Déclaration de M. Robert Hue, président du PCF, sur les relations entre la France et l'Afrique, les effets de la "mondialisation capitaliste" et sur la nécessité de construire "un ordre international nouveau fondé sur l'égalité des nations et sur le droit", à Bamako (Mali) le 11 février 2002.

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Texte intégral

Mesdames, messieurs, chers amis,
Je veux d'abord vous remercier de votre présence. Je suis très sensible à l'honneur que vous me faites en répondant à mon invitation pour cette réception organisée à l'occasion de ma très riche, bien que trop courte, visite dans ce pays de grande culture et de grande civilisation qu'est le Mali.
J'ai rencontré ici de nombreuses personnalités, aux fonctions, aux préoccupations, et aux opinions très diverses, avec lesquelles j'ai eu de très intéressants échanges, marqués par le respect partagé des motivations et convictions de chacune et chacun.
C'est avec une grande émotion que j'ai recueilli les nombreux témoignages de sympathie, et souvent même d'affection exprimés avec une inoubliable chaleur au président du Parti communiste français. J'y ai reconnu la trace ineffaçable des liens particuliers qui se sont tissés dans notre histoire commune, entre des générations de communistes français et d'hommes et de femmes d'Afrique, engagés dans des luttes longues et difficiles pour libérer leur peuple, et au-delà l'Afrique tout entière, de la domination coloniale.
Evoquer ce combat contre le colonialisme c'est tout à la fois évoquer un des traits fondateurs de l'identité du Parti communiste français, et la solide et souvent fraternelle solidarité des communistes français et des militants anticolonialistes africains.
C'est tout à la fois évoquer un passé dont ils ont ensemble des raisons d'être fiers, et souligner combien le présent appelle, comme une impérieuse nécessité, le resserrement et une dynamisation nouvelle de ces liens historiques pour affronter ensemble les problèmes d'aujourd'hui.
Chacun le comprend bien, ce n'est pas un hasard si, au moment où des échéances électorales importantes en France coïncident avec de lourdes interrogations sur le devenir de l'humanité en proie aux dégâts considérables provoqués - notamment en Afrique - par la mondialisation capitaliste, j'ai choisi le temps d'une brève interruption dans ma campagne de candidat à l'élection présidentielle pour venir ici, à Bamako. Je veux, avec vous, envisager l'avenir des relations entre la France et le Mali, entre la France et l'Afrique, dans la perspective d'une autre mondialisation possible, d'un autre monde à construire ensemble dans des rapports de coopération, de co-développement, de respect, de dialogue et de paix.
Evoquer ce passé et ce présent qui nous sont communs conduit d'emblée à évoquer des hommes qui ont joué dans cette histoire un grand rôle. Parmi eux, bien sûr, ces militants africains qui devinrent des figures marquantes de ce que l'on appelait le tiers-monde aux lendemains de la seconde guerre mondiale. Je pense évidemment, et tout particulièrement, à Modibo Keita, à bien des égards symbole de dignité, de lucidité et de courage. Sa vision progressiste et son attachement viscéral à l'indépendance, à la justice sociale, et à l'unité africaine restent pour beaucoup un repère, et prennent dans la situation d'aujourd'hui une singulière résonance.
On comprendra que, par-delà ce que furent les vicissitudes de l'histoire et les évolutions politiques des uns et des autres, je souhaite associer à cet hommage Léopold Sedar Senghor, qui a fait de la langue française un pont entre les civilisations, et dont la disparition a touché toutes celles et tous ceux qui portent l'Afrique au cur.
Revenant à l'évocation de notre héritage commun, permettez-moi de rappeler la création en 1946, ici, à Bamako, du Rassemblement démocratique africain, et de sa section soudanaise l'US RDA par les militants communistes français et africains de ce qui s'appelait "le groupe d'études communistes".
Parmi les plus actifs de ces militants on trouvait des syndicalistes, comme Fayette, le postier, et Morlet, l'instituteur, tous deux chassés de l'administration pour "activité anti-française" !
A eux, et à beaucoup d'autres dont je ne puis citer les noms, je veux rendre hommage avec fierté : ils ont été, et restent dans nos mémoires, l'honneur de la France.
