Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT à Europe 1 le 27 mai 2002, sur le bilan de dix années à la tête de la CFDT, le dialogue social et les 35 heures.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1

Texte intégral

Une fois n'est pas coutume : si vous permettez une confidence, je suis ému parce que c'est la dernière fois que je vous interroge, en tant que secrétaire générale de la CFDT. Le compte à rebours des adieux de N. Notat est engagé. A Nantes, à partir d'aujourd'hui, vous allez donc écrire la dernière page ; comment ?
- "En faisant en sorte que ce congrès se passe du mieux possible, que le passage de témoin se passe le mieux possible. Et à ce jour, je suis assez confiante."
Trois mandats, presque dix années s'achèvent à la tête de la CFDT, avec des conflits, des tensions. Quel est votre ultime message à Nantes ? Qu'est-ce que la ligne Notat pour peut-être demain, après-demain ?
- "La ligne Notat, vous imaginez bien que c'est d'abord la ligne de la CFDT. Les résultats qu'on va aujourd'hui exprimer pendant les jours qui viennent, en disant : "c'est le bilan Notat, c'est les années Notat", c'est beaucoup ceux d'une équipe et de l'organisation."
Mais jeudi, quand vous passerez le flambeau à votre dauphin héritier successeur, F. Chérèque, est-ce que vous lui direz de ne pas commettre telles ou telles erreurs, et lesquelles ?
- "Non, je ne lui dirai pas cela, d'abord parce que je pense que cela ne sert à rien et que chacun fait son expérience. C'est évident qu'on peut toujours réécrire l'Histoire. Aujourd'hui, je peux me dire : à tel moment, on aurait pu faire autrement, on a peut-être raté telle occasion... On ne refait pas l'Histoire."
Quand je parle de message ultime à Nantes, est-ce que pour vous, c'est la réforme et le changement social pour mieux préparer la France et les Français à la mondialisation qui arrive inéluctablement ?
- "Le message, c'est celui qu'on constatera aussi entre nous. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, la CFDT a gagné quelque chose de très important : l'idée que ce syndicat est indépendant, l'idée qu'elle ne va chercher nulle part ailleurs qu'en elle-même les choix qui sont les siens, les actes qu'elle pose, cela est acquis aujourd'hui. Le deuxième message qui caractérise la CFDT d'aujourd'hui, c'est que nous avons permis de comprendre que le moment de la négociation était un moment-clé dans la confrontation avec le patronat et que c'est au contraire , dans cette confrontation et dans ce moment, qu'on a le meilleur rapport de force et qu'on peut obtenir ce que l'on attend pour les salariés."
Sans passer forcément par la rue ?
- "Pas forcément. Il est possible aussi d'avoir besoin de la rue, mais pas systématiquement."
Vous partez à la veille des élections législatives. On voit deux armées politiques s'organiser et avancer vers la confrontation des 9 et 16 juin. Qu'est-ce que vous leur dites avant leur bataille ?
- "D'abord, je dis que c'est normal. En tout cas, au premier tour de l'élection législative, nous retrouvons des conditions de vie démocratique normale entre la gauche et la droite. Je crois qu'un pays a besoin de forces politiques qui affirment, qui structurent des projets. Et de ce point de vue-là, il est important que chacun joue parfaitement sa partition dans le débat politique et démocratique. Ensuite, évidemment, ce que nous attendons des politiques aujourd'hui, c'est qu'ils tirent les enseignements de ce qui s'est passé le 21 avril au soir ; c'est qu'ils réfléchissent finalement à ce qu'est faire de la politique dans ce contexte perturbé, troublé. Ce besoin de comprendre, ce besoin d'éclairer les citoyens - comme nous les salariés d'ailleurs -, ce besoin de fixer des perspectives qui ne soient pas l'apocalypse pour demain ; voilà ce dont on a besoin."
On voit, même dans toute l'Europe, monter l'extrémisme et une certaine forme de populisme. Est-ce que vous vous dites que les politiques doivent trouver les moyens d'éliminer les racines économiques, culturelles, sociales, morales du Front national ?
- "Ils doivent avant tout comprendre ce qui fait qu'un certain nombre d'électeurs vont dans l'impasse et se trompent dans ce que peuvent être leurs propres intérêts. S'ils éclairent l'avenir, s'ils redonnent de l'espoir plutôt que de la désespérance, il y aura des résultats en la matière."
