Interview de M. Patrick Devedjian, délégué général et porte-parole du RPR, à Europe 1 le 6 mars 2002, sur le meeting de J. Chirac à Mantes-la-Jolie, sa campagne électorale, celle de L. Jospin, le livre du juge Halphen, l'indépendance de la justice et le financement des partis politiques.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach Ce n'est pas la joie, ça n'a pas l'air de tourner rond dans votre camp. Qu'est-ce qui ne va pas ?
- "Non, non, c'est la joie, mais c'est vrai que nous avons dû faire le plus difficile. Notre entrée en campagne d'abord, pour le Président, changer d'habits, devenir candidat, il y a un temps pour cela. Je crois que le temps est passé. Et il y a aussi l'exposé du projet, qui est une période un petit peu ingrate et que nous avons commencée très largement. Parce que finalement, ce qui est important pour les Français, ça va être la confrontation des projets. Et de ce point de vue-là nous avons un temps d'avance sur L. Jospin."
Mais regardez : Le Parisien révèle ce matin que J. Chirac a tenu, en secret, une réunion, un meeting à Mantes-la-Jolie...
- "On l'a vu à la télévision tout ça..."
Non, pas le meeting... 1.000 personnes, dont personne n'a su quoi que ce soit. Et même des proches de J. Chirac n'étaient pas au courant. C'est quand même inouï !
- "Oui, enfin, surtout présenté comme ça."
Mais vous y étiez, vous ?
- "Mais non, je n'étais pas à Mantes-la-Jolie. Je suis à Antony, ce n'est pas Mantes-la-Jolie !"
Oui, mais vous êtes quand même au quartier général, tout en étant à Antony, ne jouons pas sur les mots...
- "Oui... Je soutiens naturellement J. Chirac mais je n'ai pas de raison de l'accompagner à Mantes-la-Jolie. Mais je sais très bien ce qui s'est passé."
Il n'y a pas de couacs de temps en temps ?
- "Je ne crois pas. Il a eu un déplacement à Mantes-la-Jolie, qui est de très grande qualité, où il a été au contact des gens, avec d'ailleurs quelques difficultés effectivement. Cela lui a permis d'ailleurs de vivre ce que vivent les gens dans ces quartiers difficiles en permanence. Et c'est plutôt une bonne chose."
Je regardais hier les images de la visite surprise du candidat Chirac à son QG, le Tapis rouge. Il paraissait comme ragaillardi - si je peux me permettre de dire - par les cris et les crachats de quelques gamins de Mantes-la-Jolie. Comment est-ce possible ?
- "Je crois que c'est bien qu'un candidat aille vivre la vie des gens qui ont ces difficultés, dans ces quartiers si difficiles et qui ont été abandonnés à la délinquance depuis si longtemps. Et d'une certaine manière, il témoigne de son engagement dans leurs difficultés de vie quotidienne, il les porte sur lui aussi ces difficultés et c'est bien. Parce que c'est finalement ce qu'on veut !"
Formidable. Il partage avec ses frères... C'est beau comme dans la Bible !
- "En tout cas, je crois que c'est le rôle d'un candidat de partager les préoccupations de la population. C'est leur rôle."
Mais pas une fois tous les sept ans ou tous les cinq ans, comme L. Jospin...
- "Non..."
Les banlieues, vous avez l'air de les découvrir...
- "Vous vous adressez à un maire de banlieue, donc je pense que la remarque ne collait pas pour moi. Quant à J. Chirac, vous savez les banlieues, il y est venu très souvent. Mais il y va là, parce que c'est la campagne électorale et il y va là où c'est le plus difficile, là où effectivement même la police ne va plus."
Il y a plusieurs sondages perdants qui sortent coup sur coup ; il y a comme ce flottement dans l'air que vous indiquez, même sans le vouloir, alors qu'on sent bien que les 15 prochains jours, P. Devedjian, vont être déterminants. C'est comme si vous pouviez perdre ?
- "Mais on peut toujours perdre. D'abord, c'est à 50-50. Mais je crois qu'on va gagner. Je crois qu'on va gagner, d'abord parce que j'ai vu notre candidat, hier, tout à fait en situation de gagner. D'abord, il maîtrise sa campagne, il est sorti de ses habits de Président, il est vraiment le candidat qu'on connaît, celui qui va au contact réel des gens."