Mais, je le répète, ce que nous avons en commun ne s'écrit pas seulement au passé. Je veux à cet égard souligner une donnée nouvelle, dont je suis sûr que vous mesurez comme moi la portée. La France a de tous temps, ne serait-ce que par sa situation géographique, été l'un de ces carrefours de la planète, où se croisaient les hommes du monde entier.
Les bouleversements du monde moderne ont fait qu'aujourd'hui, à l'intérieur même de ses frontières, dans la composition même de son peuple - c'est-à-dire de l'ensemble des femmes et des hommes qui y vivent et y travaillent - la France s'est transformée, à l'image de la diversité du monde.
Ainsi, elle bénéficie de l'apport de ces centaines de milliers de travailleurs, de leurs familles, venus du Mali et d'autres pays africains, et qui sont aujourd'hui partie intégrante du peuple qui vit et travaille dans notre pays.
A l'inverse des politiciens qui, chez nous, nient cette réalité, et refusent à ceux de ces hommes et de ces femmes qui le souhaitent le droit à une véritable identité citoyenne en France, je considère qu'elle constitue et doit constituer un atout pour une France plus dynamique dans le monde moderne, et une incitation à une plus grande ouverture vers les autres peuples, les autres pays, notamment vers l'Afrique.
Au lendemain de l'événement important que fut, à Bamako, la coupe d'Afrique de football, je ne puis m'empêcher de souligner que c'est une équipe de France métissée à l'image de la société française d'aujourd'hui qui a gagné la dernière coupe du monde, et qui participe au progrès non seulement du football français mais, inséparablement, du football mondial !
Oui, cette réalité nouvelle sur laquelle je me suis permis d'insister devant vous constitue à mes yeux un atout pour une France désireuse d'uvrer, avec d'autres, à de nouvelles relations internationales, à l'avènement d'un autre monde, dont les peuples ont bien besoin aujourd'hui !
Je crois en effet que le combat pour l'indépendance des peuples est entré dans une phase inédite. On le voit avec la montée en puissance des interrogations sur la mondialisation actuelle et ses conséquences, alors que la majorité de l'humanité est tenue à l'écart des immenses progrès accomplis ces dernières décennies dans de nombreux domaines.
Pourtant dans le même temps grandit la perception que dans chaque événement, tragique ou porteur d'espoir, s'imbriquent toutes les dimensions, du local au mondial. Ainsi se construit ou se précise, pour des milliards d'êtres humains, la conscience de l'appartenance à une communauté qui devrait être solidaire, autour du besoin de justice et de partage, dans le refus de l'accroissement des inégalités et des discriminations, de la pauvreté, de la malnutrition ou de la privation de soins, des migrations de la misère, des atteintes à l'environnement, dans le refus que la richesse des uns s'accumule grâce à la misère du plus grand nombre.
L'Afrique fait hélas la tragique expérience de ce que coûtent aux hommes, aux peuples, aux nations, à un continent entier la recherche effrénée du profit, le pillage des ressources matérielles et des capacités humaines. S'il est un continent et des peuples qui ont fait l'expérience tragique des politiques néolibérales imposées par les institutions financières internationales, c'est bien l'Afrique !
L'Afrique, exemplaire des fractures sociales, humaines, sociales, environnementales engendrées par la mondialisation capitaliste.
J'entends ce que disent nos amis africains, les responsables, les militantes et les militants que nous rencontrons, à Bamako, à Dakar, à Durban, à Paris, à Porto Alegre, quand ils dénoncent le fait que 300 millions d'africains vivent avec moins d'un dollar par jour, 235 millions y souffrent de carence alimentaire et 170 millions de malnutrition. Le sida y touche dans certaines régions entre un tiers et un quart de la population.
Solidaire de l'Afrique, solidaire des Africains, je ne suis pas, je ne serai pas de ceux qui viennent ici verser des larmes, sincères ou non, et parler avec compassion, voire avec à la clé quelques aides sans lendemain, puis s'en retournent chez eux avec bonne conscience, sans voir qu'il y a autre chose à faire. Autre chose à faire ensemble, vous et nous, pour refuser l'intolérable et changer ensemble un monde aussi terriblement injuste !
