ne la placera en aucun cas dans une position d'isolement, en situation de prêcher dans le désert. Le débat sur le concept stratégique de l'Alliance sera riche et varié, et les positions ne sont pas écrites à l'avance. C'est déjà une façon de reconnaître que l'Europe y tiendra une place significative.
Il est vrai que, aujourd'hui, aucun Etat ne s'est engagé. Certains préconisent un élargissement, difficilement contrôlable, des capacités d'initiative de l'Alliance dans la gestion des crises. Ils se heurtent à la position très stricte que la France a adoptée et qui tend à préserver la primauté du Conseil de sécurité à l'égard de tout mandat politique de traitement d'une crise en dehors de l'article 5, c'est-à-dire du territoire des pays concernés. Nous ne serons pas non plus isolés sur ce sujet et plusieurs pays européens, même s'ils ne sont pas nécessairement membres permanents du Conseil de sécurité, par souci de préserver l'équilibre mondial et de ne pas voir l'Europe s'isoler, notamment des continents voisins, défendront une position analogue.
Le coût économique global de l'adhésion, sur lequel le Gouvernement s'est engagé en informant le Sénat, est de 9 milliards de francs. Il sera réparti entre l'ensemble des partenaires ; vous connaissez la clé de répartition. Après une période qui, comme l'a laissé entendre M. le rapporteur, était un peu pittoresque en matière d'évaluation des coûts de l'élargissement, on est aujourd'hui en possession de chiffres très réalistes. La position française, partagée par plusieurs de nos alliés européens, selon laquelle ce coût peut être absorbé par redéploiements, est crédible. C'est certainement celle qui sera appliquée.
Pour les pays adhérents, cela suppose, bien sûr, par rapport à la situation actuelle, une augmentation de leur effort financier en matière de défense. Voilà dix ans ou douze ans, la comparaison n'aurait peut-être pas été dans le même sens. En effet, dans le cadre du Pacte de Varsovie, ces pays étaient soumis à un très lourd effort financier de défense. Aujourd'hui, dans leur réorganisation économique, ce coût est réduit.
Je voudrais souligner, cela a d'ailleurs été dit par plusieurs d'entre vous, que ces pays connaissent, dans le même temps, une croissance rapide. Nous savons tous, en égrenant année après année les discussions budgétaires, que lorsqu'un pays est en situation de croissance il dispose de marges pour renforcer certaines de ses capacités budgétaires, qui peuvent bénéficier à la défense comme à d'autres fonctions collectives.
Certes, ces pays vont constituer des marchés de défense nouveaux. Dans les discussions que nous avons avec les représentants des trois pays nouvellement adhérents, nous percevons bien que la charge de modernisation de certains de leurs équipements, notamment des plus lourds, va être étalée dans le temps. D'ailleurs, les normes de l'OTAN permettent de garder pendant une assez longue période certains matériels qui font aujourd'hui partie des équipements de défense de ces pays.
Donc, je ne crois pas que, par rapport à ce que représentent globalement les marchés de défense européens, l'introduction de la Pologne, de la Hongrie et de la République tchèque dans des marchés de renouvellement change radicalement la donne. Si on doit faire preuve de vigilance à l'égard des pays européens qui achètent du matériel américain, cela ne concerne pas uniquement les trois pays nouvellement adhérents à l'Alliance, car c'est le cas de beaucoup de pays alliés, et depuis longtemps.
Nous avons, au contraire, la conviction que les trois pays regardent avec beaucoup d'attention et de vigilance non seulement les coûts, mais aussi les dépendances technologiques que peuvent entraîner leurs décisions en matière de renouvellement de matériels. Au côté d'autres alliés européens, je pense que nous pourrons faire des propositions de renouvellement d'équipements de défense à ces pays qui ne tourneront pas nécessairement à la confusion pour les entreprises européennes.
Je voudrais m'associer aux propos du président de Villepin et de M. Estier sur la nécessité de progresser dans l'organisation d'une industrie de défense européenne. Mais, vous le constatez, nous sommes en train de prendre des initiatives et de réaliser des avancées en ce domaine.
Pour que, à l'avenir, l'équilibre des forces dans l'Alliance atlantique soit plus compatible avec nos souhaits, il faudrait une volonté européenne accrue. Je crois, comme M. Hoeffel, que cette volonté doit être partagée. J'ai entendu avec beaucoup d'intérêt et de sympathie l'expression de la tradition gaulliste telle que l'a prononcée tout à l'heure M. Jacques Chaumont, mais alors il faut parler de partages de souveraineté. Si nous voulons une vraie Europe de la défense, cela suppose que nous acceptions de franchir le pas des partages de souveraineté.
Si, dans la comparaison d'efficacité, que M. Bécart a évoquée tout à l'heure, entre l'OTAN et l'OSCE, au début des années quatre-vingt-dix, les pays concernés ont eu le sentiment d'opter pour la crédibilité et la sécurité en choisissant l'OTAN, c'est parce que l'Alliance atlantique, même si elle n'est pas équilibrée entre les différentes puissances, est un véritable lieu de partage de souveraineté.
Si l'Europe pense pouvoir progressivement prendre plus d'importance et d'autonomie dans la définition de ses objectifs et de ses moyens de défense au sein d'un ensemble euro-atlantique, il faut que tous ses membres, nous y compris, soient disposés à des partages de souveraineté. Cette idée fait, me semble-t-il, son chemin, grâce à l'euro, grâce aux politiques économiques de plus en plus partagées et grâce à des volontés politiques qui s'expriment notamment face aux crises. Le conflit en Bosnie a certainement fait prendre conscience à nombre d'Européens de la nécessité de s'engager ensemble et, par conséquent, de ne pas être sûrs d'avoir raison seul contre tous les autres Européens. Nous sommes donc en bonne voie pour aller vers ce rééquilibrage.
Je voudrais, au nom du Gouvernement, démentir les propos un peu pessimistes selon lesquels on est plus loin que jamais de l'Europe de la défense. Je ne crois pas que ce soit le cas.
Ce qui est en jeu aujourd'hui, c'est la confirmation de notre lien d'amitié et de confiance avec les trois pays qui ont souhaité et négocié cette adhésion à l'Alliance. A cet égard, la commission a bien fait, en plus de tout le travail de préparation qu'elle a accompli, de souligner l'importance de cet engagement en demandant un scrutin public sur le choix qui va maintenant intervenir. C'est une décision politique majeure. Le Parlement se prononcera ainsi en toute responsabilité sur cette évolution significative de l'architecture de la défense européenne..
Répondant à la suggestion de M. Estier, je dirai que le Gouvernement entend poursuivre le dialogue avec les deux chambres du Parlement sur la suite de l'évolution de l'Alliance atlantique, parce qu'il en va en effet de nos intérêts en matière de sécurité et de notre participation au nouvel équilibre mondial. Comme aujourd'hui, le Sénat continuera à faire du bon travail en réfléchissant sur ce sujet.
(Source http://www.senat.fr, le 9 novembre 2001)