Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, à France-Inter le 30 mai 2002, sur le congrès de la CFDT à Nantes, le dialogue social et les relations de la CFDT et du gouvernement et de son action politique.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli Finalement, quand on s'appelle N. Notat, subir une bronca sur la question des retraites à quelques heures d'un départ, après dix ans de mandat qui ont fait de la CFDT le premier des syndicats, n'est-ce pas la meilleure des sorties ? Si le syndicalisme est une bataille de tous les instants, tout est-il négociable pour les syndiqués ? Le réformisme a-t-il ses limites, notamment sur la question des retraites ? Vous êtes secrétaire générale pour quelques heures encore, après avoir obtenu hier 78,51 % de votes favorables sur votre rapport d'activité. La bronca et le soutien, c'est ça la CDFT ?
- "La bronca, il faut la relativiser. A la CFDT, on a l'habitude de débattre et quand on débat, des gens expriment des positions qui ne sont pas toutes consensuelles ; il y a des gens qui sont d'accord et d'autres qui ne le sont pas. En général, ça vit dans un congrès ! C'est-à-dire que les gens réagissent, ils font savoir, ils applaudissent quand ils sont d'accord, ils se manifestent aussi quand ça ne va pas. C'était donc un congrès vivant mais c'était aussi - et c'est ce que je retiens - un congrès qui s'est à nouveau positionné clairement sur un certain nombre de débats difficiles pour des syndicalistes, pour des salariés confrontés - vous l'avez dit - à des licenciements, aux systèmes des préretraites. Nous avons finalement une position à la CFDT, qui consiste à dire qu'il est évidemment souhaitable d'éviter au maximum les licenciements, de trouver des solutions alternatives. Mais si d'aventure cela arrive, alors les syndicats ont la responsabilité d'aider les salariés d'obtenir leur reclassement, de faire en sorte que s'il y a un emploi en moins, il n'y ait pas un chômeur de plus. Ce ne sont pas des débats faciles mais la CFDT s'est prononcée sur une position, à nouveau, très réaliste et très ambitieuse aussi."
Mais c'est drôle comme ce congrès est une sorte de résumé de vos dix ans de mandat ; c'était cette volonté, parfois même cette exigence, de réalisme qui conduit un peu à des affrontements au sein même de la CFDT. Est-ce que cette ligne va être maintenue ?
- "Vous pouvez remarquer que les affrontements sont tout à fait relatifs, puisque ce qui est le vrai thermomètre, c'est le score que le congrès tout entier, c'est-à-dire tous nos syndicats réunis qui sont là pour représenter tous les adhérents, ont donné sur le rapport d'activité. Ils ont donné un accord large à la ligne que nous avons suivie depuis trois ans, puisque nous avons cinq points de plus qu'au dernier congrès. 78 %, je trouve que ce n'est pas mal, que c'est plutôt une organisation rassemblée qu'une organisation déchirée qui vit aujourd'hui à Nantes."
Ce qui est intéressant, c'est que cela n'empêche pas les questions...
- "Heureusement que cela n'empêche pas les questions et le débat !"
Oui, bien entendu. [Il y a] notamment celle-là : quand la CFDT vous dit, "Pas de plans sociaux dans les entreprises qui font des bénéfices", et quand on entend madame A. Thomas, la secrétaire nationale, dire que c'est irréaliste de parler ainsi. Est-ce la volonté d'être réaliste, justement ?
- "Ce n'est pas la volonté d'être réalistes ; des délégués sont venus expliquer qu'au quotidien, ils étaient confrontés à cela. Ce n'est pas une vision théorique que les délégués viennent apporter ici, c'est leur expérience au quotidien. Ce sont des syndicalistes qui ont vécu l'histoire de la sidérurgie, du textile, des chantiers navals et qui ont expliqué que depuis des années, ils sont confrontés à cela. Ils sont venus dire que si nous nous braquons toujours sur le "il y aura zéro licenciement" - ce qui est normal au départ car rien ne peut justifier, pour un salarié, sa suppression d'emploi -, sur une position comme ça, les licenciements tombaient quand même et les salariés restaient sur le bord de la route. Il faut donc à la fois refuser le maximum de licenciements possibles, bien sûr, il faut chercher des solutions alternatives mais lorsqu'elles s'imposent aux salariés, alors, les syndicalistes doivent de nouveau être à leurs côtés, exiger de l'employeur un nouvel emploi par tous les moyens possibles. Voilà l'obligation que la CFDT a fixée aux employeurs, désormais : "zéro chômeur là vous installez des licenciements, une obligation de reclassement des salariés"."