Je ne dis pas, je ne serai pas de ceux dont les "bons sentiments" ne vont pas jusqu'à cesser de vouloir maintenir les Africains en position de "solliciteurs". Comment ne pas voir que ce qui monte aujourd'hui en Afrique, à côté des drames qui la déchirent, c'est une vraie vitalité, la recherche de voies originales pour sortir du sous-développement dans lequel on l'a enfermée et dans lequel on veut la maintenir !
Un des signes les plus significatifs et porteur de grandes perspectives, c'est l'influence de la culture africaine, sa modernité. Le développement des échanges dans les deux sens est aujourd'hui un levier pour l'affirmation de l'égale dignité et de la fierté. C'est un facteur essentiel de l'affirmation de l'Afrique comme acteur de la civilisation mondiale.
Tout cela ne rend que plus intolérables les blocages provoqués, par delà les difficultés structurelles et les conditions héritées de l'histoire, par la mise en oeuvre systématique des politiques ultralibérales, le refus des investissements jugés trop peu rentables, le pillage des ressources et les ingérences de toutes sortes dans la politique des Etats.
Aujourd'hui grandit la compréhension que l'aggravation des inégalités, la persistance de la malnutrition ou de la maladie ne sont pas le résultat d'une quelconque fatalité, mais trop souvent le résultat de choix, de décisions prises, quelquefois bien loin de l'Afrique !
Ainsi se fortifie la conscience que le problème n'est pas d'être contre "la mondialisation" mais bien plutôt de contester les logiques du capitalisme mondialisé. Cette conscience est en train de franchir les frontières, au point de mettre sur la défensive les tenants de l'orthodoxie libérale.
Après de longues années de domination sans partage, ces dogmes sont bousculés. On en revient au rôle de la puissance publique, à l'apport irremplaçable du service public, pour un développement durable et harmonieux. On en revient au primat de la politique sur l'économie. Ce qui était hier présenté comme la seule solution pour le décollage économique et le progrès social est aujourd'hui sous les feux de la critique.
De partout des questions montent, auxquelles il faudra bien répondre !
Quel bilan de l'ajustement structurel, des conséquences des coupes dans les dépenses d'éducation et de santé, des privatisations, de la déréglementation, de la libre-circulation absolue des capitaux ? Quelles leçons tirer des difficultés dans lesquelles se débattent les Etats africains ? Quelles leçons tirer de l'effondrement de l'Argentine sous les thérapies de choc du FMI ? Faut-il continuer dans le même sens, ou faut-il définir de nouvelles priorités ?
Le débat sur les désordres du monde a été tragiquement relancé avec les attentats du 11 septembre contre les Etats-unis. Nous avons condamné ces actes terroristes et les idéologies qui les inspirent. Et nous avons souligné - je veux le redire ici - que pour nous, les intégristes islamistes professant le terrorisme n'ont rien à voir avec l'Islam qui, au contraire, appelle le respect, par son apport spirituel et culturel à la civilisation humaine.
Mais comment ne pas voir que les idéologies du désespoir ne peuvent que se nourrir de la misère, de l'humiliation, des frustrations, du pillage de ressources qui devraient assurer le développement et le bien-être pour tous, d'un rejet profond de l'arrogance des nantis ?
Le 11 septembre a agi comme un révélateur des tensions et des questions posées par la mondialisation. Il est révélateur aussi des défis auxquels sont confrontées les forces progressistes.
Il est clair maintenant que l'administration américaine utilise les attaques du 11 septembre pour se lancer, au nom de la lutte contre le terrorisme, dans une vaste opération de remise au pas du monde, en usant de sa puissance militaire, et au mépris de toutes les normes internationales. La décision du Président Bush d'augmenter de 15% le budget militaire le portant à 379 milliards de dollars est un défi à la conscience humaine et à la communauté internationale. Défi à la conscience humaine quand on sait les difficultés pour financer des plans de développement, ou de lutte contre le sida. Défi à la communauté internationale, parce que tout cela ne peut que conduire à des graves tensions et à des désordres plus grands encore.