Il se libère ? Il va se libérer ?
- "Il se livre, il se donne ! C'est la différence. Il n'a pas de problème psychologique, lui. Il va au-devant de la population et il prend en charge ses préoccupations, en les vivant lui-même."
On entendait ces deux derniers jours, le candidat Jospin dire : "Il n'est pas souhaitable pour la France que J. Chirac soit à nouveau président de la République pour cinq ans". Et il ajoutait : "Il a un double problème : d'identité et de crédibilité".
- "Mais qui sont ces gens pour donner des leçons de morale en
permanence ? C'est eux qui disent qui est bon, qui est méchant, qui est honnête, qui est immoral ... Qui est monsieur Jospin ? Est-il crédible pour donner des leçons de crédibilité lui-même ?"
Il est méchant, Jospin ?
- "Non, mais je veux dire qu'il devrait quand même cesser de donner des leçons de morale à tout le monde. On n'a pas besoin d'un prêcheur. On a besoin d'un président de la République. Et donc, qu'il prenne en charge les préoccupations des Français, qu'il nous dise son projet, parce que ça c'est intéressant. Et même moi, cela m'intéresse le projet de L. Jospin. On a commencé à en voir un tout petit bout hier, on aimerait en savoir davantage."
Mais par exemple, plus vos orateurs dénoncent l'addition de fiasco de Jospin, et plus il monte dans les sondages. Il y a quelque chose qui, là encore, ne tourne pas tout à fait...
- "Non, attendez, il n'est pas monté bien loin. Il a gagné quelques points ces dix derniers jours. C'est ainsi, les campagnes électorale, ça monte et ça descend. Mais c'est maintenant que ça va se jouer. Or, nous avons un temps d'avance sur l'exposé du projet et c'est sur le projet que les Français vont se déterminer."
Sur France 2, E. Halphen a dit hier qu'il vous trouve, pour ce qui le concerne, et en tout cas à son égard, "prévisible". Comment l'avez-vous trouvé lui, dans l'explication de son livre-témoignage, qui n'est ni un pamphlet, ni un réquisitoire, mais peut-être la complainte d'un juge qui s'est trouvé solitaire et qui a vécu des cauchemars...
- "Je ne veux pas me livrer aux polémiques, c'est inutile. Mais de son livre, je ne retiens qu'une seule chose : ce qui est écrit à la page 99, à propos de J. Chirac : "Rien ne l'implique directement". Alors à quoi bon tout le cinéma..."
Même s'il est à la confluence de toutes les pistes ?
- "Oui, mais "rien ne l'implique directement". On est en matière de justice. Et si le juge pense ça, il nous livre son opinion, comment a-t-il pu nous faire tout ce cinéma ! Et puis, une deuxième chose m'a interpellé hier soir, à la télévision, quand il nous a expliqués qu'il était allé proposer à F. Hollande de s'engager dans une carrière politique."
Mais vous avez noté ce que F. Hollande lui a dit ?
- "Il n'en pas voulu."
Il lui a conseillé de ne pas faire de politique, apparemment il n'a pas tout à fait tort !
-"Oui, gardez-nous d'amis pareils évidemment, je comprends F. Hollande. Mais ce dont ça témoigne en tous les cas, c'est que ce monsieur est engagé. Et finalement, ce qu'on attend de la justice, c'est qu'elle soit impartiale. Je ne veux pas que, par exemple, pour ce qui concerne le RPR, il soit jugé par des juges qui sont en sympathie avec le PS. J'attends des juges qu'ils soient impartiaux. Je veux toute la justice, mais impartiale."
Au passage, aviez-vous demandé la même chose à l'époque, au juge T. Jean- Pierre, qui est député européen aujourd'hui, qui est DL, et si je crois bien, le trésorier d'A. Madelin ?
- "Je souhaite que les juges ne fassent pas de politique et qu'il n'y ait pas de mélange des genres pour tous les juges, monsieur Elkabbach."
Sur le fond, Halphen semble avoir vécu sept ans de solitude - il dit "de "cauchemars", avec des pressions, des menaces, des écoutes interdites, des cous tordus". La droite lui a mené la vie dure aussi...