Messieurs Raffarin et Fillon, que vous avez trouvés apparemment fort sympathiques quand vous les avez vus à Matignon, vous ont répété : "Vive le dialogue social !" Qu'est-ce qu'il faut mettre, à votre avis, dans le dialogue social, qui doit être un instrument probablement vers la réforme ?
- "Nous leur avons dit que c'était très bien d'avoir cette vision. Ce sera encore mieux de la mettre en pratique. Il ne suffit pas de dire aux partenaires sociaux : "Allez maintenant, à vous de jouer, nous on vous regarde !" Non, le Gouvernement doit réfléchir et travailler à la manière de rendre plus efficace la négociation collective, les règles du jeu de la négociation collective aujourd'hui en France et ça c'est aussi son affaire."
Et avec qui un syndicat réformateur comme la CFDT s'entend-il et agit-il le mieux ? La droite ou la gauche ? Ou ni l'une ni l'autre ?
- "Avec tous ceux qui sont là quand ils sont ou de droite ou de gauche. La CFDT, nous l'avons assez dit, ne se situe pas par rapport à la couleur d'un gouvernement. Elle n'est pas l'alliée des uns, elle n'est pas l'adversaire des autres."
Mais avec qui par expérience ? Vous avez connu des gouvernements de droite et de gauche...
- "Par expérience, il y a la colonne des "plus" et la colonne des "moins" dans les deux camps. Globalement, voilà une réalité en France, les politiques n'ont jamais pris la mesure de l'enjeu que représentait une rénovation des relations professionnelles, une capacité des partenaires sociaux à assumer leur rôle et leurs responsabilités comme étant un facteur de leur propre intérêt politique."
Aujourd'hui, la société réclame de manière contradictoire plus d'autonomie et plus de protection, quels vous semblent être les points de notre société les plus dangereux et les plus fragiles ?
- "Les plus fragiles, c'est ce qui permet à beaucoup de monde de penser qu'il faut se recroqueviller sur le clocher de son village, au motif que beaucoup de choses se passent aujourd'hui au niveau de la planète. Il faut tout à la fois être ouvert au jeu de la planète et en même temps avoir une réponse au quotidien, dans sa vie, sur les problèmes qui sont ceux des gens."
Vous pensez qu'on peut assouplir les 35 heures ? La CFDT sera d'accord ?
- "Les assouplir, oui ; les faire passer au camp des pertes et profits, non."
Mais on peut les assouplir ? La CFDT va dire "oui" - je sais que vous y tenez -, y compris dans l'hôpital ?
- "A l'hôpital, il n'y a pas besoin d'assouplir ; un accord prévoit les bonnes conditions de mise en oeuvre des 35 heures. Alors qu'on s'y tienne et ce sera bien."
Et sur les retraites, est-ce qu'il peut y avoir un accord pour rapprocher public-privé ? Dans Les Echos, vous disiez l'autre jour qu'au Congrès de Nantes, vous alliez dire que l'intérêt des salariés du privé et des fonctionnaires, exige une réforme, faute de quoi leur niveau de pension est menacé...
- "Bien sûr et c'est cela l'important ! Ce n'est pas qu'il y ait des différences, même s'il est souhaitable qu'elles se réduisent entre les fonctionnaires et les autres. L'enjeu, c'est que tous aient des retraites décentes, de bon niveau, dans les dix et vingt ans qui viennent. Et pour cela, il faut une réforme. Sans réforme, c'est à coup sûr la dégradation des pensions qui sont devant eux."
Et il faut peut-être privatiser pour alimenter les retraites de demain... C'est une solution aussi ?
- "Non, on ne privatise pas. Aujourd'hui, il y a des gens individuellement qui font à côté de la répartition des compléments de retraite individuels par capitalisation. Et il n'y a que ceux qui peuvent se payer cela qui le font aujourd'hui. La seule question à se poser, c'est comment faire rentrer ces démarches-là dans une démarche plus collective, plus négociée et où tout le monde peut en profiter."
Vendredi 31 mai, dernier jour du Congrès de Nantes. Il y aura des "hourras", des fleurs, des surprises, peut-être des larmes. Après, il y aura un peu de tristesse ou du soulagement chez vous ?
- "Peut-être un peu des deux à la fois."
Et vous sentez l'émotion monter, puisque nous sommes dans le congrès dès aujourd'hui ?
- "Evidemment. On ne quitte pas vingt ans de responsabilités à la CFDT, comme ce qui est mon cas, comme cela, sans qu'il y ait de l'émotion, sans un petit pincement au coeur, c'est évident. Mais en même temps, les conditions dans lesquelles cela se passe, la perspective qui est la mienne demain, me rendent légère à l'égard de ce moment."

(source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 27 mai 2002)