Tout ce qui apparaîtra comme une nouvelle croisade contre le Sud, comme une démonstration de force du pays capitaliste le plus puissant, ne peut que creuser davantage encore les fractures et susciter de nouvelles réactions.
S'il est bien une leçon à tirer du 11 septembre, n'est-ce pas que pour isoler les terroristes, combattre leur idéologie, il faut s'attaquer aux causes dans un effort qui implique toute la communauté des nations pour apporter des réponses aux immenses frustrations qui font le lit des extrémismes.
Frustrations sociales, sans doute, mais sentiment de plus en plus insupportable de ne compter pour rien, refus d'une hégémonie de plus en plus insupportable.
En entendant le discours dominateur, guerrier, et pour tout dire inacceptable, du Président des Etats-Unis, on ne peut vraiment que se dire qu'il y a urgence à unir toutes les bonnes volontés pour travailler à la construction d'un ordre international nouveau fondé sur l'égalité des nations et sur le droit, en lieu et place de l'arbitraire de la loi du plus puissant, qu'il s'agisse des marchés financiers des grands groupes capitalistes internationaux, ou des Etats-unis.
Le monde a besoin de démocratie, ce qui implique la justice sociale et l'égalité. Ce qui implique de s'opposer avec beaucoup plus de fermeté à la nouvelle course aux armements américaine, et de relancer comme une priorité la réduction des dépenses militaires et la reprise des négociations pour le désarmement.
Nous retrouvons dans ces urgences des questions auxquelles ont été confrontés nos prédécesseurs, quand ils s'engageaient de toute leur force pour un monde meilleur. Ce dont il s'agit, - et c'est aussi une des leçons majeures du 11 septembre -, c'est d'ouvrir une perspective progressiste pour notre temps, la perspective qu'un "autre monde est possible".
Et cela sans renvoyer à plus tard la nécessité d'agir pour obtenir des mesures concrètes, des réformes, qui améliorent les conditions d'existence, qui réduisent la pauvreté et les inégalités, qui commencent à inverser la spirale, qui fassent reculer les pouvoirs des marchés, qui permettent de reconquérir de la souveraineté et de la citoyenneté. Qui fassent reculer les contraintes et qui redonnent espoir.
Il y a ce qui revient aux peuples d'Afrique, aux dirigeants qu'ils se donnent, aux forces progressistes à la longue expérience. Mais il y a dans les conditions présentes ce qui revient à la France et à l'Europe.
C'est en tant que responsable d'un parti qui, avec quatre ministres, participe au gouvernement de la France que je veux aborder devant vous cette question.
Je ne suis pas de ceux qui, au prétexte des graves fautes commises au nom de la France en Afrique au cours de la deuxième moitié du XXème siècle, voudraient aujourd'hui se laver les mains de leurs conséquences, et prônent un "désengagement" qui en fait laisserait le champ libre à d'autres qui rêvent de nouveaux pillages et de nouvelles dominations sur votre continent.
Je n'épouse pas davantage la vision "moralisatrice" appelant à "se racheter" des fautes commises en "octroyant" un peu plus de ce que l'on appelle des aides, souvent abusivement, j'y reviendrai !
Mes propositions, celles des communistes français, sont d'une autre inspiration, d'une autre nature.
En premier lieu, il y a l'annulation totale et immédiate de la dette. Il faut cesser de tergiverser, de multiplier les déclarations sans lendemains, ou suivies de décisions d'une telle timidité qu'elles sont sans effet. Oui il faut annuler la dette parce qu'il ne peut y avoir de rattrapage, ni de décollage possible pour le développement si on ne sort pas du cercle vicieux de l'endettement. Sans doute cette annulation ne résout pas en soi le problème du développement. Mais c'est en quelque sorte un préalable.
Concernant l'aide publique, la logique libérale veut qu'on la réduise, en privilégiant au contraire "des conditions favorables aux investissements privés". Je le dis ici avec une certaine gravité : je désapprouve la réduction constante de l'aide publique française au développement. Rien ne la justifie, tout au contraire. Pour ma part, je me prononce pour une augmentation substantielle de cette contribution jusqu'à atteindre au plus vite les 0,7% auxquels les pays développés s'étaient engagés et qu'ils n'ont jamais tenu.