La mondialisation est une réalité, on ne peut pas faire sans aujourd'hui. Comment se fait-il que les syndicats, en l'occurrence la CFDT, ait pris en compte cette réalité plus que les politiques - autant à droite qu'à gauche d'ailleurs ?
- "C'est aux politiques qu'il faut le demander. Peut-être, là encore, parce que concrètement dans les entreprises, de plus en plus - et ils ont été nombreux à le dire à la tribune du congrès - les effets, les impacts de la mondialisation touchent les salariés, donc les syndicalistes au quotidien. La délocalisation d'un certain nombre d'emplois, la nouvelle géographie des activités qui est en train de se constituer dans le monde, sont maintenant des réalités au quotidien pour un certain nombre de secteurs. Quand on se bat pour l'application des droits fondamentaux partout dans le monde, quand on se bat pour que cette mondialisation soit moins inégalitaire, qu'elle profite à tous les gens de la planète, ce sont des combats syndicaux depuis toujours. Dans le syndicalisme, on reste de vrais internationalistes, donc nous voulons une mondialisation plus solidaire, plus équitable, qui profite à tous."
J'imagine que la référence aux politiques ne vous surprend pas. Parmi les nombreux hommages qui vous sont rendus, D. Strauss-Kahn dit que vous êtes une politique. Vous revendiquez cette étiquette ou au contraire, vous avez toujours voulu vous en défaire ?
- "A la CFDT, depuis toujours, pas seulement moi, nous revendiquons que par notre fonction, nous touchons à la chose politique, au sens noble du terme ; nous ne faisons pas de la politique au sens partisan. Mais la politique, heureusement, ce n'est pas seulement de l'option partisane. Il en faut mais cela ne s'arrête pas là. C'est tout simplement une capacité à s'approprier des débats de société, à s'approprier la chose publique. Qui d'autre que les syndicats a cette responsabilité ?"
E.-A. Seillière salue votre vision réformiste de notre modèle social et avance, sans aucune ironie d'ailleurs, votre malchance chronologique. Il dit que vous partez au moment où il serait peut-être plus facile de négocier avec un gouvernement Raffarin qu'avec un gouvernement Jospin. Est-ce votre impression ?
- "La question n'est pas de savoir si mon départ est le bon moment de ce point de vue, mais de bien comprendre, aujourd'hui, que la CFDT, telle qu'elle est, telle qu'elle va sortir de ce congrès me semble particulièrement prête et bien armée pour affronter les défis de la période qui s'annonce. Car la question sociale va être au centre du débat et de l'action politique du gouvernement qui sortira de l'après-législatives. La CFDT a ce qu'il faut dans sa musette pour se faire entendre, pour orienter les décisions dans le sens qu'elle souhaite."
A-t-on été dans le paradoxe ces dernières années, avec une gauche qui n'acceptait pas si facilement que ça le dialogue social ?
- "Si vous me demandez cela à moi, vous connaissez ma réponse. J'ai très souvent regretté et attiré l'attention du gouvernement précédent, sur le fait qu'aujourd'hui, les gouvernants et même l'efficacité d'un gouvernement passe sûrement par une meilleure écoute d'abord, mais surtout une meilleure association des partenaires sociaux au règlement des questions que connaissent les salariés et les entreprises. Je n'en suis pas à dire que c'est par ce qu'il y a e u cette faiblesse de ce Gouvernement qu'il a connu le résultat qu'on a connu ; c'est sûrement un ensemble plus large . En tout, il me semble que maintenant, l'organisation de nouvelles relations, le développement tous azimuts d'un dialogue social, construit, voulu, pensé, est effectivement l'avenir y compris de la réussite d'un gouvernement."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 mai 2002)