- "Je ne sais pas si c'est la droite, parce que pendant sept ans il y a eu cinq ans de socialisme..."
Mais cela veut dire qu'à tous les postes de procureurs, il n'y avait pas eu forcément, des socialistes...
- "Et toute les annulations... Oui, je sais, oui... C'est un complot permanent..."
Non, non, je pose la question !
- "Ecoutez, toutes les annulations dont il a fait l'objet, c'est la Cour d'appel qui les a prononcées ou c'est même la Cour de cassation qui a dit qu'on n'avait pas le droit de convoquer le président de la République. Ce n'est pas un complot du RPR tout de même."
Mais sur le fond : des entreprises qui donnaient des pots-de-vin, qui obtenaient des marchés... Bon, ça on n'apprend rien, vous le saviez ?
- "C'est la justice... Que la justice se fasse de manière impartiale."
Vous le saviez ?
- "Oui, tout ça, il y a 15 ans qu'on en parle."
Vous ne demanderez pas de poursuites contre le futur-ex juge Halphen ?
- "Non. Ecoutez, c'est le problème du Conseil Supérieur de la Magistrature, ça ne me regarde pas."
A présent, D. Schuller - malheureusement, il y a cette accumulation ! - accuse les chiraquiens de l'avoir poussé à l'exil.
- "De ses déclarations aussi, je ne retiendrai qu'une seule chose, celle qu'il a faite devant le juge d'instruction et qu'on a retrouvée dans les journaux et celle qu'il a déclarée hier, chez votre confrère RTL : les sommes qu'on l'accuse d'avoir détournées n'ont servi qu'à sa seule campagne électorale, lui, à Clichy. Donc, ça ne concerne que lui et personne d'autre."
Mais pourquoi on l'a fait partir en 1995 ? "J'ai été manipulé par les chiraquiens pour provoquer la chute d'E. Balladur", dit-il.
- "Non, il parle de son avocat, je le laisse s'expliquer lui-même avec son avocat, je n'interviens pas là-dedans."
Avant-dernière remarque : D. Schuller a été libéré après 24 jours de détention, qui ont suivi son retour de Saint-Domingue. Est-ce que vous pensez que ça a été préparé, négocié ?
- "En tous les cas, vous vous posez la question."
Vous non ? C'est vous le politique !
- "Moi, je ne me la pose pas. Mais je pense que beaucoup de gens qui sont en détention provisoire aimeraient être jugés aussi rapidement."
Ca fait beaucoup d'histoires qui tournent autour du RPR. Est-ce que tout ce mauvais climat...
- "Vous savez, il y en a autant autour du PS, parce que malheureusement ces affaires-là, ce sont les affaires de financement qui datent de 15 ans. Eh bien, la justice est très lente et elle se poursuit. Mais les uns et les autres veulent les exploiter... Nous, nous pourrions demander à monsieur Hollande s'il veut garder monsieur Teulade comme suppléant ? Bon... On ne s'amuse pas à ça."
En tout cas, peut-on souhaiter que la présidentielle rende plus claire et plus saine la relation entre la justice et la politique ?
- "Je souhaite qu'on entre dans le coeur du débat sur le projet. D'abord, que la gauche nous dise comment elle veut traiter la justice. Nous, sur ce point, nous pensons que le fait d'avoir laissé le Parquet à l'abandon, comme le Gouvernement l'a fait, a de graves dérives."
Maître Devedjian, vous reviendrez sur l'indépendance du Parquet ?
- "Mais nous appliquerons la loi telle qu'elle est."
Oui. Voyez, dans tout ça, on aurait dû parler d'un des problèmes les plus importants de la journée, mais il y a tellement d'autres choses moins importantes, qui ont tout envahi : c'est la décision du Président Bush de taxer les importations européennes et de faire la guerre à l'Europe des Quinze.
- "Oui, c'est une décision cynique et qui, je l'espère, devrait montrer face à lui, un front uni des Européens."
Voilà, il me paraît que J. Chirac ou le candidat Chirac a un porte-parole de plus, qui revient, combatif. Et vous ne chantez pas, vous ?
- "Non, je chante faux."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 mars 2002)