Ces revendications sont au cur de grands mouvements dans le monde entier. Nous devons faire grandir ce mouvement jusqu'à obtenir satisfaction. Pour ce qui me concerne, j'en ferai un des axes de mes interventions.
Dans le même mouvement, il faut pousser le débat sur une réforme de l'ensemble du système du financement et de l'aide. Que ce mot "aide" est ambigu ! "L'aide" est lourde d'ambiguïtés, chargé de connotations d'assistance, d'opacité, ou néocoloniales, comme moyen de pression, et assortie de conditionnalités sociales et politiques.
Ce qu'il faut, je crois, c'est concevoir une véritable dynamique de coopération et de co-développement. Et dans une totale transparence de l'utilisation des fonds publics.
Certes, il y a bien, ainsi que l'a appelé avec force la Conférence de Durban sur le racisme, une nécessaire réparation des dégâts causés non seulement par l'esclavage et la colonisation, mais aussi par ce que l'on a appelé le néocolonialisme.
Mais il y a surtout une responsabilité aujourd'hui pour contribuer au décollage des pays africains, nécessaire pour la communauté internationale ; pour mettre fin aux déséquilibres du monde.
Il s'agit donc de concevoir cette contribution non pas comme une assistance, mais tout au contraire comme un moyen de desserrer la contrainte, de conquérir pour tous ces peuples des capacités propres de développement.
Certains proposent la création d'un Fonds de réparation sous l'égide de l'ONU et qui serait financé par la taxe sur les mouvements de capitaux, la taxe Tobin... L'idée mérite d'être prise en compte.
Pour ma part, et sans que cela s'oppose à cette idée, je propose un grand plan d'investissement en euro, une sorte de plan Marshall européen pour le développement du Sud, avec des crédits à des taux d'autant plus bas qu'ils seraient utilisés pour l'emploi, la formation, les investissements socialement et environnementalement utiles, pour les infrastructures de transport, d'énergie, de communication, et pour le développement de l'agriculture.
Et pour la mise en place d'un vaste plan de lutte contre le sida, et les maladies tropicales.
De même, je propose une réforme en profondeur des institutions financières et commerciales internationales pour en faire des instruments de financement du développement et non pas comme moyens d'imposer le talon de fer des dogmes ultra-libéraux. Il faut intégrer le FMI, et l'OMC, dans le système des Nations unies, et en démocratiser en profondeur le fonctionnement. Il est possible de mettre en place sur la base de l'extension des Droits de tirage spéciaux une sorte de monnaie commune mondiale indépendante du dollar et des marchés financiers.
De ce point de vue, la décision du gouvernement français de demander une allocation exceptionnelle des droits de tirage spéciaux à la prochaine conférence de Monterrey va dans le bon sens. Mais là aussi il faut aller plus loin si on veut des réponses qui soient au niveau des enjeux.
En convergence avec ces propositions sur le financement, la France devrait, selon moi, s'attacher, en relation avec ses partenaires européens et les pays concernés, à la mise en place d'un système de stabilisation des prix des matières premières sous l'égide de l'ONU. En effet, comment pourrait-on mettre en oeuvre une stratégie de développement et d'investissements quand on est à la merci de cours décidés ailleurs selon la seule loi de l'offre et de la demande ? Vous en savez quelque chose ici au Mali avec les difficultés provoquées par la baisse du cours du coton.
J'ai senti au cours de mes rencontres une certaine amertume envers ce qui est ressenti comme une prise de distance de la France envers l'Afrique. Baisse constante de l'aide publique, banalisation des relations traditionnelles au nom du redéploiement de la coopération, désengagement au profit de l'Union européenne, respect scrupuleux des critères de l'ajustement structurel. Je suis attentif à ces inquiétudes.
Pour ma part, je me prononce pour une réforme en profondeur de la politique de coopération de la France, tout particulièrement en direction de l'Afrique, pour une politique audacieuse qui soit élaborée dans la transparence à tous les niveaux. Cette politique demande plus qu'un toilettage démocratique. Il y faut une visibilité nouvelle, l'affirmation d'une ambition dans des rapports de respect et d'égalité, et qui ose s'affranchir des critères ultra-libéraux. Oui, là aussi, il faut de l'audace. C'est la condition pour être utile et contribuer à la solution de problèmes qui nous concernent tous. Je le dis avec force : plus que jamais l'Afrique doit rester une priorité pour la politique française dans le monde.
De ce point de vue, je voudrais souligner l'importance décisive des relations entre citoyens, entre jeunes tout particulièrement, à travers ce formidable mouvement que peut générer la multiplication des coopérations décentralisées, non pas pour se substituer évidemment à l'effort des Etats ou de la communauté internationale, mais pour apporter des réponses immédiates, comme moyen de connaissance mutuelle, tout particulièrement dans la jeunesse. Et aussi - c'est important - comme apprentissage d'une citoyenneté ouverte au monde.
Le niveau du défi auquel, ensemble, nous sommes confrontés appelle des réponses qui s'attaquent aux racines des problèmes.
Parce que chaque effort pour se libérer de la contrainte, pour répondre aux besoins des femmes et des hommes, se heurte à de puissants intérêts et à leur expression politique et parfois militaire. Et chaque fois, il s'agit de faire prévaloir l'intérêt commun face à la loi implacable du profit.
Prenons le droit à la santé : on sait aujourd'hui ce que coûterait un plan pour s'attaquer efficacement au sida et aux maladies tropicales. Mais nous savons les luttes qu'il a fallu mener - bel exemple d'internationalisme - pour mettre en échec les prétentions des multinationales du médicament à intenter un procès à l'Afrique du Sud. Si, comme l'indique l'OMS, moins de 10% des dépenses de la recherche médicale sont consacrés à des maladies qui touchent 90 % de la population mondiale, il faut bien changer les règles, car la santé, la vie des êtres humains ne peuvent pas être une marchandise.
L'agriculture est à la base du développement. La réponse peut-elle résulter des exigences des multinationales agroalimentaires ? Ou de la simple mise en concurrence des paysans du Nord et du sud et des produits agricoles au nom du libre-échange ?
Je ne le pense pas. Ce qu'il faut ce sont des mécanismes garantissant un revenu rémunérateur, qui permettent de développer la production et, aux femmes et aux hommes de pouvoir vivre dans leur pays.
Il existe un formidable besoin de changement. Après les dures années de reflux devant le raz-de-marée libéral, et l'offensive de l'impérialisme ; après l'effondrement de tant d'espoirs, il s'agit de reconstruire des repères, d'ouvrir des perspectives pour des alternatives au néolibéralisme, pour transformer la mondialisation et mettre ses immenses possibilités au service des femmes et des hommes. Ce qui exige, à mon sens, une ambition bien plus forte qu'un simple aménagement qui ne s'attaquerait pas à la racine des problèmes.
C'est au quotidien par le débat et par l'action, dans les mouvements sociaux comme dans les institutions, que peuvent et doivent, selon moi, se tisser les liens d'une nouvelle solidarité internationale. Tous, nous en avons besoin pour faire reculer les contraintes et reconquérir des espaces de liberté.
La volonté de prendre à bras le corps les problèmes, l'ancrage dans les réalités de l'histoire et de la culture, l'extraordinaire enthousiasme et la vitalité de la jeunesse, de femmes, des intellectuels, des simples citoyens que j'ai rencontrés ici, et dont témoigne la remarquable réussite de la Coupe africaine des Nations, tout cela est une exceptionnelle expérience pour moi. Elle conforte ma conviction que nous ne sommes certainement pas à la "fin de l'histoire", mais au contraire au début d'un moment nouveau. L'Afrique, les Africains y tiendront leur place.
Tel est le message que souhaitais vous adresser ici, à Bamako, dans ce Mali à l'histoire si riche. Un message de solidarité, d'espoir, de confiance.
Un message de sincère amitié.
(Source http://www.roberthue2002.net, le 20 février 2002)